⭐ Nouvelle d'Achlysiale⭐
Samedi 2 avril
"En avril, ne te découvre pas d'un fil". Voilà ce que disait toujours ma mère lorsque la saison des bourgeons approchait. C'est pourquoi, sous le regard étonné des badauds, je porte une lourde écharpe par 26 degrés. Qu'elles aillent au diable, leurs œillades ! Tous vêtus de blanc, uniforme, tout lisses – comme des œufs durs, c'est bon ça, les œufs durs– ils n'ont rien à dire. Je rigolerais bien quand ils rattraperont une angine !
Bref. Je m'égare. Cette nuit, j'ai vu la lune. Elle était orange. Oui, orange orange. Moi, je le dis, c'est le ciel qui nous toisait. Oh, ce n'est pas une mauvaise chose ! On sait à présent de quelle couleur est la pupille des cieux. Elle a la couleur de ce papillon, comment s'appelle-t-il ? Ah oui, la belle dame.
"Très joli papillon aux ailes oranges tachetées de noir et de blanc, la Belle Dame est l'une des espèces les plus connues. Il s'agit d'un grand papillon, dont l'envergure varie le plus souvent entre 5 et 6 cm. Quand ses ailes sont repliées, la lettre « C » est clairement visible."
Voilà le texte que j'ai trouvé dans mon encyclopédie. Je l'ai découpé pour le coller dans mon journal, c'est du meilleur effet.
Mais.. Qu'entend-je ? Un bruissement d'étoffe dans le vent, un coup de talon sur le sol, un soupir de résignation ?
Je tourne furtivement la tête.
Une belle dame. Non pas le papillon. Une vraie belle dame, en chair et en os. Elle marche d'un pas léger, vaporeux, si vaporeux que je peine à la voir. Elle tourne, et sa jupe aussi. Elle a, il me semble, fixé sur ses vêtements, la nuit noire et le calme crépusculaire.
Elle balaie ses cheveux, oh quels cheveux ! Des fils d'or, qui ruissellent sur ses épaules, une crinière de lion, oui !
Dans ses yeux, que j'aperçois à peine, je distingue un bleu profond. Est-ce le bleu abyssal que voit le noyé avant de s'écrouler dans un sommeil sans fin ou le bleu calme et apaisant de l'océan tranquille, arpenté par les marins et les poètes ?
Elle n'est pas humaine. Dans ce petit être, il y a toute la beauté de l'humanité, tout l'amour, tous les arts, mais aussi toute la violence, les guerres et les famines, tout ceci.
Cette fille est un concentré de monde. Cela doit être fatiguant.
Il y a autre chose qui est fatiguant, c'est de rester ici, dehors, sur ce sale banc déglingué. À chaque fois que je bouge d'un millimètre pour écrire, cette saleté bouge ! Je suis sûr qu'il le fait exprès, qu'il veut m'engloutir au plus profond de son acier dur et froid. Brr ! Tu ne m'aura pas démon ! J'ai 78 ans, pas plus, ni moins. Un 60, un 10, un 8. Et le tout, additionné. J'ai déjà vécu plus que tu ne vivra jamais misérable !
Il est temps de rentrer. Mon joli papillon c'est envolé. "c'est un signe !" dirait ma mère.
Lundi 4 avril
Je suis un prisonnier. Pas un prisonnier comme un criminel, non ! Je n'ai jamais trompé sournoisement un marchand pour lui dérober quelques babioles brillantes. Je n'ai jamais, dans un coin de la nuit, frapper quelqu'un jusqu'à voir son crâne se morceler en petits îlots sanglant. Non. Jamais.
Je suis prisonnier de ma tête. Et ça, c'est pire que des barreaux. Je ne peux pas la scier, même si l'envie me prend quelques fois.
Ah ! Et si encore j'étais le seul ! Je pourrais dire, aux promeneurs en blanc : "si vous saviez ! Si vous saviez mon mal être ! Oh ! Mes enfants. Profitez, profitez de votre tête. Elle doit être votre clé, et non pas votre serrure !"
