Sang chaud et sang froid
Deux jours plus tôt...
Comme tous les jours depuis la bataille, Tarek se rendit devant la tombe de son dragon, le cœur lourd. À genoux devant le marbre brillant sous le soleil levant, le jeune brun tentait de refouler ses larmes qui lui semblaient intarissables.
Lorsqu'il fixa l'épitaphe sur lequel était gravé le nom de Brusanth, un détail attira son attention. Il fronça les sourcils et s'approcha pour frôler la pierre de sa main tremblante. Il y avait une brèche, une fissure. Elle n'avait pas été là la veille.
Mais alors qu'il la grattait avec son ongle, il fut soudainement saisi d'une brûlante chaleur. Le feu magique s'empara de son âme en une fraction de secondes et Tarek s'embrasa brusquement. Une étrange sensation s'introduisit dans son esprit alors qu'un vide semblait se combler en partie. Oui, c'était ça. Une présence évoluait en lui. Une présence bien trop familière pour être irréelle.
Tarek restait figé alors que les flammes léchaient sa peau sans jamais lui causer de douleur. Il n'osait plus bouger, de peur que cette sensation ne disparaisse. Ses yeux brillaient de larmes. Mais ce n'était plus du chagrin qui s'écoulait sur ses joues, c'était de la joie. Une joie profonde et inimaginable. Une joie sans fin, sans frontière et sans mensonges. Car cette sensation qui comblait son cœur, même si ce n'était qu'à moitié, donnait l'impression à Tarek de revivre. De ressusciter.
Le dragonnier tremblait de bonheur et était dans un état indescriptible. Une voix grave s'insinua dans son esprit. Une voix trop familière pour être imaginée. La voix de son dragon.
— Tarek, tu es puissant, je l'étais aussi. Mais nous sommes plus forts ensembles. N'en parle à personne, je ne suis plus, je suis en toi pour toujours. Ma magie est tienne, mon esprit est tien. Tu n'es pas seul, tu ne l'as jamais été. Je serai à jamais dans ton cœur, comme tu as toujours été dans le mien. Fais-en bon usage. Adieu Tarek, mon ami, mon dragonnier.
Le jeune dragonnier hocha la tête, tremblant. Il était brisé par milles émotions, la joie, le chagrin, le soulagement, la peur, la nostalgie. Son dragon était revenu pour lui, il sentait sa présence au plus profond de son être. Mais il comprit que plus rien ne serait comme avant. Ils ne pourraient plus jamais se parler, voler, affronter les dangers ensemble. Mais Tarek se sentait bien.
Car Brusanth, même dans la mort, était toujours là. Il venait de lui transmettre la totalité de son esprit et de sa magie. Et le feu qui effleurait Tarek, n'était autre que celui de son dragon.
Un léger craquement tira Aïkida de son sommeil léger. Le feu de Leeroy brûlait toujours, non loin d'elle, tandis que son créateur dormait profondément. Dans le dos de la Fille Gelée, elle sentait les longues et calmes respirations de son dragon, lui aussi plongé dans un profond repos. Les vives flammes éclairaient sombrement les alentours, et la jeune fille trouva les bois beaucoup plus menaçants que la veille. Les lourdes branches semblaient vouloir les étouffer en retombant vers le sol, se balançant dans un rythme lent, comme contrôlé. Les lianes quant à elles, se mouvaient mollement, suivant la brise menaçante qui sifflait incessamment dans les oreilles de la jeune Ilewite. Le feu avait éteint les étoiles du ciel noir qui les asphyxiait alors que les ombres semblaient vivantes dans ce paysage inquiétant.
Le craquement se fit entendre une nouvelle fois et Aïkida fronça les sourcils. Depuis que la flèche empoisonnée avait rencontré sa chair, elle avait pris conscience qu'elle n'était pas en sécurité. Pas même dans la Vallée.
Dans sa précipitation bancale de la veille, la jeune fille n'avait pris aucune arme sur elle, et se sentit démunie. Ce n'est peut-être qu'un animal. Mais des bruits de pas rapides la contredirent aussitôt, lui arrachant un frisson d'effroi.
— Athkor.
Mais son dragon ne répondit pas, profondément endormi.
Les bruits de pas étaient légers. Rapides. Trop rapides.
— Athkor !
Toujours aucune réponse.
— Leeroy, tenta-t-elle en chuchotant. Leeroy, psssst, réveille-toi !
Mais personne ne semblait apte à se réveiller.
Un autre craquement fit sursauter la jeune fille. Il avait retenti juste derrière son dragon.
Poussée par l'adrénaline, Aïkida trouva la force de se relever en s'appuyant uniquement sur sa jambe valide. Au passage, elle avait saisi une longue branche qui traînait là et avait secoué son ami, tentant de le réveiller, en vain. Calme-toi, ce n'est peut-être qu'un combattant de passage.
