Un dilemme véridique
La jeune fille effectua une courte pause, le regard embué de tristesse avant d'ajouter, la voix tremblante :
— Lomiòn a été enterré à Oribana, dans le cimetière de mon village.
Le regard du jeune blond s'adoucit et il expliqua d'une voix calme :
— C'est une tradition ancestrale. Chaque Combattant est enterré dans la Vallée, sous la protection des dragons. La tombe de ton père qui se situe dans ton village est vide. Nàmo avait envoyé plusieurs Combattants informer ta mère de la procédure, et elle ne fut pas surprise car ton père l'avait déjà mise au courant. Elle connaissait l'existence des dragons et connaissait nos activités. Si elle ne vous en a jamais parlé à toi et ta sœur, c'était parce que Lomiòn le lui avait interdit. Alors lorsque les combattants lui ont annoncé que ton père devait être rapatrié dans la Vallée, elle a compris que c'était ce qu'aurait voulu Lomiòn et a accepté. Elea s'est alors arrangée pour que personne ne se rende compte de rien. La cérémonie à laquelle tu as assistée s'est faite avec le cercueil fermé car personne ne devait savoir. Ton père repose en paix parmi les dragonniers Aïkida.
La Fille Gelée fixait la tombe de son père avec des yeux ronds et humides.
— Alors elle savait...
— Ton père lui a tout raconté la nuit avant son décès.
Aïkida fixait le marbre sans le fixer, complètement bouleversée par ces révélations.
Leeroy posa une nouvelle fois sa main sur son épaule et murmura :
— Maintenant, je vais t'expliquer.
Et en fermant les yeux, il prononça doucement : Sequere me in anima meaque sis testimonio factis.
Aïkida se sentit soudainement happée de l'intérieur et sa respiration fut brusquement coupée. Portant ses mains à sa gorge, plus une seule bouffée d'air n'imprégnait ses poumons tandis qu'elle devenait rouge. Ses membres se mirent à trembler violemment tandis qu'une série d'étoiles défilait dorénavant devant les yeux vides de la jeune fille. Un terrible mal de tête tambourinait le crâne de la Fille Gelée qui tombait à genoux, asphyxiée par ce terrible sort qu'elle n'avait pas su éviter. Ses yeux lui faisaient atrocement mal tandis qu'elle avait l'impression qu'on lui arrachait le cœur. Ce dernier ralentissait sensiblement alors qu'une violente douleur secouait le corps, désormais allongé, de la jeune Ar-Feiniel, pris de spasmes.
Mais alors que ses forces l'abandonnaient à une vitesse ahurissante, elle sentit brusquement une bourrasque de vent lui fouetter le visage alors que l'air remplissait à nouveau ses poumons. Aïkida se mit à tousser violemment et elle rouvrit les yeux qu'elle avait fermé sous la douleur.
Elle n'était plus allongée sur l'herbe du cimetière, mais debout, au milieu de la Salle du trône. Leeroy et Aïkida se trouvaient en face de deux personnes. Reprenant peu à peu ses esprits, la jeune fille plissa les yeux alors que l'obscurité encerclait la pièce.
Elle se figea soudainement quand elle reconnut Leeroy face à Nàmo. Mais le jeune blond était actuellement en train de lui tenir l'épaule, alors que celui qu'elle voyait, éclairé par un chandelier posé sur la grande table de bois, se trouvait à deux mètres d'elle.
Il y avait deux Leeroy.
— Qu'as-tu appris Leeroy ? demanda le Haut-Dragonnier.
— Le Masque Noir prépare une nouvelle bataille. Il compte attaquer la Vallée ce soir.
— Ce soir ?! Il faut se dépêcher !
Le jeune blond fit non de la tête, un air navré sur le visage. Le vieil homme arqua alors un sourcil et demanda :
— Qu'y a-t-il ? Il faut agir ou nous serons réduis en cendre !
— Nous ne pouvons pas sortir de la Vallée immédiatement et le prendre de cours. Il est intelligent et comprendrait immédiatement que quelqu'un l'a trahi. Nous devons nous organiser à l'intérieur et préparer une stratégie pour que ce soit efficace, mais que personne ne se doute de rien. Il semble que l'attaque ne soit pas très importante, il n'y aura pas de gros effectifs.
Nàmo frotta sa barbe et réfléchit.
— Que proposes-tu ?
Mais ils ne purent pas saisir la suite de l'échange, que les deux jeunes dragonniers furent de nouveau happés de l'intérieur Cette fois ci, ce fut beaucoup moins violent. Aïkida serrait désormais le bras du jeune blond, effrayée. Elle ne comprenait pas ce qu'il se passait et ne contrôlait plus rien. Elle détestait cette sensation.
