IV - L'espace de ses bras
Durant les mois de mai et juin, Kylian s'habitua à voir Chloé installée sur le lit de la chambre quand il travaillait avec Adrien. Malheureusement, elle était moins discrète que Marinette et ils eurent droit aux sons qui s'échappaient de son téléphone. Même quand Adrien lui imposa des écouteurs pour regarder des vidéos, ils durent supporter ses gloussements et exclamations. Régulièrement, Adrien lui adressait des regards d'excuse et Kylian secouait la tête pour assurer qu'il n'y avait pas de problème. Après tout, si Adrien arrivait à la supporter, il le pouvait aussi.
Heureusement, certaines fois elle n'était pas là. Un jour, Adrien fit découvrir à Kylian la terrasse qui se trouvait au-dessus de sa mezzanine. Kylian resta admiratif devant la vue qu'on pouvait y voir sur Paris.
— C'est beau les toits, exprima-t-il.
— Oui, magnifique, approuva Adrien le regard nostalgique. On s'y sent tellement libre.
— Tu veux dire, quand on est en hauteur ? s'enquit Kylian.
— Oui, c'est ça. Quand on voit les choses de haut.
— On peut travailler là ?
— C'était l'idée.
Certains matins, quand ils avaient travaillé séparément la veille, Adrien arrivait les exercices à moitié terminés. Évidemment, Chloé en était la cause. Une fois, Adrien sortit de sa colle de physique avec une mauvaise note, n'ayant pas eu le temps de la préparer correctement.
— Heureusement que j'ai plus l'âge d'être privé de sortie parce que ma moyenne a baissé, tenta de positiver Adrien, mais Kylian vit qu'il était très contrarié.
— Ta copine est rentrée ? demanda innocemment celui qui avait été interrogé avec eux.
Kylian vit Adrien serrer les mâchoires avant de répondre d'un ton sec :
— J'ai eu d'autres obligations.
Kylian garda le silence, sentant qu'Adrien était à bout. Ils se parlèrent peu de la journée. Il attendit qu'ils sortent de l'établissement pour oser timidement :
— Tu veux qu'on aille travailler quelque part ? À la BU ou chez moi...
Adrien le fixa un moment puis déclara :
— Je crois que c'est la meilleure offre qu'on pouvait me faire. C'est pas sympa de laisser Sabine gérer Chloé toute seule ce soir, mais la boulangerie est fermée demain, elle aura un peu de temps.
Il téléphona chez lui pour prévenir qu'il rentrerait tard puis ils se dirigèrent vers la bibliothèque universitaire la plus proche. Alors qu'ils se mettaient en chemin, Adrien dit :
— Merci de ne pas m'avoir dit ce que tu penses vraiment.
— Tu le sais et je ne suis sans doute pas le seul à le penser.
Adrien eut un rire sec :
— C'est la première fois que je suis content que Marinette soit de l'autre côté de la mer !
— Elle t'a engueulé ?
— Non, elle veut étrangler Chloé.
— Ah, une complication en plus.
— En réalité, si elle était là, je pense qu'elle trouverait une solution, relativa Adrien.
— C'est une créative, c'est vrai.
— C'est surtout une pro de la stratégie, assura Adrien, toujours excessif quand il s'agissait de Marinette.
À leur examen oral de math du surlendemain, Adrien réussit à avoir une bonne note, ce qui lui remonta le moral. Quand ils se quittèrent le samedi midi, Kylian souhaita bon courage à son ami, sachant qu'il allait devoir supporter son amie d'enfance tout le weekend.
oOo
Ce même samedi, en fin d'après-midi, Adrien l'appela :
— On sort ce soir, lui annonça-t-il.
— Ah oui ?
— Tu ne peux pas dire non, c'est un cadeau de Marinette.
— Comment ça ?
— Elle a pensé que j'avais besoin d'aide, alors elle a appelé les copains à la rescousse. Ils sont arrivés, tu nous rejoins ?
— Chloé est là ?
— Oui, mais ils la prennent en charge.
— Ce sont tes amis, Adrien. Je ne sais pas...
— Tu es spécifiquement invité. Tout le monde t'admire de la supporter. Allez, viens !
Kylian y alla et ne le regretta pas. Nino leur avait trouvé un endroit sympathique avec une terrasse où ils purent grignoter et discuter, et une piste de danse à l'intérieur.
