Marée humaine
Aïkida sourit à son ami tandis que le cor de Tarek retentissait une nouvelle fois. Les deux dragonniers finirent d'assembler les dernières affaires dans de grands sacs. Regardant autour d'eux pour vérifier qu'ils n'aient rien oublié, Leeroy et la Fille Gelée prirent les grandes sacoches de tissus sur leur dos et se dirigèrent vers l'un des passages secrets où seraient cachées les familles.
Aucun des deux ne parlaient, chacun perdu dans de sombres pensées. Traversant les nombreux couloirs qui les séparaient de leur destination, ils observaient tout le monde s'activer. Les familles se retrouvaient et se rassuraient, les combattants se rassemblaient dans la Vallée, l'air grave, tandis que certains d'entre eux couraient dans tous les sens pour accomplir la mission qui leur avait été confiée.
Leeroy s'arrêta ensuite devant une immense tapisserie qui recouvrait une grande partie du mur de pierre. Elle représentait de nombreux dragons, survolant la vallée. Sur six d'entre eux se tenaient des hommes, les cheveux au vent et le sourire aux lèvres.
— Qui étaient-ce ? demanda la Fille Gelée.
Leeroy soupira en regardant cette tapisserie, puis répondit :
— C'étaient les six dragonniers de la Vallée. Il y a un peu plus de trente ans qu'ils sont morts en combattant le plus grand danger de l'époque avant l'arrivée du Masque Noir : la Couleuvre.
Aïkida arqua un sourcil mais laissa son ami continuer ses explications.
— La Couleuvre était aussi redoutable que le Masque Noir. Elle faisait régner la terreur sur la Vallée, mais son emprise était telle que même ton Royaume commençait à se douter de quelque chose. Les six dragonniers avaient décidé de lancer un plan d'attaque contre la Couleuvre. Ils ont réussi à la tuer mais ont perdu leur vie peut après, tués par ses sbires. Le seul survivant est Nàmo. Depuis ce jour-là jusqu'à notre arrivée avec Tarek, il n'y avait plus qu'un seul dragonnier pour protéger la Vallée. Le Masque Noir a cru pouvoir en profiter, mais Nàmo est très intelligent et a su déjouer toutes ses attaques, si futiles qu'elles furent.
Leeroy inspira un grand coup avant de continuer sombrement :
— Mais maintenant c'est différent. Le Masque Noir va mettre tous ses soldats en route pour les combats. Je pense qu'après celle de la Couleuvre, ce sera l'une des batailles les plus destructrices de l'histoire de la Vallée. Mais nous n'avons pas le choix.
Le jeune blond fixa la tapisserie avec un immense respect envers les six dragonniers, et continua :
— Aujourd'hui, nous sommes plus forts, déclara-t-il d'un ton déterminé en se tournant vers son amie. Les soldats noirs ne sont pas humains. Ils ne réfléchissent pas par eux-mêmes. Ils ne font qu'obéir aux ordres, et ne savent pas vraiment se battre. Ce sont des bêtes à qui on a donné une épée sans leur dire comment la tenir. Ils ne sont pas tactiques et vont se jeter dans le tas pour sauter sur tout le monde en espérant arracher des têtes ou des âmes. Ils sont monstrueux Aïkida, laids et effrayants. Mais tu ne dois pas avoir peur d'eux. Ils ne raisonnent pas.
Sur ce discours quelque peu stressant, Leeroy souleva la tapisserie et posa sa main sur l'une des pierres qui composaient le mur. Le jeune blond prononça alors une formule dans une langue inconnue à la jeune fille et sa main se mit à scintiller légèrement. Il ferma ensuite les yeux pour prononcer une autre formule qu'Aïkida ne comprit toujours pas, et cette fois-ci, ce fut une dizaine de pierre qui se mit à scintiller.
Au bout de quelques secondes, ces mêmes pierres se volatilisèrent soudainement. Les yeux écarquillés de la Fille Gelée firent rire le jeune homme et ils s'engouffrèrent finalement dans le passage secret, les nombreux sacs sur le dos.
Le fin couloir les mena vers une immense salle circulaire où se trouvaient déjà des dizaines d'effets. Les deux dragonniers posèrent alors les sacs de tissus au sol et inspectèrent la gigantesque salle secrète. Une vingtaine de torches étaient accrochées au mur tandis que d'autres étaient posées au sol, éteintes. Des sacs de provisions avaient également été déposés au cas où la situation deviendrait critique.
— Comment se fait-il que des sacs soient déjà là alors que tu es le seul à maîtriser la magie pour entrer ici ? Tarek est occupé à rassembler tout le monde et ça m'étonnerait que Nàmo soit venu porter des affaires ici.
Le jeune blond sourit face aux remarques de son amie et répondit :
— Nous sommes rentrés grâce à la magie, mais ce même passage peut également s'ouvrir avec une manipulation des pierres et de la tapisserie. Un bon nombre de Combattants sait comment entrer ici.
