Cache-cache
— Tu es quelqu'un d'intelligent, Hyjuke. J'apprécie ta collaboration.
Quelques heures plus tard, alors que la pluie tombait dru, Aïkida retrouva Othar et Leeroy dans la bibliothèque. Ce dernier avait découvert qu'il y avait toute une portion de rayon où étaient entreposés des livres étrangers, dont certains écrits en elfiques. Ils étaient tous réunis dans le même but : trouver une solution pour délivrer Emelï de l'emprise de magie noire.
— Alors, du nouveau ?
Ses amis lui répondirent par la négative.
Un coup de tonnerre éclata brusquement, les faisant tous sursauter.
— Ça va dehors ? demanda-t-elle à son dragon.
— Oui ne t'en fais pas, on s'est tous réfugiés au sein des Montagnes.
— Tu as réussi à voler jusque là bas ? s'extasia-t-elle.
— J'ai eu du mal au décollage, mais oui.
Rassurée et heureuse qu'Athkor aille mieux, la jeune femme reporta son attention sur le bouquin ouvert devant elle.
Ils s'étaient placés à une petite table ronde entre les rayons des malédictions et des potions. Le silence régnait au sein de cette bibliothèque, mais étrangement, Aïkida ne s'y sentait pas à son aise. La poussière des grimoires, les meubles grinçants, les flammes vacillantes, tout ceci, ajouté à l'atmosphère particulière de ce sanctuaire de connaissance, rendait la combattante inconfortable.
Soudain, toutes les personnes présentes se levèrent comme un seul homme, faisant grincer les chaises sur le parquet soigneusement ciré. Les trois amis tournèrent la tête et aperçurent Nàmo qui se dirigeaient vers eux. Ils imitèrent alors les autres et se redressèrent.
— Pas de politesses entre nous ! s'exclama Nàmo en s'asseyant entre Leeroy et Othar où une chaise vide l'appelait.
Surpris de sa visite, les trois compagnons se regardèrent, intrigués.
— Que nous vaut cet honneur ? demanda alors Leeroy sur le ton de la plaisanterie.
Il fut étrangement accueilli par un regard noir.
— Deux inconnus sont arrivés tout à l'heure par la grande porte de l'Est et veulent parler à Tarek.
Aïkida et Leeroy froncèrent les sourcils.
— Cela fait deux heures que je le cherche dans tous les recoins du château, en vain. Vous n'auriez pas une idée d'où il peut être ?
Un silence répondit à la place des trois amis.
— Je vais avoir besoin de vous.
La jeune femme soupira.
— On va chercher de notre côté, assura Leeroy en hochant la tête.
Othar leva les yeux au ciel et soupira à son tour.
— Il ne doit pas être bien loin. Et puis, qui sont ces inconnus d'abord ?
Nàmo répondit d'une voix grave :
— Je n'en ai aucune idée, ils refusent de parler à qui que ce soit d'autre que Tarek. Alors il faut le retrouver au plus vite pour tirer cette histoire au clair.
Les trois amis acquiescèrent et se levèrent.
— Je m'occupe du rez-de-chaussée, des sous-sols et du stadium, déclara Leeroy.
— Je prends les étages et les combles du château, enchaîna Othar.
Aïkida les regarda tous les deux, hébétée.
— Attendez une minute, je fouille quoi moi ?
Othar lui adressa un grand sourire et posa une main sur son épaule.
— Tu devrais mettre une capuche, et fais attention à ne pas t'envoler avec le vent !
Leeroy haussa les épaules d'un air innocent.
— Il faut bien que quelqu'un vérifie s'il n'est pas au cimetière.
Nàmo étouffa un rire dans sa barbe avant de les quitter, suivi par les deux jeunes hommes.
Aïkida se retrouva alors seule, bouche bée par le piège qu'ils venaient de lui tendre. Face à tous les livres ouverts sur la table en désordre, elle pesta :
— Et en plus c'est moi qui dois ranger ? Non mais je rêve...
Elle pesta et s'activa, maudissant Tarek.
Quelques minutes plus tard, vêtue d'une épaisse cape à capuche et de grandes bottes, la Fille Gelée s'aventura à l'extérieur. Quelques pas lui suffirent pour être trempée.
— Super ! Vraiment, merci les garçons, c'est adorable ! marmonna-t-elle en enfonçant un peu plus sa capuche sur sa tête.
La nuit commençait déjà à tomber, et le vent était glacial. Elle se promit de ne pas rester trop longtemps dehors. Après-tout, Tarek était un grand garçon, et les deux inconnus pouvaient attendre !
— Tarek ! s'écria-t-elle.
Cependant, elle comprit rapidement que l'appeler ne servirait à rien, le vent emportant sa voix aussitôt qu'elle sortait de sa bouche.
Manquant de glisser à plusieurs reprises, elle se dirigea vers le cimetière des dragons en profanant tous les dieux du royaume.
Ce fut Othar qui trouva Tarek en premier.
— À quoi tu joues ?! cria-t-il pour se faire entendre à travers le vent.