Quelques secondes plus tard, les deux jeunes gens se retrouvèrent dans l'immense bibliothèque. Dans un coin sombre, étaient assis un autre Leeroy, ainsi que Nàmo. Eclairés par un chandelier, ils semblaient plongés dans leurs recherches.
— Je ne trouves rien, désespéra Leeroy.
Mais le Haut-Dragonnier leva brusquement la main, lui indiquant de se taire. Plongé dans sa lecture, son visage se décomposait au fur et à mesure que ses yeux décryptaient les mots inscrits en langue étrangère.
— C'est grave Leeroy. Si ce que tu dis est vrai, le Masque Noir a réveillé les Demoscaths.
Le jeune blond blêmit en entendant ce nom.
— Comment c'est possible...
— Il doit certainement utiliser la magie noire. Ce n'est pas possible autrement.
Leeroy annonça alors sombrement :
— Le Masque Noir m'a confié qu'il comptait dresser ces bêtes et en faire de véritables machines à tuer. Mais je n'aurais jamais pensé qu'il s'agisse de Demoscaths... Ils seront prêts dans un peu plus de trois mois. Le Masque Noir attaquera à ce moment-là. Il compte aussi ajouter des Nhân-hos dans ses rangs.
Le Haut-Dragonnier paraissait perdu.
— Comment agir ? Personne ne doit se douter de ton double-jeu Leeroy. Pourtant, si nous voulons éviter le plus de morts, nous devrons faire quelque chose.
— Pour l'instant, faisons comme si nous n'étions pas au courant. Cela nous laisse le temps de réfléchir à une solution.
Aïkida et Leeroy furent une nouvelle fois transportés dans un endroit différent, un endroit qu'Aïkida n'oublierait jamais, tout comme cette silhouette.
La pièce était sombre et une brume noire longeait les dalles tandis qu'une cheminée éclairait faiblement la pièce. Le Masque Noir fixait les flammes tandis que Leeroy lui rapportait les faits :
— Ils ne se doutent de rien et pensent que les combats n'auront pas lieu avant au moins six mois. Les Combattants ne sont pas dans l'optique de bataille et s'entraînent peu, nous n'aurons pas de grandes difficultés à envahir la Vallée.
— Parfait.
Le Masque Noir se retourna et son visage de fer affichait une expression de fierté et de victoire :
— Le monde s'inclinera bientôt à mes pieds.
Leeroy, le visage grave, hocha la tête puis ajouta :
— Maître, ils n'ont aucune chance de battre notre armée. Surtout si les bêtes dont vous m'avez parlé se joignent à nous.
— Evidemment qu'ils n'ont aucune chance ! Personne ne peut rien contre moi. Personne ne peut, ne serait-ce qu'imaginer, savoir quelles créatures viendront dans nos rangs. Les plus sombres de toutes, à elles seules, elles devraient tuer au moins trois centaines de Combattants.
Le cœur de Leeroy se serra alors qu'un léger frisson parcourut son échine, sans que jamais le Masque Noir ne le remarque. Le dragonnier demanda alors prudemment :
— De quelles créatures parlez-vous, Maître ?
Ce dernier afficha un sourire effrayant avant de déclarer sombrement :
— Les Demoscaths sont de notre côté.
Aïkida ressentit une nouvelle fois la sensation d'être happée de l'intérieur, mais contrairement aux fois précédentes, sa vision ne devint pas noire. En effet, le décor défilait devant ses yeux à une vitesse surnaturelle alors que les faits se déroulaient en accéléré.
La jeune fille était en apnée et avait le tournis quand sa vision fut soudainement stoppée sur une scène en extérieur.
Leeroy se dirigeait vers Luaj qui attendait dans l'immense cour d'un sombre château. Ce dernier s'élevait bien plus haut que celui des dragonniers et n'était construit qu'avec des pierres noires et brillantes. En face de la bâtisse, s'offrait une large vue sur la ville de Maskitaj, la Ville Noire. Les centaines de maisons, toutes construites en pierres sombres ou grises, s'alignaient et formaient de petites ruelles dans lesquelles les soldats, marchands et habitants déambulaient avec prudence.
Leeroy monta sur la selle de sa dragonne et ils partirent sur le champ pour se diriger vers les Montagnes.
Aïkida et Leeroy purent entendre l'échange entre la dragonne et son dragonnier :
— C'est bien ce que nous craignions. Nàmo avait raison, le Masque Noir a bel et bien réveillé les Demoscaths.
— Il faut le prévenir pour préparer une stratégie.
— C'est compliqué... Être un agent double n'a certainement pas que des avantages. Je risque de me faire tuer si le Masque Noir découvre que je dévoile ses plans à la Vallée. Mais en même temps, pour rester crédible je dois lui apporter des informations sur les Combattants. Et tout cela, sans que personne ne soit au courant.
