24. Klara
Klara déambula un moment. Une fille qui marchait cartable au dos sur le trottoir d'en face la dévisagea. Elle lui tira la langue et la fille pouffa de rire. Klara se retint de l'insulter. Pour qui elle se prenait, cette idiote ?
Mais en passant devant une vitrine, Klara comprit pourquoi elle avait réagi ainsi. Elle était méconnaissable. Cette nuit passée sous la tente et les passages successifs sous divers rayons l'avaient couverte de poussière. Avec sa tenue dégueulasse et ses cheveux sales et emmêlés, elle attirait vraiment trop l'attention. Vite, il fallait qu'elle fasse un brin de toilette avant de se faire repérer.
Elle marcha longtemps, cherchant un parc, un jardin public ou n'importe quel endroit où elle pourrait se cacher. Les gens la regardaient du coin de l'œil et elle craignait le pire. Vivement, elle se glissa sous une haie et se trouva dans un jardin.
Pas de chance, l'endroit était très clairement habité : un petit chien déboula sur elle en aboyant à pleins poumons. Klara traversa le jardin en courant et se glissa sous une deuxième haie. Elle traversa ainsi deux ou trois jardins d'affilée. Il ne fallait pas qu'elle s'arrête si elle ne voulait pas se faire prendre.
Enfin, elle avisa un abri de jardin. La porte était entrouverte, elle n'avait qu'à s'y cacher le temps qu'on oublie qu'elle était passée. Ensuite, elle reprendrait sa recherche. Elle fonça et rabattit la porte derrière elle.
- Hubert, dit une voix dans son dos. Hubert, c'est toi ?
Hubert ?!! C'était le nom du tueur dans son histoire d'horreur ! Klara se retourna, prête à frapper quiconque l'attaquerait. Et elle se détendit immédiatement. Une dame assez âgée pour être sa grand-mère se tenait devant elle, en pantoufles et robe de chambre rose.
- Bonjour Madame, dit Klara à tout hasard.
- Bonjour mon petit. Tu veux bien me dire ce que je fais là ?
Elle plaisantait ?! Klara trouvait la question étrange mais elle répondit sérieusement :
- Vous êtes dans un abri de jardin ?
- Ah ? Tiens, c'est vrai. Je cherche ma maman, tu ne l'as pas vue ?
Klara commençait à comprendre. Cette femme avait probablement une maladie de personne âgée, celle qui fait perdre la mémoire et perdre la tête. La bonne nouvelle, c'était qu'elle ne risquait pas de la dénoncer à la police. La mauvaise, c'était que dans ce genre de situation, on ne savait pas à quoi s'attendre.
- Non, répondit Klara. Je ne l'ai pas vue. Je crois que vous devriez rentrer chez vous. Je vous accompagne ?
En prononçant ces mots, elle l'aida à sortir de l'abri de jardin. La dame se dirigea à petits pas vers une porte-fenêtre et Klara la suivit à tout hasard.
- Comment vous vous appelez ? demanda-t-elle. Moi, c'est Klara.
- Moi, c'est Henriette ! Assieds-toi, voyons. Je vais nous faire du thé.
Klara regarda autour d'elle. Elle se trouvait dans un salon aux murs blancs et aux meubles bien cirés. Des photos de famille reposaient sur un petit meuble. Cet endroit était très propre et bien rangé, ce qui voulait probablement dire qu'elle ne vivait pas seule. Ou alors, quelqu'un venait pour faire le ménage.
- Je ne peux pas rester... protesta Klara.
- Mais si ! Ça me fait plaisir que ma fille ait une amie aussi gentille.
- Alors je peux aller me laver les mains, d'abord ?
C'était urgent : elle avait vraiment envie de faire pipi. Henriette hocha la tête.
- Bien sûr, ma puce !
