Trois paires d'yeux
Cinq heures de voyage s'étaient écoulées quand ils aperçurent au loin, les grands arbres. Trois quarts d'heures plus tard, les dragonniers posèrent pied à terre à l'orée de la Forêt. La nuit était presque totale et l'obscurité les enveloppait. Le paysage noir et blanc, uniquement éclairé par le croissant de lune, rendait l'atmosphère intrigante.
Leeroy et Aïkida se dégourdissaient les jambes tandis que les dragons s'allongeaient au sol, exténués.
— Nous irons probablement chasser demain, nous sommes trop fatigués pour y aller maintenant, informa Athkor.
La jeune fille hocha la tête tandis que Luaj disait la même chose à son dragonnier.
Aïkida avait revêtu sa cape noire et s'emmitouflait dans le tissu pour se réchauffer, l'air frais de la nuit tombante lui procurait des frissons. Leeroy avait lui aussi remit sa cape, mais ne semblait pas pour autant touché par le froid.
La Fille Gelée se posta alors en face de la Forêt et leva la tête pour apprécier la grandeur des arbres. Les troncs étaient immenses, elle n'en avait jamais vu de tels et pensa qu'ils devaient bien mesurer une dizaine de mètres de diamètre. La jeune fille avait mal au cou à force de regarder la cime des arbres qu'elle apercevait difficilement puisqu'elle devait faire une centaine de mètres de hauteur. Les branches étaient très épaisses et aussi grosses qu'un tronc d'arbre « normal ». Les feuilles, elles aussi, étaient immenses, parsemées de petits trous, rongées par les insectes dont Aïkida préféra ne pas imaginer la taille. Elle aperçut même de grandes lianes tomber de la haute cime.
La Fille Gelée se fit la réflexion que cette forêt devait sans doute être magnifique en plein jour, éclairée par le soleil, mais dans l'obscurité, elle inspirait la crainte. Une légère brise faisait flotter les cheveux blancs de la jeune fille et faisait onduler les fines ramures de ses immenses arbres. Les grincements des branches et le bruissement de leurs feuilles rendaient la scène angoissante.
Leeroy rejoignit la jeune fille et se posta à sa droite, observant le noir profond que leur offrait la forêt. D'étranges bruits parvenaient jusqu'à leurs oreilles, des chouettes, des sifflements de serpents, mais également d'autres bruissements qu'Aïkida ne reconnut pas.
Soudain, un hurlement retentit au loin. Un frisson parcourut l'échine de la jeune fille qui s'était crispée, et ses poils se hérissèrent. Les deux dragonniers se tendirent tandis que leurs dragons les informaient :
— Ce sont des loups.
Les deux amis froncèrent les sourcils.
— Ils y en a beaucoup ? demanda la Fille Gelée en fixant toujours l'obscurité des bois.
Athkor ne répondit pas de suite. Puis, quelques secondes plus tard il annonça :
— Ils sont trop nombreux pour les compter. Quelques centaines je dirais.
Aïkida avala difficilement sa salive. Rien que ça...
Ils pouvaient certes se battre contre un loup, voire deux. Mais contre des centaines, Leeroy et elle ne faisaient pas le poids.
— Tu sais comment trouver les elfes ? demanda alors la jeune fille à son ami.
— Non.
Aïkida haussa un sourcil et tourna la tête vers le jeune blond :
— Comment ça « non » ?
Leeroy serra la mâchoire et évita le regard de la Fille Gelée en répondant :
— Non, je ne sais pas comment trouver les elfes.
La jeune fille inspira un grand coup et serra les poings, tentant de ne pas s'énerver :
— Donc, je résume : tout le monde veut qu'on aille voir les elfes, mais personne ne sait comment les trouver ?
Leeroy fixait la forêt sombre et répondit simplement :
— C'est ça.
Aïkida ferma les yeux, de colère ou de désespoir, elle ne savait plus trop.
Réfléchissant à une solution, elle se rendit soudainement compte de quelque chose :
— Attends, vous ne pouvez pas entrer dans la forêt... dit-elle à son dragon en blêmissant.
— Ce qui veut dire que vous devrez vous débrouiller seuls, continua Athkor. Luaj et moi nous vous attendrons ici. Soyez prudents.
Un vent de panique s'éleva dans la poitrine de la Fille Gelée. Mais avant qu'elle ne puisse s'opposer à cette idée, son dragon la prit de court :
— Nous n'avons pas le choix. Rappelle-toi de ta mission Kida : reviens nous, mariée. Il en va de la sécurité de centaines voire de milliers de personnes. Dont ta famille.
La jeune fille avait des vertiges rien qu'en imaginant la responsabilité qui reposait sur ses épaules.
— Tu vas réussir Kida, je crois en toi.