La dragonne gronda doucement pour soutenir Leeroy et répondit :
— Tu peux compter sur Nàmo et Tarek. Vous devez vous organiser pour empêcher le pire.
Le jeune blond soupira tandis que sa dragonne volait déjà à pleine vitesse dans les nuages, fuyant le Royaume Noir.
Aïkida et Leeroy furent une nouvelle fois transférés dans le temps et l'espace, et cette fois-ci, ils se trouvaient au milieu d'un champ de bataille. L'orage rugissait alors que les flammes défiaient la pluie avec monstruosité.
Mais la jeune fille ne se préoccupait pas des combattants qui luttaient contre les soldats noirs avec ferveur. Non, elle s'était figée, glacée d'effroi par la scène qui se déroulait devant ses yeux.
Leeroy et Lomìon se battaient avec puissance, faisant grincer le métal de leurs armes meurtrières. Ils étaient isolés des autres combattants et personne ne s'occupaient d'eux. Nul ne pouvait les voir, cachés par un étrange écran de fumée d'origine magique. Ils étaient en sueur et se frappaient avec violence. Mais il n'y en avait qu'un seul qui attaquait : Lomiòn. Leeroy quant à lui, ne faisait que se défendre avec souplesse.
Le père de famille s'écria dans la bourrasque de vent :
— Vous n'êtes qu'un traître, dragonnier ! Je vous ai suivi ! Vous vous rendez régulièrement chez le Masque Noir ! Vous n'avez jamais été aux côtés de la Vallée. Vous allez tous nous détruire !
Le jeune blond ne répondait pas. Seuls ses yeux attristés trahissaient une certaine culpabilité.
— Vous devez mourir Leeroy !
Mais ce dernier, poussé par l'urgence et le quiproquo dont il était le centre, eut soudain une idée.
Entre deux coups d'épées, il prononça une rapide formule magique et les deux combattants furent immédiatement englobés dans une bulle. Un silence régna soudainement alors que plus aucun son ne venait de l'extérieur de cette enveloppe magique.
Surpris, Lomiòn cessa de combattre, et Leeroy en profita pour expliquer d'une traite :
— Nous n'avons que quelques secondes avant que le sort ne prenne fin. Je suis de votre côté, je suis envoyé chez le Masque Noir en temps qu'espion, et personne ne doit se douter de rien. Seuls Nàmo et un de mes amis sont au courant, car quiconque connaitrait la vérité deviendrait un danger pour la Vallée. Pour le Masque Noir, je suis son bras droit, et il pense que je vis ici pour seul but de l'informer des activités des Combattants.
Le père de famille écarquilla les yeux, stupéfait. Mais il se ressaisit soudainement et se mit en garde alors que la bulle de silence rétrécissait déjà :
— Et comment vous croire ? Qui me dit que vous n'êtes pas justement aux côtés du Masque Noir, et que vous faites croire à Nàmo que vous allez là-bas pour nous aider alors qu'en fait, vous nous trahissez ?
La bulle se resserrait rapidement autour d'eux et Leeroy fronçait les sourcils, inquiet.
— Il ne nous reste que peu de temps. Tant que cette bulle nous abrite, le Masque Noir n'entendra pas nos échanges. Lomiòn, il me surveille. À chaque pas que je fais en dehors de la Vallée, il peut me tracer et être au courant de mes moindres faits et gestes. Lorsque la bulle éclatera, il pourra nous écouter. J'ai déjà dû attiser sa curiosité malveillante en créant cet écran de silence. Il va douter de moi, je ne fais pas ça pour rien. Je vous en prie, gardez le secret. Vous n'êtes au courant de rien.
Et à ses mots, la bulle éclata sur leur peau.
Lomiòn fixait le dragonnier, ahurit, tandis que ce dernier le suppliait du regard tout en reprenant une position de défense. Mais alors qu'il s'apprêtait à attaquer le père de famille pour ne pas éveiller les soupçons du Masque Noir, Lomiòn s'écria alors :
— Dragonnier, le ciel nous observe ! J'accomplirais mon devoir, et je défendrais la Vallée en tant que Combattant loyal, quel qu'en soit le prix. S'il faut vous tuer, je n'hésiterai pas.
Mais le jeune blond avait froncé les sourcils. Le regard de l'homme ne suivait en rien ses paroles.
Tout à coup, une lumière sombre enveloppa les deux combattants alors qu'un bruit de tonnerre fit tressaillir leurs tympans. Une voix grave et puissante retentit, sortie de nulle part :
— Il en sait trop Leeroy. Tue-le.
Le père de famille blêmit en entendant la voix sévère du Masque Noir. Mais bien que la peur lui ronge les entrailles face à la tension magique qui régnait désormais autour d'eux, il comprit alors que le dragonnier n'avait pas menti.