Mais je n'ose pas. Car je crois qu'eux aussi, ils sont bloqués. Ils doivent savoir, pas besoin d'en remettre une couche...
Il n'y a qu'une chose qui m'agace ici bas. Les parents. Au lieu de regarder avec plaisir leurs bambins gambader gaiment, ils les enchaînent à coup de "ne fais pas ci ! Ne fais pas ça !"
Au début, ces paroles sont comme des ficelles. Elles attachent les choses frivoles, comme le bonheur de se rouler dans la boue, de se battre gentiment avec de grands bâtons, de manger à la suite une dizaine de petits bonbons colorés." tu vas te rendre malade ! Tu vas te faire mal ! Tu vas te salir !"
Ensuite, les paroles deviennent des liens de métal. Pour tenir en laisse les choses importantes, les choses qui comptent. "non. C'est hors de question que tu fasse une école d'art ! Les artistes n'apportent rien à la société. De la liberté ? Quelle liberté ? Oh, tais toi. On s'en fout de ça. On veut avancer, faire progresser l'humanité. Tu feras des maths !"
Plus tard encore, ce sont ces frustrés qui deviennent parents. À force, ils se sont ternis. Rentrés dans le moule. Ils sont... Amorphes.
Et ce sont eux. Qui recommence. Putain de cercle vicieux.
Oh.
J'ai écrit un vilain mot.
La seule qui semble libre ici, c'est La Belle Dame.
Après réflexion, elle ressemble plus à un flambeau. Pas la flamme. Le papillon.
" Le Flambeau (dryas iulia) peut provoquer des vomissements, de la somnolence et des modifications du rythme cardiaque et respiratoire. "
C'est moche.
Quand on parle du loup pile à l'heure !
Le dryas iulia vient de se poser. Au sens propre. Pendant la nuit, la fille a la jupe orange s'est vu pousser des ailes. De grandes ailes. Oranges, noires, et jaunes. Elle s'approche de moi... Et me souris.
Dans ses iris, je m'aperçois. Vieux, ridé, fatigué, certes, mais heureux. Apaisé.
Elle me tend un paquet de photos.
Intrigué, je les observent, une par une.
Ce sont des clichés des moments clés de ma vie. Des petits fragments de vie, arrachés, comprimés, prisonniers de la pellicule.
Je veux lui demander si on se connaît. Je n'en ai pas le temps. Elle s'est éclipsée.
Mardi 5 avril
L'herbe est douce. Bien plus accueillante que le banc. Elle me rappelle Marguerite.
Marguerite, c'est ma femme. Je ne vois pas pourquoi tout le monde dit "c'était"! Nous n'avons pas divorcés, à ce que je sache. Je l'aime, ma Margueux. Je la quitterais jamais, ma jolie fleur. Alors oui. C'est pas la plus délicate ! Pas la plus belle ! Pas la plus finaude ! Elle ne lit pas, n'aime pas la poésie, et se sert des toiles de peinture pour faire du feu. Mais je l'aime. C'est celle que j'aime le plus. Avec sa tignasse noire, qu'elle ne plaigne jamais, et ses yeux serpents. Ça lui donne un petit côté féroce, qui lui servait bien pour engueuler le boulanger quand le pain était trop cuit. Elle se laissait pas faire, la Marguerite. Même le jour de notre mariage, elle a grogné ! Et heuresement d'ailleurs. Si elle ne l'avait pas fait, ç'aurait voulu dire que ce n'était pas elle. Elle je n'aurait épousé que Margueux !
Une odeur de brûlé me chatouille le nez. La fille avec sa jupe, le papillon, est là. Carbonisée. Tout sourire. Ses yeux sont devenus verts, comme des émeraudes. Seule sa jupe et son sourire ont échappé au feu. Tout le reste est sous la cendre.
Elle se met à rire. J'ai peur. Elle pose sa main sur mon épaule.
D'un coup, je vomis. Les marées de mon estomac remontent à ma bouche, et sortent comme des gesers.