Le dragonnier sursauta et se retourna vers l'elfe qui le regardait, les bras croisés.
— On te cherche partout depuis plus d'une heure ! Tu veux bien rentrer au chaud s'il te plait ? À moins que tu ne sois tenté par le grand saut ?
Tarek se tenait en effet sur le toit du château, détrempé. Il sembla alors prendre conscience d'où il se trouvait et ne discuta pas. Les deux jeunes hommes descendirent par une trappe et atterrirent dans un vieux grenier plein de toiles d'araignées.
— Je ne veux pas savoir ce que tu faisais là-haut, ni pourquoi tu es resté sous la pluie tout ce temps, en revanche j'apprécierai un dédommagement. Tu me dois deux chopes de cervoise pour m'avoir fait perdre mon temps et pour m'avoir trempé jusqu'aux os.
Tarek se mit à rire et accepta la sentence. Il avait appris à apprécier Othar avec le temps.
— Mais pour l'heure, tu es attendu, déclara celui-ci.
Le jeune homme arqua un sourcil mais suivit l'elfe sans poser de question.
Quelques minutes plus tard, le dragonnier et son supérieur se trouvaient dans le tunnel menant à la grande porte de l'Est. Ils étaient escortés par six soldats, et le brun remarqua que ces derniers semblaient sous tension, plus qu'à l'habitude.
Alors que les torches éclairaient le chemin, Tarek distingua enfin deux silhouettes agenouillées, encadrées par une dizaine d'autres combattants menaçants qui pointaient des lances dans leur direction. Il fronça les sourcils alors qu'un pressentiment lui saisit brusquement l'estomac. Sans pouvoir l'expliquer, il ressentit soudain l'envie irrépressible de faire demi-tour. Inconsciemment, il avait ralenti le pas, ce qui lui valu un regard interrogateur de la part de Nàmo.
Quelques mètres les séparaient des deux vagabonds, et alors qu'ils s'approchaient encore, un flash apparut tout à coup devant les yeux de Tarek. Il sut alors, avant même d'avoir vu leurs visages, de qui ils s'agissaient.
Ses sens s'éveillèrent et son cœur accéléra dans sa poitrine tandis qu'il sentait la chaleur de sa magie s'activer dans ses veines. Son tatouage se mit à fourmiller et ses iris se couvrirent d'un voile grisâtre.
Ils s'arrêtèrent devant les nouveaux arrivants et Nàmo s'adressa à eux d'une voix ferme :
— Tarek est ici, alors maintenant vous allez pouvoir répondre à nos questions. Qui êtes-vous ?
Les deux otages redressèrent la tête et leurs yeux se rivèrent vers le dragonnier qui lui, fit de son mieux pour ne pas paraître déstabilisé. Un sourire mesquin apparut sur les lèvres de la jeune femme alors que celui du vieil homme paraissait plus chaleureux.
— Content de voir que tu es toujours en vie, déclara-t-il alors.
Cette remarque fit froncer les sourcils de Tarek.
— Qu'est-ce que vous faites ici ? demanda-t-il méfiant.
Nàmo posa ses poings fermés sur les hanches en adressant un regard explicite au dragonnier. Celui-ci s'empressa alors de faire les présentations.
— Voici Mihoko, une sorcière, et Himanshu, un magicien. Je les ai tous les deux rencontrés lorsque j'étais à la recherche d'Aïkida.
La jeune femme marmonna :
— Que tu as d'ailleurs retrouvée malgré mon avertissement.
Un silence gênant s'installa alors dans le passage souterrain.
Mihoko et son père étaient encore vêtus de façon étrange. Ils avaient tous les deux la joue gauche recouverte d'un épais trait de peinture bleue. Leurs tuniques, que Tarek se souvenaient avoir été rouge sang, étaient désormais d'un violet profond orné de broderies bleutées. Une épaisse ceinture de cuir noir leur serrait la taille, à laquelle était accrochée plusieurs bourses en tissus qui semblaient lourdes et remplies. Leurs pantalons en revanche, étaient toujours d'un blanc étrangement immaculé, alors que leurs bottes de cuir noir leur arrivaient presque aux genoux.
Ignorant la remarque de la sorcière, Tarek demanda plutôt :
— Qu'est-ce que vous faites ici ?
Mihoko fit tourner ses lourdes bagues autour de ses doigts et adressa un regard à son paternel, faisant entrechoquer ses longues boucles d'oreilles avec les morceaux de métal étrangement entremêlés à sa chevelure brune.
Himanshu se gratta alors machinalement le menton, perdant ses doigts dans sa barbe blanche qui avait bien poussé depuis que Tarek l'avait rencontré.
— Ton oncle compte attaquer la Vallée, alors nous sommes venus en renfort.
Le dragonnier grinça des dents et serra ses poings avec force. S'il avait bien horreur d'une chose, c'était qu'on associe le Masque Noir ou Layvin à des membres de sa famille. Même si biologiquement, c'était vrai, il ne supportait pas d'avoir le même sang que ces monstres qui avaient fait de sa vie un enfer.