Il ajouta donc en attaquant Leeroy :
— Le sacrifice est la clé de la liberté. Vos flèches sont longues, mais demain soir, elles ne seront plus. Votre famille ne vous attendra plus Leeroy, et moi, je continuerai de servir la Vallée sans aucun regret. J'aurais accompli mon devoir et je ne serais nullement rongé par la culpabilité. Un meurtre pour la Vallée.
Le jeune dragonnier écarquilla les yeux. Lomiòn s'adressait au dragonnier en message codé et le cœur de Leeroy se serra lorsqu'il le décrypta : « Dragonnier, le Masque Noir nous observe ! Leeroy, j'accomplirais mon devoir et je défendrais la Vallée en tant que Combattant loyal, quel qu'en soit le prix. S'il faut me tuer, n'hésitez pas. Le sacrifice est la clé de la liberté. Vos flèches me maintiendront en vie jusqu'à demain soir, je veux voir ma famille avant de mourir. En me sacrifiant, vous continuerez vos activités et aiderez la Vallée. N'ayez pas de regret et ne vous sentez pas coupable. Je ne fais qu'accomplir mon devoir. »
L'estomac de Leeroy s'était noué. Il esquiva la fausse attaque de son adversaire et lui demanda s'il était sûr de lui par l'intermédiaire d'un regard lourd de sens. La lueur de nostalgie, mais de détermination dans les yeux gris de Lomiòn assécha la gorge du dragonnier.
Il n'avait pas le choix, le Masque Noir le surveillait.
Le cœur lourd et les mains tremblants, le jeune blond tendit l'arc qu'il venait de décrocher de son dos, et positionna une flèche mortelle. Il ne voulait pas réfléchir, sinon il n'y arrivait pas. D'un geste vif, il décocha la flèche qui vint se planter avec précision dans l'épaule du père de famille.
Cette image, Leeroy la garderait toute sa vie dans son esprit. Lomiòn, debout, le poignard en l'air, le regard loyal et compréhensif, s'effondrant sur le sol, rongé par la douleur.
Aïkida avait la tête qui tournait, non pas à cause de ce nouveau transfert dans le temps et dans l'espace, mais parce qu'elle venait de revoir son père. Lomiòn venait d'être mortellement blessé devant ses yeux. Mais elle n'eut pas le temps de réfléchir plus qu'elle se trouvait désormais dans les appartements de Leeroy.
Sur le lit, était assis ce dernier, tandis qu'en face, était appuyé contre le mur, Tarek.
— Tu as tué son père Leeroy ! Je sais que tu n'avais pas le choix et qu'il voulait se sacrifier pour la Vallée, mais il reste son père ! Tu dois le lui dire !
Le jeune blond avait les coudes posés sur ses genoux et la tête dans ses mains. Il grommela :
— Je ne peux pas. Elle ne doit pas savoir.
Tarek leva les yeux et ciel et croisa les bras, sourcils froncés.
— Elle le saura tôt ou tard. Il vaut mieux que ça vienne de ta bouche que d'une autre !
Leeroy releva vivement la tête, le regard noir :
— Tu ne lui dis rien.
— Je ne veux très certainement pas te faciliter la tâche. Mais Aïkida est têtue, tu te souviens ce qu'elle nous a dit hier ? Qu'elle voulait retrouver le soldat qui avait tué son père, elle veut le venger Leeroy ! Elle a le droit de savoir ce que son père a fait pour la Vallée. Si elle l'apprend autrement que par toi, elle voudra très certainement te faire la peau. Tu dois le lui dire.
Leeroy soupira et demanda, plein de sarcasme :
— Et je lui dis comment ? « Eh salut Aïkida, au fait, c'est moi qui ai tué ton père, mais ne t'inquiète pas, il était d'accord. Aller, salut ! »
Aïkida et Leeroy furent de nouveau happés de l'intérieur. Cette fois-ci, ils revinrent dans le présent, dans le cimetière des Combattants Secrets. La jeune fille tremblait comme une feuille, secouée par ces lourdes révélations. Elle s'accroupit dans l'herbe alors que la tête lui tournait.
Devant elle, la tombe de ses parents partis trop tôt.
— Je suis désolée Aïkida, je ne savais pas comment te l'expliquer autrement qu'en te montrant mes souvenirs. J'espère que tu comprendras. Si tu veux me poser plus de questions, vient n'importe quand, j'y répondrais.
Et le jeune dragonnier tourna les talons.
Mais la jeune fille trouva la force de se relever et de lui attraper le poignet, non sans trembler de tout son corps. Ses yeux humides supplièrent le jeune blond alors qu'elle réussit à articuler d'une voix tremblante :
— Jure moi que c'était vrai.
Leeroy se retourna et plongea son regard bleu de franchise dans ceux, désespérés, de la Fille Gelée.
— Jete le jure.
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