La fille au révolver
Elle a posé son arme sur la table de nuit.
Je n'en avais jamais vu une d'aussi près, c'est à la fois fascinant et effrayant. Je ne sais pas ce que c'est exactement, je ne m'y connais pas. À mes yeux, c'est juste un pistolet noir. Il ressemble à ceux que les policiers ou les agents du FBI ont dans les films. Si j'osais, je profiterais de son sommeil pour le prendre dans mes mains. Sentir ce que ça fait, d'avoir un flingue. De savoir qu'on a la possibilité de tuer. Je me demande s'il est chargé. Est-ce que si j'appuyais sur la détente, le coup partirait ? J'ai entendu beaucoup d'histoires d'accidents avec des armes à feu, je ne suis pas très rassurée. Je crois que je ne vais pas réussir à dormir.
Je me demande si c'est légal. Mais peut-être a-t-elle un permis après tout. Je n'en sais rien, je ne sais pas qui elle est. Elle est sans doute flic ou quelque chose comme ça. Et assez paranoïaque pour porter son arme en dehors du service. Et si elle était dangereuse ? Une tueuse en série ? Qui couche avec ses victimes avant de leur faire exploser le crâne dans leur sommeil en utilisant un oreiller pour étouffer la détonation. Ensuite elle jettera mon cadavre dans la Seine ou l'enterrera au fond de son jardin. Sous les géraniums.
Je crois que c'est moi qui me fais des films.
Il faut que j'essaye d'oublier cette arme. Je me couche sur le dos, fixe le plafond. Il y a de la moisissure dans un coin à droite, je ne l'avais jamais remarqué. Il faudra que j'en parle à mon proprio pour qu'il fasse quelque chose. Le temps passe, j'entends le tic-tac de la montre de cette fille. C'est une grosse montre qu'elle porte en collier, plus personne n'a ce genre de trucs de nos jours. C'est ringard et le son de la trotteuse est insupportable. En plus, j'ai l'impression que ça résonne sur le bois de la table de nuit. Est-ce que si je la mets par terre sur la moquette, je l'entendrai moins ? Il faut essayer.
Je me redresse et tends le bras pour attraper cette montre. Sauf que j'avais oublié qu'elle était posée juste à côté du flingue. La chaîne a glissé sur le canon. Finalement, je ne vais pas y toucher. Tant pis. Je me rallonge et je regarde l'endormie.
Elle est belle quand elle dort. Non, elle est belle tout le temps. Ses cheveux surtout, ils sont magnifiques. Des comme ça, on en voit que dans les magazines ou dans les pubs pour shampooing. Ils sont roux. Pas orange carotte, ni blond vénitien. Non, ils sont d'un roux très profond, un vrai roux cuivré, avec des reflets fauves. Quand je l'ai rencontrée, ils bouclaient autour de son visage et cascadaient gracieusement jusqu'en bas de ses reins. Maintenant, ils sont complètement emmêlés. Ce n'est plus une chevelure, c'est une crinière, bien qu'ils soient infiniment doux.
Quand on a fait l'amour, j'avais ses cheveux partout dans la bouche et dans les yeux. C'était comme se noyer dans une mer orange. Elle riait quand je faisais mine de m'étouffer dedans ou quand je devais m'arrêter pour retirer ceux qui avaient glissé sur ma langue. Je me suis vengée en les tirant fort, en les attrapant à pleines mains pour les écarter et en les tenant serrés dans mon poing pour la forcer à se tenir tranquille. À la tenir à ma merci. À moins que ce ne soit l'inverse. Ça ne l'a pas dérangée. Elle m'a dit que je baisais comme un mec, mais je crois que c'était pour m'énerver.
Je l'ai fait jouir une première fois comme ça. Au-dessus d'elle, une main accrochée à sa crinière, l'autre glissée dans ses boucles rousses. Elle était belle dans l'éclairage de la lampe de chevet. Son corps était en sueur, si bien que sa peau laiteuse brillait à la lumière. Son décolleté et ses bras sont mouchetés de tâches de rousseur, je ne m'en étais pas aperçue. Maintenant qu'elle ne bouge plus, je peux l'observer de tout mon soul. L'image de son corps cambré et de sa bouche entrouverte ne veut plus me quitter. Comme le son de ses gémissements étouffés et de ses soupirs. Les murs sont en papier de cigarette ici, je lui ai demandé d'être discrète. Ça aussi, ça l'a fait rire.
Plus je la regarde et plus je ressens des choses étranges. Je ne saurais pas expliquer cela. Ça faisait longtemps que je n'avais pas couché avec une fille. Je crois que ça n'a jamais été aussi bon. Si je m'écoutais, je la réveillerais pour recommencer. J'ai envie de glisser sous la couette pour embrasser son sexe, le nez dans sa courte toison et la langue entre ses lèvres. Pour lui faire oublier les voisins, pour la faire crier. Je n'oserais jamais. Elle dort à poings fermés, je m'en voudrais de la réveiller. Elle me perturbe. J'aimerais l'attacher à mon lit pour ne pas qu'elle parte demain matin. Il est si tard.