La nuit était tombée et Aïkida n'avait jamais vu la Vallée aussi animée. Elle se tenait devant les portes du château et observait les collines qui s'étendaient devant elle, et les yeux écarquillés, elle constata que presque chaque brin d'herbe était écrasé par un pied de combattant. Comment est-ce possible ?
Devant elle, se tenaient des milliers de Combattants. La Fille Gelée n'arrivait pas à comprendre comment autant de personnes pouvaient rester vivre dans les montagnes sans que personne ne les remarque, et surtout, comment avaient-ils fait pour arriver si rapidement jusqu'ici. Elle s'aperçut qu'ils étaient quasiment tous armés et portaient presque tous une armure. Aïkida constata également qu'ils portaient une petite sacoche, et supposa qu'elle servait à porter leur repas du lendemain matin.
Avant les combats.
Son estomac se noua. Elle prenait peu à peu conscience, devant ces milliers de Combattants surgis de nulle part, qu'elle n'était pas au cœur d'une histoire qu'on racontait aux enfants. Non, elle était dans l'Histoire. La jeune fille se tenait devant l'armée de combattants, la boule au ventre. Elle se tenait devant le lendemain ; elle se tenait devant la mort.
La jeune fille ne voyait aucun dragon à l'horizon, mais ne s'en inquiéta pas. Athkor l'avait prévenue qu'ils se rassemblaient dans les montagnes pour laisser la place aux Combattants. De ce fait, lui, Luaj et Brusanth seraient en position de décollage pour les combats.
La gorge de la Fille gelée se serra tandis que le stress montait petit à petit. S'il arrivait quelque chose à Athkor, elle ne s'en remettrait pas. Pour un dragonnier, l'idée de perdre son dragon était inimaginable et insupportable.
Alea jacta est. Le sort en est jeté. Ils ne pouvaient plus reculer.
Plus maintenant.
— Impressionnant n'est-ce pas ?
Aïkida sursauta. Elle était tellement perdue dans ses pensées qu'elle n'avait pas entendu Alex arriver.
Le jeune homme arriva à sa hauteur, les mains dans le dos. Son regard était lui aussi perdu dans cette immense marée humaine tandis qu'un air grave durcissait ses traits.
— J'ai déjà combattu dans de petites batailles, mais même en comprenant le nombre de soldats noirs, je n'ai jamais vu une aussi grande armée.
La Fille Gelée se tourna vers son ami pour observer son visage tendu.
Ses cheveux bicolores étaient en batailles tandis que la partie blonde reflétait la lueur de la torche accrochée derrière eux et que la partie brune se confondait dans l'obscurité nocturne. Ses yeux vairons fixaient les Combattants désormais assis dans l'herbe. Sa mâchoire était serrée et la jeune fille remarqua que son ami avait légèrement laissé pousser sa barbe. Elle fut surprise de constater qu'elle aussi, était dépareillée. Une partie blonde, et une partie brune. Cela donnait une touche encore plus étrange au visage du jeune homme, et Aïkida se surprit à penser que cela lui ajoutait un certain charisme.
Alex se tourna à son tour vers son amie et lui adressa un sourire confiant en déclarant :
— Aïkida, je suis venu te dire que tu peux compter sur tes amis.
Cette dernière arqua un sourcil, ne comprenant pas où il voulait en venir. Le jeune homme prit alors un air sérieux et ajouta :
— Demain pendant les combats tu peux compter sur nous. Jayse, Ponghu, Luuis, Soan et moi on ne restera pas loin de toi. On a pris la décision de t'aider dans tout ce que tu entreprendras ; on sait qu'à un moment donné, tu vas prendre une décision seule et que tu vas sûrement désobéir. Ou alors c'est que tu seras déjà tuée, mais ça j'en doute, ajouta-t-il en lui lançant un clin d'œil.
La Fille Gelée rit nerveusement à cette remarque et Alex continua :
— Tout ce que je voulais te dire c'est que, quoi que tu fasses, on sera de ton côté. On t'aidera, surtout si c'est pour désobéir !
Les deux amis se mirent à rire.
— Merci Alex.
Ce dernier lui sourit tendrement en posant une main réconfortante sur son épaule.
Aïkida ne voulait pour rien au monde mettre ses amis en danger. Mais elle savait pertinemment qu'elle n'était pas une héroïne de légende. Elle n'y arriverait pas seule. La jeune fille savait que de toute manière, qu'elle le veuille ou non, ses amis l'aideraient, et elle n'aurait pas la force de refuser leur soutien. La Fille Gelée ne voulait pas perdre ses amis, ni les mettre en danger. Mais agir seule serait de la folie et cela pourrait conduire à un échec, et donc une catastrophe.
Elle n'était pas une héroïne qui refusait l'aide de ses amis en pensant arriver à battre le grand méchant seule comme elle avait pu le penser quelques jours plus tôt. C'était peut-être une anti-héroïne, mais elle savait qu'en agissant ainsi, elle mettrait plus de chance de leur côté pour vaincre le Masque Noir.
Aïkida était reconnaissante à Alex de l'avoir comprise, et d'avoir malgré tout proposé son aide.
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