La forêt de Mina

Chapitre 1 | Alors je ferme les yeux et voyage

Comme chaque matin j'attrape mon vélo et roule chercher le pain. Comme chaque matin je croise ce petit papi au grand cœur qui m'offre souvent une petite sucette et je le remercie, comme chaque matin. Comme chaque matin, que ce soit le lundi, le mardi, le mercredi, le jeudi, le vendredi, le samedi ou encore le dimanche, je vois cette petite fille se balancer sur cette même balançoire brune, toujours au même rythme, le sourire aux lèvres. Plusieurs fois déjà, je l'ai salué de la main et gratifié d'un sourire qu'elle s'est toujours empressée de me rendre. Comme chaque matin aussi, je salue la boulangère et lui demande cette même baguette.

  - Une Floriane s'il vous plaît.

Son corps dodu se retourne vers le présentoir rempli de pains de diverses formes et de diverses tailles et attrape toujours cette même commande, toujours placé dans ce même compartiment. Elle l'emballe rapidement d'un petit papier blanc gravé Rindl Pain et le pose sur le comptoir.

  - Ça sera tout ?

J'avais deviné sa question avant même qu'elle ne me la pose, puisque, évidemment, c'était toujours la même.

  - Oui.

Et bien sûr, elle avait deviné ma réponse avant même que je ne lui fasse part, puisque, évidement, c'était toujours la même.

  - Quatre-vingt-dix centimes s'il te plaît.

Je dépose comme souvent trois petites pièces sur la petite plaque de verre qu'elle s'empresse d'encaisser comme si je m'apprêtais à lui reprendre. Je n'ai jamais compris cette manie. J'avais beau essayer de comprendre, je n'y arrivais pas. J'ai une tête de voleuse à ce point ? D'accord il m'est arrivée de voler une pomme ou deux de temps en temps au marché du coin mais ce n'était que pour subvenir à mes besoins. N'est-ce pas une assez bonne raison ?

  - Merci bonne journée au revoir. Me répond t-elle tout le temps.

  - À demain.

À demain parce que oui, comme chaque matin, je reprends mon vélo et retourne chercher le pain. L'auriez vous déjà oublié ?

  - Tu devrais changer de boulangerie de temps en temps. Me disait souvent ma mère.

  - Oui, oui. Lui répondais-je.

C'est vrai, je pourrais. Mais je n'en avais pas envie. Qui sait ? Peut-être après tout, aimais-je croiser ce petit papi, saluer cette petite fille et écouter parler cette boulangère monotone ? C'était une routine à laquelle je m'étais habituée. Une routine que je commençais même à apprécier.
  Je grimpe sur mon vélo et fais le trajet inverse. Il fait froid en ce moment. Les feuilles tombent, le vent se lève et la pluie se déchaîne. C'est l'automne depuis quelque temps, non pas que cette saison ne me déplaise mais il fait bien souvent trop froid. Je dépasse une maman promenant son enfant dans une poussette noire. Je la salue mais sans vraiment y faire attention, je roule dans une flaque d'eau et manque de l'éclabousser. Je m'excuse et file de plus belle en direction de ma maison.

  - Tu as ramené le pain ? Me demande ma mère.

  - Évidemment que j'ai ramené le pain ! Que voulais-tu que je fasse d'autre ? Je grogne. Un peu trop peut-être.

Je dépose la baguette recouverte de farine sur le plan de travail et monte rapidement à l'étage. Je regarde l'heure, dix heure. Je décide de me rendormir un peu, parce que je suis épuisée mais aussi parce que mon sommeil, c'est mon seul échappatoire. Je rêve chaque nuit d'un monde magique qui est le mien : La forêt de Mina. C'est ainsi que je l'ai nommée. Parce que chaque fois, c'est d'une forêt que je rêve. Une belle et féerique forêt où tout devient possible et réalisable même vos rêves les plus grands. Là bas aussi, j'ai plusieurs amis. Il y a Domy, le petit chat blanc, Lola, une adorable chouette et Lucy, une fille de mon âge qui partage les mêmes idées que moi, les mêmes fantasmes.
  Alors, je ferme les yeux et voyage.