Service et promesse
Aïkida le fixait, les yeux ronds.
Reprenant ses esprits et se redonnant contenance, elle demanda froidement :
— Qu'est-ce que tu veux ? Je t'ai déjà donné mon bracelet, je ne peux rien faire de plus pour t'aider. Désolée.
Le regard argenté se fit plus sévère alors qu'il se rapprochait de la Fille Gelée, menaçant.
— Je ne veux pas de tes excuses. Si tu ne m'aide pas, je vais sombrer p'tite gelée. Et les conséquences seront bien plus graves que tu ne peux les imaginer.
Aïkida fronça les sourcils et haussa le ton :
— Tarek, j'ai beau être puissante, je ne peux pas te donner plus de magie. Tes menaces ne me font pas peur et tu ferais mieux d'économiser tes forces pour demain.
Le jeune brun afficha un sourire sombre et répliqua froidement, la regardant droit dans les yeux :
— Je ne veux pas de ta magie maintenant. Garde la pour demain, pendant les combats.
La fille Ar-Feiniel arqua un sourcil, surprise.
— Je ne suis pas censée utiliser de magie demain. C'est bien trop dangereux.
Tarek échappa un petit rire et se recula pour s'appuyer contre le mur en face de la jeune fille.
— Ne me fait pas croire que tu ne comptais pas l'utiliser.
Elle plissa les yeux, et répondit, suspicieuse :
— Ton comportement, tes yeux, tes secrets, tout porte à croire que tu es du mauvais côté. Tu me demandes d'utiliser la magie alors que cela détruirait le monde et tu as les yeux argentés.
Le visage du dragonnier se tendit. Aïkida continua et demanda froidement :
— Pourquoi as-tu les yeux de l'obscurité Tarek ? Il n'y a pourtant aucune magie noire ici.
Le jeune brun serra la mâchoire puis répondit, distant :
— Il y a de la magie noire partout p'tite gelée. Seulement, tu es trop pure pour la sentir, ricana-t-il. J'ai les yeux d'argent depuis que je suis un dragonnier. Depuis ce jour, je ressens la magie noire. Elle m'attire. Chaque fois que j'utilise mes pouvoirs, je dois lutter pour ne pas être tenté de la suivre. J'ai cherché dans des centaines de manuscrits, mais rien ne semble expliquer cette malédiction.
Fixant la Fille Gelée avec intensité, il poursuivit :
— Chaque jour, je la sens plus forte. Elle atteindra bientôt son point culminant, mais c'est demain que tout va se jouer. Tout porte à croire que j'ai de la magie noire en moi. Si je sombre, elle sera libérée, et je crains d'être puissant. Tu l'es aussi, c'est indéniable, mais l'obscurité l'est encore plus. J'ai peur de ce que je pourrais faire.
Il expliquait cela avec une telle froideur qu'Aïkida avait du mal à le croire. Il était d'autant plus difficile de le regarder en face parce qu'elle ne faisait que fixer son propre reflet dans les iris de Tarek.
— Je suis venu te demander un service p'tite gelée.
Ses yeux, symboles de magie noire, fixaient la jeune fille, laissant la phrase en suspens. Aïkida le regardait, le visage grave, attendant qu'il continue.
— Mets tout en œuvre pour que je ne sombre pas, mais sans utiliser directement ta magie. Débrouille-toi pour que je résiste, mais n'utilise pas tes pouvoirs. Pas tout de suite. Ton simple contact semble calmer mes envies meurtrières. Et si par malheur je sombre, je te demanderai une chose, une seule.
S'arrêtant de nouveau pour regarder l'air grave de la jeune Ilewite, il prit une grande inspiration.
— Aïkida, si je sombre, tue-moi. Ne cherche pas à me ramener du bon côté, les conséquences seraient trop insupportables. Tue-moi, n'aies aucune pitié et n'aies pas confiance en moi. Ne me ramène pas. Je ne veux pas.
La jeune femme dragonnier fixait le jeune homme, incrédule.
Elle était incapable de lire quelconque émotion dans ses yeux argentés, mais avait compris au ton grave qu'il avait employé, que le dragonnier ne plaisantait pas.
— Pourquoi moi ? demanda-t-elle simplement.
Le regard du jeune homme s'obscurcit plus encore alors qu'il expliquait :
— Je ne veux pas infliger ça à Leeroy.
Aïkida hocha la tête, puis, affichant un sourire cynique, elle répondit :
— Ne t'inquiète pas, je n'ai jamais eu de pitié pour toi, et ce n'est pas maintenant que je vais en avoir. Si tu dois mourir demain, ça sera par ma main. Je ne laisserai personne d'autre te torturer à ma place.
Ses paroles froides n'atteignaient pourtant pas ses yeux. Elle avait dû se contrôler pour paraître naturelle et que sa voix ne tremble pas, alors que son cœur s'était serré avec violence.
Le jeune homme échappa un petit rire nerveux, et répondit :
— Je préfèrerais autant que tu trouves un moyen pour que je ne sombre pas.
Aïkida avait rejoint Leeroy, la boule au ventre, et l'aidait à rassembler les femmes et les quelques enfants ayant eu le droit de vivre ici. Ces derniers ne comprenaient pas ce qu'il se passait et étaient heureux. Chantant, courant, jouant, ils étaient inconscients du malheur qui pesaient au-dessus de la Vallée.
Leeroy canalisait facilement les enfants en les faisant rire et n'avait pas de difficultés pour se faire obéir. Il passait régulièrement sa main dans ses cheveux clairs, et souriait de ses dents blanches aux femmes de ménages qui tentaient de paraître sereines. En réalité, elles étaient effrayées.
Le lendemain, la Vallée des dragonniers ne serait peut-être plus qu'une légende, plus qu'un lointain souvenir.