Pratiquement toute l'ancienne classe d'Adrien et Marinette était là. Kylian fut présenté à ceux qu'il ne connaissait pas encore. En plus de Nino, Alya, Kim, Alix, Juleka, Sabrina et Chloé, il y avait Rose qui faisait un CAP esthétique-cosmétique, Ivan en apprentissage chez un plombier, Max qui était dans une école d'ingénieurs informatique et Mylène qui étudiait la sociologie à l'université.
Ils échangèrent tous beaucoup de plaisanteries et de vieux souvenirs. Kylian glana quelques informations supplémentaires Adrien : du temps où il était au collège, il vivait avec un père très sévère qui le laissait peu sortir. Ils considéraient comme de grandes victoires les rares fois où il avait réussi à échapper à la surveillance paternelle et à celle d'une certaine Nathalie (sa belle-mère ?), voire à celle d'un gorille (là, Kylian n'était pas certain d'avoir bien entendu).
Ils évoquèrent aussi quelques-unes des akumatisations dont ils étaient régulièrement victimes à l'époque.
— Ça fait comment d'être akumatisé ? s'enquit Kylian.
— On se rappelle de rien, répondit Mylène. J'étais juste très triste et une voix m'a parlé. À ce moment je me suis sentie encore plus triste et en colère qu'avant. Alors quand la voix m'a proposé d'arriver à faire ce que je n'arrivais pas, j'ai accepté. Je voulais prouver à tous que j'en étais capable.
— Capable de quoi ?
— De faire peur.
— Pourquoi ?
— Je ne sais plus trop. On faisait du théâtre, je crois.
— Et ensuite, tu t'es transformée ?
— C'est ce qu'on m'a dit. Moi j'ai tout oublié jusqu'au moment où Ladybug m'a sauvée.
— Tu veux dire qu'une fois akumatisée une personne n'est plus elle-même ?
— Pas tout à fait, précisa le dénommé Ivan. Mylène et moi, on sortait ensemble à l'époque et j'ai été le seul à ne pas être attaqué.
— Cette période a dû être encore plus flippante pour vous que pour les autres, commenta Kylian. Sachant que ça pouvait tomber sur vous à tout moment...
— Mais on a eu 98 % de chances de plus que les autres de parler à Ladybug et Chat Noir, précisa Max.
— Ouais, Chat Noir était vraiment marrant, souligna Adrien.
Nino approuva vivement avec un grand sourire pendant qu'Alya levait les yeux au ciel.
Avant qu'ils ne quittent leur table pour profiter de la musique, Alya contacta Marinette en appel vidéo. Son téléphone fit le tour de toute l'assemblée pour permettre à l'exilée d'échanger un mot avec tous.
— Tu t'amuses, Kylian ? lui demanda-t-elle quand vint son tour.
— Oui, c'est super, merci pour l'invitation.
— C'était la moindre des choses, affirme-t-elle avec un sourire reconnaissant.
L'échange qu'elle eut avec Adrien fut court. Il articula un mot silencieusement, lui sourit amoureusement et passa l'appareil à son voisin. Ils avaient dû se parler plus longuement dans la journée. Cela fut rapide avec Chloé également. Elle sembla écouter Marinette, hocha la tête de mauvaise grâce et abandonna le téléphone à Sabrina qui était à côté d'elle.
Kim, le gymnaste, prétendit faire danser leur lointaine amie et partit se filmer sur la piste de danse, rejoint par plusieurs autres de la bande qui entraînèrent Adrien avec eux.
Kylian demanda à Alya, qui était restée assise :
— C'est parce que toute ta classe s'est fait akumatiser que tu as fondé le Ladyblog ?
— Non. Juste parce que c'était la chose la plus excitante que j'avais jamais vue. Nan mais, tu te rends compte ? Des super héros qui font des bonds fantastiques et combattent les monstres. J'étais pas la seule, d'ailleurs, à avoir un site sur eux.
— Mais il n'y a que toi qui as obtenu des interviews, si on exclut Nadia Chamack.
— Il est possible que la sensibilité de notre classe aux akumas ait joué en ma faveur. À force de me voir et de me sauver, ils m'ont remarquée. Et puis, dès que je le pouvais, je courais vers le lieu des combats pour filmer. J'étais complètement dingue, à l'époque.
— Tu ne regrettes pas un peu ce temps-là ?