S'appuyant sur son bâton, la Fille Gelée réussit à s'avancer jusqu'à l'endroit où elle avait cru entendre le dernier craquement. Et ce qu'elle y trouva lui provoqua des frissons.
À ses pieds, gisait un oiseau décapité. Il tressautait encore, dérivant lentement vers la mort. Le sang de la jeune fille se glaça tandis que celui du volatile se répandait sur la terre.
— Tu n'aimes pas mon cadeau ?
Aïkida se figea aussitôt et son cœur se mit à battre la chamade alors qu'elle se retournait, le plus rapidement possible, vers la provenance de la voix. Cette voix. Sa voix.
À la lumière du feu, la jeune Ilewite distingua cette silhouette qu'elle chérissait tant. De profil, la petite blonde souriait à sa grande sœur.
— Emelï ! Tu es vivante !
Les larmes montèrent aux yeux de la Fille Gelée alors que celle-ci manqua de trébucher en se précipitant à sa rencontre à l'aide de son bâton.
Mais avant même qu'elle n'ait pu serrer sa petite sœur dans ses bras, cette dernière leva la main d'un geste entièrement contrôlé et autoritaire. Surprise, Aïkida s'arrêta à une dizaine de mètres, mais ne cessa pas de sourire pour autant. Sa sœur était en vie !
Le visage de celle-ci s'était pourtant durcit, et son profil droit semblait sévère. Beaucoup trop pour son jeune âge.
— Je t'ai posé une question.
Sa voix paraissait plus grave que celle qu'Aïkida avait eu l'habitude d'entendre ,et elle fronça les sourcils face au ton froid d'Emelï.
Celle-ci continua :
— Dans les légendes d'anciennes tribus de l'Est, amener un pigeon décapité à quelqu'un, c'est le menacer de mort.
Le cœur de la jeune fille battait la chamade, mais ce n'était plus à cause de l'excitation comme quelques secondes auparavant, mais à cause de la panique. Ce ne pouvait pas être Emelï qui lui parlait comme ça. C'était impossible !
Soudain, celle-ci fit face à sa sœur, et Aïkida poussa un cri de terreur. Elle avait lâché son bâton et s'écroula au sol, sa jambe blessée encore incapable de la soutenir. Emelï la fixait dorénavant, le regard noir, le sourire terrifiant. Son profil gauche était en fait celui d'un reptile, et les dents pointues de la partie gauche de sa bouche étaient recouvertes de sang et de plumes. Ses écailles vertes se dressaient de façon menaçante sur sa peau rigide alors que son œil jaune clignait lentement, recouvrant sa pupille verticale d'un léger voile blanc et visqueux à un rythme régulier. Le sang du volatile s'écoulait le long du menton verdâtre du lézard alors que de sombres tâches jaunes le rendait plus effrayant encore.
Tout à coup, Emelï sortit vivement une longue langue noire et fourchue en direction de sa sœur en sifflant de façon menaçante. En une fraction de secondes, elle se jeta sur Aïkida en rampant sur le sol à une vitesse effroyable. Ses doigts étaient pourvus de longues griffes, et elle s'en servait pour s'accrocher à la terre de façon à accélérer sa course.
En un instant, les pattes du reptile qu'était presque entièrement devenue Emelï se resserrèrent autour du cou de la Fille Gelée.
— Je ne te pardonnerai jamais. Tu as tué maman, tu m'as transformée en monstre. Mais maintenant je suis plus forte. Je n'ai plus six ans, j'en ai des milliers. Tu dois payer. Tu dois mourir.
Les yeux écarquillés par la terreur, la Fille Gelée eut juste le temps de voir les dizaines de dents acérées de sa sœur se planter dans son cœur.
Aïkida se réveilla soudainement, haletante et couverte de sueur. Crispée, elle se passa une main tremblante dans les cheveux, reprenant peu à peu contact avec la réalité. La jeune fille prit une grande inspiration et tenta de se calmer en repensant à ce terrible cauchemar. Ce n'était qu'un cauchemar. Uniquement et seulement un cauchemar.
— Un mauvais rêve ? demanda Leeroy.
Il la fixait avec compassion alors que son feu magique s'éteignait lentement.
Le soleil perçait à travers les feuilles au-dessus d'eux et la douce lueur du matin les englobait doucement tandis qu'une brise fraîche s'infiltrait dans leurs poumons. L'hiver s'installait, et ils le ressentaient.
— Encore un, répondit-elle à voix basse, encore sonnée.
— Ça t'arrive souvent ? demanda le jeune blond.
La Fille Gelée soupira alors que son esprit se calmait lentement.
