Décapité et ensanglanté
Aïkida était assise dans l'herbe, un bol à la main. C'était Dukun qui lui avait fait une deuxième concoction pour améliorer son état de santé et calmer ses esprits. La jeune fille se sentait un peu mieux, mais ses yeux étaient encore rougis et ses cheveux en bataille. Près d'elle étaient assis Leeroy, Tarek, Dukun et Ekzek. Les quatre avaient les yeux rivés sur elle, attendant le verdict.
Ce dernier ne se fit pas attendre :
— On rentre à la Vallée, mais d'abord, on passe par chez moi.
— C'est impossible, répliqua Leeroy.
La Fille Gelée tourna ses yeux bleus translucides vers le jeune blond et répondit :
— Ce n'était pas une question. Ce n'était peut-être qu'une vision, mais je veux en avoir le cœur net. Nous partons dans une heure.
Dukun soupira tandis que Leeroy se crispa :
— Tu ne peux pas retourner chez toi, c'est peut-être un piège. Le Masque Noir sait comment tu réagis et il t'attend sûrement de pieds fermes. C'est trop dangereux.
Aïkida posa son bol au sol et se leva, sans un mot. Elle ajusta ses manches, dissimulant ses armes blanches, et planta un regard froid dans celui du jeune dragonnier.
— Je rentre chez moi. Je dois m'assurer qu'elles vont bien.
Ce fut au tour de Tarek de se lever, et d'un ton neutre il déclara :
— Il a raison, le Masque Noir t'as envoyé cette vision pour t'appâter, tu ne peux pas y aller. Leeroy connait le chemin, il peut aller s'assurer que ta famille va bien, nous, on rentre au château.
Cette remarque fût approuvée par tous, sauf par Aïkida qui ne l'entendait pas de cette oreille.
— Il vaut mieux y aller tous les trois, être prêts et soudés, plutôt que je n'y aille seule et que vous arriviez en panique pour me retrouver. S'il y a bel et bien un ennemi là-bas, ils vont s'en prendre à ma famille. Si nous y allons tous les trois d'un commun accord, nous pourrons riposter.
Leeroy soupira et se rendit compte à quel point cet argument était valable.
— La jeune fille a raison, s'interposa finalement Dukun.
Tous les regards se tournèrent vers le chaman.
— Je ne la connais pas personnellement, mais il semblerait qu'Aïkida soit très têtue. J'ai confiance en elle, n'oublions pas que c'est l'Ilewite, la première femme dragonnier. Son argument me paraît tout à fait valable ; il vaut mieux se plier à ses choix et s'organiser plutôt qu'elle ne s'exécute elle-même sans être soutenue. Là est le vrai danger.
Tarek leva les yeux au ciel tout en fronçant les sourcils d'insatisfaction, tandis que Leeroy soupira :
— J'imagine que nous n'avons pas vraiment le choix.
Le jeune brun ajouta alors :
— Nous volerons avec nos dragons jusqu'aux Montagnes, ensuite nous devrons continuer à pied jusque chez toi Aïkida, dit-il en se tournant vers la Fille Gelée.
Celle-ci expliqua :
— Nous nous arrêteront plus au sud de chez moi, il y a une écurie pas loin. À cheval, nous y seront plus rapidement.
Les deux dragonniers acquiescèrent finalement.
Une heure plus tard, la nuit commençait lentement à tomber et la fraîcheur nocturne s'emparait petit à petit des dragonniers. Ces derniers étaient dans le champ annexe à la maison d'Ekzek, près de leurs dragons. Avec eux, se tenaient le chef du village, le chaman, et le bourreau. Ils leur avaient donné quelques provisions pour la nuit ainsi des vêtements chauds pour le vol, qu'ils avaient déjà enfilés. Vînt le moment des adieux, et Dukun chuchota à Aïkida qui avait repris un peu de forces :
— Prends soin de toi, et même si tu as des objectifs fixes, n'oublies pas que tes amis sont là, écoute leurs points de vue. Adieu jeune Ilewite.
La jeune fille salua le chaman, un air déterminé fixé sur le visage, et chevaucha son dragon, imitée par les deux autres dragonniers.
Le trio défenseur de la Vallée décolla en silence et disparut dans les nuages.