D'habitude, ça ne me gêne pas. Les coups d'un soir. Mais cette fois, j'aurais préféré que ce soit différent. En même temps, qu'est-ce que je sais d'elle ? Rien. Son prénom, juste son prénom. Fantine. C'est vieillot au possible, mais je trouve qu'il lui va bien. De toute manière, elle aurait pu s'appeler Pierrette que j'aurais quand même trouvé ça beau. Fantine, ça fait Fanfan. J'aurais aimé trouver l'occasion de l'appeler comme ça. Peut-être si elle reste pour le petit-déjeuner, qui sait ? Si je l'avais rencontrée ailleurs que dans une boîte de nuit, ça aurait peut-être été différent. On aurait pu parler, apprendre à se connaître, aller doucement. On aurait vraisemblablement pas couché le premier soir. Elle m'aurait parlé d'elle et j'aurais sans doute su pourquoi elle porte une arme. Ça m'aurait vraiment plu.
Sauf qu'on s'est rencontrées en boîte justement. Sous les spots multicolores, je n'ai pas remarqué la couleur de ses cheveux. J'ai seulement vu ses courbes moulées dans une petite robe noire. Et l'aisance qu'elle avait sur la piste de danse. J'ai poussé le type qui essayait de se coller à elle pour prendre sa place. Elle a passé un bras autour de ma taille pour me rapprocher d'elle. On a dansé longtemps, on a bu aussi. Elle était sans arrêt en train de remonter ses cheveux en chignon parce qu'elle avait chaud, mais son élastique n'arrêtait pas de glisser. Alors ils retombaient sur ses épaules.
Elle m'a dit que j'étais mignon et que je bougeais vachement bien pour un mec. Je ne l'ai pas corrigée, j'avais trop peur qu'elle s'en aille. En plus, j'étais ivre. L'alcool et la musique trop forte. Elle ne m'a pas demandé comment je m'appelais. C'était tant mieux. À un moment, je l'ai embrassée. Un goût de coca. Elle a répondu franchement à mon baiser en me laissant la serrer dans mes bras. Je ne sais pas si elle a senti ma poitrine à ce moment-là, moi j'étais grisée d'avoir la sienne pressée contre mon corps. Personne ne faisait attention à nous. On était juste un mec et une nana qui allaient s'envoyer en l'air dans l'heure. Comme tant d'autres.
On est sorties de la boîte et je lui ai proposé d'aller chez moi. Elle a souri et m'a suivie. Dans le métro, j'ai enfin pu la voir à la lumière. J'ai vu ses cheveux roux, sa peau blanche comme la neige et ses yeux sombres cernés de noir. Son mascara avait coulé avec sa sueur. Je l'ai embrassée durant tout le trajet. À pleine bouche, avec la langue, en caressant ses seins et ses hanches. Il n'y avait personne, on s'en fichait.
Il n'y avait que trois stations, j'habite à côté du métro. On a vite été chez moi. C'était dur de monter les escaliers, on était ivres. Dès que j'ai eu ouvert la porte, elle a recommencé à m'embrasser. Je l'ai poussée vers la chambre, elle m'a fait tomber sur le lit. Puis elle a commencé à se déshabiller. Elle a commencé par son string qu'elle m'a lancé au visage. Je me suis moquée d'elle, c'était trop cliché. Elle a tiré la langue et a fait passer sa robe par dessus sa tête. Elle ne portait pas de soutien-gorge, mais tout ce que j'ai vu, c'est le flingue qu'elle portait à la cuisse. Elle a vu mon regard ahuri et a eu un petit rire. Elle a détaché la sangle et a posé son arme sur la table de nuit.
La seconde d'après, j'avais le visage entre ses seins et j'ai arrêté de réfléchir. J'ai embrassé son corps, son visage, sa bouche... J'ai caressé tout ce qui s'offrait à mes mains curieuses. Sa peau était chaude et douce, elle sentait bon. Ses seins étaient lourds et fermes, ils étaient trop gros pour mes mains. Ça m'excitait, j'avais envie d'elle. J'ai encore envie d'elle.
Quand elle a commencé à déboutonner ma chemise, j'ai eu comme une bouffée d'angoisse. J'avais peur qu'elle parte. Je n'ai jamais été un garçon. Mais elle n'a rien dit, elle savait déjà. Elle m'a déshabillée lentement, je me suis laissée faire. Elle m'a touchée, caressée, embrassée. On s'est laissées entraîner par notre désir.
Je me souviens qu'à un moment, elle m'a fait basculer sur le lit et s'est mise au-dessus de moi. Ses cheveux tombaient sur moi, comme une caresse sur ma peau. Elle était douce et forte à la fois. Tendre et sauvage. Dominée et dominante. Je me suis abandonnée dans ses bras, sous ses doigts, sa bouche. Moi qui ne supporte pas de me laisser faire. On a emmêlé nos corps, nos jambes, tout. Jusqu'à en perdre le souffle, jusqu'à avoir les lèvres irritées par trop de baisers, jusqu'à ne plus avoir la force de bouger. En plus, il y avait l'alcool. Je crois qu'elle avait bu davantage que moi.
