Rendez-vous surprise
Aïkida essuya la sueur sur son front et se remit en garde. Alex, lui, ne semblait même pas essoufflé.
— Positionne bien tes bras, lui rappela-t-il. Et n'oublie pas de bouger le haut de ton corps en même temps que les lames.
Les sourcils froncés, la jeune femme hocha la tête, concentrée sur ses mouvements ainsi que sur ceux de son adversaire.
Cela faisait une demi-heure que le Khyazgaar lui enseignait ses techniques de combat et de défense avec l'épée aux doubles lames. La Fille Gelée s'était douté que la manipulation d'une telle arme serait difficile, mais pas à ce point-là. Bien que la sienne fut légère, l'utilisation simultanée de ses deux bras la fatiguait plus que lorsqu'elle se battait avec une simple épée.
Alex s'avança d'un pas, lançant l'offensive.
Aïkida se souvint de ses conseils et resta immobile, elle qui avait pourtant l'habitude de foncer vers son assaillant dès le début d'un combat. Ducandò Majïsa était conçue pour le corps à corps, mais le jeune homme lui avait recommandé de garder une certaine distance afin d'exploiter pleinement les capacités qu'offrait ce bijou de carbone et de fer.
La jeune femme leva sa main droite, faisant légèrement pivoter son arme afin de pouvoir contrer la première attaque, et se concentra pour tourner son haut du corps tout en gardant ses jambes ancrées dans le sol. Cette chorégraphie de combat était complexe car elle demandait à la fois de la souplesse et de la puissance. Aïkida banda les muscles de ses bras et gaina sa ceinture abdominale en anticipation du choc des deux lames. Le tintement métallique résonna dans tout son corps alors que ses yeux regardaient déjà ailleurs, surveillant la deuxième pointe acérée de son adversaire qui se préparait elle-aussi à attaquer.
Elle jeta un coup d'œil rapide au positionnement des pieds d'Alex, et le coup que ce dernier lui porta par la suite confirma ses soupçons. En regardant bien, Aïkida avait réussi à faire le lien entre l'orientation des pieds et les intentions de son adversaire. Celui-ci se postait de manière à faciliter la transition entre les différents mouvements de lames, ce qui trahissait ses intentions imminentes. Si elle arrivait à exploiter ces informations correctement, la Fille Gelée pourrait anticiper les attaques adverses et mieux se défendre. Mais elle n'était encore qu'une débutante.
Les deux amis continuèrent de s'entraîner pendant de longues minutes jusqu'à ce qu'Othar ne les rejoigne, accompagné de Conrad sur les épaules de Leeroy et de Tarek qui faisait la course avec son chien.
Aïkida profita de leur arrivée pour demander une pause au Khyazgaar, qui lui accorda. Après avoir actionné le mécanisme qui rétracte les deux lames, elle posa le manche dans l'herbe et se courba pour reprendre son souffle, les mains en appui sur les genoux. Elle n'eut qu'à regarder les visages moqueurs de ses amis pour comprendre qu'elle devait être rouge comme une tomate, avec les cheveux en bataille – malgré le lien qui était censé les attacher en queue de cheval.
— Ça fait combien de temps qu'on n'a pas fait la course p'tite gelée ? la taquina Tarek. Si ma mémoire est bonne, tu étais censée t'améliorer dans l'espoir de me battre. Mais à te regarder... je pense que j'ai gagné avant même d'avoir commencé !
Elle lui décocha un regard noir et s'apprêtait à lui faire ravaler sa langue lorsqu'Othar répondit au dragonnier :
— Tu la défieras à la course plus tard. J'aimerais d'abord l'affronter avant qu'elle ne perde ses poumons.
Les trois jeunes hommes s'esclaffèrent, et Conrad s'écria, déjà tout excité du haut des épaules du jeune blond :
— Oh oui ! Ça fait longtemps que j'ai pas vu Kida et Othar se battre !
— À vrai dire, je ne me souviens pas m'être déjà mesurée à toi, confirma la Fille Gelée alors que sa respiration se calmait peu à peu. Laisse-moi cinq minutes de récup', et je suis à toi.
L'elfe afficha un sourire satisfait avant de se retourner vers les autres et de leur adresser un clin d'œil complice :
— Prenez-en de la graine les jeunes.
Les deux frères de combats s'esclaffèrent avant de s'assoir en tailleurs. Le rouquin en profita pour descendre de son perchoir et s'allonger dans l'herbe, repoussant en riant le beagle qui venait lui lécher le visage.
Alex ne se sentit pas particulièrement à l'aise au sein de ce groupe d'amis et voulut s'éclipser, mais Aïkida le retint :
— Non reste encore un peu s'il te plait ! Comme ça tu verras mieux les erreurs que je fais et tu m'aideras à les corriger au prochain entraînement.
Les yeux vairons du jeune homme se mirent alors à briller. Il était fier de son rôle de professeur et prenait cela très à cœur. Il céda et hocha la tête avant de prendre place sur le sol lui aussi, bien que légèrement à l'écart des autres.
