III- Du souci pour Chloé
Il arrivait régulièrement qu'on parle du temps où le Papillon faisait régner la peur sur Paris. Ladybug et Chat Noir avaient marqué l'esprit des Parisiens. Il n'était donc pas étonnant qu'un jour la conversation à la cantine dérive sur cette période et que chacun raconte la manière dont il l'avait vécue.
Quand le sujet avait émergé, Kylian avait regardé du côté d'Adrien pour savoir s'il avait l'intention de faire savoir que, non seulement il connaissait celle qui tenait le Ladyblog, mais qu'il était proche d'une des héroïnes. Bien que visiblement intéressé par la conversation, il n'intervint pas. Il écouta avec attention le témoignage d'une de leurs camarades, victime d'un akumatisé qui l'avait enfermé dans jeu vidéo.
— Pendant trois mois, je n'ai pas pu toucher à une console, avoua-t-il.
Un autre témoigna pour ses parents qui avaient vu la tour Eiffel leur tomber pratiquement dessus.
— Ils savaient que Ladybug remettrait tout en place, mais ils ont eu la peur de leur vie.
Quand arriva son tour, Kylian se borna à dire qu'il était toujours passé au travers et qu'il avait suivi les événements uniquement sur internet et à la télévision.
— Et toi, Adrien ? finit par demander l'une de leurs camarades quand tout le monde fut passé.
— Je me suis fait numériser par un fan de Jagged Stone, raconta-t-il. Je me suis retrouvé dans un lieu tout blanc et infini.
— Flippant ! commenta l'un de leurs interlocuteurs.
— Ouais, la fille qui était avec moi n'a pas trop aimé.
— Tu étais avec Marinette ? s'enquit Kylian.
— Non, Chloé.
— Mauvaise pioche, compatit son ami.
— Bah, j'étais plutôt content que Marinette lui ait échappé.
— Et tu as vu Ladybug et Chat Noir ? demanda un autre.
— De loin.
La conversation ensuite porta sur les mérites comparés de Ladybug et Chat Noir. La plupart louaient la Coccinelle. Kylian se lança dans la défense passionnée de son héros, soulignant l'importance décisive de Chat Noir dans les stratégies mises en œuvre par sa partenaire.
— Ses jeux de mots étaient vraiment drôles, en plus, conclut-il.
— C'est vrai ! ponctua Adrien qui avait semblé approuver la tirade de son ami.
— Fan de Chat Noir, toi aussi ? demanda un camarade.
— Je le trouvais super classe, mais j'étais surtout raide dingue de Ladybug, révéla Adrien les yeux pétillants.
Il y eut une seconde de silence avant que l'un d'eux résume le sentiment général :
— Et ta copine est au courant ?
— Bien sûr, répondit Adrien avec un grand sourire. Elle ne m'en veut pas, elle flashait sur un autre type à l'époque.
— Non ! Il y a eu un moment où Adrien et Marinette n'étaient pas ensemble ? feignit de s'étonner Kylian.
— C'est comme Roméo sans Juliette ! enchaîna l'un de leurs interlocuteurs.
— Tristan sans Iseult !
— Clyde sans Bonnie !
— Chat Noir sans Ladybug !
Adrien riait de bon cœur aux taquineries de ses compagnons de table.
— Et comment vous avez fini ensemble, finalement ? demanda Kylian pour profiter du fait que son ami était exceptionnellement en veine de confidence.
— Un jour je me suis rendu compte qu'elle était aussi géniale que Ladybug, expliqua Adrien.
— Et l'autre type ? s'enquit une camarade.
— Il ne faisait pas le poids, fit Adrien en le balayant de la main d'un geste dédaigneux.
Aux expressions des filles du groupe, Kylian se dit qu'il n'était pas le seul à penser que pas grand monde pouvait faire le poids devant Adrien.
oOo
— Coucou, Milady, lança Adrien.
— Salut, Chaton, répondit-elle en lui envoyant un baiser.
— Bonne journée ?
— Rien de spécial. Je suis presque à jour dans mon travail. Et toi ?
— On a eu une conversation marrante à midi. On a discuté de Ladybug et Chat Noir.
— Je crains le pire, assura-t-elle en levant les yeux au ciel.
— Mais non, tout s'est bien passé ! Kylian est fan de Chat Noir et de ses jeux de mots. Je savais que ce mec était quelqu'un de bien !