— Tu penses à quoi ? demanda le jeune blond à Aïkida en rassemblant les affaires d'une vieille femme dans un sac de toile.
— Nous n'avons aucune chance.
Leeroy stoppa net ses gestes avant d'arquer un sourcil en direction de son amie.
— Nous ne pourrons pas gagner, répéta-t-elle.
Le jeune dragonnier lâcha le sac et attrapa le bras d'Aïkida pour l'emmener quelques mètres plus loin, éloignés des oreilles indiscrètes.
— Pourquoi tu dis ça ici ? Tu veux les décourager ou quoi ? demanda-t-il d'un air sévère en désignant les familles du menton.
— Leeroy, les forces des soldats noirs sont plus nombreuses, tu es puissant mais tu seras le seul ou presque à utiliser ta magie contre le Masque Noir. Nous ne tiendrons pas longtemps.
Le jeune homme soupira et lâcha la Fille Gelée. Passant sa main dans ses cheveux, nerveux, il répondit :
— Aïkida, si tu pars au combat avec la conviction que nous allons perdre, tu te feras tuer. N'oublie pas que tu te bats non seulement pour la cause, mais surtout pour ta famille. Tu n'as pas le droit de baisser les bras.
Le regard vide, la jeune fille répondit d'une voix sans aucune émotion :
— Je rentrais juste de chez Suron.
Leeroy arqua un sourcil.
— Je rentrais juste de chez Suron quand Mad est parti au galop. Je voulais juste couper par la forêt pour ne pas faire de détour. Aujourd'hui, j'ai gagné une relation fusionnelle avec Athkor, j'ai appris des choses incroyables, j'ai rencontrés des gens formidables, comme d'autres qui veulent ma mort. J'ai découvert la magie. Mais à quel prix Leeroy ? Aujourd'hui, un fou veut ma puissance magique pour régner sur le monde, ma famille a été enlevée et va peut-être mourir, une guerre est sur le point d'éclater et des centaines voire des milliers de gens vont être tués.
Le jeune blond regardait la Fille Gelée avec compassion, et douleur.
— Je rentrais simplement de mon cours de défense, Leeroy... J'apprenais juste à me défendre, et demain je vais tuer des hommes. J'apprenais comment combattre, et demain je fais la guerre. Je voulais mieux connaître les activités de mon père, et me voilà sur ses pas. J'ai fait une promesse Leeroy. Rien ne devait arriver à Emelï et Elea. J'ai failli à ma tâche. Si demain elles sont tuées, je ne m'en remettrai pas. Mon père était le protecteur de la famille. Quand il est arrivé, le teint pâle, il nous assurait que tout allait bien, qu'il était simplement fatigué. Ce soir-là, sans qu'on s'en rende compte immédiatement, il nous couvait du regard, nous disait qu'il nous aimait.
Une larme roula sur la joue blanche d'Aïkida tandis qu'elle continuait, la gorge nouée :
— Sur son lit de mort, il m'a fait promettre de prendre soin d'Emelï et Elea. Je n'ai pas su les protéger comme il me l'a demandé.
Elle se tût pour respirer un grand coup.
Leeroy aurait peut-être dû la prendre dans ses bras, il aurait peut-être dû la réconforter, il aurait peut-être dû la rassurer ou lui dire qu'il était désolé. Mais il restait là, à fixer cette jeune fille de bientôt dix-huit ans, bien plus mature que son âge, battante et courageuse. Il l'observait, non pas avec de la pitié comme n'importe qui l'aurait fait, non. Il l'observait avec admiration, mais également avec une lueur différente. Une lueur que la Fille Gelée comprendrait peut-être plus tard.
Le cor d'ivoire de Tarek résonnait dans toute la Vallée, et chaque minute, les deux jeunes dragonniers apercevaient de nouvelles têtes. Les combattants qui avaient choisi de vivre cachés de tous, arrivaient groupes par groupes, armés jusqu'aux dents, le regard froid et déterminé.
Essuyant ses yeux humides, Aïkida soupira, se redonna contenance, et demanda à Leeroy :
— Pourquoi vous ne vivez pas comme eux ? Isolés pour être plus performants ?
Le jeune blond sourit à son amie et lui expliqua :
— Avec Tarek, nous avons vécu dans les Montagnes pendant quatre ans. Puis, nous avons décidé de tenter notre chance pour être dragonniers, et nous avons réussi. Depuis ce jour, Nàmo nous a convié à rester au château car il avait régulièrement besoin de nous. Mais nous y avons vécu ne t'inquiète pas, comme la plupart des Combattants. Même si nous n'y restons pas obligatoirement jusqu'à la fin, c'est presque un passage indispensable pour améliorer nos performances.
Il sourit à la jeune fille avant de lui donner un coup de coude amicale dans les côtes :
— Mais toi tu n'as pas eu besoin de ça pour nous terrasser.
Aïkida rit, gênée, avant de demander :
— D'ailleurs, comment se fait-il que j'aie failli battre Tarek à plusieurs reprises ? Vous vous entraînez depuis votre naissance quasiment, alors que moi, cela ne fait que quelques années. Ce n'est pas très logique.
Leeroy adressa un regard protecteur à son amie alors qu'il recommençait à rassembler les affaires des dames. Il lui répondit d'une voix calme :
— N'oublie pas que tu es la première femme dragonnier. C'est dans ton sang depuis toujours, même si cela ne s'est révélé qu'il y a peu. Tu apprends plus vite que la majorité d'entre nous, et tes facultés magiques augmentent tes reflexes sans que tu ne t'en rendes compte. Le tout cumulé avec ton excellent apprentissage grâce à Suron, te voilà Combattante digne de ce nom.
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