C i n q
Ce matin, Rémi s'était rendu au métro très tôt, bien qu'il n'ait pas cours à l'université aujourd'hui, il était de service cet après-midi. Quentin quant à lui dormait encore, il avait le sommeil beaucoup plus lourd ces temps-ci, comprenez pourquoi.
En tout cas, Rémi n'avait pas voulu le réveiller, mais il lui avait laissé un mot pour le prévenir de son absence matinale. Il ne voulait pas l'inquiéter, surtout que depuis sa rupture, il évitait le moins possible de le laisser trop seul, pour qu'une chose comme hier soir ne se reproduise plus, même s'il avait déjà assisté à bien pire.
Alors, le jeune étudiant bientôt diplômé, avait décidé d'aller se balader ce matin, dans l'espoir de revoir cette fille et de résoudre son énigme. Il se voyait déjà l'aborder, entendre sa douce voix, sentir son odeur et plonger ses yeux dans les siens. Pourtant, il ne se sentait pas prêt, il manquait encore d'assurance, de confiance en soi, pour faire le premier pas. Il attendait le bon moment pour intervenir dans la vie de cette fille. Et si ce moment ne venait jamais ?
Il s'aventura dans la rue, où des perles d'eau tombaient déjà une à une sur le trottoir et la chaussée. On dirait bien que le mauvais temps était au rendez-vous aujourd'hui. Rémi avançait sur le bitume froid, une capuche recouvrant sa chevelure brune et ses mains soigneusement enfoncées dans les poches de son manteau.
La pluie et le vent devinrent de plus en plus violents, ils semblaient à eux deux, vouloir manifester une immense colère. Les bourrasques de vent tentaient d'arracher le tissu imperméable qui protégeait Rémi des grosses gouttes d'eau s'écrasant sur le sol. Alors, il entreprit de trouver un abri, le temps que cette révolte se calme.
Il passa devant une librairie, dont la devanture jaune clair semblait apporter un peu de soleil derrière ce temps médiocre et déprimant. Rémi poussa la porte du magasin et s'y abandonna tout naturellement.
Ici et là, des tonnes de livres s'empilaient un peu partout, d'autres étaient classés sur des étagères par ordre alphabétique et selon le genre. La décoration rétro, quelque peu atypique était composée d'objets vintage qui donnaient tout son charme à cette librairie.
La vue de toutes ses œuvres vint réchauffer le cœur de Rémi. Il se sentait bien, ici, au milieu de ses histoires, de l'imaginaire, de la culture et de la connaissance. Une odeur de vieux papiers et de bois ciré emplissait ses narines de l'éternel parfum des livres imprimés.
Il ferma les yeux, et se remémora les soirs où il tentait de lire sous la faible lumière que dégageait sa lampe de poche, et sous les cris impétueux des voisins de palier. Rémi avait toujours trouvé dans les livres, ce qu'il lui avait manqué durant toute son enfance ; un havre de paix, un monde allant bien au-delà de la réalité et de ses conventions, un jardin secret.
Des mots vinrent mettre un terme à sa rêverie. Il ouvrit les yeux.
– Bonjour monsieur, je peux vous aider ? Vous cherchez un livre en particulier ? vint lui demander le propriétaire des lieux, d'une voix passionnée.
Rémi détailla rapidement l'homme qui se tenait à ses côtés. Un quadragénaire à lunettes, aux airs chaleureux et intellectuels, coiffé d'une longue chevelure brune arrivant à la limite de ses larges épaules, vêtu d'habits au style rappelant les années 80, complètement décalé avec l'image que les traits de son visage convivial renvoyaient. On pouvait clairement dire que son accoutrement était aussi vintage que la décoration de sa boutique.
Rémi lui sourit, puis finit par lui répondre :
– Oh non, merci, je ne suis que de passage, la pluie m'empêche de continuer ma route.
L'homme hocha la tête.
– Très bien, faîte comme chez vous alors.
Il lui lança un sourire franc avant de disparaître derrière les ouvrages de la librairie.
Le jeune étudiant s'engouffra entre les étagères, feuilletant quelques livres sur son passage, découvrant et redécouvrant des romans qui lui donnaient envie. Des classiques tels que L'étranger d'Albert Camus, ou bien l'Antigone de Jean Anouilh.
Une vingtaine de minutes s'écoulèrent, durant lesquelles Rémi voyageait dans les méandres de la littérature. Il finit par jeter un coup d'œil à l'extérieur. L'eau avait cessé de se déverser en trombe, et l'air ne faisait plus voler les parapluies dans tous les sens. Les rayons du soleil tentaient de se frayer un chemin à travers l'épaisseur des nuages. Le calme semblait petit à petit revenir après la tempête. Alors Rémi, salua poliment le libraire et repartit en direction du métro.
Le métro l'accueillit comme toujours à bras ouverts. Il descendit les escaliers qui menaient dans ce monde souterrain.