Les trois dragons atterrirent en plein milieu de la nuit sur un petit plateau caché dans les Montagnes. Le froid avait atteint les entrailles des dragonniers et ils étaient tous trois enroulés dans les peaux de bêtes que leur avaient données leurs hôtes. Seules les étoiles et la lune les guidaient dans l'obscurité tandis que les trois jeunes gens descendaient de leurs dragons.
Pendant le trajet, Aïkida et Athkor avaient encore beaucoup discuté à propos des récents évènements. Avant de rentrer au château, il fallait que la jeune fille trouve une solution pour éviter le mariage avec Scar.
— Où se trouve ton écurie ? demanda froidement Tarek.
— À une petite demi-heure de marche vers le nord-ouest.
— Allons-y, nous n'avons pas de temps à perdre, ajouta Leeroy.
Et les trois dragonniers se remirent en route, laissant derrière eux leurs dragons se reposer.
Le petit groupe avançait dans les bois assez facilement puisque Leeroy avait allumé une torche, et ils trouvèrent rapidement l'écurie dont parlait la Fille Gelée. Ils firent le moins de bruit possible et prirent trois chevaux sans rien ne demander à personne.
— On s'en va comme des voleurs ? demanda Aïkida en chuchotant.
— Tu as de l'argent sur toi ? Non. Alors dépêche-toi de monter avant qu'ils ne se réveillent, répliqua Tarek.
La jeune fille lui lança un regard noir, mais grimpa néanmoins en selle. L'Ilewite prit les devants et les trois dragonniers repartirent au galop en direction de la maison Ar-Feiniel.
Lorsqu'ils arrivèrent devant la bâtisse en bois, Aïkida descendit de cheval et ne prit pas la peine de l'attacher. Elle empoigna fermement sa dague et se dirigea d'un pas décidé vers l'entrée. Mais lorsqu'elle arriva en face de la porte, son sang se glaça. Elle aperçut, dans l'obscurité, le panneau de bois, sorti de ses gonds. Quand les deux jeunes hommes la rejoignirent avec la torche, son cœur rata un battement. Sur la porte de bois, était peintes les initiales du Masque Noir. Rouges sang.
Tremblante, Aïkida donna un coup de pied sur le panneau de bois, le laissant tomber au sol dans un fracas grinçant, et entra dans la maison. Leeroy la suivait de près avec la torche et éclairait les lieux. L'endroit était funeste. Les chaises en bois avaient étaient renversées alors que l'une d'elle avait un pied arraché, la lampe à huile gisait au sol. Des traces de sang salissaient le parquet.
La Fille Gelée commença à avoir des nausées et entendit son cœur battre dans ses oreilles. Elle avait chaud, froid, était épuisée, mais prête à réagir à n'importe quel instant. Les trois dragonniers conclurent rapidement que la maison était sans vie, ce qui ne fit qu'augmenter l'angoisse d'Aïkida.
Elle avançait lentement, plus par peur de ce qu'elle pouvait découvrir à chaque pas, que par peur de voir surgir un ennemi. Son rythme cardiaque s'accéléra quand elle découvrit des flaques de sang le long de l'escalier ainsi que le doudou de sa petite sœur, décapité et ensanglanté. Aïkida pâlit et se précipita à l'étage supérieur dans la chambre d'Emelï.
Tarek et Leeroy la rejoignirent et aperçurent la Fille Gelée, plantée sur le seuil, une main devant la bouche. Ils s'approchèrent également pour voir ce qu'il y avait dans cette chambre, et s'arrêtèrent eux aussi.
Sur les draps de la petite sœur, était inscrit un message sanglant :
Si tu ne veux pas ressusciter ton pere d'entre les morts, peut-etre voudras-tu revoir ta famille entiere ?
M.N.
Aïkida serra sa dague sous la colère. Une violente nausée noua son estomac alors qu'elle n'entendait plus rien, seulement ses battements de cœur. Une bile amère vint serrer sa gorge alors que sa tête tournait avec violence. Elle se retourna brusquement et bouscula les deux dragonniers pour passer. La jeune fille se précipita dans l'escalier, manquant de trébucher à tout instant dans l'obscurité. Elle sortit de la maison, en trombe, et vomit l'intégralité de son dernier repas. Secouée de spasmes, la Fille Gelée était agenouillée dans l'herbe, assommée par le froid mordant qui l'enveloppa.
Tarek et Leeroy l'avaient suivie mais restèrent en retrait, impuissants. Aïkida, après s'être remise de sa crise de nausée, attrapa la gourde qui se trouvait dans sa sacoche, et se rinça la bouche avant de boire quelques gorgées d'eau. Elle se redressa enfin. Elle tremblait toujours, mais cette fois-ci, c'était de rage.
