Les yeux de miroir
Aïkida se réveilla avec une vive douleur à la tête. La pièce était sombre, et seule une faible lanterne éclairait l'endroit. Devant elle, se trouvait une cheminée éteinte, ainsi qu'un immense fauteuil de velours noir tandis qu'une sorte de brume rasait le sol. De sombres nuages, signe de mauvais présage.
La jeune fille essaya de bouger mais ne réussit pas. Elle était fermement ligotée à un poteau se situant dans son dos, et était également bâillonnée. Elle commença à s'agiter, nerveuse. Où sont les autres ? Mais elle entendit alors du mouvement à sa droite, puis à sa gauche.
— Athkor !?
Pas de réponse.
— Athkor ! Réponds-moi !
Toujours rien. La jeune fille soupira, paniquée. Elle se sentait vide. Elle ne ressentait plus la présence de son dragon.
Ne pouvant pas tourner la tête, Aïkida essaya de regarder du coin de l'œil, et reconnut Tarek à sa droite, puis Leeroy à sa gauche, tous deux dans le même état qu'elle. Ils se sentaient mal car le contact avec leur dragon avait été coupé, et ils ressentaient tous un profond vide dans leur cœur. Les cordes qui leur servaient de liens étaient si serrées qu'elles leur brûlaient la peau à vif, leur empêchant tout mouvement. Le jeune brun, lui, semblait encore plus souffrant. Il laissait sa tête pendante, les yeux mi-clos, comme s'il était épuisé.
Soudain, un bruit sourd retentit derrière eux. Une porte s'ouvrait. Des pas lents et calculés retentirent dans la pièce, brisant le silence pesant de cette ambiance glaciale. Un bruit de cliquetis s'ensuivit, et le trio en conclut que la personne venait de refermer la porte à double tour. La pièce étant quasiment vide, l'écho régnait sur le silence brisé et rendait l'atmosphère plus inquiétante encore.
Tout à coup, une longue silhouette apparut dans leur champ de vision. Grande et mince, vague et à la fois nette, ce fut une impression étrange qu'elle laissa aux trois prisonniers. Elle s'avança lentement vers la cheminée, remuant la brume qui longeait les dalles noires et froides, puis fit un mouvement brusque de la main. Un immense feu jaillit de la cheminée.
La longue silhouette leur fit alors face. Un homme grand et mince, vêtu d'un long manteau noir. Ses cheveux couleur geai étaient impeccablement peignés vers l'arrière tandis que dans sa main, gisait une clé. Mais ce qui attira l'attention du trio et qui leur provoqua un frisson d'horreur n'était autre que le masque. Noir aux reflets argentés, il recouvrait l'intégralité du visage de l'homme, excepté ses yeux. Il était grossier et paraissait métallique, ce qui donnait un air dur à l'homme. L'expression du masque n'était que froideur et indifférence. Mais le plus intriguant encore, étaient les yeux apparents. Ils étaient petits et fourbes, mais surtout... Les iris étaient argentés. Ses yeux n'étaient autre que de petits miroirs dépourvus de pupilles où le trio put s'observer, ligoté et agenouillé.
L'homme s'approcha d'eux et son masque changea d'expression pour afficher un sourire diabolique.
— Je ne pensais pas que vous seriez si facile à capturer, surtout toi Aïkida, dit-il d'un ton doucereux.
Au son de sa voix, la jeune fille ne l'estima pas plus âgé que la quarantaine et en fût d'ailleurs étonnée.
— Je vous fais honneur de ma présence, chers dragonniers, car devant vous, se tient le Masque Noir.
Aïkida écarquilla les yeux et se figea d'horreur. Certes, elle y avait pensé en voyant le masque, mais de là à ce que ce soit vrai... La jeune fille commença à paniquer, elle s'était précipitée dans la gueule du loup en insistant pour les accompagner. Par sa faute, une catastrophe allait se produire. L'angoisse fit remonter une bile amère dans le fond de sa gorge.
Le Masque Noir fit un nouveau geste rotatif du poignet, et les poteaux auquel étaient attachés les dragonniers se déplacèrent de façon à ce que les trois amis puissent se voir. Le souverain du Royaume Noir se plaça alors au centre du triangle formé, et se tourna vers Tarek.
Il s'accroupit et lui souleva doucement le menton pour qu'ils puissent se regarder dans les yeux. Dans ceux du jeune brun, brûlait une rage incontrôlée, et son regard était si menaçant qu'Aïkida en eut des frissons.
