Chapitre 18 : Aélys
Les premiers rayons du soleil éclairaient le parquet de ma chambre tandis que je n'avais pas fermé l'œil de la nuit.
Hantée par les détonations de la veille, je me réveillais en sursaut dès l'instant où je sombrais dans un sommeil profond.
D'un mauvais œil, je regardais la lumière chaleureuse du matin qui semblait me dire « quelle belle journée d'été, n'est-ce pas ? ».
Fatiguée et énervée, je repoussais le drap de mes jambes nues en pestant. J'avais besoin d'un bain bien chaud.
Je m'étais interdit de prendre ce luxe depuis la signature du contrat, mais l'odeur de transpiration que je dégageais n'était plus tenable.
Discrètement, je sortais de ma chambre à la recherche de la salle d'eau.
Je savais déjà que les deux portes du fond donnaient sur les chambres d'Eden et Léo.
Elle devait donc se trouver derrière la porte au niveau de la cuisine.
Prenant garde à ne pas faire grincer le parquet, je me dirigeais vers celle-ci et fut soulagée de découvrir la pièce vide.
Bien qu'elle était différente de ce que je connaissais avant, je reconnaissais néanmoins le nécessaire pour se laver.
Pour autant, je ne pouvais cacher ma surprise face à la bassine plus luxueuse qu'ils possédaient. La mienne était normalement en bois et trop étroite pour contenir le corps d'un homme, mais la leur était immaculée et bien plus spacieuse.
L'intégralité de la pièce était dans les tons blanc et bois. C'était un spectacle somptueux qui donnait envie de se prélasser des heures durant.
De ma main déformée par les cicatrices, je caressais la surface lisse de la baignoire et fut étonnée par la texture parfaite et le froid qui s'y dégageait.
Rapidement, je me suis reprise et cherchais le moyen de chauffer l'eau. D'ordinaire, je me servais du feu présent dans ma chambre, mais Léo et Eden n'avaient pas de cheminée.
Se lavaient-ils à l'eau froide ?
— Il faut pivoter la poignée de la douche si tu veux faire couler l'eau.
Surprise, je me retournais pour découvrir Eden dans l'embrasure de la porte. Dépourvu de haut, il se promenait en short et paraissait à peine réveillé. Des cernes creusaient ses yeux et la luminosité semblait faire souffrir ses pupilles fatiguées.
Sa peau dorée se battait pour maintenir l'espace qu'il lui restait face à ses tatouages.
Malgré qu'il en avait moins que son frère, les siens tapissaient tout de même une bonne partie de ses bras, de ses flancs et ils donnaient l'impression de descendre en dessous de la ceinture.
Mon attention se perdit quelques secondes sur son corps musclé, oubliant qu'un dieu se trouvait en réalité en face de moi.
Soudain, tel un marteau qui venait s'abattre sur une âme, je pris conscience que chacun de ses tatouages possédait un serpent de chair.
Mon regard remonta sur les yeux bleus d'Eden qui m'avait laissé admirer. Le sourire fier qui se dessinait sur ses lèvres pleines me confirmait qu'il s'agissait là de sceaux passés avec des humains.
Était-ce des contrats en cours ? Je n'osais le demander, mais mon cerveau, lui, ne pouvait s'empêcher d'imaginer le pire. Avaient-ils échoué ? Ou bien l'un d'entre eux avait réussi ?
Hâtivement, je détournais les yeux de ce qui ressemblait à des trophées et cherchais à appliquer ce qu'il m'avait dit « pivoter la poignée ».
Je supposais que l'objet argenté était là où s'opérait toute la magie et il ne me fallut pas beaucoup de temps pour comprendre le fonctionnement.
L'instant d'après, de l'eau jaillissait d'un tuyau métallique, imitant une pluie miniature.
Lorsque je voulus remercier le dieu de la vie, je retrouvais la pièce vide.
Étonnée, je m'approchais pour observer la cuisine qui était déserte également. Était-il retourné se coucher ?
Peu importait.