— Je reconnais bien là ta modestie habituelle.
— Tu es mauvaise langue. Je t'ai rendu hommage. Je leur ai avoué que j'étais dingue de Ladybug à l'époque.
— Adrien, un jour tu en diras trop, s'inquiéta-t-elle.
— T'en fais pas, je maîtrisais. Ils étaient tous à me demander si tu étais au courant. C'était trop drôle.
— Adrien !
— Quoi ? Je les ai rassurés en leur disant que tu étais amoureuse d'un autre mec à ce moment-là.
— Mais qu'est-ce qui t'as pris de raconter tout ça ? s'étonna Marinette.
— Bah quoi ? C'est la version officielle.
— Ce n'est pas la réponse à ma question.
— OK. Je crois que j'en ai marre de mon image de gendre idéal. J'ai fait profil bas au début pour ne pas me faire remarquer, mais c'est pas drôle au bout d'un moment.
— Chaton, t'as un mauvais fond, assura-t-elle d'un ton plus résigné que fâché.
— Pardon, Milady, fit mine de s'excuser Adrien.
— Fais attention à toi, mon minou.
— T'inquiète, tu vois, j'ai refait ma teinture.
— Ça me donne une idée, ça. Si t'es pas sage, je dis à tout le monde que tu as le même coiffeur que Chloé.
— Non, pitié, pas ça ! fit-il semblant de supplier.
— Tu sais ce qu'il te reste à faire !
— Oui, ma Lady. Je ferai ma toilette tous les jours. Je ne miaulerai plus à la lune. Je ne volerai plus les croquettes du voisin. Je ferai mes besoins dans mon bac.
Marinette était écroulée de rire devant son téléphone.
— Ah, tu vois que tu aimes quand je fais de l'humour ! fit remarquer Adrien. Pourquoi en priver les autres ?
— C'est bon, je laisse tomber.
— Je ferai attention, ma Lady, assura-t-il d'une voix sérieuse. Promis.
oOo
Le mois d'avril arriva avec les vacances de Pâques. Marinette ne vint pas chercher Adrien à son lycée. Celui-ci partit le dernier jour de classe après le cours pour la récupérer à la gare routière, tout illuminé à l'idée de la retrouver.
Les garçons avaient prévu de travailler ensemble durant la seconde semaine des vacances. Quand Kylian arriva à la boulangerie, Marinette était derrière le comptoir. Elle abandonna son client pour lui faire la bise et, avec un grand sourire, lui dit :
— On se voit plus tard.
Effectivement, quand Adrien et Kylian descendirent après leurs séances d'exercices, elle était dans le salon en compagnie de Nino. Ils jouaient à un jeu que Kylian connaissait bien : Ultimate Mecha Strike.
— C'est la version IV ? demanda-t-il repérant des éléments de décor dont il ne se souvenait pas.
— Non, c'est une version beta de la V, répondit Nino. Un copain qui travaille dans les jeux vidéo me l'a passée.
— Elle est pas mal, commenta Marinette.
— Tu veux essayer ? proposa Nino en se levant et tendant la manette à Kylian.
— Je te laisse terminer ta partie.
— Nope, je suis en train de perdre de toute manière. Vaut mieux que tu reprennes à zéro, d'ailleurs.
— Mais non, Nino, tu te défends super bien ! assura Marinette.
— Fais gaffe à toi, Kylian, commenta Adrien attrapant la main de Nino pour le saluer. Elle nous bat tous.
Les deux amis se mirent à discuter et Kylian se tourna vers Marinette. Elle lui expliqua les nouveautés et le mit sur le mode démonstration pour qu'il s'échauffe un peu. Puis, ils commencèrent à jouer. Kylian n'était pas mauvais, mais il comprit rapidement qu'il était totalement surclassé. Marinette non seulement avait d'excellents réflexes, mais utilisait les armes mises à sa disposition et des éléments du décor de manière totalement inattendue. On voyait que c'était une créative. Il en apprit plus sur le jeu en s'opposant à elle une demi-heure que durant les nombreuses heures qu'il avait passé dessus auparavant. Il était clair qu'elle pourrait l'éliminer sans problème, mais elle brida son niveau de manière à leur permettre de continuer la partie. Kylian apprécia son esprit sportif.
— On y va, finit par dire Adrien. Nino nous a concocté le programme de la soirée. Alya nous attend déjà.