Ses traits étaient tendus comme jamais et la jeune fille remarqua que les muscles du jeune brun étaient bandés à bloc, prêt à sauter sur sa proie dès qu'il en aurait l'occasion.
— Je suis heureux de te revoir Tarek. La dernière fois que je t'ai vu, tu n'avais que six ans Si petit, si effrayé devant le cadavre ensanglanté de la putain qui te servait de mère... déclara le Masque Noir d'une voix cruelle. Ce n'était qu'une victime parmi tant d'autres, je me demande encore comment j'ai pu me souvenir d'elle.
Le jeune brun eut l'impression d'imploser. Il tira soudainement sur le poteau, voulant arracher le cœur de ce monstre, mais les liens furent plus forts et lui brûlèrent la peau. Quant à Leeroy et Aïkida, ils les regardaient, les yeux écarquillés, incrédules.
Le Masque Noir se mit à rire devant les efforts vains du jeune homme pour se dégager, et ajouta d'une voix dangereuse :
— Tu te souviens comme elle hurlait entre mes mains ? Me suppliant d'arrêter et de t'épargner. Tu te souviens comme je l'ai égorgée comme un vulgaire animal ? C'était la seule chose que ta mère méritait. Il me fallait retirer cette épine qui m'empêchait d'avancer. Je l'ai tuée de sang-froid, sans aucun regret. J'étais libre.
Il s'esclaffa d'un rire diabolique qui glaça d'effroi les trois dragonniers.
Tarek n'en pouvait plus, il n'avait qu'un seul objectif, qu'une seule volonté : tuer ce monstre. Tuer cet assassin. Il voulait faire taire cette voix démoniaque qui avait détruit sa vie. Son dos et ses yeux le brûlaient intensément, ne lui laissant aucun répit. Il avait l'impression que ses veines étaient remplies d'acide et qu'il allait se décomposer dans la minute. La douleur rongeait son corps telle une vague destructrice.
Elle rongeait son âme.
— Combien de temps vas-tu encore résister Tarek ? continua le Masque Noir. Tu ne peux pas renier tes origines. C'est dans tes gênes, tu le sais, comme tu sais qu'un jour tu vas craquer et que la prophétie va s'accomplir. Elle est déjà en cours, tout dépend de l'Ilewite, ou plutôt, de moi. Car elle n'aura pas le choix, elle me donnera sa magie. Tu ne résisteras pas longtemps, la magie noire fait partie de toi Tarek, tu n'as pas le choix. Nous savons tous les deux qui vous êtes, toi et ton dragon. Si tu continues à résister, nous savons tous les deux ce qu'il va se passer. Si tu viens à moi, tu peux être plus fort, tu peux détourner la prophétie, il en est encore temps.
Tarek ferma les yeux, il souffrait. Il avait envie d'utiliser la magie pour réduire en miettes le monstre qui lui faisait face. Mais il savait qu'il ne pouvait pas, sinon il basculerait. L'appel était trop fort.
Aïkida et Leeroy regardaient la scène, effarés, ne comprenant pas de quoi ils parlaient. Ils se connaissent... C'est le Masque Noir qui a tué sa mère, déduisit alors la jeune fille avec terreur. Le jeune blond quant à lui, essayait d'utiliser sa magie, mais ses liens devenaient rouges et lui brûlaient la peau dans un bruit étouffé, laissant une petite fumée remonter jusqu'à leurs narines. Le Masque Noir se tourna vers lui et son masque devint plus cruel :
— Les seuls à pouvoir utiliser la magie ici sont Tarek et Aïkida. Sinon tu te brûleras. Sachant que Tarek ne peut pas l'utiliser sans risquer de me rejoindre dans l'ombre et qu'Aïkida ne peut pas risquer de l'utiliser sur un coup de tête sans que ses pouvoirs ne soient absorbés, vous êtes à ma merci.
Suite à cette sombre déclaration, le Masque Noir éclata d'un rire sombre et diabolique. Mais il s'arrêta brusquement, reprenant son masque froid. Ses yeux miroitants se tournèrent alors vers la Fille Gelée, qui soutint son regard.
— Un semblant de résistance, j'aime ça, murmura l'homme masqué.
Il se redressa ensuite pour se placer en face de la jeune fille et la surplomber de toute sa hauteur.
— Maintenant jeune Ilewite, je t'expose le programme. Premièrement, je vais te demander d'utiliser toute ta magie pour que je puisse la récupérer. Deuxièmement, si tu refuses, je vais te torturer avec du matériel réel. Troisièmement, si tu tiens le coup et que tu refuses toujours, je vais continuer de te torturer mais cette fois, avec les grands moyens, c'est-à-dire, la Magie Noire. Mais si tu veux mon avis, tu ne tiendras pas jusqu'à la troisième étape.