Avant de répondre, Alya regarda pensivement la piste de danse où Adrien semblait se lâcher complètement au milieu de ses amis :
— C'était excitant mais angoissant en même temps. Des membres de ma famille ont été victimes du Papillon. Et puis... quand j'ai interrogé Ladybug et Chat Noir pour la dernière fois, j'ai senti qu'ils étaient heureux que tout soit enfin terminé. Je pense que pour eux c'était une responsabilité écrasante et qu'ils étaient soulagés d'en avoir fini avec ça.
— C'est vrai que ce n'est pas plus mal de vivre dans le calme, reconnut Kylian.
— Ouais et on va en profiter. Allez, viens, allons danser !
oOo
— Hey Buguinette !
— Adrien, tu es fou de m'appeler comme ça sans vérifier ! Si quelqu'un avait été avec moi !
— Ben, j'aurais commencé par demander ce qu'il faisait dans ta chambre à deux heures du mat'.
— Il n'est qu'une heure ici. Et tu n'as pas peur que je te demande de ce que tu faisais dehors jusqu'à deux heures ?
— T'avais rien à craindre, Nino et Alya me surveillaient.
— Dis donc, toi, qu'est-ce que tu as bu ?
— Seulement quelques bières. Mais j'ai pas l'habitude.
— Ça se voit. Comment t'es rentré ?
— Nino m'a raccompagné. Il a même viré Kylian, de peur que je dise des bêtises.
— Au moins, Nino tient l'alcool, commenta Marinette.
— C'était super chouette, Buguinette !
— C'est bien, Chaton. Maintenant c'est l'heure d'aller cou-couche panier, pa-pattes en rond, d'accord ?
— À tes ordres, Milady !
oOo
Le mois de juin arriva. Il n'y avait plus que trois semaines de cours.
— Qu'as-tu prévu pour les grandes vacances ? demanda Kylian à Adrien.
— Passer mon permis de conduire et bosser pour me le payer. Pareil pour Marinette.
— Moi aussi, je cherche à travailler.
— Ils embauchent à l'hôtel Grand-Paris durant l'été, le renseigna Adrien. Si tu donnes un CV et une lettre de motivation à Chloé, elle fera passer.
— Chloé ne sait même pas que j'existe.
— Elle sait que tu es mon ami, répondit Adrien comme si c'était une assurance qu'elle ferait le nécessaire.
— Et toi, tu penses travailler au Grand-Paris ? s'intéressa Kylian.
— J'ai postulé auprès des grands-magasins et de l'office du tourisme. Je parle chinois, ça peut être utile.
— C'est Marinette qui t'a appris ?
— Non, elle ne le parle pas. J'ai appris avant. Je pratique de temps en temps avec Sabine, pour ne pas oublier. Marinette va aussi envoyer des candidatures dans des boutiques de vêtements de luxe. Ils peuvent avoir besoin de vendeuses qui s'y connaissent en tissus et qui parlent anglais.
Ils passèrent à un autre sujet. Kylian ajouta la pratique du chinois aux bribes d'information qu'il avait récoltées sur son ami.
oOo
— Bonjour Princesse.
— Bonjour Chaton.
— Je suis passé chez Nino, tout à l'heure. C'était cool.
— Il va bien ?
— Super. Il était en train de faire une compil pour une soirée « années 80". Il m'a dit qu'il avait trouvé une chanson pour nous.
— On n'était pas nés à cette époque, mon chaton.
— Ah bon ? Je me disais bien que tu ne faisais pas tes quarante ans !
— Adrien, ton humour te perdra !
— Je t'aime à mourir.
— Je préférerais que tu restes vivant.
— C'est le titre. De la chanson. À peu près.
— Ah, d'accord. Oui, ça me dit quelque chose.
— Regarde les paroles. Nino n'a pas tort, je pourrais te chanter ça.
Marinette sourit à l'écran puis attrapa sa tablette.
— Alors... je suis le gardien du sommeil de ses nuits... ça a plutôt été le contraire, mais bon. Elle n'a qu'à ouvrir l'espace de ses bras pour tout reconstruire ! Mince, il a rencontré une autre Ladybug ou quoi ?
— Je suppose que c'est une métaphore, mais ça sonne bien pour toi, non ?
— Plutôt. Et c'est joli les ponts entre nous et le ciel.