Othar retroussa ses manches. Profitant des quelques minutes qu'utilisait Aïkida pour se reposer, il s'échauffa en faisant des mouvements circulaires avec ses bras. Il enchaîna par des levers de genoux rythmés, suivis d'une série pompes. Cela fit sourire la jeune femme car elle savait très bien qu'il faisait cela dans l'unique but de l'impressionner, et non pas pour réellement se préparer à l'affrontement.
Conscient que la Fille Gelée n'était pas dupe, le rebelle lui offrit un sourire aussi charmeur que carnassier qui la mit en garde.
— Fais attention ma jolie, j'ai quatre-vingts ans de plus que toi. Des combats, j'en ai fait des milliers.
Elle sourit à son tour, amusée de sa tentative d'intimidation.
— Je te rappelle que tu as en face de toi une femme qui a dompté un dragon, répliqua-t-elle en dépliant ses deux lames aiguisées.
Ils se positionnèrent face à face, l'un muni d'une simple épée, l'autre armée de Ducandò Majïsa. Les jambes fléchies, le regard concentré, ils se mirent en position.
— Voyons voir si tu peux me dompter, moi.
L'elfe se jeta sur son adversaire à la vitesse de l'éclair en dégainant pour l'attaquer au niveau de l'abdomen.
Aïkida reproduisit le même schéma que précédemment avec Alex et réussit à parer le coup. Cependant, elle n'eut pas le temps de passer à l'offensive car Othar essayait déjà de viser ses jambes. L'avantage de Ducandò Majïsa était que les deux lames pouvaient défendre un large périmètre. Mais l'inconvénient, c'était que cela impliquait des mouvements vifs et nombreux, beaucoup plus épuisants. Les bras étaient deux fois plus sollicités, sans parler du haut du corps qui était sans cesse en train de pivoter d'un côté ou de l'autre pour accompagner l'épée légendaire. L'endurance du propriétaire d'une telle arme était mise à rude épreuve.
L'elfe continua d'enchaîner les coups sans relâche, ne laissant pas une seule opportunité à son adversaire de passer à l'attaque. Aïkida profita néanmoins de cette situation pour observer les gestes de son ami, prêtant attention à la position de ses pieds et aux coups d'œil qu'il jetait dans la direction de ses prochaines offensives. Si le rythme était épuisant, la jeune femme le trouva instructif. Les coups pleuvaient, mais jusqu'à présent, elle avait réussi à tous les contrer. Ces répétitions l'aidaient à ancrer les mouvements dans son esprit, et petit à petit, des automatismes prirent place, lui laissant le champ libre pour l'innovation.
Concentrée, elle se remémora les instructions de Kiuro et se souvint qu'elle pouvait rétracter ses lames séparément. Alors que son cœur battait dans ses oreilles et que l'air lui brûlait les poumons, une idée germa dans son esprit. Si elle voulait la mener à bien et la tirer à son avantage, elle devait agir au bon moment. Autrement, cela pourrait se retourner contre elle.
Aïkida laissa couler quelques longues secondes durant lesquelles la chorégraphie s'enchaîna avec ferveur, étudiant son adversaire avec précision, observant le moindre de ses réflexes. Soudain, elle vit son opportunité apparaître.
Le coup porté par Othar était vertical.
Elle recula vivement son pied droit pour pivoter vers l'arrière et leva l'une de ses lames dans l'objectif de bloquer celle adverse. Mais à l'instant où aurait dut résonner le tintement métallique, ne se fit entendre qu'un râle surpris.
La Fille Gelée avait rétracté sa lame au dernier moment, laissant l'elfe frapper le vide avec force, le déséquilibrant instantanément vers l'avant. La jeune femme en profita pour se faire un demi-tour sur elle-même, agrippant son arme comme une simple épée qu'elle leva dans le but d'atteindre l'elfe dans le dos.
Convaincue d'avoir réussi à surprendre son adversaire, Aïkida s'attendait à le toucher de plein fouet, et minimisa donc sa force, ne souhaitant pas le blesser. Cependant, Othar était plein de ressource et ce n'était pas la première fois qu'il était pris au dépourvu lors d'un combat. Il savait rebondir, et parfois même retourner la situation à son avantage.
Relâchant immédiatement son arme longue au sol, le rebelle saisit fermement ses deux poignards et profita de son déséquilibre pour faire une roulade dans l'herbe et mettre de la distance entre lui et son amie. D'un bond souple, il ratterrit sur ses pieds et fit volte-face pour apercevoir la mine déconfite de la jeune femme qui était pourtant persuadée de l'avoir à sa merci.
— Tu ne pensais tout de même pas m'avoir aussi facilement ? la provoqua-t-il d'un air espiègle.
Aïkida soupira d'un air aussi agacé qu'amusé.