Peu après la rupture, Adrien avait fait part à Kylian de sa crainte que la séparation d'Alya et Nino complique leurs soirées entre amis. Mais finalement, les deux intéressés étaient restés en excellents termes et ils se revoyaient sans problème.
— Chloé devrait nous rejoindre avec Sabrina quand elle aura fini de bouder, compléta Adrien.
— Faut pas qu'elle se force pour moi, dit ironiquement Marinette.
Kylian se dit qu'il n'avait pas vu Chloé depuis plusieurs semaines. Il s'en félicitait car elle l'agaçait beaucoup à toujours faire comme s'il était transparent. Heureusement, pour cette soirée il y aurait les quatre autres et il ressentirait moins directement son mépris.
— Kim est libre et Alix aussi, indiqua Nino qui faisait défiler les messages sur son téléphone.
— Chouette ! Ce sont des amis de collège, expliqua Adrien à Kylian. Kim est en filière STAPS et Alix à la fac d'histoire. Tu verras, ils sont marrants. Dès qu'ils se rencontrent, ils se lancent des défis. Sabrina suit une formation en accompagnement éducatif et social.
— Et Juleka vient aussi, continua Nino. Elle appelle Rose pour savoir si elle peut nous rejoindre. Je ne me souviens plus où est Luka. Toujours à Vienne ?
— Il était aux États-Unis il y a deux mois quand il m'a écrit, signala Marinette tout en bloquant Kylian qui tentait de récupérer un nouveau trophée.
— Ok, dit celui-ci. Tu me dépouilles totalement pour qu'on en termine ?
— Inutile, répondit-elle en mettant le jeu en pause. On s'est bien amusés, c'est ce qui compte.
— Marinette a trop bon cœur pour achever qui que ce soit, la taquina Nino. Elle sera toujours dans le camp des gentils.
oOo
C'est vrai que Kim et Alix étaient amusants : ils se lançaient des défis cocasses comme aller demander des objets incongrus aux autres consommateurs du bar ou deviner ce que leurs amis avaient dans leurs poches ou leur sac à main. Sabrina restait en retrait, ne parlant pratiquement qu'à Chloé. Juleka – qui suivait une formation pour devenir webdesigner – n'était pas tellement plus bavarde mais s'intégrait plus clairement dans le groupe.
La fille du maire fut particulièrement désagréable ce soir-là, lançant de nombreuses piques à Marinette. Dans un premier temps, la petite amie d'Adrien répondit de manière humoristique, avant d'ignorer complètement les méchancetés dont elle était la cible. Cependant, quand Marinette renversa une bouteille de bière qui était sur la table, Kylian n'aurait pas juré que c'était un total hasard si le liquide jaillit en direction de Chloé. Même si la maladresse de la styliste semblait légendaire parmi ses amis.
Comme Chloé continuait à être agressive d'une voix de plus en plus perçante, Adrien finit par perdre patience. Il posa la main sur le bras de son amie d'enfance et dit d'une voix contenue :
— S'il te plaît, Chloé.
Celle-ci se dégagea vivement et siffla :
— Arrête de me parler comme à une gamine. Et puis, j'en ai marre de vous ! Vous êtes ridicules ! Complètement ridicules !
Elle se leva de son siège tellement brusquement qu'il tomba en arrière, ramassa son sac et partit aussi vite que le lui permettaient ses talons hauts. Son amie Sabrina la suivit avec un temps de retard.
Adrien se précipita à leur suite. Ils le virent tenter de retenir Chloé devant la porte. Celle-ci le repoussa et lui adressa avec virulence des propos qu'ils ne purent saisir, alors que le jeune homme semblait tenter de la calmer. Finalement, les deux filles sortirent et Adrien revint vers eux, visiblement contrarié.
— Non, mais je rêve ! s'écria Alya. Elles nous laissent leur note sur les bras ! Faut pas se gêner !
— Je m'en charge, tenta de la calmer Adrien en se rasseyant.
— Pas question, opposa l'apprentie journaliste. Tu leur en ferais cadeau. Je vais régler et je te prie de croire qu'elles vont me rembourser !
— Chloé est de pire en pire, commenta Alix. Heureusement que le Papillon n'est plus là. On aurait cinq alertes akuma par jour.
— Pourquoi ? demanda Kylian qui ne voyait pas le rapport entre les exploits héroïques de Chloé, son arrogance et le Papillon.
