⭐ Nouvelle de Letargic_Sand_and_doe⭐
IL SE TENAIT SEUL, debout et immobile sur le pavé irrégulier de la rue passante, le vent soufflant dans ses oreilles. Le camion était déjà parti dans son ronron de fumée grisâtre, Cerise aussi. Il ne restait plus que lui, ce carton mal attaché dans les bras, et la porte de verre fermée du café face à lui.
Il secoua la tête dans l'espoir de chasser l'idée de son esprit (et l'étrange sentiment ayant subitement emplie sa poitrine aussi). Ce n'était plus un café. Les lieux ne leur appartenaient plus, comme le montrait l'absence du "Effluve Suave" de lettres rondes ornant la devanture de la boutique il y avait encore quelques semaines.
Lui et Cerise avaient ouvert la boutique il y a quatre ans en arrière. À cette époque, ils venaient tous deux de recevoir leurs diplômes. Mais contrairement à la jeune femme, lui n'avait pas eu la moindre idée de ce qu'il allait désormais pouvoir faire de sa vie. Tous leurs amis se casaient peu à peu, l'un d'eux s'était même marié. Et lui était resté seul, occupant encore une chambre chez ses parents, avec l'esprit vide d'un homme sans but ni motivation.
C'était sa meilleure amie qui lui avait fait rencontrer Cerise, et qui lui avait parlé de son projet d'ouverture de la boutique. Elle lui avait expliqué à quel point cette connaissance avait besoin d'un assistant, rôle qu'elle ne pouvait pas tenir à cause de ses propres plans. Il n'avait pas beaucoup réfléchi avant d'accepter, avait-il même eu le choix ? Sa mère avait promis de le renvoyer de la maison s'il ne s'empressait pas de trouver un vrai travail, et les mois semblaient passer de plus en plus vite. Il ne pouvait ignorer une telle proposition.
Une semaine plus tard, il avait fait la rencontre d'une jeune femme énergique à la chevelure teintée de rose et des rêves plein la tête. Étrangement pourtant, ils ne tardèrent pas à devenir amis. Il lui avait seulement fallut apprendre que derrière la pile électrique qu'il avait cru découvrir le premier jour se cachait en réalité une femme cultivée et intelligente, juste et attentionnée.
Ils passèrent de longs mois à œuvrer à l'ouverture du café dont rêvait tant la prénommée Cerise, leur travail voyant les feuilles passer d'orange à vert, rencontrant la pluie, la neige, les fleurs. Fin Mai, ils tournaient la pancarte "Ouvert" sur une porte de verre étincelante, et ne tardèrent pas à entendre la cloche annonçant la venue d'un client carillonner.
Les premiers furent leurs amis, mais les touristes accompagnant les temps chauds leur firent très vite rencontrer un grand succès. Les goûts raffinées et l'organisation de Cerise complétaient avec art à ses idées et le don qu'il s'était découvert dans les affaires, comme un café chaud un matin d'hiver. Leurs recettes plaisaient, l'argent entrait, et ils durent même partir à la recherche de personnels tant ils étaient débordés. Tout allait bien pour eux. Et malgré qu'il lui arrivait d'encore se réveiller vide, il supposait qu'il ne pouvait rêver de mieux. Certains de ses amis l'enviaient, et c'était censé être un bon signe après tout, n'est-ce pas ?
Il comprit que non assez vite. Un peu plus de deux ans après la fameuse fin de mai, un matin d'automne jaune et orange à l'odeur corsé. Ce jour-là, il était de service, et avait dû se lever assez tôt. C'était un lundi, et comme tout le monde, il n'était pas particulièrement heureux à l'idée de commencer la semaine.
Tout le long du trajet, il avait traîné des pieds et avait volé quelques minutes à l'un des employés, s'appliquant à prendre autant de temps qu'il pouvait en enfilant son tablier, prétextant même un appel pour ne pas à avoir à supporter les clients matinaux. Il dut pourtant se résigner lorsqu'il vit le malheureux assistant crouler sous les commandes, et était allé prendre la direction du comptoir.
Il avait uniquement fallu deux heures pour qu'il ait envie de prendre une pause cigarette, sachant que si à nouveau il avait à écouter une vielle dame parler de ses chats et problèmes de dos en attendant son Espresso, il risquait de détruire plus d'une Moka...
