Chapitre 21 : Aélys
/!\ Attention ce chapitre contient une scène qui peut choquer la sensibilité de certains lecteur.
Mort et sang sont abordés dans ce chapitre (je préfère prévenir ^^)
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Bon ! Les pâtes avaient une drôle de tête si je devais les comparer à la vidéo explicative. Pourtant je ne comprenais pas ce que nous avions fait de travers.
Certes, nous avions oublié de mettre un chronomètre et la viande était bien trop cuite, mais mis à part ça, tout avait été cuisiné dans les règles.
Eden regardait d'un œil sceptique le plat qui n'attendait que d'être dégusté. Il gardait ses réflexions pour lui et avait même tenté de me faire croire qu'il avait hâte de goûter ce que nous avions préparé. Étonnement j'avais aimé cet instant à ses côtés et je me surprenais d'apprécier de plus en plus de passer des moments avec lui.
Le temps où je le craignais me paraissait lointain.
Fignolant la vaisselle, je l'observais du coin de l'œil ranger les derniers ustensiles et nettoyer les plans de travail.
Je ne savais pas si cette impression provenait de son aura ou bien de sa personnalité en tant qu'humain, mais je ne pouvais nier une certaine attirance à son égard. Eden était solaire et donnait l'envie de le connaître, à contrario de son frère qui faisait naître un sentiment de malaise et d'aversion.
Je ne savais comment l'expliquer, mais finalement cette idée de cuisiner m'avait permis de voir une vraie facette du dieu de la vie. Un aspect qui le rendait plus authentique et plus humain.
Une fois le rangement terminé, il fouilla dans le frigo à la recherche du dernier ingrédient qui viendrait parfaire le plat.
— Heu... Aélys ? résonna la voix d'Eden en provenance du frigidaire.
— Mmmh ?
— Je crois qu'on n'a pas de gruyère.
Je laissais retomber la casserole dans l'eau savonneuse et le rejoignis.
Mes mains recouvertes de mousse pendaient de façon figée dans les airs pour éviter de mettre du de l'eau partout. Eden se recula pour que je puisse observer l'intérieur du frigo. Vide... le frigo était totalement vide.
— Mais ils disent que le gruyère est essentiel, c'est la touche finale ! répétais-je en prenant le même accent exacerbant du chef cuisinier qui avait fait la vidéo.
Un rictus déforma les lèvres du dieu de la vie et il secoua la tête faisant mine que cette situation fût dramatique.
— Tout est fichu ! se moqua-t-il.
Je haussais les yeux vers le plafond.
Comme lorsque je fabriquais une âme, j'aimais que tout soit parfait à la fin. Alors, je ne pouvais m'empêcher de cogiter et de réfléchir à une solution.
— Tu sais quoi, je vais aller en chercher à la supérette, suggérais-je.
J'essuyais mes mains grossièrement sur mes vêtements avant de me diriger vers la porte d'entrée.
— Aélys ?
Posé négligemment sur le plan de travail, Eden avait les bras croisés. Sa chemise en lin avait les manches retroussées et il venait de redresser ses lunettes argentées sur le sommet de sa tête, mettant en désordre ses cheveux, le tout le rendant plus mortel que jamais. Une version parfaite de l'imperfection.
— Tu auras besoin de sou si tu veux en acheter, poursuivit-il. Il y en a dans le vide-poche de l'entrée.
Sans prendre le temps de lui répondre, je m'emparai d'une poignée de pièces et claquais la porte derrière moi.
Malgré mes quelques jours sur Terre et le nombre de connaissances que j'avais acquises, je me rendais compte que je n'étais pas encore à l'aise avec certains aspects de la vie humaine.
Après tout, je n'avais jamais eu besoin de faire des courses, puisque mes repas m'étaient apportés à la forge ou directement dans mes appartements.
Tandis que je me perdais dans ces souvenirs qui me paraissaient tout à coup étrangers, je reconnus la fille de la bibliothèque sortir d'un bâtiment en trombe. Vêtue de cette robe rouge, elle ne passait pas inaperçue et plusieurs des étudiants la suivirent du regard, intrigués par cette apparition soudaine.
Énervée, elle traversa la route sans même prêter attention à la circulation. Tout se produisit bien trop rapidement.
Un bruit sourd retentit et figea un instant la scène qui se déroulait sous nos yeux. Son corps fut propulsé sur le bitume du Campus.
Je tentais de comprendre ce qui venait d'arriver, mais mon cerveau semblait être désactivé, refusant d'assimiler ce corps gisant sur le sol.
Une flaque de sang se répandait et luisait à la lueur de la lune. Un rouge plus sombre que sa robe écarlate. Un rouge carmin qui recouvrait sa jambe brisée, ses bras éraflés et arrachés et son visage à l'expression figée.
Là, à quelques mètres, le conducteur était tétanisé, les yeux grands ouverts par la situation.
Une peur intense animait mon cœur affolé et le flux de mes pensées demeurait chaotique. Pour autant, par je ne sais quel miracle, mon corps se mit en mouvement. Je lâchais les pièces pour me précipiter vers elle. À sa hauteur, je me laissais tomber lourdement, le bitume arrachant la peau de mes genoux.
L'adrénaline supprimait toute perception de douleur et me poussait à agir pour secourir cette pauvre fille.
Tremblante, je pris sa main dans la mienne, mais elle ne réagissait pas à mon contact. Elle restait molle et ne présentait aucune résistance.
Je tentais de l'agiter légèrement, mais lorsque j'apercevais mes doigts recouverts de son sang, je ne pus réfréner une sensation de vertige. Je secouais la tête pour ne pas défaillir.