Klara s'aventura dans la maison. Elle ne croisa personne mais trouva une salle de bains très propre. Le papier toilette sentait la rose. Quelle idée d'acheter du pécu qui sentait la rose ! Mais au moins, elle pouvait faire un brin de toilette. Comme elle n'avait toujours pas de brosse à dents, elle se contenta de se rincer la bouche avec un mélange d'eau et de dentifrice. Ses vêtements brossés, ses cheveux peignés, Klara revint dans le salon et le trouva vide. Elle aurait pu partir tout de suite mais elle ne se sentait pas tranquille. Elle repartit donc en exploration et trouva Henriette qui faisait chauffer de l'eau dans la cuisine.
- Va t'asseoir, Sophie ! s'écria Henriette. J'apporte le thé.
- Je m'appelle Klara. Asseyez-vous, voyons. Je m'occupe du thé. Vous voulez du lait, du sucre ?
Klara prenait un gros risque en lui proposant cela. En effet, contrairement à Luba et Oxana, elle n'avait jamais appris à préparer du thé. Pour elle, c'était une activité niaise et inintéressante et elle lui proposait cela uniquement parce qu'elle avait peur qu'Henriette se brûle. Celle-ci hocha la tête.
- Tu es bien gentille. Un sucre, s'il te plaît. Les petits gâteaux sont dans la boîte en métal.
Des petits gâteaux ?!! Klara ouvrit la boîte et découvrit... qu'elle était vide. Cette dame perdait vraiment la tête.
La bouilloire émit un bip, ce qui signifiait probablement que l'eau était chaude. Klara versa l'eau dans deux tasses roses qui semblaient sorties d'une boutique de guimauve, les posa sur un plateau, trouva des sachets, un sucrier et apporta le thé dans le salon. Tout compte fait, faire du thé, c'était facile.
- Merci, Sophie, répéta la dame en la suivant à petits pas. Tu es bien gentille.
- Klara.
- Sophie n'est pas ici ? s'inquiéta Henriette.
- Sophie va très bien ! mentit Klara, qui n'avait aucune idée de qui était cette Sophie. Elle est partie chercher un truc, c'est tout !
- C'est une si gentille petite !
- Madame... Vous savez quel bus il faut prendre pour aller à Milanville ?
- Mais le 21, bien sûr !
- Merci, Madame. Il faut que j'y aille, maintenant.
- Attends, Sophie, l'arrêta la dame. Tu ne veux pas rester avec moi en attendant Hubert ? On pourrait écouter de la musique, toutes les deux.
Klara se sentit fondre. Cette dame devait vraiment se sentir très seule. Pourquoi ne pas rester avec elle un moment, juste pour lui faire plaisir ?
- D'accord, répondit Klara. Je vais faire la vaisselle et je vous rejoins.
Elle retourna dans la cuisine, lava et rangea les deux tasses en se mettant plein d'eau sur les manches. Quand elle revint, la dame était penchée sur un petit meuble plein de Cds.
- Je ne retrouve plus Tchaïkovski, s'excusa-t-elle. Tu aimes Tchaïkovski ?
- Je ne connais pas.
- Tu vas adorer ! Où l'ai-je mis ?
Klara se mit à chercher et constata sans grande surprise qu'aucun CD n'était dans la bonne boîte. Elle passa deux bonnes minutes à ouvrir toutes les boîtes et finit par trouver le CD de Casse-Noisette. Ravie, Henriette mit la musique en marche, s'installa dans un fauteuil et se mit à écouter, les yeux mi-clos, une expression béate sur son visage.
Klara écouta poliment. Elle avait déjà entendu cet air dans des téléfilms de Noël. C'était joli mais un tout petit peu trop mièvre à son goût. De toute façon, elle n'avait pas que ça à faire. Son regard tomba sur Lumière, qu'elle avait posé sur un meuble et qui, apparemment, aimait bien cette musique. Sa main droite bougeait en rythme.
- C'est beau, dit-elle, mais il faut que j'y aille.
- D'accord ! répondit la dame en lui tendant deux euros. Tiens, va t'acheter des bonbons. Au revoir, Sophie !
Klara prit la pièce, embrassa la dame sur les deux joues et sortit en emportant Lumière et son sac. De toutes les choses qui lui étaient jamais arrivées, c'était sans doute la plus bizarre.
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