Je m'apprêtais à fermer la porte quand je le voyais sortir de sa chambre.
En quelques enjambées, il me rejoignit et glissa dans ma main un sac en papier.
— J'ai ordonné aux serviteurs des cieux de faire quelques achats pour que tu puisses te changer, m'annonça-t-il, d'autres tenues seront déposées dans ta chambre dans la journée.
Confuse par cette amabilité soudaine, je le remerciais en hochant la tête et il m'abandonna à mon intimité.
Je refermais la porte, quand une dernière phrase de sa part semblait m'être destinée.
— J'y ai également ajouté ma touche personnelle.
Enfin, seule, je posais le sac sans prêter attention à ce que venait de dire Eden et rejoignis la douche pour savourer les bienfaits de l'eau.
Loin de ma forge depuis plusieurs jours, j'appréciais la chaleur presque suffocante de l'eau qui caressait ma peau.
Cette sensation familière m'aidait à chasser les tensions de la nuit et à m'éclaircir l'esprit.
Dans un sens, j'étais soulagée de ne pas avoir avoué à Léo ma peur la plus intime, mais j'étais aussi inquiète à la vue de ces multiples sceaux qui jonchaient leur peau.
Les sceaux semblaient les marquer afin de rappeler à chacun quelle était leur nature la plus profonde.
Une nature malsaine dans le seul but de posséder des âmes humaines et de conférer plus de pouvoir à ces dieux déjà bien trop puissants à mon goût.
Malgré cette réalité soudaine qui m'avait frappé en observant Eden, mon espoir de devenir cette unique étoile qui mènerait la vie dont elle avait toujours rêvé ne faiblissait pas d'un iota.
J'aimais croire que la forge m'avait apporté la résistance nécessaire pour ne pas céder au moindre obstacle.
Une fois savonnée et enfin à l'aise dans un ce corps qui sentait désormais la fleur de coton à en juger le nom écrit sur le flacon, je laissais couler quelques instants de plus l'eau chaude afin d'établir le programme de la journée avant de m'arracher à sa caresse libératrice.
Ce qui était certain, c'était que j'allais retourner à l'hôpital, mais avant de m'y rendre je ne pouvais continuer de chercher à l'aveuglette.
Pour y voir plus clair et dissiper ce brouillard de l'inconnu qui était mon point faible sur Terre, il fallait que je me renseigne.
Il fallait que je connaisse les pratiques humaines, celles qui régissent leur société et qui pourraient m'en apprendre plus sur comment ils mettent au monde leurs enfants.
Pour ça, je devais trouver des recueils, des manuels ou n'importe quoi qui contiendrait ce genre d'informations.
L'ancien de la forge m'avait compté que les forgerons du passé avaient rédigé des bouquins en souvenir de leur travail d'antan. Dans le but qu'un jour, si l'un de nous venait à ne pas avoir de mentor, il pourrait malgré tout se former au métier grâce à ces livres.
Il m'avait dit qu'un jour viendrait où moi aussi je mettrais ma pierre à l'édifice, une fois ma carrière arrivée à sa fin et que cette trace rejoindrait la bibliothèque gardée par les serviteurs des cieux.
Les humains devaient certainement posséder une bibliothèque pour ressasser les événements passés. Il me fallait la trouver.
Tandis que mon esprit flottait sur ces différentes pensées, je m'essuyais grossièrement et récupérais le sac offert par Eden.
Une robe cintrée noire et légèrement fluide y avait été glissée. Malgré les minces bretelles qui n'allaient en rien cacher mes cicatrices, elle était parfaite pour la chaleur et je devais avouer qu'elle me plaisait bien.
En la sortant complètement pour l'admirer, deux tissus tombèrent sur le sol carrelé.
Curieuse, je déposais le vêtement sur le rebord du lavabo et en récupérais un.
Il était fin et en transparence. En le dépliant, mes joues s'empourprèrent immédiatement. « J'y ai également ajouté ma touche personnelle », avait annoncé Eden quelques instants plus tôt.