Après avoir respiré un bon coup et remis de l'ordre dans ses idées, Aïkida se tourna de nouveau vers la Forêt des Elfes et ramassa un bout de bois qui trainait non loin d'elle. Après ses entrainements à la magie, la jeune fille avait découvert sa capacité à créer, non seulement du froid, mais également du feu. Se concentrant sur le bout de bois qu'elle tenait fermement dans sa main gauche, elle approcha sa main droite de l'extrémité et l'enflamma en un rien de temps.
Leeroy s'approcha à son tour et fit de même avec un second bout de bois. La lumière chaude qu'apportaient les flammes ne faisait qu'accentuer l'aspect inquiétant de cette forêt alors que la lueur orangée effaçait les étoiles du ciel. Les hurlements de loups retentirent de nouveau dans la nuit.
Les deux dragonniers se retournèrent vers leurs dragons, allongés dans l'herbe fraîche. Ils n'eurent pas besoin de mots et se dirent en revoir, les bêtes légendaires leur souhaitant bonne chance avec un doux grondement. Tant qu'ils restaient dans un secteur pas trop éloigné, ils pourraient communiquer.
Leeroy et Aïkida s'engagèrent alors entre les immenses troncs d'arbres. Quelques pas leur suffirent pour être coupés de toute lumière projetée par la lune, ils n'avançaient plus qu'à l'aide de leurs torches improvisées. Ils étaient entourés d'arbres aux gros troncs, mais également de plus petits arbres, de tailles « normales ». Un sentier de terre se dessinait devant eux et était assez dégagé pour permettre aux deux amis de marcher côte à côte sans être trop serrés.
Le chemin était bordé de buissons de toutes sortes, tantôt à fruits, tantôt à épines. Les deux dragonniers devaient être prudents pour ne pas enflammer les lianes qu'ils dégageaient pour avancer, et devaient également faire attention où ils marchaient, car d'énormes racines sortaient de terre. Aïkida crut tout d'abord qu'elles étaient mortes à la vue de leur vieil aspect.
Les bruits étranges n'avaient pas cessé, au contraire, ils amplifiaient au fur et à mesure que les dragonniers s'enfonçaient dans la Forêt. La jeune fille avait notamment repéré un bruit qui l'inquiétait. Ce n'était pas le plus terrifiant de tous, mais selon la Fille Gelée, il représentait le plus grand danger. En effet, depuis un moment, elle entendait des petits pas légers à plusieurs endroits autour d'eux. Le son n'avait pas évolué et était toujours resté au même niveau sonore, elle en déduisit donc que quelque chose les suivait, et c'est ce qui l'inquiétait le plus. De temps en temps, les bruits de pas stoppaient soudainement, puis recommençaient de plus belle, à une allure de plus en plus rapide pour reprendre ensuite leur rythme habituel.
Leurs sens aux aguets et les muscles tendus, Leeroy et Aïkida regardaient tout autour d'eux, croisant tantôt le regard lumineux d'une chouette, tantôt celui d'un petit rongeur qui fuyait à leur vue. Les deux jeunes amis étaient sans cesse en train de sursauter, confondant les ombres mouvantes du feu avec un quelconque animal.
Soudain, un grognement menaçant retentit tout près des dragonniers.
Ces derniers s'arrêtèrent net, tous leurs sens en éveil. Aïkida et Leeroy se jetèrent un regard entendu et se placèrent dos à dos, de façon à observer tout autour d'eux sans pouvoir être pris par surprise. Les deux amis se mirent à tourner lentement, leur torche devant eux, balayant le paysage obscur avec les flammes.
Le cœur de la jeune fille battait la chamade contre sa poitrine et ses battements retentissaient jusque dans ses oreilles alors qu'une inquiétude oppressait sa poitrine. Aïkida observait attentivement l'obscurité devant elle, en prenant soin de ne bouger que les yeux et de n'effectuer aucun mouvement brusque. Dos au jeune blond, elle pouvait également sentir son cœur battre plus rapidement qu'à la normale, et cela ne la rassura pas.
Les grognements avaient cessé et les sortes de bruits de pas ne se faisaient plus entendre. Sans qu'elle ne sache pourquoi, ce fut ce qui la stressa le plus.
Soudain, un immense serpent jaillit de l'ombre et se dressa devant eux. Les deux dragonniers se mirent immédiatement côtes à côtes. La jeune fille constata avec horreur la longueur du reptile, qui devait mesurer près d'une dizaine de mètres. Il se dressait de façon menaçante sur deux mètres de haut et les fixait avec de grands yeux, jaunes et menaçants. Ses pupilles verticales étaient agressives et malsaines tandis qu'elles observaient leurs cibles. Les écailles du serpent paraissaient tranchantes, dans les tons de vert et marron, exceptés trois colliers jaunes qui entouraient la base de sa tête, aussi grosse que celle d'un humain. Il les fixait en sifflant de façon menaçante, sortant une langue noire et fourchue de ses mâchoires impressionnantes, même fermées.