— AIDEZ-LA ! PITIÉ QUE QUELQU'UN VIENNE, hurlais-je dans un cri de désespoir.
Les larmes inondaient mon visage et rendaient la scène de plus en plus floue.
Maladroitement, je posais mes mains sur elle dans l'espoir de la protéger. Au contact de ma paume sur son cœur, je ressentais son âme vibrer faiblement. Elle perdait en intensité et son énergie filait entre mes doigts impuissants. Tout indiquait que sa vie ne tenait qu'à un fil.
— Pitié, pitié, pitié, reste avec moi, suppliais-je à l'orbe qui frémissait lentement en elle.
Impuissante, je sentais les dernières essences de son âme s'envoler et laisser un vide immense dans sa poitrine.
— Mademoiselle, intervint une voix masculine, nous sommes les pompiers, on va s'occuper d'elle.
En redressant la tête, je découvrais qu'un groupe s'était formé autour de nous et certains observaient avec effroi son corps inanimé.
Nombreux des visages présents arboraient des mines sévères ou horrifiées, les teints étaient blafards et certains des étudiants s'étaient éloignés, ne supportant pas la vue.
Un autre pompier m'aida à me relever pendant que l'homme s'attelait au-dessus de la fille, mais comment lui dire qu'il était désormais trop tard. Comment lui expliquer que j'avais senti son âme disparaître sous mes mains ? Comment exprimer ça à voix haute ?
Mes jambes flageolantes tremblaient sous le poids de mon corps et je dus m'accrocher au blouson du pompier pour ne pas tomber. Priant intérieurement pour qu'il réussisse à lui sauver la vie.
J'apercevais le véhicule qui l'avait renversé, le pare-choc était défoncé et des traces de sang semblaient déjà sécher avec la fraîcheur de la nuit.
Le conducteur était désormais assis par terre et observait la jeune fille étaler sur le sol. Blanc comme un linge, il se tenait la tête et retenait son souffle dans l'attente de savoir s'il ne venait pas d'ôter la vie à quelqu'un.
Le pompier sortit un appareil et dénuda la poitrine de la victime. Lorsqu'il le posa sur sa peau, quelques instants après son corps convulsa. Il réitéra l'opération, me donnant espoir qu'il parviendrait à la réanimer.
Face à la scène qui se déroulait devant moi, je portais ma paume à hauteur de ma bouche. Le sang chaud et visqueux s'étalait sur mes joues, mais j'étais trop concentrée sur le pompier pour en ressentir un quelconque dégoût.
En écho à mes prières silencieuses, il se tourna vers moi au bout de quelques minutes interminables et secoua la tête tristement.
Le sol se déroba sous mes pieds et les larmes reprirent de plus belle. Mon souffle s'accéléra et malgré l'air que je tentais d'aspirer, une sensation d'étouffement compressa ma poitrine. Je le savais, mais avoir la confirmation fut terrible. Un cri déchirant sortit du plus profond de mon être et enduisit les lieux de son désespoir.
J'avais pour habitude de créer les âmes qui donnaient naissance aux Hommes. Pas de les voir s'éteindre entre mes mains. Alors se sentir si impuissante m'anéantissait.
Une main tatouée s'abattit sur le pompier avec force tandis que le corps désormais sans vie était nappé d'un drap blanc.
— Je vais m'occuper d'elle, annonça-t-il.
Dévastée, j'observais Léo qui avait débarqué de nulle part. Au loin, Eden sortit de la résidence en courant, certainement alerté par le vacarme qui régnait autour de nous.
Tout à coup, le sang qui me recouvrait me semblait plus visqueux, plus collant et plus nauséabond. Rageusement, je frottais mes joues et mes mains jusqu'à m'en arracher la peau.
À la vue de mon débardeur taché de rouge, un haut-le-cœur remonta le long de ma gorge et le goût de la bile se mélangea à l'odeur métallique du sang.
Hâtivement, j'essayais de me débarrasser du vêtement.
— Aélys, calme-toi, tenta Léo vainement.
Mais une seule idée m'obsédait, enlever ce t-shirt imbibé de sang qui n'était pas le mien. Je soulevais le tissu, mais il posa ses mains gelées sur mes poignées. Sa poigne était ferme, mais il prenait garde à ne pas me blesser.
Pour autant, le chaos qui régnait en moi ne s'apaisait pas et sentir la moiteur et la chaleur du liquide sur ma peau me faisait davantage perdre la tête.
— Lâche-moi ! ordonnais-je, mais il n'en fit rien.
Il encra ses yeux bleus aux miens.
— Calme-toi, répéta-t-il d'un ton inflexible.
— Léo, pitié, le suppliais-je, les joues baignées de larmes et de sang. J'ai besoin de l'enlever, par pitié.
Ma voix implorante ne le rendit pas indifférent, car ses traits se détendirent au bout de quelques instants. Il desserra légèrement mes poignets, me laissant l'opportunité d'ôter ce vêtement qui me répugnait.
Il fit de même avec le sien sans que je n'en comprenne le but.
La puanteur métallique du sang imprégna mes narines quand je retirais mon haut, me provoquant un nouveau haut-le-cœur. Une masse se forma dans ma gorge et menaçait de sortir à tout instant.
La fraîcheur de la soirée caressa désormais ma peau dénudée, mais je n'eus pas le temps de frissonner que Léo m'enfila de force son t-shirt immaculé. Torse nu face à moi, il reprit mon poignet pour me tirer à l'intérieur du bâtiment.
Je le laissais me guider trop bouleversée pour émettre une quelconque opposition.
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