— Parce que discuter avec Chloé te transforme en proie idéale pour les akumas, expliqua Alix.
Kylian se mit à rire à cette exagération, mais Kim lui fit comprendre que ce n'était pas une plaisanterie.
— Rigole pas, toute la classe s'est fait akumatiser au moins une fois à cause d'elle.
— Sérieux ? s'effara Kylian qui n'avait jamais rencontré de victimes directes du Papillon.
— Seuls Adrien et Marinette y ont échappé, précisa Alix.
— Mais non, enfin si, mais c'est pas... c'était..., commença à bafouiller Marinette avec de grands gestes qui faillirent renverser son verre.
Adrien la saisit par le poignet pour l'inciter à se calmer et précisa :
— Nous avons plusieurs fois été victimes de personnes akumatisées. Ce n'était pas plus agréable.
— Mais ça dénote une résistance particulièrement élevée au mauvais caractère de Chloé, analysa Alya.
Marinette sourit à son amie et sembla se détendre. Kylian ne comprit pas ce qui l'avait mise dans cet état. Au regard que Juleka posait sur son amie, il n'était pas le seul.
— Oh, Marinette, ça faisait longtemps qu'on t'avait pas vu bafouiller, s'amusa Alix. Mince, on aurait dû parier avec Kim celui qui trouverait le sujet qui te mettrait en transe.
— Comme si c'était compliqué à trouver, répondit Kim.
Il semblait vouloir développer, mais Adrien l'interrompit :
— Le passé c'est le passé.
Il était naturel qu'Adrien défende sa petite amie. Mais la vitesse à laquelle tous les autres changèrent de conversation donna à Kylian l'impression qu'un sujet, qu'il était le seul à ignorer, avait été soigneusement évité.
oOo
Le lendemain, alors qu'ils paressaient au lit, blottis l'un contre l'autre, Adrien confia à Marinette :
— Je me fais du souci pour Chloé.
— C'est vrai qu'elle était en grande forme hier, commenta Marinette d'une voix acide. S'était-elle cassé un ongle ? Ah, non, je sais... j'ai remarqué que son rouge à lèvres n'était pas assorti à ses chaussures ! C'est un truc à te gâcher la soirée, ça !
— Marinette, je suis sérieux.
— Désolée. Je t'écoute.
— Si elle nous trouve maintenant sans intérêt, c'est qu'elle nous compare à ses nouveaux amis.
— Ne me fait pas croire qu'elle s'est fait des amis ! refusa de valider Marinette.
— Ses nouvelles relations, si tu préfères, reformula-t-il. Ceux qui sont dans son école de commerce hors de prix.
— Et qu'ont-ils de si intéressant ses petits camarades ?
— Ils sont pétés de thunes et rien d'autre à faire qu'à tenter de s'impressionner les uns les autres en dépensant l'argent de leurs parents. Et tu ajoutes à ça que c'est la première fois de sa vie que Chloé n'est pas la plus riche de la classe. Du coup, elle ressent le besoin de prouver qu'elle les vaut bien.
— Ah ouais, ça fait peur, convint Marinette.
— Alors forcément, avec nos bars pas trop chers et les boîtes où on tente de rentrer à l'œil, on ne tient pas trop la comparaison.
— Mais pourquoi seulement maintenant ? s'étonna la jeune fille. Enfin, je veux dire, elle semblait s'amuser avec nous à Noël. Et puis elle t'a offert ce week-end à Londres en février. J'en reviens toujours pas d'ailleurs.
— Oui, mais elle se sentait encore appartenir dans notre cercle. C'est de moins en moins le cas. Maintenant, elle cherche à s'insérer dans son groupe de snobinards richissimes.
— T'es pas son père, Adrien. Que veux-tu y faire ? Et puis, pourquoi elle ne prendrait pas un peu de bon temps ? Elle n'aura jamais à gagner sa vie. Pourquoi bosserait-elle comme nous ? Nino et Alya sortent et s'amusent. Nous trouvons ça normal, même si on ne les imite pas.
— Oui, mais eux, ils sont sérieux à côté. Je ne suis même pas certain que Chloé aille encore à ses cours. Et puis, il n'y a pas que ça. T'as une idée de ce qui peut traîner comme saloperies dans une soirée privée, pour peu qu'on ait un peu de moyens ?
— Tu as parlé de ça avec ma mère ? demanda Marinette en se redressant dans le lit, le visage grave.
