Le lendemain, je décidai de descendre de mon perchoir pour essayer de trouver de quoi manger et boire. Je ne connaissais absolument pas cette forêt et j'ignorais ce qui pouvait être comestible ou non.

Je m'éloignai peu à peu de mon arbre à la recherche d'arbres fruitiers que je connaissais déjà. C'est ainsi que je me retrouvai sur une plaine remplie de buissons de fruits rouges. Affamée, je tendis la main pour en cueillir quelques-unes. À cet instant, les petits points rouges que j'avais pris pour des baies se transformèrent en petites fleurs en forme de bouche de la même couleur. Seulement, leur teinte paraissait terne comme délavée et desséchée par un soleil auquel elles auraient été soumises de façon ininterrompue, sans être arrosées.

— Aïe ! s'écria la plante. Que fais-tu ? Je ne suis pas comestible !

— Oh je suis désolée, je ne connais pas cette forêt et je ne sais pas quoi manger, je pensais que vous étiez des fruits, m'excusai-je.

— Non, ma chère, nous sommes des fleurs : les psychotria. Je m'appelle Elata. Enchantée.

— Moi de même. Je m'appelle Lexie.

— Même si je n'ai pas d'yeux, je sens ton côté magique. D'où viens-tu dans ce cas pour ne pas connaître cette forêt ?

— Ça serait très long à expliquer. Mais pour aller à l'essentiel, je suis la fille de votre reine et je viens tout juste d'avoir mes ailes. Avant, je vivais dans le monde des humains.

— Ah oui, la fille de la reine, s'exclama-t-elle. J'ai entendu parler de toi, les nouvelles vont vite dans ce monde. Alors c'est toi l'élue supposée nous sauver ?

— Je ne sais pas. Tout ça est nouveau pour moi et je ne sais pas comment être utile. Je connais à peine ce monde.

— Petite ! Regarde dans quel état nous sommes. Notre couleur disparaît et nos feuilles vieillissent de plus en plus vite. Cet arbre que tu dois sauver c'est celui qui nous donne notre essence, notre vie. Il nourrit les racines de tous les arbres, plantes, fleurs et créatures de ce monde. Si tu sauves cet arbre, tu nous sauves tout cet univers. Nous nous fanons de jour en jour et voyons la mort approcher. Réfléchis-y bien. Notre survie dépend de toi, me supplia-t-elle d'une voix fatiguée.

En effet toutes les plantes derrière elles étaient dans un piteux état. Pourtant, il était facile d'imaginer à quel point cet endroit était magnifique et magique quand ces plantes étaient en bon état et pleines de vie.

Aussi, je lui promis de bien réfléchir à la situation et au moyen pour moi d'aider son monde... mon monde à moi aussi.

Je poursuivis ma quête de nourriture, aidée par les indications données par Elata et cueillis un fruit doré aux formes étonnantes. Je m'adossai ensuite contre l'arbre qu'elle avait eu la délicatesse de me montrer.

Cette forêt me fascinait. À mesure que j'avançais, je découvrais des créatures, des plantes et des fruits de toutes sortes. Je devais avouer que cela était étrange de se retrouver dans un nouvel univers dont la survie dépendait exclusivement de moi.

Cette idée était terrifiante. Je me sentis perdue dans un cauchemar que je vivais éveillée. Soudain ma meilleure amie me manqua terriblement.

Je voulais retrouver mon ancienne vie sans perdre pour autant mes ailes, ma mère ou cet endroit.

À cet instant, un étrange animal apparut devant moi. Bien que ressemblant à un loup, ses oreilles pointues indiquaient néanmoins qu'il n'en était pas un. Son pelage blanc gris, impressionnant, laissait apercevoir différentes formes qui scintillaient. Il avança dans ma direction et le halo bleu qui émanait de son museau encercla sa tête. Ses longues moustaches flottaient dans l'air comme des rubans.

Le regard qu'il posa sur moi me terrifia. On aurait dit que j'étais une proie. Alors qu'il se rapprochait de moi, je tentai de m'éloigner. La tâche se révéla plus ardue que prévu vu que j'étais toujours assise.

