Equitable
Aïkida sauta au sol lorsqu'Athkor rasa la terre. Atterrissant souplement sur ses jambes, elle dégaina aussitôt son épée et se mit à courir vers l'endroit où elle avait aperçu le jeune brun.
Il était en train d'achever un gollurnuk quand la jeune fille le rejoignit. Il tourna alors la tête dans sa direction, ce qui arracha une grimace d'inquiétude à la jeune Ilewite.
Il avait perdu son casque et elle put observer son visage dans les moindres détails. Une large plaie au niveau de la tempe gauche souillait son visage de sang. Sa courte barbe était couverte de terre, de sueur et de sang tandis que son front luisait de fatigue. Ses sourcils, froncés sous la douleur, lui donnaient un air terrifiant alors que sa mâchoire carrée renforçait son caractère de battant. Mais ce qui inquiétait réellement la Fille Gelée, c'était ses yeux.
Plus argentés que jamais, ses iris avaient pris le dessus sur les pupilles qui s'étaient presque entièrement rétractées. Une lueur maléfique traversait les yeux d'argent alors qu'aucune autre émotion n'était déchiffrable dans ces miroirs miniatures.
Mais Aïkida savait. Elle savait, rien qu'en voyant les traits contractés du jeune brun, qu'il ressentait la magie noire. Elle la sentait elle aussi, et cela l'inquiétait plus que tout.
— Tarek.
— Je sais p'tite gelée, déclara-t-il d'une voix rauque, transpirant de douleur intérieure. N'oublie pas ce que je t'ai dit. Fais-en sorte que je ne sombre pas, sans ta magie. Mais si je bascule...
— Je sais ce que j'ai à faire, assura la Fille Gelée le ton grave.
Le jeune brun hocha la tête d'un signe reconnaissant.
Aïkida s'approcha alors de ce dernier et posa une main souillée de sang sur sa joue, seule partie de son corps non protégée par l'armure. Contre toute attente, le dragonnier se laissa faire, et parut même se détendre. Il ne s'était pas trompé, un simple contact avec Aïkida et sa magie blanche apaisait son combat intérieur.
— Tu peux y arriver, nous y arriverons ensemble, déclara Brusanth à Tarek.
— J'ai peur Bursanth.
— Je sais, mais tu dois être fort. Tu dois te faire à l'idée que je ne vais pas...
— Je mourrai avec toi ! Tu ne comprends pas que tu es la seule chose qui me reste ? Je ne suis rien sans toi. Je ne pourrais pas supporter ta...
Même dans ses pensée, le dragonnier n'arrivait pas à prononcer le sort de son dragon.
Alex finit par les rejoindre et demanda, toujours sur le ton de la plaisanterie :
— Qu'est-ce que vous dites de si important pour préférer parler entre vous plutôt que d'arracher des têtes de gollurnuks ?
Les deux dragonniers rirent jaunes et s'éloignèrent l'un de l'autre pour se mettre en garde, la mine grave. Un Nhân-ho arrivait à toute vitesse dans leur direction, mais à eux trois, ils eurent vite fait de le mettre hors combats.
À peine une dizaine de minutes était passée depuis qu'Aïkida avait quitté son dragon. Elle ressentait ses douleurs comme il devait ressentir les siennes, mais la jeune fille savait qu'il était en train de survoler les combats et d'incendier les soldats noirs. Le savoir en sécurité la rassurait, et cela lui permettait de mieux se concentrer sur ses propres adversaires. Un homme avait réussi à la blesser sérieusement à la hanche gauche, mais elle restait debout, battante.
Le sang était sans cesse absorbé par sa lame magique tandis que ses cheveux poisseux se balançaient au gré de ses mouvements souples et rapides. Tournoyant sur elle-même sans jamais que ses yeux ne cessent de bouger, elle éliminait ses adversaires, un par un. Des tas de cadavres se formaient à chaque endroit où elle mettait les pieds.
— Où sont Ponghu et Jayse ?! cria-t-elle à l'intention d'Alex qui combattait non loin d'elle.
— La dernière fois que je les ai vu ils étaient vers l'Est ! Ne t'en fait pas pour eux, ils se battent bravement !
Rassurée, Aïkida se reconcentra sur le gollurnuk qui lui faisait face. Mais ce fût au tour de Tarek de lui demander :
— Qu'est-ce que tu as vu là-haut ? Il en reste beaucoup ?
Le visage de la Fille Gelée se raidit tandis qu'elle transperçait l'immonde créature de sa lame.
— Il en reste beaucoup trop, onze ou douze milliers peut-être, je ne sais plus ! cria-t-elle pour se faire entendre parmi les cris perçant des créatures noires. Certains ont déjà franchi notre ligne et se dirigent vers la Vallée !