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Retour en arrière
Il soupira avant de passer ses doigts dans sa chevelure sombre, réarrangeant le rapidement expédié chignon dans lequel il avait attaché ses longues mèches. Ce fut à cet instant que le carillon résonna, la porte du café rapidement poussé pour laisser apparaître une jeune femme. Sa chevelure miel ondulée cascadant sur ses épaules pour s'arrêter dans le haut de son dos, sa peau que le soleil avait gracieusement tannée, le haut blanc et la jupe orange pour laquelle elle avait opté. Il se souvint d'à quel point Cerise se plaignait du manque de couleur qu'elle pouvait porter à cause de sa teinture, et ce détail le fit sourire.
La cliente —qu'il apercevait pour la première fois— fronça les sourcils en apercevant l'air qu'il arborait et annonça, péremptoire :
— Ne tentez même pas de me draguer.
— Qu'est-ce qui vous laisse penser que je m'essayerai à une telle chose ? l'interrogea-t-il, amusé par son apparition.
— La tête que vous faîtes, rétorqua-t-elle, et il n'essaya même pas de la contredire.
Il évitait les galères, et celle lui faisant face semblait être d'une importante indubitable.
— Que désirez-vous ? lui demanda-t-il donc, reprenant la mine désintéressée qu'il arborait habituellement tandis qu'il s'emparait de son petit carnet pour noter sa commande.
Par-dessus les anneaux de plastiques noirs du bloc-notes, il ne pouvait pourtant s'empêcher d'épier la jeune femme, et observait aussi discrètement qu'il pouvait les taches de rousseur éparpillées sur ses joues tannées, et ses yeux étrange mélange de bleu et vert.
— Un café sarcelle, réclama-t-elle.
Il avait écarquillé les yeux et lui avait adressé un regard surpris. De quoi parlait-elle ?
— Pouvez-vous répéter ? quémanda-t-il poliment en s'appliquant à regrouper le peu de capacité sociales qu'il avait.
— Vous m'avez parfaitement entendu, répliqua-t-elle en agitant la main, comme pour balayer ses paroles. Épargnez-moi vos manières et dîtes-moi seulement si vous proposez cela ou non.
— Notre boutique ne vend malheureusement pas ça. Quelque chose d'autres vous ferait plaisir ?
— Je vous ai demandé d'arrêter avec votre stupide politesse !
Il lâcha un gros soupir avant de reposer son carnet, posant ses coudes sur le comptoir poli et nichant son menton dans ses paumes.
— Femme, expliquez-moi déjà ce que vous appelez un café sarcelle. Une boisson aux arômes de canard peut-être ?
— Imbécile, pour votre gouverne, sarcelle n'est pas uniquement une espèce de canard, mais aussi une couleur, répliqua-t-elle, acerbe. Je veux un café de cette couleur.
— Ça n'existe pas.
— Cela doit forcément exister.
Il soupira à nouveau, arrachant un regard noir à la cliente. Il la fixa un instant, elle ne devait même pas avoir la trentaine, et n'était clairement pas du coin. Il se demandait ce qu'elle faisait ici. Était-elle venue juste pour son stupide café ? On aurait cru voir un stupide héros de roman parcourant le monde à la recherche d'une potion magique, c'était ridicule.
— Arrêtez de me fixer, je vous l'ai déjà dit, grogna-t-elle.
— Pourquoi voulez-vous ce café ? demanda-t-il en ignorant sa remarque.
— Mêlez-vous de ce qui vous regarde.
Manifestement, elle ne tenait pas à développer. Pourtant, la question continuait à trotter dans sa tête. Pourquoi tenait-elle à avoir ce café ?
— Tss, reprit-elle sans remarquer son regard désormais bien plus intéressé, il n'y a rien ici aussi visiblement... Je crois bien que je ferais de m'en aller.
Et elle tourna les talons après avoir prononcé ce dernier mot, se dirigeant vers la sortie. Derrière elle, d'autres clients commençaient à s'amonceler, et sans doute qu'il aurait mieux fait de laisser l'étrange femme partir. Mais il avait pour principe de toujours obtenir réponse à ses questions. Et à ses yeux, celle qu'il venait de recevoir n'en était clairement pas une.
Il se redressa.
— Vous préférez votre café comment ? Avec une saveur plus amère ou fruitée ? Avec ou sans lait ?
Elle fit volte-face et le fixa longuement, une lueur de surprise dans ses beaux yeux de chat. Et il fut si fier d'avoir son attention qu'il permît à un sourire en coin de venir gracier ses lèvres.
— Vous ne tentez pas tout de même de me faire prendre quelque chose, n'est-ce pas ?
— Rien d'autre que votre café sarcelle.
— Vous n'en vendez pas, objecta-t-elle.
— Donnez-moi six mois, et il sera sur notre carte.
Ce ne fut cette fois-ci pas uniquement une lueur de surprise, mais ses yeux qui s'écarquillaient. Elle reprit bien vite contenance, s'approchant à nouveau du comptoir en le fixant droit dans ses pupilles noisette.