— Oui, bien sûr, et elle est aussi inquiète que moi. Mais Chloé vient moins ici et ta mère n'a pas eu l'occasion de parler avec elle depuis longtemps. On perd du terrain. Ta mère lui a envoyé des messages, mais Chloé n'a pas répondu. Du coup, j'étais content qu'elle vienne l'autre soir. Mais j'ai trop tardé à prendre un peu de temps pour elle. Je pense que c'est pour ça qu'elle est partie en vrille.
— Te sens pas coupable, Chaton, dit Marinette en lui caressant la joue. Tu en fais déjà beaucoup pour elle.
— Elle est notre amie.
— Je sais ce qu'on lui doit. Et pas seulement parce qu'elle me le rappelle régulièrement. Je n'oublie pas cette nuit-là ni les semaines qui ont suivi. Je lui suis bien plus reconnaissante qu'elle ne l'imagine. Tu crois que je la laisserais me parler comme elle le fait, sinon ?
— C'est vrai, Milady, tu es très patiente avec elle, reconnut Adrien en l'embrassant dans le cou.
— Par contre, il y a autre chose que le bien-être de Chloé, dans l'histoire, s'inquiéta Marinette. T'es-tu déjà enivré ? Au point de ne plus te contrôler ?
— Bien sûr que non.
— Voilà ! Moi aussi, je fais attention. On a trop de choses à garder pour nous. Et Chloé, si elle parle trop, tu y as pensé ?
— Encore faudrait-il qu'on la croie ! Tu sais bien que même quand elle dit être Queen Bee, tout le monde ne la trouve pas crédible. Je ne pense pas que ce soit vraiment un problème.
— Si tu le dis... Mais dis donc, c'est injuste ! Moi, je dois me restreindre et pas elle !
— Ça te manque tant que ça de ne pas pouvoir te prendre une cuite ? l'interrogea Adrien.
— C'est de devoir me surveiller tout le temps, qui est pénible. Tu réalises que je ne peux pas me prendre un mec pour une nuit. Tu imagines si je parlais dans mon sommeil ?
— T'es pas douée, toi. Suffit de le virer une fois que tu en as fini avec lui. C'est très simple, je t'assure. Ouille ! protesta-t-il en réponse à son coup de coude dans les côtes. Qu'est-ce que j'ai fait ? Je te donne un conseil, c'est tout.
— C'est pour ton air habitué.
— Eh, c'est toi qui as évoqué le sujet en premier ! protesta-t-il.
— Qui a commencé en amenant le sujet Chloé dans mon lit ?
— C'est le mien aussi.
— Raison de plus !
oOo
Chloé était dans le salon quand Kylian et Adrien arrivèrent, deux semaines après leur sortie qui s'était terminée par le départ en fanfare de l'insupportable fille.
— Je suis content de te voir ! s'exclama Adrien qui paraissait sincère.
— Tu vas encore travailler ? l'apostropha-t-elle brutalement.
— Désolée, mais oui, on a un devoir à rendre pour demain.
— Mais tu ne peux pas venir avec moi, pour une fois ?
— Si tu me préviens à l'avance, je peux m'arranger, mais pas à la dernière minute, tu le sais bien.
— De toute manière, tu n'as jamais le temps.
— Tu ne veux pas rester dîner ? proposa Adrien. On aura tout le temps de parler.
— Mais non, j'ai une soirée de prévue. C'est pour ça que je suis venue te chercher.
— Tu ferais mieux de moins sortir ce soir et d'aller un peu plus en cours, riposta Adrien. Ces gens ne sont pas tes amis.
— Mais qu'est-ce que tu en sais ? Tu ne les connais même pas !
Le ton commençait à monter. Kylian commença à se dirige discrètement vers l'escalier qui menait à la mansarde, ne voulant pas être mêlé à cette discussion.
— J'ai pas besoin de les connaître pour voir qu'ils te donnent de mauvais conseils, commençait à s'échauffer Adrien. Ils sont dangereux pour toi.
— Ah, ça va ! Arrête avec ton air moralisateur. Tu faisais moins le fier quand toi et ta boulangère avez débarqué chez moi, après...
— Chloé ! l'interrompit Adrien d'une voix furieuse en la prenant par le bras et lui imprimant une secousse sèche. Réfléchis bien à ce que tu vas dire !