Les trois dragonniers écarquillèrent les yeux devant tant de monstruosité.
— Et bien évidemment, pour torturer tes amis par la même occasion, je vais faire tout ça ici même, devant leurs yeux, ajouta le Monstre.
Leeroy tira sur ses liens de toutes ses forces et essaya une nouvelle fois d'utiliser la magie, mais fut brûlé et écorché, contraint de s'arrêter alors que le sang coulait le long de ses doigts. Le Masque Noir fit un nouveau geste du poignet et les poteaux se déplacèrent une seconde fois, positionnant Aïkida dos à la cheminée, face aux deux dragonniers qui étaient maintenant côtes à côtes.
— Commençons, Aïkida. Utilise ta magie, essaye de me tuer par exemple.
Il ne se passa rien. Ce n'était pourtant pas l'envie qui manquait à la jeune fille.
Le Masque Noir afficha un rictus perfide et s'approcha de sa proie pour lui retirer son bâillon.
— Croyez bien que si je pouvais, je vous tuerais sur le champ, cracha-t-elle.
— Voyons jeune Ilewite, sois raisonnable. Je ne te veux pas de mal, juste ta magie.
Aïkida le défia du regard et demanda d'un ton sec :
— Et qu'est-ce que j'y gagne ?
Le Masque Noir s'approcha au plus près de la jeune fille, la déstabilisant grâce à ses yeux de miroir :
— Tu y gagnes la vie sauve et le pouvoir. Tu y gagnes une place à mes côtés.
Aïkida jeta un regard noir au Maître et lui lança d'un ton dangereusement joueur :
— Ta ta ta... Mauvaise réponse.
Les deux dragonniers se figèrent face à cette terrible provocation.
Le masque fronça ses sourcils de fer et une expression mauvaise prit place sur le métal noir-argenté. Il n'appréciait pas du tout l'insolence de la jeune fille. Il se recula et disparut du champ de vision de cette dernière, pour réapparaître quelques secondes plus tard avec un tisonnier brûlant entre les mains. Le Masque Noir jouait avec, et le faisait tapoter dans son autre main, comme s'il ne craignait pas la chaleur. Imperméable à toute douleur.
Aïkida détourna le regard et frissonna d'effroi. Pourtant, elle n'en montra rien. Elle devait rester forte.
— Je te propose un marché. Tu me donnes ta magie et en contrepartie, je fais revenir ton père.
À ces mots, la jeune fille se figea, plongeant ses yeux bleus dans ceux, de miroir, du Masque Noir.
— Aurais-je touché un point sensible ? ricana-t-il. Alors, marché conclu ?
— Non ! Il ment Aïkida ! Il n'a pas le pouvoir de ramener les morts ! hurla Leeroy.
Le Masque Noir se retourna brusquement vers le jeune blond. Ce dernier avait réussi à utiliser sa magie pour brûler le bâillon. Son visage était rouge de brûlures tandis que ses vêtements étaient troués par les cordes chauffantes. Il paraissait épuisé, il n'aurait pas la force de défaire ses autres liens. L'homme masqué n'y prêta alors pas attention et fit juste un mouvement du poignet, coupant la parole à Leeroy par un sort de silence, après lui avoir lancé sèchement :
— Contentes-toi de te taire et de jouer ton rôle Leeroy.
Il reporta ensuite son regard sur la jeune Ilewite :
— Où en étions-nous ? Ah oui ! Alors, marché conclu ?
Les traits d'Aïkida laissaient percevoir ses doutes. Son père lui manquait terriblement, peut-être avait-il réellement le pouvoir de le ramener ?
Après de longues secondes de réflexion, elle se décida et répondit avec force :
— J'ai déjà porté mon deuil. Je ne vous donnerai pas ma magie, encore moins pour que vous dérangiez les morts !
Le masque devint plus sombre encore alors qu'une terrible tension s'installait dans la sombre pièce. Il prit le tisonnier à deux mains et s'approcha dangereusement de la jeune fille avant de déclarer d'une voix cynique :
— Ding dong ! Temps écoulé, passons à la deuxième partie. Voyons comment une Fille Gelée résiste à la chaleur du feu.
Et sans aucune pitié, il appuya le fer chauffé à blanc sur le bras d'Aïkida. Un cri strident et glacial retentit dans toute la pièce, déchirant la poitrine de Leeroy et Tarek.
La pièce elle-même sembla frissonner d'effroi.
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