Il se retint cependant de répliquer sèchement.
Alors que Nàmo, lui, semblait inquiet par la nouvelle et s'apprêtait à poser davantage de questions, Mihoko chuchota en fixant ses iris gris pâle sur le jeune homme :
— On est aussi venus pour forcer le destin. Les prophéties ne sont pas toutes aussi inévitables que l'on ne le croit.
Tarek se figea lorsqu'il entendit ces mots.
Ses yeux rivés vers la sorcière, il ne respirait plus, incertain d'avoir bien entendu. C'était comme si le moindre mouvement pouvait effacer cette hallucination. Mais le regard que lui rendit la jeune femme finit de le convaincre qu'il avait bel et bien entendu ces paroles. Les yeux en amande de la sorcière furent brusquement traversés par une vive lumière. Cependant, ce fut si fugace, que ça aussi, Tarek douta de l'avoir vraiment vu.
Aïkida jura en rentrant dans ses appartements, trempée jusqu'aux os.
— Tout ça parce que « Mooonsieur » joue à cache-cache...
Pestant contre le dragonner qu'elle avait dû chercher dehors sous la pluie battante, bravant le vent glacial venant du Nord, la jeune femme tremblait de la tête aux pieds.
— Mais enfin... qu'est-ce qui t'a pris d'aller dehors par ce temps ?! s'exclama Ambre en apercevant son amie dans cet état lorsqu'elle arriva dans le salon, les bras chargés de linge propre.
Elle sut que le regard noir qu'elle reçut ne lui était pas directement adressé, et déduisit alors qu'un certain brun était impliqué.
Quelques minutes plus tard, les deux amies se retrouvèrent assises autour de la table en bois au centre du salon, une tasse de thé bien chaude dans les mains et une épaisse couverture sur les épaules de la Fille Gelée.
— Vous avez une idée du prénom que vous allez donner à votre enfant ? demanda-t-elle en retrouvant sa bonne humeur.
Ambre lui répondit par un sourire rayonnant. Même si sa grossesse n'était pas de tout repos, depuis que Jayse était rentré de la Forêt des Elfes, elle se sentait comblée de bonheur.
— Nous avions pensé à Aurore si c'est une fille, et si c'est un garçon... Nous ne sommes pas encore décidés, mais nous l'appellerions peut-être Ponghu. C'est une idée de Jayse.
La gorge d'Aïkida se serra au souvenir de leur défunt ami. Elle prit la main d'Ambre et la serra doucement.
— Je suis sûr que Ponghu aurait été très touché par cette idée.
La jeune femme baissa la tête, un sourire triste sur le visage. La mort du combattant été difficile à digérer.
Alors qu'une larme menaçait de couleur sur sa joue, elle s'essuya les yeux et ajouta d'un ton faussement jovial :
— De toute façon, il paraît que ce sera une petite fille, alors la question risque de ne pas se poser.
Aïkida arqua un sourcil, surprise.
— Tu penses que ce sera une fille ? Comment tu le sais ?
Ambre soupira et but une gorgée de son thé brûlant avant de lui expliquer :
— Quand vous étiez partis, un combattant est venu me parler plusieurs fois. Je le trouvais très étrange, et très intimidant à la fois. La première fois, il connaissait déjà mon nom alors que je ne l'avais jamais vu, et lorsqu'il est parti, il m'a dit que mon enfant serait une « magnifique petite fille ». Je te jure Kida, ses yeux semblaient fouiller à l'intérieur de moi, j'ai ressenti comme des vertiges. Et la deuxième fois, il m'a encore dit des choses très bizarres...
Elle releva ses yeux vers son amie qui attendait la suite, et Aïkida sentit un certain malaise chez la future maman.
— Il m'a annoncé que la guerre chez les elfes était terminée avant même que les messagers n'apportent la nouvelle au château, et il m'a dit que je devais m'attendre à un malheur, une mauvaise nouvelle. Et ensuite, il m'a dit que je ne devais pas rester seule.
Aïkida avait froncé les sourcils.
— Comment il s'appelle ? demanda-t-elle alors que son esprit fonctionnait à toute allure.
— Hyjuke.
La Fille Gelée resserra la main de son amie avant de lui adresser un sourire qui se voulait rassurant.
— J'aimerais que tu me le présente si cela ne te dérange pas ?
Ambre haussa les épaules.
— Ça ne devrait pas être compliqué, j'ai l'impression qu'il n'est jamais loin de moi. Jayse ne l'apprécie pas trop d'ailleurs.
— Que veux-tu... Tu fais chavirer tous les cœurs ma pauvre ! plaisanta Aïkida.
Les deux jeunes femmes se mirent à rire, mais la Fille Gelée n'en était pas moins inquiète. Elle ne voulait pas effrayer son amie tant que ses soupçons n'étaient pas confirmés, mais elle avait un mauvais pressentiment. Elle devait vite rencontrer ce fameux « Hyjuke » pour tirer cette affaire au clair.
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