— Ne recule pas je ne veux pas te faire de mal. Je suis un Yahoot, je ne suis pas du côté des méchants.

— Tu parles ? bégayai-je.

— Oui. Même si dans notre monde, les animaux sauvages ne parlent pas, je suis l'exception. Tu es la fille de notre reine ? demanda-t-il en regardant mes ailes.

— En effet. Comment se fait-il que tout le monde soit au courant ?

— Les nouvelles vont très vite ici et ta légende est connue. C'est elle qui nourrit l'espoir qui nous anime tous depuis que notre arbre meurt. Mais explique-moi ce que tu fais ici toute seule ? me demanda-t-il en s'installant à côté de moi.

— Je voulais m'isoler pour réfléchir. Ma nouvelle vie, mes ailes, ma légende, c'est beaucoup.

— Tu sais, petite, nous avons vraiment besoin de toi. Monte sur mon dos, je vais te montrer ce qui arrive à notre monde. Peut-être comprendras-tu à quel point ton aide est précieuse, m'invita-t-il.

— Où vas-tu m'emmener ?

— Ne t'inquiète pas je suis de ton côté ! Fais-moi confiance et monte.

Malgré ma peur, je montai sur son dos et le Yahoot entama une course folle qui, étonnamment, se révéla libératrice.

Au bout de quelques minutes, il s'arrêta devant un gigantesque portail. Celui-ci n'était pas transparent comme celui qui séparait la maison de mon père et la forêt. Non, il était blanchâtre et commençait à se fissurer à quelques endroits.

— Tu vois, c'est le portail qui sépare nos deux mondes et l'arbre que tu dois sauver sert aussi à le maintenir invisible. S'il continue à mourir, ce bouclier disparaîtra. Les humais pourront entrer et découvrir notre monde. Les rares fois où les hommes ont fait une intrusion dans notre monde nous ont beaucoup coûtés. Ce serait tragique, nos pouvoirs attireraient leur convoitise et ils n'épargneront personne pour arriver à leurs fins. Ta mère règne depuis des siècles et n'a jamais failli. Elle a su nous protéger et prendre soin du royaume. Seulement, aujourd'hui, ta mère est impuissante et toi seule peux nous sauver.

Devant l'imminence de ce danger, je me sentis égoïste. Égoïste de ne penser qu'à moi. Égoïste de mettre en péril ce monde qui se protégeait de la cruauté et de l'égoïsme de l'Homme. J'avais un rôle très important à jouer et si je continuais à me lamenter, il serait bientôt trop tard. Ma propre existence était en danger. Après tout, j'étais moi-même une créature magique maintenant.

Tout en songeant à ce que j'avais découvert, je suivis le Yahoot jusqu'à l'étang. Je plongeai les mains dans l'eau pure et claire pour en recueillir un peu et boire quand je vis un axolotl.

Ces petits poissons, à l'aspect atypique, existaient aussi dans le monde des humains. En le remettant à l'eau, je remarquai de petits dragons blancs aquatiques.

— Ces axolotl, même s'ils ressemblent à ceux que tu as connus, sont différents. Ceux-là sont magiques. Ils peuvent faire des bulles de savon en dehors de l'eau. Les cerfs pourvus de spirales sur leur pelage qui vivent ici peuvent quant à eux et grâce à leur sabots faire pousser de l'herbe là où il n'y en a pas.

Il m'expliqua ensuite que l'arbre enchanté donnait de la magie aux animaux qui voyaient désormais leurs pouvoirs faiblir. Les animaux aquatiques se nourrissaient d'algues magiques qui trouvaient leur source dans ce même arbre.

— Compte tenu de la situation, beaucoup de créatures meurent, conclut-il.

Grâce aux informations qu'Elata et le Yahoot m'avaient communiquée, je compris à quel point l'arbre enchanté était vital pour nous tous.

Après m'avoir indiqué les lieux où je pouvais manger et boire, le Yahoot me raccompagna jusqu'à l'arbre où je m'étais réfugiée.

— J'espère que notre petite balade t'aura aidée.

Il s'enfonça ensuite dans la forêt et disparut.