— Depuis l'enlèvement de ma mère et de ma sœur, mais encore plus depuis le Grand Combat.
C'est ainsi que la Vallée avait décidé de nommer la terrible bataille qui avait eu lieu quelques jours plus tôt et qui avait mis fin à une longue guerre sanglante et indirecte. Le Masque Noir était tombé.
Leeroy hocha la tête et s'enquit :
— Comment tu te sens ?
Pour toute réponse, Aïkida tenta de bouger sa jambe, mais seuls ses orteils répondirent présents. Elle grimaça et se contenta de positiver :
— J'irais mieux dans quelques jours.
Il hocha la tête et se leva souplement avant de tendre une main à son amie. Mais avant de la saisir, elle plongea un regard reconnaissant dans les yeux clairs du jeune blond :
— Merci Leeroy.
Ce dernier arqua un sourcil, mais se contenta de sourire et de l'aider à se lever.
— Si tu arrives à tenir en équilibre malgré ta jambe, je te propose un vol.
Un sourire éblouissant vint se peindre sur le visage de la jeune fille, effaçant par la même occasion, le cauchemar de ses pensées.
— Aide moi à monter sur Athkor.
Leeroy lui rendit son sourire et ils entendirent le dragon gronder doucement, heureux du programme.
Quelques minutes plus tard, Aïkida volait sur le dos d'Athkor tandis que Leeroy était sur sa dragonne. Côte à côte, ils profitaient de la magnifique luminosité matinale et de l'air frais qui frôlait leur peau. La Fille Gelée se tenait fermement à la selle, compensant sa jambe blessée sur laquelle elle ne pouvait pas compter pour rester droite. Néanmoins, elle se sentait légère. Ses cheveux blancs flottaient dans le vent alors que ce dernier faisait rougir sa peau. Sa jambe blessée et mise à nue la brûlait tant le froid saisissait sa peau, mais Aïkida s'en réjouis. Cela voulait dire qu'elle n'était pas complètement paralysée.
Les Montagnes étaient sublimes. Les roches grises renvoyaient une douce lumière dans la Vallée des Dragonniers alors qu'ils pouvaient apercevoir quelques chamois escaladant souplement les cols. Ce paysage lunaire remplit le cœur d'Aïkida de bien-être. Elle en avait douté pendant un long moment, elle s'était sentie à-part, mais devant ce spectacle, Aïkida en était certaine. Elle était chez elle. Je suis une combattante, et personne ne me l'enlèvera.
La jeune fille ferma les yeux et profita de l'instant, respirant à plein poumon l'air frais qui brûlait sa gorge. Elle se retrouva dans un état de plénitude profond. Un immense calme s'empara de son esprit alors qu'elle ne ressentait plus rien, elle était comme dans un état second.
— Qu'est-ce que tu penses de mon rêve ?
Athkor gronda doucement et répondit :
— Ce n'est qu'un rêve Aïkida. Tu te sens coupable, c'est normal, mais ta sœur est en vie, et il y a très peu de chance qu'elle se soit métamorphosée en lézard.
Elle soupira.
— Cela semblait tellement réel...
Le dragon tenta de la rassurer :
— Nàmo veut te voir cet après-midi, c'est à propos d'Emelï justement. Pour l'instant je t'en prie, vide toi la tête. Tu te détruis.
— J'essaye, je t'assure.
Plutôt que de continuer cette conversation qu'ils avaient déjà eu des dizaines de fois, Athkor préféra changer les idées de sa femme dragonnier.
Tout à coup, sans prévenir, il plongea droit vers le sol. Le haut-le-cœur força Aïkida à rouvrir les yeux et à se tenir fermement à la selle, mais elle poussa un cri de bonheur en fixant les arbres qui se rapprochaient à une vitesse folle. Une confiance entière en son dragon, elle détourna la tête et aperçut Luaj et Leeroy à sa droite, qui plongeaient eux-aussi. Les deux bêtes légendaires se mirent à vriller et transpercèrent le ciel de leurs écailles luisantes. Et lorsqu'elles furent suffisamment près du sol pour faire douter les deux jeunes amis, elles déployèrent leurs immenses ailes et rasèrent la cime des arbres en planant gracieusement. Les oiseaux s'envolèrent à leur approche tandis qu'Aïkida riait aux éclats.
Les deux dragonniers poussaient des cris euphoriques, ressentant l'adrénaline dans la moindre partie de leur corps. Noyés de bonheur, ils laissèrent leur problèmes derrières eux.
Car c'est la plus forte propriété des liens entre dragonniers et dragons. Tous les problèmes paraissent minimes face à leur bonheur commun. Ils sont amis, âmes sœurs, unis. Ils ne sont qu'un. Pour toujours.
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