Une brusque chute
Après une dizaine de minutes, les trois loups arrivèrent devant un arbre gigantesque. Plus grand encore que ceux que les jeunes dragonniers avaient vu à l'orée de la forêt. Son tronc devait mesurer au moins une vingtaine de mètres de diamètre tandis qu'il s'élevait bien plus haut que ses semblables.
Les trois elfes mirent pied à terre et Hyamendacil détacha Leeroy pour le prendre sur son épaule. L'elfe avec lequel Aïkida avait fait le trajet lui tendit la main pour l'aider à descendre, mais la jeune fille l'ignora royalement et descendit avec souplesse. Elle l'entendit grincer des dents :
— Tu as de la chance que je ne puisse pas abimer ton joli minois.
La Fille Gelée lui adressa un regard noir avant de reporter son attention à son ami, toujours inconscient.
— Il va falloir grimper, informa Hyamendacil.
Aïkida arqua un sourcil en direction de l'elfe, puis échappa un rire nerveux.
— C'est une plaisanterie ?
Le troisième elfe, celui qui avait tiré sur Leeroy, claqua sèchement de la langue et répondit :
— Non, il faut escalader jusqu'en haut. Les loups passent par le sol, mais c'est une procédure obligatoire. Un garde nous attend en haut et nous irons ensuite voir le Roi.
La jeune fille blêmit en admirant la hauteur à laquelle se trouvait la cime. Les trois loups s'en allèrent silencieusement, longeant le tronc sans se retourner. En plissant les yeux, elle put apercevoir une petite plateforme de bois au sommet, et cela lui donna des vertiges.
Mais, reprenant ses esprits et cachant son trouble, elle planta son regard dans celui d'Hyamendacil et annonça :
— Je peux grimper, mais pas avec Leeroy sur le dos. Il va falloir m'aider.
L'elfe s'avança d'une démarche féline et jeta un coup d'œil à l'elfe avec les cheveux attachés.
— Ohtar, tu porteras le dragonnier.
Le jeune prénommé Ohtar écarquilla les yeux puis fronça les sourcils. Croisant les bras de mécontentement, il répliqua :
— Je ne vois pas en quel honneur.
Devant cette attitude infantile, Aïkida l'observa plus précisément et revint sur sa conclusion hâtive de quelques minutes auparavant. Il devait se situer dans la vingtaine d'années, un visage fin avec une mâchoire musclée tandis que sa peau pâle faisait ressortir ses fins yeux bleus.
Hyamendacil claqua sa langue sèchement et répondit d'une voix autoritaire :
— Cesses de faire l'enfant, tu n'as pas ton mot à dire. Cela te fera un excellent exercice, ça fait longtemps que tu n'as pas travaillé ton équilibre. On se rejoint là-haut.
Sur ces mots qui n'imposaient aucune contradiction, Hyamendacil se mit à courir en direction du tronc d'arbre.
Sous les yeux ébahis de la jeune fille, il sauta souplement pour s'accrocher à l'écorce, deux mètres plus hauts. L'elfe se mit à grimper agilement de prise en prise, et en quelques secondes, la Fille Gelée le perdit de vue derrière les longues feuilles vertes de l'arbre. L'autre elfe l'imita avec tout autant de souplesse et de vivacité.
Aïkida tourna la tête vers Ohtar. Ce dernier grogna de mécontentement en posant vulgairement Leeroy sur son dos.
— Et oh, fais attention ! Ce n'est pas un sac non plus !
L'elfe lui lança un regard dédaigneux et répliqua :
— Ouai bah si tu ne te bouges pas, il va crever donc arrête de râler et grimpe.
Touché.
Sentant la rage monter en elle, Aïkida respira profondément pour se calmer et s'approcha du tronc d'arbre, les poings serrés. Je vais lui montrer de quoi je suis capable. Mais avant de poser la main contre le bois, la voix rassurante de son dragon retentit :
— Utilise ma vision des choses, tu apercevras plus facilement les prises et les failles, sans compter que ta vision sera plus précise.
La jeune fille sourit et le remercia :
— Merci Athkor. Je ne sais pas où ils nous emmènent, si le contact se rompt, je te souhaite bonne chance, fais attention à toi.
— Sois prudente Kida. Reviens nous mariée, et avec Leeroy vivant. J'ai confiance en toi, tu sauras prendre les bonnes décisions.
— Merci Athkor, on se voit plus tard.
Et c'est avec un pincement au cœur qu'Aïkida murmura la formule :
— Mi travidi vin.
Mais l'elfe l'avait entendu, et il demanda en fronçant les sourcils :
— Qu'est-ce que tu viens de dire ?