— Et y'a du vrai, nan ?
— Oui, merci mon chaton. Elle a dû faire toutes les guerres, pour être si forte aujourd'hui. C'est certain, ça nous a un peu blindé, cette période.
— Tu vois !
— Les rubans qu'elle laisse s'envoler... ok, avec de l'imagination, je suppose que tu me vois en train de lancer mon yoyo.
— Pas besoin de beaucoup d'imagination pour ça.
— Sa grotte cachée sous les toits. C'est marrant, ça parle même de ma mansarde.
— Alors c'est adopté comme chanson officielle de Marinette et Adrien, mieux connus sous les noms de Ladybug et Chat Noir ?
— Si tu veux. Tu vas me chanter ça ?
— Je ferai tout ce que tu veux, ma Lady. Et j'ai toujours rêvé de venir miauler sous tes fenêtres.
oOo
Les vacances d'été furent enfin là. Pour Kylian et Adrien, ce fut une vraie délivrance après la série de colles qui avaient occupé la fin du mois.
Mais ni Kylian ni Adrien, ni même Marinette qui était rentrée, ne se reposèrent longtemps. Kylian avait décroché un travail d'été dans l'hôtel du père de Chloé. Préposé à la porte d'entrée, il filtrait les entrées, portait les bagages dans les voitures, s'assurait que les clients puissent obtenir un taxi quand ils en avaient besoin. La paye n'était pas mirifique, mais les pourboires étaient assez intéressants. Il faisait aussi des remplacements au comptoir d'accueil et donnait un coup de main pour déménager des meubles quand les salons d'apparat étaient aménagés pour des réceptions privées.
Adrien travaillait à l'office du tourisme. Il venait en aide aux Chinois en perdition. Marinette en tailleur et souliers à talons recevaient des clientes dans un salon de couture. En parallèle, les deux amoureux prenaient des cours de conduite et potassaient leur code. Cela motiva Kylian qui décida d'en faire autant après avoir vérifié qu'il aurait assez d'argent pour le financer.
Adrien et Kylian se virent peu durant le mois de juillet. Kylian travaillait parfois en horaire décalé et il était normal, après tant de mois loin l'un de l'autre, qu'Adrien et Marinette se gardent du temps pour eux seuls. Mais ils restaient en contact par messages et prirent le temps d'avoir deux conversations en vidéo.
Ils décidèrent tous les trois au début du mois d'août de passer leur code le même jour. Ils révisèrent chacun de leur côté pour se donner toutes les chances puis Adrien invita Kylian à passer chez eux pour une grande séance de bachotage. Ils trouvèrent une soirée où leurs horaires coïncidaient.
Kylian, qui avait commencé très tôt le matin était rentré chez lui pour se reposer un peu avant d'aller chez ses amis. Quand il rappela à sa mère qu'il sortait ce soir-là pour aller chez Adrien, elle posa toute une série de questions insidieuses et il eut de mal à se dépêtrer de la conversation.
Kylian était encore très agacé quand il arriva chez Adrien. Celui-ci était dans la boutique et lui annonça :
— Marinette a été retardée. Je propose qu'on l'attende avant de s'y mettre. Tom m'a demandé de faire un peu de rangement pour lui cette semaine. Ça t'ennuie de le faire avec moi maintenant ?
— Non, bien sûr.
Adrien l'entraîna dans la cour intérieure de l'immeuble. Il s'y trouvait toutes sortes de cartons et des contenants en plastique qu'il fallait trier et compacter en vue de les mettre dans des bennes de recyclage.
Adrien s'occupa des plastiques pendant que Kylian se défoulait sur les cartons à aplatir et plier. Au bout de dix minutes, Adrien demanda :
— Un problème ?
— Ma mère, grogna Kylian.
— Elle veut encore te présenter la fille d'une de ses amies ?
— Pas cette fois.
Adrien n'insista pas, mais Kylian sentit qu'il restait attentif. Il se décida :
— Elle veut que je t'invite à la maison, avec Marinette. Mais c'est.... non, laisse tomber, s'interrompit Kylian qui n'était pas certain de vouloir creuser davantage avec son ami.
— Elle veut savoir si Marinette existe vraiment, comprit cependant Adrien.
— Mhm.
Adrien laissa passer quelques secondes, avant de demander :
— Et toi, tu veux la rassurer ou non ?