— Et si ce n'est pas le cas ? Que m'offrez-vous en échange ?
— Le café, assura-t-il en soutenant son regard.
Cerise risquait de le tuer. Tant pis, il ne pouvait pas laisser cette femme filer ainsi.
Elle lui adressa un sourire moqueur, ses traits le mettant au défi de parvenir à lui offrir ce qu'elle désirait. Mais elle n'avait pas à s'en faire, il y parviendrait.
— Pas trop amer, avec beaucoup de lait. Et un peu sucré, aussi.
Des goûts d'enfant ? Adorable. Pas si vile que cela, la tigresse.
— C'est noté...
— Teal, termina-t-elle. Je me nomme Teal.
Il se surprit à apprécier la consonnance exotique du prénom.
— Un numéro ? demanda-t-il, poussant sans doute le bouchon trop loin.
— Ce n'est pas nécessaire, vous pouvez être assuré de ma présence, Nuage.
Il écarquilla des yeux en l'entendant prononcer son prénom, avant que la subite envie de se gifler ne le possède tandis qu'elle affichait un sourire moqueur en désignant le badge accroché à son tablier du bout de son doigt.
Il pouvait désormais être certain de passer pour le dernier des imbéciles à ses yeux. Bon, au moins, il était parvenu à la faire sourire.
Ce ne fut pourtant rien comparer au sourire qu'elle lui adressa sur le pas de la boutique, large et laissant entrevoir une rangée de dents blanches, pour lui lancer une dernière fois :
— Et n'oubliez pas ! Vous n'avez que jusqu'au 3 avril. Je serais présente à même jour, même heure.
Le carillon eut beau avoir résonner depuis plusieurs secondes, il ne pouvait détacher ses yeux du point orange filant au loin pour tourner au coin de la rue.
Le bruit d'un toussotement le fit revenir sur Terre, et il baissa les yeux pour voir l'air ennuyé du client suivant, ainsi que la file s'allongeant derrière lui. Il se força à sourire tandis qu'il se réemparait de son calepin et qu'il lui demandait ce qu'il désirait, mais ne put s'empêcher de s'emmêler les pinceaux et d'inverser les proportions, rendant le café aussi imbuvable que la centaine de pensées envahissants son esprit.
Lorsque le moment de sa pause arriva enfin, il fut certain de s'être mis la moitié du quartier à dos après avoir manqué de les empoisonner, et ne put retenir un soupir rassuré lorsque la silhouette menue de Cerise apparût à l'entrée de la boutique.
— Nuage, tu peux m'expliquer ce qu'il se passe ? Lee vient de me supplier de prendre la relève parce que tu ne serais plus capable de préparer un café.
Il fit volte-face en direction de leur employé qui ne put que lui jeter un regard désolé.
— Tu es malade ? s'inquiéta alors son amie.
— Non...
— Alors qu'est-ce qui t'arrive ?
— Rien, grogna-t-il en commençant à ranger ses affaires.
Il n'était pas d'humeur à débattre avec la jeune femme. Il ne savait pas lui-même ce qui lui arrivait. Il ne savait plus qu'une chose, qu'il ferait mieux de rentrer chez lui avant de causer le moindre dégât supplémentaire.
— Merci de me remplacer, se contenta-t-il donc de lancer à Cerise sans payer attention à la réponse qu'elle lui donnait, quittant les lieux aussi vite qu'il pouvait.
Il la rappellerait dans la soirée pour lui parler du défi. Ou alors demain. Ou peut-être la semaine prochaine...
Sur le chemin, il se demanda si autre chose que les canards avaient la couleur de ses yeux.
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Il n'était, en soit, pas vraiment difficile de réaliser un café turquoise. Surtout après qu'elle lui ait avoué qu'elle préférait le sien avec du lait. Mêlez de la spiruline au lait, et ajoutez-y seulement très peu de café pour éviter d'en chasser la couleur, et le tour était joué.
Mais il savait que ce n'était pas ce que cherchait cette Teteamari (nom qui signifiait par ailleurs sarcelle, était-ce une coïncidence ?). Elle avait demandé un café sarcelle, pas un café de teinte sarcelle. Sa boisson ne devait pas seulement avoir la couleur, elle devait être cette couleur.
La jeune femme ne voulait pas uniquement l'apparence, mais aussi le goût.
Et il se promettait de lui offrir la plus parfaite des flaveurs.