Kylian, stupéfait par la violence du dernier échange, s'était retourné pour les regarder. Les yeux d'Adrien étaient durs, toute patience envolée. La jeune fille avait les yeux plissés, évaluant manifestement ce qu'elle pouvait se permettre de dire.
— On t'a fait confiance, reprit Adrien les dents serrées. Ne détruis pas tout.
Kylian changea d'avis et décida de rentrer chez lui et les laisser régler ça entre eux. Mais avant qu'il puisse atteindre la porte de l'appartement, Chloé cracha :
— Je te déteste ! Tu es comme les autres ! Tu ne comprends rien ! Je ne veux plus jamais te voir !
Et elle sortit comme une furie. Après une seconde de saisissement, Adrien se jeta sur l'interphone qui reliait le foyer des Dupain-Cheng au magasin.
— Sabine, Chloé est en train de descendre. Récupérez-là. J'arrive.
Et il partit en trombe. Kylian n'osa pas le suivre. Il entendit des cris venant de l'étage inférieur, puis des pleurs hystériques qui se rapprochaient. Sa retraite était coupée. Il se replia vers la mansarde, dont il rabattit la trappe. Il allait devoir attendre que la crise soit réglée pour partir.
Il tenta de se mettre au travail, mais n'arriva pas à se concentrer. Il reçut un message d'Adrien sur son téléphone : Je suis en boutique. Je te rejoins dès que possible.
Aux bruits qui traversaient le plancher, Sabine avait réussi à rattraper Chloé et la ramener dans l'appartement tandis qu'Adrien la remplaçait à la boulangerie. En dessous, les pleurs se calmèrent et firent place à de longues récriminations, pour autant que Kylian pouvait l'interpréter alors que les paroles prononcées lui étaient inaudibles.
Une demi-heure plus tard, Adrien arriva. Quand il ouvrit la trappe, Kylian entendit des chuchotements. La discussion entre Chloé et Sabine n'était pas terminée, mais nettement pacifiée.
— Désolé, dit Adrien quand il eut refermé derrière lui. Je ne pensais pas que cela partirait aussi vite en vrille.
— Ça lui arrive souvent ? demanda Kylian.
— Ça fait un moment que je vois que ça se passe mal pour elle, mais je ne pensais pas qu'on en était déjà là.
De l'avis de Kylian, c'était simplement une fille égocentrique à qui on avait passé trop de caprices. Son ami était trop gentil avec elle et elle en abusait. Son opinion dut transparaître sur son visage car Adrien soupira et dit :
— Je sais qu'elle est infecte avec toi et que tu n'as aucune raison de l'apprécier. Elle est aussi trop gâtée par son père et cela ne lui fait pas du bien. Mais pour moi, c'est une amie de longue date. Et le jour où j'ai vraiment eu besoin d'elle, elle a fait tout ce qui était en son pouvoir pour m'aider. Je ne peux pas la laisser tomber.
— Elle a de gros ennuis ?
— Mauvaises fréquentations. Mais bon, Sabine semble avoir repris la main. Ça va aller.
— Je suis désolé. Je n'aurais pas dû être là.
— Cela ne change rien.
En voyant Kylian pas convaincu, Adrien précisa :
— OK, elle allait évoquer quelque chose dont je n'ai pas envie de parler devant toi, mais ce n'est rien dont je doive avoir honte. Allez, on a assez perdu de temps, faut qu'on s'y mette.
Quand ils eurent terminé leur programme de la soirée, Adrien vérifia que la voie était libre et accompagna Kylian au rez-de-chaussée. Tom et Sabine étaient en train de ranger la boutique – avec une bonne heure de retard nota Kylian qui connaissait maintenant les horaires qui régissaient la maison.
— Besoin d'aide ? fit Adrien en passant.
— Je veux bien que tu t'occupes du dîner, répondit Sabine.
Les deux garçons se saluèrent et Adrien remonta rapidement à l'appartement.
oOo
— Tu es en train de me dire que Chloé a commencé à parler devant Kylian du jour où tout s'est terminé ? s'étrangla Marinette.
— Je ne suis pas sûr. Elle m'a vraiment laissé le temps de l'interrompre. Elle voulait me mettre en colère, c'est tout.
— Je ne sais pas comment tu fais pour rester aussi patient avec elle, dit aigrement Marinette. Et, pitié, ne me ressort pas ton couplet sur les amitiés d'enfance ou ce qu'on lui doit !