Trois jours passèrent, je n'étais toujours pas retourné reparler à ma mère. J'avais enfreint cependant une règle importante du monde magique : révéler son identité à un humain. Comme celle-ci ne pouvait pas entrer dans le monde magique, je l'avais rejoint dans la maison de mon père hors du bouclier magique. Grâce à mon téléphone j'avais pu la joindre et lui donner rendez-vous. Je m'étais faufilée entre les arbres un soir où mon père ne rentré pas chez lui. Il restait avec ma mère au château en attendant mon retour. Laura habituée à me rendre visite connaissais la maison et était entrée par le jardin. Au moment où je la rejoignis elle poussa un cri que j'eus le temps d'étouffer avec ma main et la poussa à l'intérieure de la maison. Cette petite rousse était restée scotchée devant mes ailes, elle était mélangée entre la peur et l'étonnement. Après avoir réalisé que ces créatures imaginaires qu'elle adorait existaient vraiment, elle devint hystérique. Elle commença à me poser une tonne de questions sur ce qui se passait, comment avaient poussé mes ailes, qu'est-ce que j'avais découvert ; je ne pouvais plus l'arrêter. Après l'avoir calmé, je lui expliquais tous dans les moindres détails : ma mère, mes ailes, mes nouveaux amis, mon destin,... Elle était fascinée et excitée d'apprendre autant de choses, elle avait l'impression que je lui raconté une de ses fameuses histoires irréelles qu'elle avait l'habitude de lire le soir, mais cette fois ci tout était réelle. Je savais que en lui racontant tout ça elle serait une tombe. C'était une vraie amie même avec une dispute les gros secret comme celui-là elle les garderait secrets. J'avais confiance en elle et j'avais besoin de son avis. En lui expliquant que j'avais décidé de sauver la forêt, elle était ravie et me dit qu'elle aurait aussi choisie cette option. Cependant elle était très inquiète, je n'avais pas trop le temps de la réconforter car je devais rejoindre rapidement la forêt avant l'aube pour que personne ne me voit. Je lui adressai quelques mots réconfortants et lui promis de lui donner des nouvelles quand je partirais à l'aventure. Je lui laissai ma chambre et rejoignis mon arbre pour le reste de la nuit. En effet, elle avait dit à sa mère qu'elle dormait chez moi et comme mon père était absent elle pouvait rester dormir pour la nuit et rejoindre sa mère le lendemain.

Je passai ainsi trois jours cachée dans les branches. Une fois ma décision définitivement prise, je descendis de mon perchoir, trouvai quelques fruits et revins vers le château pour faire part de ma décision à ma famille.

Inquiète à l'idée que mon comportement puisse déclencher la colère de ma mère, j'hésitai à entrer. Quand finalement, je pris mon courage à deux mains, je découvris, à ma grande surprise, mes deux parents réunis. Aussitôt, ils se jetèrent sur moi et l'inquiétude que je sentis me fit quelque peu culpabiliser.

— Je suis désolée. Toute cette histoire m'a fait peur. C'était beaucoup trop pour moi. En découvrant ma légende et le rôle que je devais jouer alors que je viens juste d'apprendre que ma mère est vivante, que ma vie a été construite sur un mensonge, que je ne retrouverais plus jamais ce que j'avais connu, que je suis une créature magique, j'ai pris peur. Je ne me sentais pas capable de gérer tout ça à mon âge. Ceci dit, j'ai bien réfléchi pendant ces trois jours et j'ai décidé de vous aider. Je suis déterminée.

Je ne savais pas encore comment mettre fin à ce désastre, mais je devais utiliser mes pouvoirs pour le réanimer.

— Ma chérie, dit ma mère, je comprends que tu aies pris peur. Avec ton père nous avons discuté. Si nous avons fait tout ça, c'est pour te protéger, pour que tu ne sois pas en danger. Ce monde aurait été trop difficile pour une petite fille. Te tenir à l'écart de la magie semblait être la meilleure solution. Ne crois que cette décision a été facile, mais nous nous étions mis d'accord avec ton père. Tu ne dois pas lui en vouloir. Je savais qu'un jour ne serions réunis et regarde, nous le sommes aujourd'hui.

— Désolée, glissai-je à mes parents alors que je les serrai dans les bras comme j'avais toujours rêvé de le faire.