Il repensa au sentiment qu'il avait ressenti en la voyant, en découvrant son caractère, son nom, son sourire. Quelque chose qui n'était pas d'ici mais d'ailleurs, d'étranger. Il se souvint de cet amusement qu'il avait ressenti en découvrant ses préférences en matière de café, de l'âme quelque peu candide que cette blonde semblait abritée.
Quelque chose de fruité, d'exotique, de floral peut-être ?
Il n'aurait jamais cru s'impliquer autant dans un projet, l'avait-il jamais fait ? C'était ce qu'il se demandait lorsqu'il croisait le regard stupéfait de ses amis quand il commença à refuser toutes leurs invitations à sortir avec un réel motif, celui de sa meilleure amie lorsqu'il commença à l'appeler tous les deux jours pour l'interroger sur les différentes fleurs et plantes en général —elle était fleuriste— celui de Cerise lorsqu'elle le voyait prêter tant d'attention aux différents types de café et passer plus de temps que raison à la boutique pour faire quelques essais.
Il avait finalement avoué à la jeune femme son défi stupide, et comment il avait mis en jeu tous ces mois de travail acharné. Il avait même cru qu'il allait y passer, mais il s'en était mieux sorti que prévu, à sa plus grande surprise.
Il s'était certes pris une sacrée gifle, mais il avait tout de même pu apercevoir un petit sourire sur les lèvres de Cerise.
Elle aussi était choquée, comme tous les autres. Comme lui-même. Il ne savait pas ce qui le poussait à faire tout cela, il savait juste qu'il devait le faire.
Pour les canards peut-être, qui sait ?
Il plaignait Lee et Violette —leur seconde employée— et leurs palais pour les horreurs qu'il leur avait fait subir en tant que goûteurs, pour Cerise qu'il avait rendu folle à cause des litres de café, lait et autres, gaspillés, aux clients auxquels il avait gâché la journée après s'être trompé dans leurs commandes suite à ses nuits rester éveillé.
Il les plaignait, et les remerciait. Enfin, c'était ce qu'il s'était dit après plus de cinq mois de recherches intensives, lui ayant enfin permis de trouver la recette.
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Pour réaliser un café sarcelle, il vous faudra :
— Du café bourbon rose
— Du lait entier (dans un ratio de café - lait 1:3)
— Quelques gouttes de spiruline
— Quelques gouttes d'extrait de bleuet
— Quelques gouttes d'extrait de myrtille
— Une pointe de cannelle
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1. Préparer un café avec le bourbon rose
2. Dans un même temps, réchauffer le lait dans une casserole.
3. Une fois chauffée, rajoutez dans le lait les extraits de myrtille et bleuet, ainsi que quelques gouttes de spiruline. Assurez-vous que le lait ait bien pris la couleur désirée.
4. Transvaser le lait dans la tasse, puis le faire monter en monter en mousse.
5. S'assurer que la mousse soit ferme avant de verser le café.
6. Garnir d'une pincée de cannelle.
À déguster de préférence avec une bonne pâtisserie et un barista mignon à vos côtés ;3
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— Arrête, il ne manquerait plus que tu te brises un doigt à cette vitesse.
Il grogna, mais ne put arrêter de triturer ses doigts, arrachant un soupir à Cerise appuyée contre le mur.
Ils étaient le 3 avril, dix heures venaient tout juste de sonner, et il était en train de remettre en question jusqu'au plus infime de ses choix. Et plus particulièrement les derniers. Est-ce que cette prénommée —ou plutôt surnommée— Teal allait venir ? N'était-elle pas seulement une idiote venue jouer une blague suite à un défi ou autres ?
Il avait la ferme conviction que ce qu'elle lui avait était vrai, et qu'elle allait se présenter au rendez-vous. Cela ne supprimait tout de même pas les milles et une raison rémanentes de sa supposée absence que lui présentait son esprit logique, et les loopings d'appréhension de son cœur dans sa poitrine.
— Elle est là, leur lança soudainement Lee penché depuis plusieurs minutes par-dessus le comptoir, profitant du faible nombre de clients dans le café dont Cerise s'occupait entre deux sermons à son adresse.
Il se redressa vivement, manquant même de trébucher tandis que son regard se jetait vers l'entrée. Le carillon résonna et la porte de verre s'entrouvrit, laissant apparaître la silhouette de la jeune femme aperçue il y a de cela six mois.
Son employé lui donna une frappe à l'épaule alors qu'il s'éloignait, lui murmurant un "bonne chance" alors qu'il partait rejoindre Cerise qui observait de ses grands yeux pomme pour la première fois cette femme qui avait retourné le cerveau de son ami pendant tout ce temps.
— Hey, parvint-il enfin à lâcher en passant sa main sur sa nuque, n'osant croiser le regard de la blonde.