— À moins que je me mette à sortir avec une fille, rien ne pourra la rassurer.
— D'accord, je reformule : veux-tu encore retarder le moment d'en parler avec tes parents ?
Kylian abandonna son carton et réfléchit à la question tandis qu'Adrien continuait à faire ses empilements un peu plus loin, sans le regarder.
— Pour le moment, commença Kylian, je ne sais pas quoi leur dire, sauf que je suis certain qu'avec une fille ça ne marcherait pas. Mais j'ai pas vraiment essayé... autrement. Je ne me sens pas prêt à discuter de ça avec eux.
— Ok, on viendra, alors. Pour te donner un peu de temps.
Kylian savait que cela ne résoudrait pas son problème sur le long terme, mais il était touché par le fait qu'Adrien trouve normal de prendre sur son temps de vacances pour lui rendre service. Il alla porter un paquet de cartons aplatis à la benne avant de s'attaquer à un nouveau tas.
— Tu devrais sortir un peu, dit soudain Adrien.
— C'est ce qu'on fait déjà ? Enfin, dans la mesure où nos études nous le permettent.
— Pas avec nous, précisa Adrien. De ton côté, pour savoir où tu en es.
Kylian évalua l'idée.
— Je ne saurais même pas où aller, finit-il par avouer.
— Alors, ça, c'est pas difficile. Demande à Nino.
— Tu crois vraiment qu'il connaît ce genre de trucs ?
— Nino va partout et connaît tout le monde, affirma Adrien. Il saura t'indiquer des endroits sympas.
Kylian médita cette piste et les deux garçons continuèrent leur rangement en silence jusqu'à l'arrivée de Marinette.
oOo
Adrien expliqua à Marinette qu'ils allaient être invités par les parents de Kylian.
— C'est sympa, remarqua-t-elle.
— C'est pas complètement innocent, précisa Adrien. Ils trouvent qu'on passe beaucoup de temps ensemble, moi et Kylian.
— Quelque part, ils ont des raisons de s'inquiéter.
— Sans doute. Mais il n'est pas prêt à leur en parler.
— Bon, si ça peut rendre service, pourquoi pas. Cela dit... tu es conscient que Kylian en pince pour toi ?
— On est surtout amis.
— L'un n'empêche pas l'autre.
— Ça lui passera. Il va s'assumer, faire d'autres rencontres et passer à autre chose.
— T'es bien sûr de toi.
— De toute manière, que veux-tu que j'y fasse ? Si je lui fais la gueule et que j'arrête de travailler avec lui, tu crois que cela y changerait quelque chose ?
— Non, c'est vrai, reconnut Marinette. Mais ça ne te gêne pas ?
— Non, seuls les actes comptent.
— Vraiment ?
— Les gens projettent sur moi des choses que je ne peux pas maîtriser depuis très longtemps, lui rappela Adrien. Depuis que j'ai treize ans, en fait.
— À cet âge-là, tu ne réalisais sans doute pas ce que les gens pouvaient penser.
— Détrompe-toi. Déjà, je voyais bien comment j'attirais les regards les rares fois où je sortais. Et puis, un peu avant mes quatorze ans, j'ai eu un téléphone. Bien entendu, mon père m'a interdit de faire des recherches sur internet avec mon nom.
— Bien entendu, tu l'as fait.
— Bien entendu. Et j'ai vite compris les raisons de l'interdiction. J'ai été assez mal pendant deux ou trois jours. Je me suis demandé ce que pensaient vraiment ceux que je côtoyais. Et j'ai fini par me dire que je ne pouvais pas passer mon temps à tenter de deviner les pensées des autres. Sans compter que j'arrivais à un âge où on se rend compte qu'on ne maîtrise pas trop certaines pensées. Alors j'ai décidé que seuls les actes comptaient.
— OK, je vois.
— En ce qui concerne Kylian, continua Adrien, il n'a jamais rien fait ou dit quelque chose qui me mette mal à l'aise. On bosse bien ensemble, j'apprécie le temps que je passe avec lui et il a bien accroché avec nos amis. Même toi tu l'aimes bien. Et il supporte Chloé.
— Il le fait pour toi.
— Comme toi et les copains.
— Pas faux. Et la façon dont il te regarde ne te dérange pas ?
— Il s'arrange pour que je ne le voie pas. Et je peux te dire que d'autres ne sont pas aussi discrets. Mais ça, j'ai l'habitude, et j'arrive à ne plus y faire attention.