Elle s'est endormie très vite. Allongée sur le ventre. Je n'ai pas réussi à trouver le sommeil. À cause de son arme posée sur la table de nuit. À cause d'elle aussi. Je ne me lasse pas de la regarder. Du bout des doigts, je caresse ses cheveux et ses épaules nues, le reste est dissimulé sous la couverture. Dommage.
Je soupire. Il faudrait vraiment que je dorme. Mais si je dors, est-ce qu'elle sera encore là à mon réveil ? J'en doute. Je ne vois pas pourquoi elle m'attendrait ou me laisserait son numéro. Sauf si elle cherche un plan cul régulier. En encore... On ne se connait pas. Pour moi, elle n'est qu'une rouquine avec un flingue. Pour elle, je ne suis qu'une fille androgyne avec des Rangers. Je suis stupide. Il faut que je dorme.
Je me couche sur le côté, dos à elle pour ne pas trop y penser. Je ferme les yeux, essaye de faire abstraction du tic-tac régulier.
J'ai un peu froid.
Soudain, un téléphone sonne. Fort, trop fort. Je sursaute et Fantine aussi. C'est le sien. Elle est réveillée maintenant. Je ne m'attends pas à ce qu'elle décroche, pourtant c'est bel et bien ce qu'elle fait. Comme si c'était normal de recevoir un appel à quatre heures du matin. Je me redresse un peu sur mes avant-bras. J'écoute.
— Allô ? ... Oui. ... C'est bon, t'inquiète. ... Oui. ... Compris. Je ne suis pas chez moi, envoie-moi un taxi au..., elle se tourne vers moi. Ton adresse ?
— 53 rue Monge.
— 53 rue Monge, répète-t-elle à son interlocuteur. Dans le 5ème. ... Combien de temps ? ... D'accord. ... À tout de suite. ... Merci.
Elle raccroche, pousse un profond soupire, sans même me regarder. Je reste silencieuse, je la regarde se lever, rassembler ses affaires et se rhabiller. Elle a remis son holster.
— Je peux utiliser ta salle de bains ?
— Porte à droite.
— Merci.
Elle ne m'a toujours pas regardée. Peut-être a-t-elle appris une mauvaise nouvelle? Sûrement. On lui envoie un taxi, ça doit être important. Peut-être qu'il y a un rapport avec son arme. Certainement son travail. J'espère que c'est légal.
Je me laisse tomber dans mon oreiller. Elle va partir et elle ne me laissera pas son numéro. J'essaye de me faire à l'idée. Ça m'énerve. Je pourrais trouver un morceau de papier, écrire le mien et le glisser dans la poche de sa veste. J'ignore si c'est une bonne idée.
La porte de la salle de bain s'ouvre, elle reparaît habillée et démaquillée. Elle récupère sa veste. Trop tard. Je la regarde faire. Elle a l'air préoccupée, les sourcils froncés et la mine grave. Je ne peux m'empêcher de lui demander :
— Ça va aller ?
Elle se tourne vers moi, un peu surprise. Elle ne s'attendait pas à ce que prenne la parole.
— Oui.
— Si jamais t'as besoin de quelque chose... hésite pas. Je sais pas, un pull, un jean... ou même si t'as faim.
— Mon taxi va arriver, répond-elle simplement en ignorant mes propositions.
— Comme tu veux.
Elle s'est mise à la fenêtre pour guetter la rue. Le silence s'installe. J'ai ramené la couette sur moi, il fait froid. Le temps passe, elle continue d'observer la rue. J'ai hâte qu'elle s'en aille, pour ne plus avoir à réfléchir. Je n'ai pas envie de me prendre la tête comme ça. Pourtant je continue d'hésiter à lui demander si elle veut qu'on se revoit. Et si elle disait non ?
Son téléphone se remet à sonner. Cette fois, elle ne répond pas, elle se dirige juste vers la porte. La main sur la poignée, elle se tourne enfin vers moi avec un petit sourire énigmatique.
— Bonne nuit.
Elle s'en va et referme la porte derrière elle. Me voilà seule.
Ça fait comme un vide. Il n'y a plus son arme sur la table de nuit, ni le tic-tac de sa montre ringarde. Juste des cheveux roux dans mon lit et peut-être quelques marques sur ma peau. Je ne peux me retenir d'aller voir à la fenêtre. Je la regarde sortir de l'immeuble, avec sa crinière en bataille. Elle monte dans une voiture qui s'est arrêtée dans la rue. Je crois qu'elle a levé la tête vers ma fenêtre, mais je n'en suis pas sûre. Ce doit être mon imagination. Je regarde la voiture qui redémarre, s'éloigne et tourne à droite.
C'est terminé, n'est-ce pas ? Ça n'a même pas commencé. Je suis déçue, j'aurais aimé plus. Mais au fond, c'est peut-être mieux comme ça.
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