— Hey... répondit-elle, légèrement déconcertée par la familiarité.
Elle se ressaisit pourtant bien vite.
— Alors ? Vous avez réussi ?
Il leva la tête, son ego assez reboosté pour lui permettre d'enfin tenter un contact visuel.
— Évidemment. Installe-toi, je t'apporte ta commande dans quelques minutes.
Elle répondit par un rapide hochement de tête avant de prendre la direction des banquettes rembourrées occupant le fond du café, réajustant les plis de sa jupe en s'installant avant de poser son sac à main sur ses cuisses.
Elle avait l'air moins dangereuse avec ces deux couettes hautes dans lesquelles elle avait arrangé ses boucles sable.
— Eh oh, tu ferais mieux d'aller t'occuper de ton fameux café sarcelle maintenant, lui suggéra une Cerise sortie de nulle part, claquant ses doigts sous son nez. Mieux vaut éviter de faire attendre la demoiselle...
Désormais tiré de sa contemplation, il n'eut aucun mal à se mettre au travail. Plus consciencieux que raison, il s'appliqua à réaliser ces mouvements exécutés plus d'une fois dans le passé, observant le café chauffer jusqu'à la température exacte ou le lait peu à peu prendre la parfaite couleur tandis que la spiruline se mêlait à lui.
Quand enfin il déposa son assiette devant la blonde, il ne se priva pas d'afficher un sourire fier, se régalant de la mine impressionnée qu'elle laissa malencontreusement transparaître.
— Un éventail ? demanda-t-elle enfin en observant la figure formée dans la mousse turquoise du café. Pourquoi ?
— C'est la première chose que tu m'as inspiré lorsque je t'ai vu, mentit-il en arborant un sourire qu'il voulut ravageur.
Il ne fallut pas plus de deux secondes à sa compagne pour comprendre :
— Tu t'es loupé n'est-ce pas ?
Il eut un rire gêné, passant sa main sur sa nuque avant d'avouer :
— Totalement. Mais tu n'imagines pas à quel point c'est dur de dessiner avec du lait.
— Tu n'es pas censé être payé pour le faire ?
— Ma collègue est payé pour le faire, contra-t-il en se laissant tomber sur la banquette à ses côtés. Et je crois que tu peux la remercier pour avoir essayé de sauver le travail, sinon mon œuvre aurait été plus proche d'une crotte qu'autre chose.
Elle eut beau vouloir garder une mine sérieuse, elle ne put cette fois-ci s'empêcher de pouffer, faisant s'embraser ses joues. Elle devrait vraiment penser à se laisser aller plus souvent.
— Bon, tu goûtes maintenant ? lui supplia-t-il presque.
Il était lassé de la voir jouer du bout de sa cuillère avec la part de cheese-cake au glaçage émeraude poudré d'or qu'il lui avait servi pour accompagner le café.
— Tu as peur pour ton café ? se moqua-t-elle.
— Non, seulement de voir six mois de recherches partir à la poubelle. Et de me faire tuer par ma collègue pour avoir détruit son rêve aussi.
La jeune femme ne fit cette fois-ci aucun commentaire, et s'aventura enfin à tremper ses lèvres rouges dans le café sarcelle, goûtant enfin la boisson qu'il lui avait tout spécialement préparé.
— Alors ? demanda-t-il, ne parvenant à la quitter des yeux tandis qu'elle prenait une bonne gorgée. Tu aimes ?
Elle prit une bonne poignée de secondes avant de répondre, reposant lentement la tasse dans son assiette et passant sa langue ses lèvres bleuit par la mousse :
— Nuage, c'est vraiment réussi. Ce café est délicieux.
— Ah, vraiment ? balbutia-t-il en passant pour la énième fois sa main sur sa nuque, son regard se perdant sur la surface laquée de la table. Tu trouves ? Heureux de l'apprendre alors...
Teal se tourna alors vers lui pour attraper son poignet, le forçant à reposer sa main sur sa cuisse.
— Regarde-moi quand tu me parles, tiens-toi droit, et arrête avec cette mimique. Tu viens de me prouver que tu peux faire de grandes choses, enfin, ce n'est qu'un café, mais tout de même. Tu ne devrais pas laisser les gens douter de tes capacités.
Elle le fixait droit dans les yeux, leur surprenante couleur l'imprégnant tout entier. Et malgré qu'elle avait depuis longtemps relâché sa main, il ne pouvait s'empêcher d'encore ressentir la chaleur de ses doigts fin sur elle.
Pas pour le moins consciente de son malaise, la jeune blonde reprit soudain, continuant sa dégustation :
— Puisque tu as gagné ce défi, je te dois quelque chose. Demande-moi ce que tu veux.