Aïkida se retourna vers Ohtar, observant au passage le paysage avec plus de précision et de clarté que quelques secondes auparavant.
L'elfe écarquilla les yeux, bouche bée. La jeune fille fronça les sourcils en apercevant son air choqué.
— Quoi ? demanda-t-elle.
Ohtar la pointa du doigt et bafouilla :
— Euh, qu'est-ce qu'ils ont tes yeux ?
Aïkida arqua un sourcil et demanda sèchement :
— Quoi, qu'est-ce qu'ils ont ?
Toujours ébahi, l'elfe répondit :
— Disons qu'ils sont violets et que tes pupilles sont verticales.
La Fille Gelée fronça les sourcils en entendant cela, puis se détendit soudainement. Ce doit être dû à ma vision de dragon ! Elle éclata de rire et demanda en se moquant :
— Alors tu montes sur des loups et tu as peur de mes yeux ?
L'Elfe arqua un sourcil et rétorqua :
— Garde ton venin pour plus tard, serpent.
Toujours en se moquant de lui, la jeune fille se retourna vers l'arbre et commença son ascension en entendant le jeune elfe maudire son nom.
Aïkida fut agréablement surprise de la facilité avec laquelle elle grimpait, effaçant de son esprit son début de chute qu'elle avait effectuée avec Tarek. Se concentrant sur les prises qu'elle prenait au fur et à mesure, elle ne vit pas Ohtar arriver à son niveau, Leeroy sur son épaule.
— À ce rythme-là, ton copain va mourir avant que tu n'atteignes le sommet, ricana-t-il froidement.
Le regard de la jeune fille s'assombrit à cette remarque.
Elle jeta un coup d'œil rapide à l'elfe et constata qu'il se déplaçait avec plus d'agilité qu'elle, et cela ne fit que renforcer sa haine. Elle eut soudainement l'idée de geler l'une des prises du jeune impétueux, puis elle se rappela que Leeroy était sur son dos.
— Je suis déçu. On vente tes talents dans les légendes, partout dans les différents Royaumes, mais à ce que je vois, tu ne vaux pas tant d'attention.
En entendant cette remarque, la jeune fille esquissa un sourire espiègle et jeta un air de défis à Othar. Se souvenant de la vitesse dont elle avait fait preuve face à Tarek, Aïkida sourit et se concentra.
Soudain, le jeune elfe se retrouva seul à son niveau. Surpris, il ralentit l'allure et regarda en bas, en quête de la jeune Ilewite qui avait disparu, s'inquiétant du fait qu'elle soit peut-être tombée.
Tout à coup, une voix mesquine retentit plus haut :
— Alors ? On se fatigue ?
Le jeune blond leva la tête et aperçut avec stupeur, Aïkida, accroupie sur une branche. Elle lui lançait un sourire satisfait et le regardait avec amusement.
Othar sourit sombrement tandis que son regard s'intensifiait. Il murmura :
— Que le jeu commence...
Après s'être assuré que le jeune inanimé était stable sur son dos, il se propulsa sur ses jambes et rattrapa la jeune fille en quelques secondes.
— Alors comme ça tu veux me défier ?
La Fille Gelée lui adressa un rire forcé et lui lança un regard indifférent en répondant :
— Non, je veux juste arriver à temps pour sauver Leeroy. Toi, je m'en fou.
Le sourire disparut aussitôt du visage d'Othar et il répliqua sèchement :
— Tu sais que d'un simple mouvement d'épaule, ton copain ? Alors je ne te conseille pas de faire la maline.
Aïkida jeta un coup d'œil en bas, et fut surprise de constater à quelle hauteur ils se trouvaient. En quelques secondes seulement, ils avaient grimpé une vingtaine de mètres. Elle devait sûrement sa force et sa rapidité à Athkor et remercia ce dernier intérieurement. Mais l'elfe avait raison. Si Leeroy tombait, il mourrait.
La jeune fille fixa le jeune blond avec mépris. Elle constata néanmoins qu'Othar tentait de cacher son trouble face à ses yeux de dragon. Elle échappa un petit rire froid et l'avertit :
— Dommage pour toi, je viens de lier ta vie à la sienne. Si tu le laisse tomber, je te tuerai. S'il succombe au poison, je te tuerai également. À toi de faire en sorte qu'il survive.
Alors que la jeune fille s'apprêtait à reprendre son ascension, elle l'entendit ricaner :
— Serait-ce une menace ? Tu crois que j'ai peur d'une fillette comme toi ?
Aïkida se retourna vers l'elfe. Accroupi sur la branche, il la regardait d'un air supérieur et hautain. La Fille Gelée lui adressa un regard noir et répliqua :
— Je ne te conseille pas d'essayer.