Le visage de Tarek s'assombrit en apprenant cette nouvelle.
Mais Aïkida n'eut pas le temps de lui expliquer le plan d'Athkor qu'une ombre les survola soudainement. Les trois Combattants levèrent la tête pour apercevoir un dragon qu'ils ne connaissaient pas. Bleu aux reflets verts, il volait à toute vitesse en direction de la masse de soldats noirs. Ils aperçurent ensuite un deuxième dragon, puis un troisième, et quand ils se retournèrent en direction de la vallée, ils ne purent s'empêcher d'écarquiller les yeux d'émerveillement.
Une centaine de dragons volait à toute vitesse en direction des combats. Ces magnifiques bêtes légendaires ajoutaient une touche féerique au ciel devenu noir de fumée. Les rayons de soleil qui réussissaient à percer les nuages se reflétaient sur les écailles colorées des dragons tandis que leurs rugissements puissants résonnaient dans toute la plaine. Leurs battements d'ailes étaient rapides, réguliers, et ils formaient une chorégraphie monstrueusement sublime.
— Mais qu'est-ce que... balbutia Tarek.
— Athkor a demandé du renfort auprès des autres dragons, expliqua Aïkida, fière de son compagnon.
— T'es le meilleur.
— Je sais Kida, je sais, plaisanta le dragon noir.
Les dragonniers et Alex se retournèrent pour suivre ce magnifique vol des yeux. Les bêtes de légendes se mirent à descendre en flèche vers les soldats noirs, et une fois qu'ils furent à une distance raisonnable, crachèrent de longues flammes, carbonisant tout sur leur passage. Mais seuls les Nhân-ho et les gollurnuks souffraient des flammes, les hommes étant protégés par leur armure et quelconque maléfice.
Mais alors qu'Aïkida était absorbée par l'aide précieuse des dragons de la Vallée, un Nhân-ho fonça droit sur elle. Avant même qu'elle n'ait le temps de réagir, l'homme-tigre lui décocha un violent coup de griffe qui transperça la cuirasse de la Fille Gelée.
Projetée quelques mètres plus loin par la violence du coup, Aïkida échappa un cri de douleur tandis qu'elle s'effondrait sur le sol. Le sang coulait et la côte de maille s'en retrouva imbibée tandis que l'armure était sérieusement endommagée au niveau de l'abdomen.
Le Nhân-ho se jeta sur la Fille Gelée crispée par la douleur. Essayant de réfléchir malgré les lancements abominables de son ventre, Aïkida saisit son épée à deux mains, et alors que la créature maléfique s'apprêtait à l'écraser de son poids, elle plaça sa lame à la verticale et transperça le Nhân-ho. Mais son calcul fut mauvais puisque l'homme-tigre, certes raide mort, s'écroula de tout son poids sur le corps blessé de la jeune Ilewite.
La Fille Gelée ne pouvait plus respirer sous cette énorme masse, et sa blessure la faisait de plus en plus souffrir. Il lui était impossible d'appeler à l'aide, ni même de bouger l'un de ses membres. La tête commençait à lui tourner sérieusement alors que des étoiles floutaient peu à peu sa vue.
Tout à coups, le Nhân-ho roula sur lui-même pour s'écraser au sol juste à côté d'Aïkida. Cette dernière put reprendre une grande inspiration, soulagée. Elle leva les yeux et aperçut Leeroy qui lui tendait une main. La jeune fille la saisit avec reconnaissance et se releva, non sans grimacer de douleur. Son abdomen, atteint par la blessure, la faisaient terriblement souffrir.
Trois dettes.
— Laisse-moi faire, conseilla Leeroy en parlant de son ventre déchiré.
— On n'a pas le temps, on va se faire tuer.
— J'en ai pour trente secondes, imposa le jeune blond.
Aïkida leva les yeux au ciel mais se laissa faire. Un petit peu de magie ne fais pas de mal !
Leeroy prononça une rapide formule et ses mains devinrent vertes. En moins de quinze secondes, la jeune fille sentit sa peau bouger. La douleur était toujours présente, mais largement atténuée.
— Je m'en occuperai mieux plus tard, mais comme tu dis, on n'a pas le temps pour ça maintenant. Sois prudente en attendant.
— Merci Leeroy.
Les deux amis hochèrent la tête et se sourirent tristement. Le jeune blond avait à son tour perdu son casque, et son visage n'était pas dans un meilleur état que celui des autres.
Ils reprirent les combats.
À force de se battre et de se déplacer, Aïkida se retrouva isolée, sans aucun de ses amis près d'elle. Tranchant des têtes, assommant des gollurnuks, transperçant des Nhân-hos, la Fille Gelée arrivait à maintenir le rythme, bien que la fatigue commençât à se faire ressentir.
