Elle s'arrêta, affolée. Elle était arrivée dans un cul-de-sac ! La petite courette dans laquelle elle avait déboulé n'offrait pas d'issue, à part la mince ruelle qui l'avait conduite ici. Elle avait déjà remarqué que la rue dans laquelle elle s'était engagée plusieurs centaines de mètres plus tôt ne croisait aucune route transversale, mais étant une optimiste dans l'âme, elle avait espéré trouver une issue à ce qui lui évoquait de plus en plus un couloir d'abattoir. Durant sa course effrénée dans le chemin, elle avait croisé des multitudes de portes mais pas un seul passage. Heureusement, personne ne l'avait attendue à la sortie de la ruelle avec une lame à la main. Éperdue, elle regarda autour d'elle. Les murs hauts de trois mètres n'offraient pas de prise pour les escalader, et le bouleau élancé qui poussait dans la cour avait des branches trop hautes pour pouvoir grimper à l'arbre, ramper sur une des branches maîtresses et se laisser tomber sur le toit.

Réfléchis, ma fille.

Elle prit appui sur le mur en face d'elle, qu'elle aurait tellement voulu pouvoir abattre par la seule force de sa volonté.

Réfléchis !

Elle reprit son souffle.

Inspire... Expire... Inspire... Expire...

Elle sait que ce qu'elle va tenter est extrêmement périlleux, mortellement dangereux même.

Inspire...

De toutes façons elle n'a pas le choix si elle veut survivre.

Expire...

Et, tout d'un coup, sans prévenir, elle s'élance. Elle pose son pied droit sur le mur, à environ vingt centimètres du sol, utilise cet appui pour se projeter vers l'arbre au centre de la cour, le percute avec son pied gauche, propulse ses bras vers le haut, crochète la gouttière avec ses doigts recourbés en forme de serre, passe la tête entre ses bras, se projette sur le toit de la maison en effectuant un roulé-boulé et se réceptionne avec l'adresse caractéristique aux vrais acrobates. Elle se met à courir sur les toits, en équilibre précaire.

À sa droite se trouvent les murs de Lauterbrunnen. Si elle tourne la tête, elle peut apercevoir le sommet de la Jungfrau, sa montagne natale. Le massif des alpes bernoises illuminé par le soleil d'automne semble lui tendre les bras. Mais elle l'ignore. Le danger rôde dans les parages et, de plus, elle est trop concentrée sur sa survie pour se laisser distraire par des choses aussi futiles que l'appel de la montagne, aussi fort soit-il. Elle se polarise sur sa course et plonge dans un état d'extrême concentration. Elle ne trébuche, n'hésite ou ne tombe pas une fois. Une fois avoir estimé la distance qui la séparait de ses poursuivants et l'avoir jugée suffisante pour être hors de danger, elle s'arrêta et se laissa tomber souplement dans un jardin. Elle s'adossa à un peuplier qui poussait dans ce lieu.

Inspire... Expire...

Haletante, elle s'accorda plusieurs minutes de répit.

Souvenirs...

« Salut ! s'exclame Estelle dans sa mémoire. Ça va ? T'as passé de bonnes vacances ?

─ Non, ça ne va pas. Pas du tout même. Il faut que je te raconte un truc. Attends, pas ici. Dans la Tanière.

─ C'est si important que ça ? la questionne son amie, alarmée par son air de bête traquée.

─ Oui. »