Chapitre 1 : Aélys
Une âme damnée, une âme dotée d'un don d'une rareté sans précédent. Une âme qui apparaît en tant qu'unique modèle à chaque génération. Voilà les phrases qu'on me répétait depuis ma naissance.
J'avais vu le jour dans le seul but de forger les âmes. Telle était ma mission.
J'étais précieuse pour le monde divin.
Muni d'un simple marteau au manche orné de gravures réalisées par mes prédécesseurs, je taillais, modelais et sculptais les âmes des humains pour qu'elles correspondent aux besoins de mes dieux.
Grâce à eux, ma vie avait un sens. Je les aidais et eux me nourrissaient, me logeaient et veillaient sur moi. Enfin, c'était surtout les serviteurs qui étaient chargés de cette mission, car en réalité, je n'avais jamais rencontré de divinités. Ils étaient fort occupés et n'avaient pas de temps à consacrer à quelqu'un de mon rang.
Certes, mon travail était indispensable, car sans âme, l'espèce humaine n'aurait pas la foi et sans foi, les dieux n'auraient pas lieu d'être, mais c'était ainsi, je ne croisais jamais leur route et eux, faisaient de même.
C'était comme une chaîne où chaque maillon était nécessaire pour soutenir l'autre. Pour autant, le premier maillon ne rencontrera jamais le dernier et inversement.
J'étudiais mes mains tachetées de brûlures dont le seul responsable était ce feu ardent qui m'accompagnait depuis mes cinq ans. Comme disait le dicton « c'est en forgeant qu'on apprend à devenir forgeron ». Bien entendu, je n'y avais pas échappé et même si j'avais la faculté de moduler les âmes, pour autant, il n'était pas inné de les fabriquer du premier coup.
La preuve en était, cette peau calcinée trahissait les nombreuses erreurs que j'avais pu commettre par le passé.
Louis, le serviteur qui m'était attitré, m'observait sans détourner le regard. Peu bavard, il m'accompagnait partout où je me rendais. Soit dans ma chambre, soit à mon lieu de travail. Voilà à quoi se résumait ma vie depuis vingt ans.
En réalité, Louis était celui qui me connaissait le plus. Il m'avait vu grandir et évoluer dans cet endroit. Même si je ne savais rien de lui, il était malgré tout quelqu'un d'important, présent à chaque instant.
Parfois, il m'arrivait de rêver de l'extérieur, surtout lorsque je finissais une âme et que je devais la déposer dans ce long tube en cuivre qui se trouvait au centre de la pièce. Quand la paroi s'ouvrait pour restituer l'âme à son hôte, je tentais d'apercevoir un bout de ce monde qui m'était inconnu. En réalité, tout ce que je décelais, était un puits sans fond d'une profonde noirceur. À chaque fois, je savais qu'il était inutile d'y jeter un coup d'œil et que le résultat serait inlassablement le même et pourtant, je ne pouvais m'empêcher d'espérer.
Louis toussota pour me rappeler à l'ordre. Voilà trop longtemps que je rêvassais et l'âme que je venais de terminer avait besoin de quitter ces lieux.
— Aie une vie paisible et pleine de bonheur, chuchotais-je à la sphère lumineuse qui tenait dans mes mains.
Délicatement, je déposais l'orbe doré sur le socle puis j'actionnais le levier situé au sol. Il disparut aussitôt, plongeant dans ce puits bien trop large pour un orbe de cette dimension. Je l'observais s'évanouir dans ce trou, éclairant de sa magie divine quelques instants les parois.
Je me redressais et scrutais Louis d'un sourire radieux, imaginant l'avenir que cette âme aura.
— Encore de l'excellent travail, n'est-ce pas ?
Tout en longueur et svelte, il me regarda sans lâcher un seul mot. Ses cheveux d'un blond polaire détonnaient avec son costume noir. Selon mes enquêtes menées pour rendre ma vie plus trépidante, je supposais qu'il avait dix ou peut-être quinze ans de plus que moi.
Oui, Louis était garde des cieux depuis son adolescence.
Même si je ne connaissais rien de lui, je m'étais habituée à sa présence et je ne sus retenir un sourire affectueux à son égard. Ses yeux bleus se détournèrent vers le ciel, d'où apparaissait un autre tuyau métallique plus étroit. Tel un serpent, il zigzaguait sur l'intégralité du plafond noirci par la chaleur du feu et à chaque commande envoyée, impossible de le louper tellement le boucan qu'il émettait était grand. Ce dernier vibra tout du long et acheva sa course au centre de mon bureau au bout de plusieurs minutes interminables.
Le parchemin d'or atterrit avec grâce et douceur sur le meuble d'acier. Certainement imbibé de magie divine, il transpirait la perfection.
Je soufflais, lassée de n'avoir jamais de pause.
Situé à quelques mètres de la porte d'entrée où se tenait mon garde du corps, je rejoignais le papier doré dont le cachet apparent ne demandait qu'à être arraché.
Le long du mur, les braises ardentes contenues dans un four de pierre chantaient et m'appelaient afin que je poursuive mon travail tandis que mon marteau posé négligemment non loin de là semblait apprécier cette pause tant méritée.
— On est reparti, disais-je en retroussant des manches imaginaires, mais Louis resta malgré tout impassible.
Je pris le document entre mes mains et l'objet scellé ne tarda pas à céder.