Aïkida se retrouva une nouvelle fois face à quatre hommes, et le souvenir de sa chute était encore cuisant. Bien déterminée à les tuer tous les quatre, elle saisit son bâton de combat en rangeant son épée. Faisant tournoyer son arme puissante dans les airs, elle blessa grièvement deux soldats qui s'effondrèrent sur le sol, à l'agonie, et se concentra donc sur les deux derniers, plus furieux que jamais.
Mais alors qu'elle allait s'en prendre à celui qui se jetait sur elle, une main lui attrapa fermement la cheville. Elle trébucha, se retrouvant face contre terre.
La jeune fille comprit que c'était l'un des deux hommes restés à terre, presque mort, qui dans son dernier souffle, lui avait saisi la cheville afin de faciliter le travail à ses deux compagnons. La Fille Gelée jura entre ses dents et se promit qu'elle ne laisserait plus jamais un ennemi vivant, même au sol. Dans une vivacité presque surnaturelle, la jeune Ilewite se retourna alors sur le dos pour faire face à ses deux attaquants.
Troquant son bâton contre ses deux poignards, la jeune fille s'occupa principalement de parer les coups violents que portaient les deux hommes noirs. Mais ils attaquaient essentiellement les endroits qu'elle n'arrivait pas à défendre correctement. Faisant alors appel à ses muscles plus ou moins guéris, elle redressa violemment ses jambes à la verticale pour asséner un coup de pied à la mâchoire du soldat à sa gauche. Mais le soldat restant leva le bras, dague en main, préparant son geste violent pour poignarder la jeune fille en pleine cœur.
Soudain, un sifflement d'air se fit entendre, rapide et discret. La main du soldat tomba au sol, laissant l'homme hurler de douleur tandis que le sang giclait. Une fine épée avait sauvé la jeune fille à la dernière minute.
Ne perdant pas de temps, Aïkida se releva et se mit en garde, toujours ses poignards en main. Redressant sa tête vers la droite, elle aperçut un magnifique cheval brun. Sur son dos, un grand guerrier, svelte.
Lorsqu'il retira son casque, Aïkida fronça les sourcils.
— On dit « merci » quand on est polie mademoiselle, reprocha le cavalier d'un ton espiègle.
Quatre dettes.
Le visage de la jeune fille s'éclaira soudainement quand elle le reconnut :
— Othar !
— À votre service ma jolie !
Un sourire illumina le visage ensanglanté de la Fille Gelée et elle demanda :
— Le Roi Aldaron a enfin accepté de venir nous aider ?
Mais le jeune elfe ne répondit pas. D'une vitesse fulgurante, il prit son arc, le tendit, et décocha une flèche entre les deux yeux d'un gollurnuk qui s'apprêtait à sauter sur la jeune Ilewite.
— Tu es désormais condamnée à m'obéir. Cela fait deux fois que je te sauve la vie, rit-il.
Cinq dettes.
— C'est ce qu'on verra. Où est ton Roi ? demanda-t-elle en riant à son tour.
— Il n'a pas voulu participer à cette guerre, mais certains elfes n'étaient pas d'accord avec lui. Alors j'ai rassemblé le plus d'hommes possible. Nous ne sommes que trois cents, mais je me suis dit que ça pouvait toujours aider, alors nous voilà. Ils attendent à l'orée de la forêt, non loin de l'entrée de la Vallée. Nous suivrons tes ordres.
— Mais comment avez-vous fait pour venir jusqu'ici aussi rapidement ? demanda la jeune fille, ébahie.
— Nous en reparlerons plus tard. Dis-moi ce que nous devons faire.
Aïkida regarda au loin, les dragons faisaient d'énormes dégâts, mais les Combattants tenaient de plus en plus difficilement la barrière. La Fille Gelée plongea ensuite ses yeux bleus dans ceux du jeune elfe, et lui ordonna :
— Annonce à tes hommes qu'ils devront défendre la Vallée. Quant à toi, revient avec une cinquantaine d'homme. Nous avons besoin d'aide ici aussi.
Le jeune elfe hocha gravement la tête, puis, avant de cabrer son cheval et de partir au galop, il lança :
— À vos ordres ma jolie !
Aïkida leva les yeux au ciel mais sourit.
Ils avaient peut-être une chance de gagner cette guerre finalement. Les dragons et les elfes étaient de puissants alliés. Et maintenant que les combats redevenaient plus ou moins équitable, la Fille Gelée se fixa une nouvelle mission, plus périlleuse.
Elle allait attirer le Masque Noir jusqu'à elle pour en finir une bonne fois pour toute.
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