— Bon, dit comme ça, effectivement, il n'y a aucun problème.
— Tu vois !
oOo
La visite chez les parents de Kylian s'organisa et se passa très bien. Marinette avait préparé des petits objets pour chaque membre de la famille. La mère de Kylian examina son mouchoir brodé et expliqua que sa mère tissait des tapis. Marinette s'y intéressa vivement et elles parlèrent de fils, de navettes et de trame pendant un moment.
Puis la conversation évoqua le travail de Kylian à l'hôtel. Marinette raconta ensuite comment leur classe y avait fait un stage d'une journée en troisième et qu'elle avait écopé de la fonction de chasseur.
— On doit ramener ce que le client demande, même si ce n'est pas proposé par l'hôtel, expliqua-t-elle. Et Jagged Stone voulait des lunettes en forme de Tour Eiffel. Ça n'a pas été facile.
— Vous avez parlé à Jagged Stone ! s'extasia le frère de Kylian.
— Oui, j'étais super intimidée.
— Et toi, Kylian, qui as-tu rencontré ? demanda une de ses sœurs. Tu ne nous racontes jamais rien.
— Je vois plein de monde, mais je ne les reconnais pas. Je ne lis pas les magazines, moi !
— Et où avez-vous trouvé les lunettes, finalement ? demanda la mère de Kylian à Marinette.
— Elles n'existaient pas. J'ai pris du fil de fer et une bombe de peinture, et je les lui ai créées à partir d'une vieille paire que j'avais chez moi. C'était plus simple.
— Vous voulez dire que les lunettes qu'il a portées à ses concerts ont été fabriquées par vous ? s'étonna un des frères.
— C'est une question de circonstances, dit modestement Marinette. Ce ne serait jamais arrivé si la fille du maire n'avait pas été dans notre classe et qu'on n'avait pas eu l'opportunité de travailler là-bas pendant cette journée.
— Ça doit être bien d'avoir la fille du maire dans sa classe ! soupira une des sœurs de Kylian.
— Toute médaille a son revers, répondit sobrement Marinette faisant sourire Kylian.
oOo
Adrien et Marinette obtinrent leur permis de conduire avant la fin des vacances. Kylian remit son examen à plus tard car il n'avait pas encore pris assez de cours – il devait attendre sa paye du mois d'août pour les régler.
Il avait suivi les conseils d'Adrien et était sorti de son côté. Nino avait poussé la gentillesse à l'accompagner lors de sa première sortie. Kylian avait un peu honte d'avoir laissé transparaître à quel point il angoissait à l'idée de se rendre dans le bar indiqué, mais il avait été heureux de ne pas être seul. Il avait constaté qu'effectivement l'ami d'Adrien connaissait beaucoup de monde et le présentait à tous comme un ami de longue date. Cela l'avait aidé à surmonter sa timidité et il avait passé une bonne soirée. La liberté de parole que se permettaient ses pairs l'enchanta. Il sut qu'il reviendrait.
Il se joignit à la bande d'Adrien pour une dernière sortie avant la rentrée. Si dans l'ensemble l'ambiance fut festive, Adrien et Marinette angoissaient déjà à l'idée de leur prochaine séparation. Ils dansèrent un peu, puis s'installèrent sur une banquette pour s'embrasser.
— Bon, on les a perdus, constata Alya d'un ton indulgent.
— Ils sont toujours comme ça ? interrogea une fille que Kylian voyait pour la première fois.
Elle s'appelait Kagami et faisait des études de droit. Adrien la lui avait présentée comme une ancienne camarade de son cours d'escrime – encore une activité peu commune.
— Non, d'habitude ils se tiennent juste la main, assura Alya. C'est parce que Marinette repart dans trois jours à Londres. Ils ne vont plus se voir pendant trois mois. Alors, ton voyage au Japon dans la famille de ta mère, ça s'est bien passé ?
oOo
À la rentrée, la charge de travail s'abattit de nouveau sur Adrien et Kylian. Ils reprirent leur routine : travail en commun une ou deux fois par semaine, Chloé qui passait de temps en temps, les copains d'Adrien qui venaient lui remonter le moral quand il se languissait trop de sa Marinette.