Tarek, lui, observait la scène avec attention. Il profitait de l'occasion pour tirer des leçons de la technique de combat de l'elfe. Cependant, son regard se portait plus souvent qu'il ne l'aurait voulu sur la jeune femme qui se battait comme une lionne.
Alors que celle-ci prenait les devants et tentait une offensive, le dragonnier fronça les sourcils lorsqu'une qu'une étrange sensation s'empara de lui. Il ne la reconnut pas tout de suite. Soudainement, son dos se mit à le brûler, lui coupant subitement la respiration, et ses yeux s'asséchèrent brusquement. Un bruit strident lui fit grincer des dents, et alors qu'une terrible douleur s'emparait de son crâne et qu'il réalisait ce qui était en train de lui arriver, un hurlement lui déchira les oreilles.
Aïkida interrompit instantanément son mouvement, imitée par Othar, alors que toutes les têtes se tournaient vers Conrad qui criait à s'en déchirer les poumons, pressant sa tête entre ses mains et fermant les yeux avec une force déchirante.
Leeroy avait bondi sur ses pieds et s'était précipité vers le garçon qui se tordait se douleur dans l'herbe.
— Conrad !
Le blond s'agenouilla avec empressement et prit celui qu'il considérait comme son petit frère par les épaules.
— Conrad répond-moi ! Qu'est-ce qu'il se passe ?!
Pétrifiée, Aïkida était livide et son cœur battait à tout rompre dans sa poitrine.
Elle observait le rouquin hurler sa douleur et se battre contre une force invisible qui s'emblait s'être emparé de lui. Ce fut à cet instant-là que ses yeux se tournèrent vers Tarek.
Ce dernier semblait s'être changé en statue. Le moindre muscle de son corps était contracté au maximum, sculptant son corps et son visage d'une manière dérangeante qui fit reculer la Fille Gelée d'un pas. Le dragonnier avait les poings serrés et tremblait de tout son corps, les yeux crispés et fermés.
— Tarek ? murmura-t-elle d'une voix tremblante.
En entendant son amie, Leeroy tourna lui aussi la tête vers son frère d'arme et pâlit un peu plus.
— Ai... aide... aide-moi... réussit à articuler le brun malgré ses mâchoires serrées.
Il ouvrit alors les paupières dans un effort quasi-surhumain, et Aïkida y observa son reflet avec effroi.
Ses iris et ses pupilles avaient disparu pour laisser place à deux miroirs sombres.
La jeune femme resta interdite un court instant avant de se précipiter vers lui, les yeux écarquillés de terreur. Sans réfléchir, elle fit appel à sa magie et ses mains se mirent à briller de mille feux. Dès l'instant où sa peau toucha celle du jeune brun, celui-ci poussa un râle douloureux, mais tous ses muscles se relâchèrent instantanément, lui rendant sa liberté de mouvement. Le dragonnier prit une grande inspiration, sortant de son apnée. La magie de la Fille Gelée avait immédiatement fait disparaître la douleur, et ses iris étaient redevenus verts.
Un silence pesant tomba alors sur le groupe pétrifié. Aïkida reporta alors son attention vers Conrad qui avait cessé de hurler. Elle aperçut Leeroy le secouer par les épaules en criant son nom avec panique tandis que le garçon restait inconscient.
— Qu'est-ce qu'il se passe ? demanda Athkor, agité.
— Je ne sais pas ! répondit la jeune femme, complètement dépassée par les évènements.
Mais alors, Conrad rouvrit brusquement les yeux. Ils étaient rouges et humides, imbibés de peur.
— Conrad ! s'écria Leeroy d'une voix teintée à la fois de soulagement et d'une inquiétude non dissimulée.
Le garçon ne prit même pas le temps de reprendre son souffle et tourna sa tête vers Aïkida.
— C'est demain... sanglota-t-il. Il sera là demain.
La Fille Gelée se sentit vaciller et Othar la retint de justesse par les épaules. Son cœur battait si fort dans ses oreilles qu'elle doutait d'avoir bien entendu. Elle redoutait d'avoir bien entendu.
— Qu... Quoi ? bégaya-t-elle, sachant néanmoins que la réponse du garçon ne changerait pas.
Le rouquin pleurait maintenant à chaudes larmes en la regardant droit dans les yeux.
— Mon père... Layvin... Il t'attend demain... Je veux pas mourir Kida ! Pas maintenant !
Celle-ci resta pétrifiée, incapable de digérer l'information.
Un silence glaçant était tombé sur le groupe. Aïkida sentit le regard pesant de tous ses amis ; Alex qui s'était levé, Leeroy qui était agenouillé auprès de Conrad, Othar qui la soutenait et Tarek qui était resté assis et sonné.
Mais le regard qui lui brisai le cœur était bel et bien celui du garçonnet qui l'implorait avec la force du désespoir.
C'était demain alors. Demain que tout se jouerait. Demain qu'elle devrait tout mettre en œuvre pour contourner sa destinée et sauver ceux qu'elle était supposée tuer.
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