— Marinette, c'était un appel au secours. À tout prendre, je préfère ça à une tentative de suicide.
— Ne me dis pas, qu'en plus, elle t'a fait un chantage au suicide !
— Non, mais elle a dit à ta mère qu'elle y pensait parfois.
— Et t'y crois ?
— J'ai l'impression qu'elle réalise qu'elle a fait une erreur en se grillant avec nous. Elle a vraiment eu une grosse crise d'angoisse.
— Elle aura toujours Sabrina, riposta Marinette. À moins qu'elle l'ait dégoûtée, elle aussi.
— Chloé a besoin de personnes qui lui posent des limites, expliqua Adrien. Ni son père ni Sabrina ne l'ont jamais fait. C'est pour ça qu'elle vient ici. Par contre, je ne sais pas si c'est conscient ou non.
— Je refuse de parler plus longtemps des malheurs de Chloé. Je suis trop énervée. Et Kylian dans tout ça ? Qu'est ce qu'il a compris ?
— Il a compris qu'il a entendu le début de quelque chose qui ne lui était pas destiné. Du coup, il s'est excusé.
— Il a des pistes pour savoir de quoi elle parlait ?
— Je ne pense pas.
— Mais il sait que tu lui caches un truc, maintenant.
— Oui. Mais bon, il le savait déjà.
— Adrien, qu'est-ce que tu lui as révélé exactement ?
— Pas grand-chose. Mais est-ce que tu réalises que je ne pourrais jamais me faire de nouveaux amis en taisant seize ans de ma vie, alors que je n'en ai que dix-huit ?
Marinette réfléchit à ses paroles, et dit :
— Je vois ce que tu veux dire. Je n'avais pas réalisé à quel point cela pouvait être difficile à vivre pour toi.
— Du coup, j'ai réfléchi, continua Adrien. Je pense que je peux assumer que Kylian découvre mon vrai nom et le fait que je suis fâché avec mon père. Je ne lui ai rien dit explicitement et je n'ai pas l'intention de le faire, mais s'il devine ou si ça vient dans la conversation, je ne mentirai pas.
— D'accord, je te comprends.
— Et puis, il y a autre chose, s'échauffa Adrien. Mon père m'a empêché de me faire des amis pendant treize ans. Je ne vais pas toute ma vie me couper des autres parce que j'ai peur qu'on découvre son secret. (Il vit son amie se décomposer.) Marinette, ne fais pas cette tête. Je n'ai pas l'intention de faire mon coming-out à propos de Chat Noir et Ladybug. Mais si des personnes déduisent ce qu'il a fait en faisant le rapprochement avec mon départ de chez moi, eh bien tant pis !
— Adrien, tu te rends compte que tu vas très loin, là ?
— Je ne peux pas rester tout seul, Marinette. Ni t'obliger à me tenir ma main tout le temps. Notre cercle d'amis va évoluer avec le temps. On va accueillir d'autres personnes. Faut qu'on trouve le bon équilibre entre ce qu'on dit ou non.
Marinette ne répondit pas tout de suite. Finalement, elle énonça :
— Tu as vraiment besoin d'avoir un ami dans ta classe.
— Oui. Pas seulement parce que n'es plus là. C'est parce que j'ai un rythme très particulier, que ni toi, ni Alya et Nino ne pouvez suivre. Sans Kylian, je serais très seul. Et tu sais que je n'arrive pas à le supporter.
— Je comprends, Chaton. Tu as des années de solitude à rattraper. Je comprends vraiment. Mais je n'avais jamais réfléchi à ce que cela allait impliquer sur le long terme.
— Cela t'inquiète.
— Un peu. Et le facteur Chloé ne me rassure pas.
— Elle a tout fait pour ne pas aller au bout. Ne t'en fais pas pour elle.
— Plus facile à dire qu'à faire.
— Désolé, Milady.
— Chaton, c'est pas de ta faute.
— Ça me tue de ne pas pouvoir te serrer dans mes bras pour te rassurer, dit Adrien d'un ton désolé.
— Ça ira. Et, crois-moi, c'est une bonne chose que je sois à trois cent cinquante kilomètres de Chloé ! J'ai juste envie de l'étrangler.
Cela fit sourire Adrien. Il préférait une Lady en colère à une Lady troublée.
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Le prochain chapitre s'intitulera : L'espace de ses bras.
Saurez-vous retrouver la référence ?
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