Sur son chemin, il croisa le regard d'un adolescent, qui semblait avoir du mal à mettre un pied l'un devant l'autre. Il titubait. Il avait le corps amaigri, les yeux rougis, le teint livide, les joues creuses, on pourrait croire à une gueule de bois, mais Rémi a déjà croisé ce regard plus d'une fois. L'adolescent finit par remarquer que Rémi le toisait, comme s'il venait tout juste d'en prendre conscience, de remarquer sa présence.
Voilà les effets visibles d'une personne qui consomme des produits illicites. De nos jours, il est devenu facile de se procurer ce genre de substances, les jeunes sont futés et pourtant ils ne font que creuser le trou de leur tombe un peu plus chaque jour. Cela révolte de plus belle notre jeune psychologue qui voit sous ses yeux tout une génération se détruire, sous prétexte que les joints et autres conneries les aide à mieux supporter la vie. Mais ce n'est pas la solution, cela ne l'a jamais été et cela ne le sera jamais.
À leur âge, ils ne savent pas encore ce que vaut la vie, du moins, ils ne la comprennent pas, ils n'en connaissent pas le prix. Rémi aussi a du mal à la cerner, il espère qu'avec le temps il y arrivera.
Et pourtant il les comprend, lui aussi est déjà passé par là, mais au lieu de fuir sa vie et ses problèmes, lui, a dû les affronter. On dit qu'il est plus facile de fuir que de se battre pour ce que l'on veut vraiment. Se battre contre la vie est un combat long et épuisant.
Alors Rémi traça sa route, songeant au futur et à l'aide qu'il pourra apporter aux personnes dans ce cas. Il s'était donné pour mission de tous les sauver. Mais c'était avant tout, le monde qu'il voulait sauver. Il souhaiterait pouvoir être capable de guérir toutes les blessures des âmes en peine qu'il croise.
Pour lui, les psychologues sont comme les médecins, sauf qu'eux ne soignent pas les blessures corporelles, ils soignent les maux du cœur et de l'esprit.
Perdu dans ses pensées, il partit valider son pass, marcha vers son quai, et s'arrêta net dans un mouvement du pied.
Ça y est, il la voyait, elle était là, debout comme à son habitude, vêtue entièrement de noir avec quelques légères touches de blanc cassé, ses cheveux couleur blé cachaient légèrement son visage. En apparence, elle avait tout l'air d'une femme des plus normales, mais à l'intérieur, Rémi était sûr qu'elle regorgeait de secrets. On a tous nos secrets.
Rémi la trouvait belle, d'une beauté simple, banale, mais incomparable à ses yeux. Alors rien que pour elle, il se risqua à commettre une folie que jamais il n'aurait pensé faire un jour dans un lieu public grouillant de monde.
– Eh oh ! s'exclama-t-il de vive voix à son attention, en lui faisant des signes avec les bras, sous les regards interrogateurs des passants.
Mais la jeune femme ne lui répondit pas, elle n'oscilla même pas un geste ce qui exaspéra un peu plus l'étudiant.
Il soupira tristement, quelque peu déçu, n'osant pas en faire plus pour attirer son attention. Juste au moment où il vit son train arriver au loin, puis stationner au quai pour laisser les passagers monter.
Il rentra dans un des wagons et vint se coller à la vitre d'où il pouvait encore apercevoir la femme blonde, mais il se fit très vite rattraper par les lois de la gravité lorsque le train démarra et commença à vaciller. Rémi perdit son équilibre et manqua même de tomber, mais il s'accrocha de justesse à la barre de fer qui se tenait au centre du wagon. Les quelques passagers le toisaient silencieusement du regard, puis retournèrent vaguer à leurs occupations. S'il était tombé, il a le pressentiment que personne ne serait venue l'aider.
Les gens passent leur temps à observer dans l'ombre au lieu d'agir. Prenez l'exemple d'une femme se faisant agresser dans le métro, combien d'entre les passagers, pensez-vous, oseront intervenir ? Vous allez me dire que cela dépend des personnes. La plupart resteraient passifs, et d'autres interviendraient, mais la conscience humaine n'est pas différente. Pourquoi une personne irait se risquer à aller défendre quelqu'un avec qui elle n'a aucun lien face à un individu qu'il considère déjà comme dangereux ? Bien sûr, il y a la compassion, l'empathie, mais bien des Hommes en sont dépourvu. Il faut bien du courage pour oser s'opposer à un agresseur. Heureusement, il existe encore et toujours de bonne personne sur cette Terre pour penser autrement et venir en aide aux autres. Rémi faisait partie de cette catégorie, mais d'une tout autre à la fois. La catégorie de celle qui aide, mais qui ne se fait jamais aider en retour.
Mais Rémi ne s'en préoccupa plus, il fila s'installer sur un siège, face à un homme aux airs bougons.
Ses yeux restaient accrochés à son propre reflet sur les vitres transparentes du train. Le tunnel avait plongé l'extérieur dans le noir, mais un halo lumineux emplissait les wagons de sa lumière cru. Rémi se renferma sur lui-même, il fixa longuement ses pieds, comme si cela pouvait l'aider à trouver les réponses à ses questionnements. Mais au lieu de cela, il sentit une boule se former au creux de son ventre quand il vit qu'il s'éloignait d'elle, comme si elle lui échappait une énième fois.
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