Tout à coup, le serpent ouvrit la gueule à une vitesse ahurissante, découvrant ses quatre crochets empoisonnés et terrifiants. Leeroy et Aïkida avaient sursautés et reculèrent vivement devant ce terrible affront. Le jeune blond passa un bras devant la jeune fille pour au final se placer devant elle, de façon à la protéger. La Fille Gelée ne supportait pas d'être considérée comme une enfant sans défense, mais préféra ne rien dire. Ce n'était pas le moment de se disputer et encore moins de le bousculer pour se placer à son niveau. Range ta fierté de côté.
Cherchant plutôt comment aider de par sa position arrière, Aïkida leva la tête et scruta les branches les plus basses. Si elle se dépêchait, elle pourrait grimper à cet arbre et bondir de cette branche pour arriver directement sur le serpent. Il ne lui resterait plus qu'à couper la tête du reptile.
Elle sentit Leeroy s'agiter devant et comprit que le combat était engagé. Reportant son attention sur son ami, elle le vit jongler entre son épée et sa torche pour esquiver et attaquer l'énorme reptile. La jeune fille analysa la situation et en arriva à la conclusion qu'elle ne pouvait pas intervenir de là où elle était. Elle mit alors son plan en action. Aïkida se précipita avec une vitesse surnaturelle vers l'arbre qu'elle avait repéré quelques minutes plus tôt.
Dans sa courte course, elle eut le temps de scruter l'épaisse écorce de l'arbre et elle sut exactement où se trouvaient les prises idéales à son escalade. Sans perdre de temps, la Fille Gelée se jeta sur l'arbre et commença son ascension, quasiment à une main, ne pouvant compter que sur deux de ses doigts gauches, les autres tenant la torche.
En quelques secondes, elle se trouva accroupie sur la branche la plus basse, juste au-dessus du monstrueux serpent. Sans une seule hésitation, elle sauta souplement et atterrit sur ses pieds, à moins d'un mètre du corps du reptile. D'un geste brusque, elle planta alors sa torche dans sa chair. Il poussa un cri terrifiant, se retournant en une fraction de seconde vers la jeune fille. Une fumée s'échappa aussitôt des écailles brulées, accompagnée d'un craquement étouffé.
Aïkida n'eut pas le temps de se relever qu'elle vit l'immense queue du serpent s'approcher d'elle à une vitesse irréelle. Ses pupilles se rétractèrent tandis que ses jambes refusaient d'obéir. L'animal frappa violemment la jeune fille et l'envoya s'écraser contre un tronc d'arbre.
— Aïkida !
La Fille Gelée entendit son ami crier son nom avec désespoir. Sonnée, elle mit quelques secondes à rouvrir les yeux et à se redresser sur ses coudes. Sa tête avait cogné la solide écorce de l'arbre et elle sentit son dos la brûler vivement. Mais alors que sa vision redevenait peu à peu nette, ce qu'elle vit lui glaça le sang.
Derrière Leeroy et le serpent, se tenaient trois paires d'yeux bleus luisants.
Dans le combat du jeune homme, la torche éclaira faiblement leur direction et Aïkida constata avec terreur que trois énormes loups se tenaient derrière le jeune blond. La jeune fille se figea devant ce spectacle. Les pas, c'étaient eux. Des loups. Cependant, il lui sembla distinguer trois autres formes près de ces derniers.
Tapies dans le noir, Aïkida ne pouvait pas voir de quoi il s'agissait. Mais alors qu'elle allait crier à Leeroy d'abandonner le serpent et de courir, un geste rapide attira une nouvelle fois son attention du côté des loups.
Un objet de bois était entré dans le champ éclairé par la torche, et la Fille Gelée se figea avec horreur en constatant qu'il s'agissait d'un arc. Elle distingua l'arme se diriger vers son ami. Le bout de la flèche était minutieux et effrayant tant il était dangereux. Un reflet de lumière éclaira la pointe mortelle de la flèche.
Leeroy était trop occupé avec le reptile pour s'en rendre compte. Ce dernier se dressait devant le jeune blond, gueule ouverte, les yeux menaçants. Le dragonnier empoigna alors fermement son épée à une main, se préparant à lui donner le coup fatal.
À ce même moment, Aïkida aperçut avec effroi une main tendre la corde de l'arc, attendant le moment précis pour relâcher la flèche.
Les pupilles d'Aïkida se rétractèrent quasiment entièrement sous l'effet de la peur. La panique l'étouffait. Elle n'aurait pas le temps de réagir. Le jeune blond entamait son violent mouvement en quête de tuer le serpent.
Commençant la courbe de son épée, s'apprêtant à éliminer le reptile, il entendit soudainement Aïkida lui hurler :
— Non ! Leeroy !
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