Dans une calligraphie parfaite, la prochaine commande était rédigée grâce à une encre raffinée.
La personne qui me transmettait ses désirs sur des papiers dorés avait une écriture élégante, délicate, et envoûtante.
En d'autres termes, pour rompre un contrat entre une âme et un corps, l'être humain devait s'ôter la vie de façon délibérée
Créer des âmes tristes pour nourrir nos plus viles divinités était la partie de mon métier que je détestais le plus. Certes, leur présence restait indispensable à l'équilibre de ce monde, car même le dieu de la mort jouait un rôle essentiel, mais savoir que la souffrance d'un être humain était en partie de ma faute, me procurait des sueurs froides à chacune de ces commandes que je recevais.
Malgré tout, je n'avais pas le choix, car le dieu de la mort était celui qui accueillait les âmes en fin de vie. Les plus heureuses comme les plus malheureuses. Sans aucune distinction, toutes étaient les bienvenues dans le monde des défunts et sans lui, celles-ci seraient vouées à errer inlassablement dans un monde qui ne leur appartenait plus.
C'était avec ce genre de pensée que je me concentrais pour ne pas éprouver de culpabilité.
J'empoignais mon marteau si familier au creux de ma paume. Les cals présentent à la naissance de mes doigts, m'assuraient une prise parfaite sur mon outil.
Le premier coup s'abattit dans le vide, laissant derrière lui résonner un bruit aigu dans la pièce, similaire à du métal frappé. À l'impact, il se figea dans les airs comme par magie. A l'œil nu, on pourrait penser que le vide était la cause de cet arrêt brutal, mais avec mon œil d'experte, je remarquais les lueurs subtiles se dessiner et déformer l'atmosphère.
Je réitérais l'opération, mes muscles roulèrent inlassablement sur cette matière semi-invisible qui se gorgeait de ma forge.
Petit à petit, l'âme se forma entre mes mains expérimentées. A contrario de la précédente, celle-ci se remplissait d'une aura violette, signe de chagrin et de malheur.
J'y mettais tous les sentiments négatifs que je connaissais pour que son existence soit la plus courte possible. C'était la seule chose que je pouvais faire pour lui éviter une vie longue emplie de tourment.
Ce n'était pas correct, j'en avais conscience, mais mon cœur trop sensible ne pouvait se résoudre à concevoir des personnes qui vivraient tristes.
Sans discontinuité je tapais, tapais, tapais jusqu'à ce qu'elle atteigne la perfection. Une sphère non achevée pouvait poser problème, car elle divergeait de ses consœurs. Je ne savais pas exactement ce que ça signifiait, mais lors de ma formation, mon mentor m'avait répété ça jusqu'à ce que je parvienne à en créer une impeccable.
« Enfin, tu as réussi ma petite Aélys ! Je suis si fier de toi ! » étaient les dernières paroles de l'ancien. Après ça, il avait été jugé que j'étais apte à prendre la relève et que lui pouvait partir en retraite bien méritée.
Je ne l'avais plus jamais revu depuis.
Peu à peu, la sueur recouvrait ma peau, les fibres de mes muscles se tendirent face à l'effort répété et une légère douleur commença à émaner dans mes avant-bras. Une sensation familière qui faiblissait avec du temps et de l'entraînement, sans jamais disparaître pour autant.
Des gouttes perlaient sur mon front et coulaient le long de mes tempes. Malgré mon t-shirt aux manches retroussées, mon short en toile et l'habitude de vivre dans un climat si chaud, je ressentais malgré tout la chaleur.
Une pensée allait vers Louis, qui ne montrait jamais aucune preuve de fatigue, malgré la température qui ne faisait que croître, il n'affichait aucun signe de transpiration.
Dans un sens, je l'enviais, car même si j'y étais accoutumée, ce n'était pas agréable de finir toutes ses journées recouvertes d'une odeur nauséabonde, parfait mélange entre le feu, le métal et la sueur.
Une fois que l'âme commençait à posséder une bonne contenance, je la plongeais dans les flammes de la forge pour ramollir la semi-sphère qui entreprenait de se former.
Mon marteau faisait durcir la matière divine, mais seuls les brasiers me permettaient de modeler.
Lorsque celle-ci brillait tel un soleil levant, je l'extirpais de ce cocon de chaleur et repris inlassablement mes coups.
Une longue journée serait nécessaire pour terminer celle-ci, car les âmes meurtries sont les plus compliquées à créer. Pour y arriver, je me devais de transmettre des émotions négatives tout au long de sa fabrication.
Nombre de fois, j'ai dû faire une petite pause pour remettre de l'ordre dans mes sentiments, car concevoir une âme si triste avait un certain impact sur le moral.
« On finit par s'y faire... » m'avait avoué l'ancien forgeron, mais les traits de fatigue sur son visage m'avaient permis de comprendre qu'on ne s'y habituait pas réellement, mais plutôt qu'on s'endurcissait pour le supporter plus facilement.
Sur ce souvenir, je repris ma tâche pour avancer le plus rapidement possible sur cette commande.
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Hello ! déjà merci de t'être arrêté sur mon nouveau récit. J'espère que cet univers te plaira autant qu'il me plait .
Voilà quelques jours que je travaille sur ce livre ;) plusieurs chapitres sont déjà près et n'attendent qu'à être publié ^^
Je te souhaite une bonne lecture !
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