Et sur ces mots glaçants, elle reprit son escalade vertigineuse sous le regard méprisant du jeune elfe.
Quelques minutes plus tard, Aïkida et Othar arrivèrent à la plateforme sur laquelle les attendaient les deux autres elfes, accompagnés d'un troisième, plus costaud. La Fille Gelée murmura la formule et reprit sa vision d'humaine, constatant à quel point il faisait sombre. Même à cette hauteur, la luminosité lunaire n'arrivait pas à percer la canopée et l'obscurité les entourait, seulement repoussée par deux torches accrochées à la plateforme. Elle était essoufflée et épatée par sa propre performance. Jamais elle ne se serait crue capable d'escalader une telle hauteur en si peu de temps. Elle se souvint encore une fois de son excursion sur les toits du château avec Tarek et se demanda comment ce changement de capacité était possible., d'autant plus qu'elle était plus ou moins blessée.
Hyamendacil s'adressa à la jeune fille :
— C'est ta dernière chance de nous dire la vérité. Si tu mens, que tu n'es pas l'Ilewite et que tu te caches derrière un déguisement magique, le lac le révèlera, et toi et ton ami serez exécutés.
— Le lac ?
Aïkida plissa les yeux, cherchant où il voulait en venir avec ce lac. L'elfe répondit :
— C'est le portail vers la Forêt des Elfes.
Arquant un sourcil, la jeune fille demanda, un peu perdue :
— Mais on n'y est pas déjà ?
Entendant un ricanement moqueur derrière elle, la Fille Gelée se retourna et serra les dents en constatant sans surprise que c'était Othar.
— Eh beh, je me demande comment ils ont fait les choix pour déterminer qui serait l'Ilewite. Le niveau devait être assez bas pour avoir pris un truc comme ça, dit-il en pointant Aïkida du menton.
La Fille Gelée fit soudainement un geste sec du poignet, expulsant sa dague jusque dans sa main. Alors qu'elle allait s'avancer vers le jeune elfe pour lui en découdre, une main se posa fermement sur son épaule, la retenant avec force.
— Ça suffit ! Othar, tu fais honte à notre peuple en te comportant ainsi. Nous sommes réputés pour être calmes et sages, tu déshonores notre royaume ! Quant à toi, dit-il en s'adressant à Aïkida, ce n'est pas très malin de menacer un elfe alors que son Roi décidera de votre sort dans peu de temps.
La jeune fille lança un regard noir au jeune elfe, qui lui rendit volontiers, et rangea sa dague à contre cœur.
Le quatrième, le plus musclé de tous, leur fit signe de s'avancer à l'autre bout de la plateforme. Cette dernière était immense et on pouvait largement y tenir une soixantaine de personne.
Une fois réunis à l'autre extrémité, celui qui devait être le gardien, s'avança vers une sorte de levier, et l'actionna avec force. Le bois se mit à trembler sous leurs pieds et Aïkida dut se tenir à une rampe non loin de là pour garder son équilibre, imitée par les autres. Othar quant à lui, déposa Leeroy sur le sol pour faciliter son équilibre et s'accrocha après avoir rapproché le jeune blond de la rambarde.
Devant les yeux ébahis de la Fille Gelée, la plateforme s'était séparée en deux pour s'ouvrir sur un sombre gouffre. La jeune fille comprit immédiatement qu'il s'agissait de l'intérieur de l'arbre en reconnaissant l'écorce sur les parois, malgré l'obscurité.
Les tremblements s'arrêtèrent et tout le monde fixait le trou béant que leur offrait le creux de l'arbre.
— Maintenant, il suffit de plonger, expliqua Hyamendacil.
Aïkida le fixa, les yeux écarquillés, et balbutia :
— Quoi, là-dedans ? Mais il y a quoi au fond ?
L'elfe soupira et ajouta :
— C'est le lac, il faut plonger pour accéder à la forêt.
La jeune fille plissa les yeux, et demanda, méfiante :
— On ne voit rien d'ici, comment être sûre que ce n'est pas un piège ? Après tout, vous avez empoisonné Leeroy.
Ohtar leva les yeux au ciel et répliqua sèchement :
— De toute façon, on ne te demande pas ton avis.
Le jeune elfe attrapa brusquement le bras d'Aïkida sans qu'elle n'ait le temps de réagir.
Les yeux de la jeune fille s'agrandirent de peur et elle tenta de se dégager. Mais le blond était plus fort. Sans aucune compassion, le regard froid, il fixait les yeux tétanisés de la Fille Gelée.
Et ce fut avec indifférence qu'il la poussa dans le vide.
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