La lingerie que je tenais en face de moi était des plus osées. Par rapport à ce que je portais d'ordinaire, celle-ci était faite en dentelle noire.
Jamais je n'avais revêtu pareils sous-vêtements, et j'étais étonnée de voir que ça existait. Ils ne laissaient visiblement aucun doute à ce que c'était censé dissimuler.
Partagée entre le fait de ne rien mettre, plutôt que cet ensemble, je dus ronger mon frein, car ce n'était pas un pantalon qu'Eden m'avait passé, mais une robe et il était hors de question que quelqu'un puisse apercevoir mon intimité si le vent s'invitait.
J'enfilais donc l'intégralité et je devais avouer que le reflet dans le miroir me surprit. Pour une fois, je ne ressemblais pas à un garçon manqué, mais bien à une jeune femme. Malgré mes cicatrices disgracieuses, me voir aussi apprêté me séduisait et me faisait apprécier un peu plus cette apparence que je n'avais pas choisi.
Pour parfaire la tenue, une paire de baskets blanches à ma taille et confortable avait été mise au fond du sac. Ainsi, je pourrais déambuler dans les rues et me concentrer sur le pari sans craindre de perdre une chaussure en marchant.
Enfin prête, je sortais de la salle d'eau pour entamer ma journée. Bien entendu, Eden m'attendait de l'autre côté de la porte, sourire aux lèvres.
— Ma surprise te plait ?
Je n'eus pas besoin de répondre, car mes joues écarlates le faisaient très bien toutes seules.
Je m'éclipsais, tandis que son rire résonnait dans l'appartement.
Je déambulais dans les couloirs du campus, à la recherche de mon bonheur. Les humains avaient une fâcheuse manie de mettre des panneaux partout pour indiquer où nous nous trouvions et je devais avouer que cela était très utile.
Une fois passé le bar de l'école, ma destination finale commençait à apparaître devant moi. « La bibliothèque » semblait petite, mais j'étais persuadée de dénicher des informations intéressantes.
Enfin, si la porte daignait s'ouvrir !
Je forçais dessus, mais elle était fermée à clé. Je n'avais vraiment pas de temps à perdre avec ça. Devais-je aller à l'hôpital et revenir plus tard ?
Dans une dernière tentative, je réessayais, provoquant un boucan dans le hall.
— Attends ! Je vais t'ouvrir, ne t'acharne pas dessus.
Une fille aux cheveux blonds vénitiens se précipita vers moi un trousseau de clés à la main. Mon regard fut d'abord attiré par sa poitrine fortement mise en valeur, mais ce qui détourna mon attention était son visage terne.
Malgré un charme indéniable, elle paraissait être l'ombre d'elle-même, sans aucune lumière se dégageant de sa personne.
L'impression qu'elle me donnait me rappelait sur certains points Marie et tandis qu'elle cherchait dans son sac, je ne pus m'empêcher de m'interroger. Pourquoi chaque personne que je croisais semblait fatiguée et épuisée ?
Avant mon arrivée ici, je savais que la vie sur Terre n'était pas non plus un conte de fées grandeur nature et comme toute vie menée, il pouvait y en avoir des plus difficiles que d'autres. La preuve en était, créer des âmes damnées faisait partie de mes missions initiales.
Pour autant, je ne pouvais empêcher mon étonnement à chaque fois que je croisais une personne qui ne rayonnait pas et divergeait de l'image que j'avais pu me construire lorsque j'étais coincée entre les murs de ma forge.
Au bout de quelques minutes à fouiller sans relâche, elle finit par trouver un trousseau de clés qu'elle tenta d'insérer dans la serrure. Mais malhabile de ses mains, l'intégralité de ses clés tomba dans un bruit métallique sur le sol.
Hâtivement, elle le récupéra et cette fois-ci parvint à débloquer la porte.
Tandis qu'elle m'abandonnait l'instant d'après, je surpris ses yeux embués de larmes qui menaçaient de couler le long de ses joues. Mais avant que je ne puisse la retenir pour lui demander si ça allait, elle disparut et laissa derrière elle un silence pesant.
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