D'un pas déterminé et haineux, la jeune fille se dirigea vers les chevaux, mais Leeroy l'intercepta et lui attrapa le bras :
— Qu'est-ce que tu comptes faire ?
Aïkida se retourna brusquement et se dégagea de son emprise. Elle planta un regard noir dans les yeux clairs du jeune blond, à tel point que ce dernier recula, surpris par le visage haineux de la Fille Gelée. Ses yeux avaient pris une dangereuse couleur violette alors que ses traits étaient plus crispés que jamais.
— Sauver ma famille si je le peux encore, et tuer le Masque Noir de mes propres mains.
— Tu ne peux pas y aller. C'est exactement ce qu'il attend que tu fasses ! s'exclama Leeroy en rattrapant fermement le bras de son amie.
Cette dernière lui lança un regard rempli de haine et se mit à hurler :
— Personne ne m'empêchera de tuer ce salopard !
Mais alors qu'elle se débattait, le jeune blond lui attrapa l'autre bras en évitant les violents coups de coudes qu'elle lui donnait.
— Calme-toi Aïkida ! Tu n'es pas dans ton état normal !
Mais cette phrase fut la goutte d'eau qui fit déborder le vase.
La Fille Gelée poussa un cri de rage et écarta violemment les bras vers le ciel, déstabilisant Leeroy. Une vive lumière blanche jaillit de ses mains tandis qu'un vent violent fit fouetter ses cheveux sur son visage pâle. La jeune fille tremblait de rage alors qu'elle hurlait sa fureur, hystérique et incontrôlable.
Leeroy s'éloigna en reculant doucement, les yeux écarquillés. Cette femme dragonnier était puissante, et il en prit réellement conscience quand elle abaissa ses bras et propulsa sa magie au sol, provoquant une explosion de gel sur une dizaine de mètres tout autour d'elle. Aïkida ne se contrôlait plus et exprimait sa rage par la magie tandis que des larmes de haines roulaient sur ses joues.
La torche que tenait Tarek s'était éteinte avec le vent glacial qu'avait provoqué la jeune fille, mais cette dernière brillait dans la nuit, détruite par la colère.
— Aïkida calme-toi ! Tu ne peux pas aller là-bas ! Raisonne-toi !
Mais la jeune Ilewite n'écoutait plus, assourdie par les battements de son cœur et par sa respiration saccadée.
Les deux dragonniers entendirent de sombres rugissements, probablement ceux d'Athkor, qui résonnaient au loin. La fille Ar-Feiniel quant à elle, projetait des boules de froid partout autour d'elle, laissant des creux gelés dans la terre humide de la colline. Ses larmes se transformaient peu à peu en stalactites sous son menton et ses cheveux se congelaient suite à la subite baisse de température de l'air.
Tarek comprit alors ce qu'il se passait. Aïkida était en train de perdre la notion de magie et se laissait submerger par sa puissance colossale. S'ils ne faisaient rien, elle allait être engloutie par ses propres pouvoirs. Il laissa alors tomber la torche au sol et se concentra. Le jeune homme tourna ensuite ses paumes de main vers la jeune fille, le regard fixe, déterminé. La magie blanche l'avait aidé quand il était sur le point de sombrer, le contraire était peut-être valable. Je dois essayer.
Le jeune brun s'approcha doucement d'Aïkida, et cette dernière se tourna brusquement vers lui. Le dragonnier fut frappé par sa beauté glaciale. Son visage n'était plus que gel et neige, faisant briller sa peau et ses cheveux blancs. Ses yeux violets transperçaient la glace pour se planter dans ceux du jeune homme.
Tarek ne se découragea pas face au regard noir et perçant de la jeune Ilewite, et s'avança d'un pas plus assuré. Le sol était glissant, recouvert de gel, et la progression était périlleuse. Mais alors qu'il allait enfin toucher la peau glacée de la jeune fille, prêt à utiliser sa magie, une voix grave retentit derrière eux :
— Aïkida !
Cette dernière écarquilla soudainement les yeux en reconnaissant cette voix et se retourna vers sa provenance. Quand elle aperçut le propriétaire de cette voix si familière, ses traits se détendirent immédiatement tandis que ses larmes redoublèrent d'intensité.
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