— Vraiment ? s'assura-t-il en écarquillant les yeux. Ce que je veux ?
Elle hocha la tête, s'en pourtant s'empêcher de lui adresser un regard désabusé.
— Alors... Quel est ton vrai nom ? Et pourquoi un café sarcelle ?
— Eh, Teal est vraiment mon nom ! s'emporta-t-elle. J'avoue que c'est original, mais mes parents m'ont vraiment nommée ainsi à la naissance en voyant mes yeux. Mon père était artiste, alors, les couleurs, il s'y connaissait. Et puis, quand on s'appelle Nuage...
— J'avoue, tu marques un point.
— Et pour le café, reprit-elle en faisant tourner la cuillère dans sa tasse, il n'est pas pour moi, mais pour mon frère. Ma mère est morte en lui donnant naissance, mais il faut savoir que c'est d'elle que j'ai hérité mes yeux. Et c'était l'une des couleurs que mon père préférait utiliser lorsqu'il peignait. Il a juste lancé une discussion sur cela un jour, mais moi et mon autre frère nous nous sommes promis de lui en trouver un. Il s'en veut aujourd'hui encore pour notre mère... On s'est dit que ça pourrait peut-être l'aider. Enfin, voilà l'histoire en résumé- Arrête avec ce regard, combien de fois il va falloir que je te le dise ?
Il cligna des yeux, saisissant tout juste à quoi elle faisait allusion. Bon, peut-être que cela faisait au moins cinq minutes qu'il la dévorait des yeux. Il n'avait même pas remarqué le faire.
— Tss, soupira-t-elle, je me demande pourquoi je raconte tout ça à un inconnu...
— Alors, je ne peux rien changer au fait que tu m'ais raconté tout ça, par contre, pour l'inconnu, si tu veux bien me passer ton numéro...
— Hors de question, le coupa-t-elle en agitant négativement son index sous son nez. Tu as atteint la limite de souhaits.
— Tu avais dit tout ce que je voulais ! s'écria-t-il.
— C'est une manière de parler, tu le sais très bien. Par contre...
Elle se releva, passant la lanière de son sac à main sur son épaule.
— J'accepte de te le donner si tu réussis un nouveau défi.
Il ne décrocha pas ses yeux d'elle, buvant ses paroles.
Un nouveau défi ?
— Tu devras cette fois-ci me faire un café...
Elle balaya les lieux de son regard pers, le laissant finalement se poser sur sa propre jupe.
— Orange. Je veux un café orange. Comme aujourd'hui, dans six mois, même jour, même heure.
— C'est noté, lui répondit-il.
Le carillonnement de la porte sonna si triste lorsqu'elle quitta le café après lui avoir adressé un dernier sourire...
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Et aujourd'hui...
Autour de lui, que ce soit la boîte en carton dans ses bras, la porte de verre fermée ou le silence qui régnait, tout le lui hurlait.
Il avait perdu.
Il ne savait pas si c'était à cause du manque de temps, ou celui de connaissance. Il ne savait pas si la jeune femme l'avait prévu, si tout n'avait été qu'un artifice quelconque mise en place afin de s'emparer des lieux. Il n'avait eu le temps de comprendre ce qu'il se jouait qu'il apercevait une lueur déçue dans son regard sarcelle, qu'on lui donnait quelques mois pour faire rentrer encore recettes avant de fermer la boutique.
Il y avait eu un froid entre lui et Cerise ce jour-là, qui avait entre-temps largement eu le temps de se transformer en véritable blizzard. Malgré que leur succès l'ait aidé à trouver un nouvel endroit pour se réinstaller, il allait sans dire que tout cela ne lui avait causé qu'un tas de soucis, et avait clairement corsé ses affaires.
Violette et Lee l'avaient suivie, pas lui. Il n'avait pas supporté les tensions. En bon lâche, il avait pris sa part de salaire et avait tourné les talons. Il trouverait bien un autre travail. Le café, ce n'était pas vraiment son rêve après tout.
Le vent soufflait à nouveau, plus fort que la fois précédente. L'hiver avait beau touché à sa fin, cela ne l'empêchait pas de continuer à se faire insupportable.
Il préférait l'automne.
L'orange.
Qui avait causé sa perte. Si même les couleurs se mettaient à le trahir...
Clic-clac.
Clic-clac.
Le bruit emplissait la chaussée, son esprit, chassait ses idées.
Clic-clac.
Clic-clac.
Il tourna la tête vers l'origine du son.
De l'orange en hiver. Ce fut sa première pensée.