À la fin du mois de septembre, Kylian, après un regard un peu plus insistant que d'habitude sur Adrien, demanda :
— Tu te laisses pousser la barbe ?
— Oui, je fais un essai.
— T'as attendu le départ de Marinette ?
— Ça pique un peu au début, autant lui éviter ça.
— Et elle en dit quoi ?
— Pour le moment, elle se fiche surtout de moi. Je pense que j'aurai son jugement définitif à Noël, quand elle pourra juger sur pièce.
oOo
— Avoue que c'est pas mal ! insista Adrien en caressant sa barbe
— Mais c'est pas trop rêche ? s'inquiéta Marinette dubitative.
— Les premiers jours, si, mais maintenant, je pense que c'est plus doux. Je ne peux pas te dire ce que ça donnera on quand pourra enfin s'embrasser. Mais si tu insistes, je peux toujours trouver quelqu'un pour tester à ta place.
— Mon minou, si tu fais ça, je ne donne pas cher de ta dépouille.
— Personne ne me croit quand je dis que tu es une vraie terreur ! protesta-t-il.
— À qui dis-tu ça ?
— Je plaisante, ma princesse. Je ne fais que chanter tes louanges. Tu pourras demander à Kylian. Je n'arrête pas de lui dire à quel point tu es fantastique.
— Ne me dis pas que tu bassines ce pauvre garçon en lui parlant tout le temps de moi.
— Désolé, j'arrive pas à faire autrement.
— Je vais devoir lui adresser mes excuses !
— T'en fais pas, il tient le choc.
— Si tu le dis. Et tes cheveux aussi, tu vas les laisser repousser ?
— J'hésite encore. Qu'en penses-tu ?
— Je pense que cela fera déséquilibré s'ils sont trop courts quand ta barbe sera un peu plus fournie.
— Y'a plein de types qui se rasent la tête et qui ont une barbe.
— Si tu fais ça, je dis à mes parents de te mettre à la rue.
— Faire quoi ? Me raser la tête ?
— Ouais. T'as pas intérêt !
— Michel non plus n'est pas pour.
— Non, mais je rêve ! Ce n'est quand même pas le coiffeur de Chloé qui va décider de la tête que tu vas avoir !
— C'est mon conseiller esthétique, fit Adrien de sa voix la plus snob.
— Il est peut-être visagiste diplômé, mais moi, je te fais la tête au carré si tu fais n'importe quoi !
Adrien, voyant que l'indignation de Marinette était factice, lui envoya un baiser.
— Ma princesse, je te promets de te consulter avant de prendre la moindre décision concernant mes cheveux.
— En vrai, mon chaton, ce qui compte, c'est que tu te sentes bien. Si tu dois te raser les cheveux pour ne pas être reconnu, fais-le.
— Pour être franc, je pense que les cheveux plus longs m'iront mieux. Mais le but n'est pas que les gens me regardent trop. Du coup, j'hésite.
— On n'a pas idée, aussi, d'avoir des yeux aussi verts !
— Dis, t'es pas mal non plus. On ne te fait pas trop d'avances ?
— Ça va. Je gère, comme tu dis. Allez, Chaton, c'est l'heure de dormir. Au fait, tu dors la barbe dessus ou dessous ta couette ?
— Très drôle, Buguinette, très drôle !
oOo
La semaine suivante, Adrien alla voir Michel, le coiffeur, et lui demanda son avis. Le professionnel approuva l'abandon de la brosse et suggéra d'en profiter pour éclaircir peu à peu la teinte d'Adrien pour qu'il récupère sa couleur d'origine. Ce serait plus simple : il lui suffirait de faire tailler sa barbe et couper ses cheveux quatre fois par an, alors qu'il s'était astreint pendant de trois ans à venir tous les mois pour sa couleur et rafraîchir sa brosse.
Avec un logiciel spécialisé, Michel et Adrien testèrent de nouvelles coupes. Le visage d'Adrien avait perdu les rondeurs de son enfance. En ajoutant la barbe et en gardant le front dégagé, ils réussirent à trouver une apparence qui préserverait l'anonymat d'Adrien.
oOo
J'ai modifié la couverture de cette histoire, car je suis toujours en train de tâtonner pour trouver la coiffure adéquate pour Adrien avec barbe.
Et au fait, vous avez réalisé que j'ai bien cogité pour trouver à chaque élève de la classe de Melle Bustier une orientation qui lui convient ?
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