Ma respiration se fait saccadée. Mon cœur s'emballe.
La sorcière rit toujours, avec ses grandes ailes.
La flambeau. C'est bien elle.
Vendredi 8 avril
La tête me tourne. Je suis sur mon lit. Mon petit lit. Dans ma petite chambre. J'ai eu le temps de penser à la fille papillon.
Je crois qu'elle a raison. Sur quoi ? Je l'ignore. Je vais la laisser venir. Je n'ai pas le choix.
Avant qu'elle me rende une dernière visite, je voulais écrire un peu. Dans mon carnet orange. Avec des mots gentils, écrits en bleu par ma petite fille. Elle est mignonne ma petite fille.
Toute ma vie, j'ai été un papillon de nuit. Il y en a beaucoup, des papillons de nuit. C'est plutôt ordinaire. Il faut de tout pour faire un monde. Des colorés, des ternes, des grands, des petits, des rapides, des lents.
Cela ne veut pas dire que chacun n'est pas unique. Que chacun porte les même stris. Cela veut juste dire que beaucoup se ressemblent, et c'est pas grave.
À chaque fois que je croise un papillon de nuit, je le salue. Je l'observe. Je prend mon temps. Car souvent, il cache bien des singularités. Avoir 50 papillons qui vous ont passés devant ne veut pas dire que vous êtes inintéressant.
C'est pareil pour les humains.
Il faut s'arrêter... À chaque petits bouts d'être. Chacun a une belle dame en soi. J'en suis convaincu.
Oh ! Mais j'aperçois la fille à la jupe orange ! Elle me fait un tendre sourire. Je n'ai pas peur cette fois. Je suis prêt.
"somnolence"
Voilà ce que peut provoquer un papillon flambeau.
"somnolence"
Elle s'approche, et m'effleure. Me tend une main.
"somnolence"
Elle est prête à décoler.
"somnolence"
...
Un cri sort de la chambre n° 53 de deuxième étage de l'hôpital psychiatrique saint Rémi. Là, le 8 avril, M. Raymond, surnommé "le patient au carnet orange" a été retrouvé mort, un étrange sourire collé au visage.
C'est le chagrin qui envahit la salle des médecins. M. Raymond, d'une sagesse exceptionnelle malgré sa folie dévorante, était très apprécié du personnel soignant.
M. Tamashi, psychiatre de l'établissement, a constaté que le malade avait accepté de fait de mourir, juste après un accident où il avait frôlé la mort, quelques jours auparavant.
La lecture de son carnet a beaucoup troublé Mme. Primula, son médecin traitant. En effet, il semblerait que le patient ai vu la mort, personnifiée par une étrange femme à la jupe orange.
Ce qui perturba encore plus Mme. Primula fut la rencontre, en plein jour, d'un papillon de nuit qui s'était posé sur une marguerite.
" dans la mythologie japonaise, le papillon symbolise l'âme d'un défunt. Dans la bible, c'est la renaissance. Je vais finir par y croire..." avait-elle déclaré au téléphone à la famille endeuillée de M. Raymond.
Mon avis :
Waouh. C'est la seule pensée qui me vient à la fin de ma lecture. Ta chute est géniale, c'est une chute comme je l'attendais, le genre que tu doives relire l'histoire pour comprendre, et qu'à la fin de la deuxième lecture, tu te dis : OH MAIS C'EST POUR ÇA ! Tu as peu de fautes, une syntaxe bonne, la folie de M. Raymond est visible quand on comprend qu'il est fou, et tout prend sens après avoir lu la chute. C'est génial, bravo ! Le nombre de mots est respecté, ce n'est pas trop long, ni trop court ! Merci pour ta participation, vraiment ! Tu as rendu ta nouvelle en avance et m'as rendu une couverture, ce qui t'accorde un bonus !
Je t'accorde la note de 19,75/20 !
Dès que ce chapitre est publié, tu peux publier ta nouvelle sur ton compte !
Luxy ★
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