La seconde fut plus amère. Un juron, pour être plus précis.
Il fixait sa silhouette élancée tandis qu'elle arrivait au loin, son allure gracieuse et sa démarche dégagée.
Son manteau café, assez court pour laisser vivement paraître à chacun de ses pas une parcelle de sa fameuse jupe.
N'avait-elle donc rien d'autre à mettre ?
Elle ne se stoppa que lorsqu'elle se retrouva face à lui, sans qu'il n'ait détaché ses yeux d'elle.
— Venue vérifier l'état des lieux ? questionna-t-il sans parvenir à masquer la pointe d'amertume transparaissant dans son ton.
— Ton état plutôt.
Il haussa un sourcil.
— Le tutoiement tient toujours ?
— Il n'y a aucune raison pour que je te vouvoie. Je te connais. Et c'est toi qui as brisé la barrière la dernière fois.
— J'ai tutoyé la Teal que je croyais connaître. Pas celle ici présente aujourd'hui.
— Je suis la même personne.
— Avouez seulement que vous avez fait tout ça pour le café.
— C'est vous qui avez proposé de parier sur le café ! Je n'ai fait qu'accepter.
— Je vous parle de la seconde fois.
— Pour le deuxième défi ? Orange, sérieusement ? Je trouvais cela bien plus simple que sarcelle, j'étais au contraire sûre que tu allais y arriver. Je ne sais pas si c'est à toi-même que tu mens ou face à tous que tu joues la comédie, mais maintenant, arrêtes de mentir et dis-moi pourquoi tu as perdu.
Son cœur manqua un battement.
— C'est l'idée la plus stupide que je n'ai jamais entendu, lâcha-t-il au bout de quelques secondes. Pourquoi aurais-je fait exprès de perdre ?
Elle croisa les bras, le fixant droit dans les yeux.
— C'est bien ce que je cherche à comprendre. Mais ne me fais pas croire que tu n'es pas capable de faire un simple café orange après ce que tu es parvenu à réaliser.
Son regard se perdit sur la devanture de la boutique, ne parvenant à soutenir celui de Teal.
— J'ai bien aimé jouer avec toi, avoua-t-il finalement.
— Je ne dirais pas que c'était désagréable, en effet.
Ils restèrent silencieux quelques instants supplémentaires, immobiles l'un à côté de l'autre.
— Parfois je me demande pourquoi j'ai accepté ce travail... Il m'épuise. Cerise avait besoin d'aide, ma mère voulait que je quitte la maison. Je n'aurais pas cru passer autant de temps à jouer les baristi.
— Tu t'es quand même impliqué dans le projet. Ton amie n'aurait pas pu tout faire seule.
— Il le fallait. Et puis, en vérité, quand j'y repense, pas tant que ça. Elle me poussait à m'impliquer.
— Tu aurais pu trouver un autre moyen de quitter ce job.
— Je ne sais même pas si j'ai perdu consciemment.
La blonde haussa faiblement les épaules.
— Je comprends.
Il ne lui demanda pas les détails. Il finirait par les apprendre un jour ou l'autre. Il espérait.
— Je savais aussi que dans le pire des cas, Cerise n'aurait pas de mal à trouver un nouveau coin pour se réinstaller. Je n'aurai pas misé sur le café sinon.
Elle hocha la tête. Il n'avait pas l'air d'un homme à prendre des paris stupides après tout. Même si celui-là s'en approchait pas mal.
— Tu comptes faire quoi des lieux sinon ?
— Je ne sais pas vraiment... Peut-être que je les revendrais. Ou peut-être que je les refilerais à mon frère. Il a vaguement parlé d'un projet d'entreprise il n'y a pas si longtemps. Et toi ? Tu comptes faire quoi maintenant que tu n'as plus la pression du café sur le dos ?
— Je n'en sais pas grand-chose... Sans doute quelque chose de simple et calme, avec un salaire décent.
— Je t'aurais cru plus intelligent.
Il crut avoir loupé quelque chose.
— De quoi tu parles ?
— Tu as du potentiel. Tu aurais même pu ouvrir ta propre boutique si tu le voulais. Je ne comprends pas pourquoi tu laisses tomber.
— Je ne sais pas non plus si tu veux tout savoir... Il n'y a pas quelque chose en particulier qui m'intéresse.
— Tu viens de me dire que tu aimais mes défis pourtant.
Embarrassé, il s'apprêta à passer sa main sur sa nuque, mais se retint de justesse, au lieu de quoi il baissa les yeux vers ses baskets.
— Ils étaient... drôles ?
— Nuage, je t'ai presque demandé l'impossible.
— Ce n'était pas si difficile que cela...
— De se procurer du bourbon rose ? Tu me prends pour une idiote ?
Il écarquilla les yeux à la mention de la variété de café, ce à quoi elle répondit simplement :
— Le goût de ton café m'avait en partie interrogé, alors j'étais revenu plus tard pour interroger ta collègue dessus.
— Mais tu l'avais aimé, non ?
— Je l'ai trouvé exquis, je te l'ai déjà dit, j'étais juste curieuse de savoir ce que tu avais mis dedans. En tout cas, c'est pour cela que tu dois absolument reprendre ce boulot. Il semblait fait pour toi. Si tu trouves que le café te prend trop de temps, tu peux changer ça. Si c'est le contact direct avec les clients qui te gêne, je parie que l'on peut trouver une solution. Mais tu ne peux pas t'enfuir à la moindre difficulté.
— Si tu le dis...
Teal soupira alors qu'il continuait à fixer ses chaussures, les mains enfoncées dans ses poches.
— Tu veux un nouveau défi ? lui demanda-t-elle subitement.
— Qu'est-ce que tu veux mettre en jeu ? Je n'ai presque rien, si ce n'est assez d'argent pour tenir en attendant de retrouver un boulot.
— Si tu parviens à faire la pax avec ton amie, tu gagnes mon numéro. Et si tu te fais embaucher dans son café... Un rendez-vous.
— Et si je n'y arrive pas ? demanda-t-il en tentant de conserver une figure détachée sans trop y parvenir. Je n'ai rien a joué, je te l'ai dit.
— Tu devras te pavaner en plein milieu de la rue avec... une jupe orange, lâcha-elle finalement.
— C'est la chose la plus ridicule que je n'ai jamais entendu.
— Et c'est pour ça que tu ferais mieux de courir rattraper ton amie.
— Rien ne m'oblige à accepter le défi.
— Arrêtes, je sais que tu meurs d'envie de manger un bout avec moi, rétorqua-t-elle en lui adressant un sourire en coin.
Il soupira faiblement les joues embrasées, se sachant vaincu.
— T'es galère, tu sais ?
— Je préfère te retourner la question. C'est toi qui as accepté le défi après tout.
— Ne me rappelle pas ce malheureux détail s'il te plaît.
Elle rit, et il ne put que sourire en retour.
Il se demandait s'il aurait vraiment le courage de refaire face à Cerise après cette histoire, de laisser au café une nouvelle chance. Après tout, inventer des recettes n'avait pas été si désagréable que cela. Son expérience ne pourrait pas uniquement se limiter à cela, mais il savait qu'en soit, Teal n'avait pas totalement tort. Il n'avait pas voulu, avait vu le pire et avait tourné les talons. Ce n'était pas le café qu'il n'aimait pas, mais ce qu'il y faisait. Il n'avait pas cherché à faire autre chose que ce qu'on lui avait demandé de faire. N'avait pas vu d'intérêt à se prendre la tête plus que cela.
Maintenant qu'il avait l'occasion de changer de rôle, il ferait mieux de ne pas la laisser filer.
— Sinon, tu m'expliques pourquoi tu es toujours habillée d'une jupe orange ? demanda-t-il tandis qu'ils avançaient l'un à côtés de l'autre, Teal l'accompagnant jusqu'à chez lui.
— On dit que l'orange rappelle la joie, l'altruisme et le contact humain...
— Et la vraie raison ?
— Je n'avais rien d'autres la première fois dans mon placard. Et les fois suivantes, je voulais juste que tu me reconnaisses.
— Je suppose que l'essentiel c'est que ça t'aille...
— Voyons, tout me va !
— Sale prétentieuse.
— Gros lâche.
Et il pouffa.
Mon avis :
Ton histoire est originale, tu as l'air d'avoir des connaissances dans le domaine du café (ou peut être que non mais je ne peux pas m'en assurer étant donné que je n'y connais rien X)). Ta chute est plutôt légère si j'ai bien repéré celle que tu as voulu faire : on est d'accord que c'est la raison de la couleur de sa jupe ? Par rapport à d'autres chutes que j'ai connues elle était légère mais tout de même présente ! Tu ne m'as pas réalisé de couverture mais ta mise en page sur word était superbe ! Je suis dégoûtée de pas avoir pu tout intégrer dans le chapitre d'ailleurs, c'était vraiment beau ! Merci pour ta participation ! Tu as un peu dépassé la limite de mots mais bon, c'est pas dramatique non plus ! Je t'accorde la note de 18/20, merci de ta participation ! Dès que ce chapitre est publié tu peux le publier sur ton profil !
Luxy ★
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