Chapitre 38- Déchéance
Rebbie ne se souvient pas être tombée aussi bas. Mais il faut croire qu'il y a un début à tout.
Elle est rentrée du lycée sans son frère car elle était sûre qu'ils n'auraient absolument rien à se dire. La jeune fille a déjà l'impression que le monde entier lui en veut, elle ne voulait pas en plus avoir affaire au visage maussade d'Alex, ce visage qui lui rappellerait à quel point un fossé s'est creusé entre eux. Cela la rend malade rien qu'en y pensant. Sur le chemin du retour, elle passe devant l'endroit dans lequel Alex et elle avaient l'habitude d'aller, «le Septième Ciel». A la simple vue du bâtiment, des larmes amères lui montent aux yeux, d'autant plus que des travaux y ont désormais lieu. Tout cela est donc fini. Leur lieu de rendez-vous pour admirer la ville, pour partager des secrets ou pour tout simplement manger des sucreries va être détruit sous peu. Une partie de leurs vieilles habitudes est sur le point de prendre fin. De quoi ajouter encore quelque chose à la mélancolie inhabituelle de Rebbie.
La jeune fille marche ensuite en direction du grand parc de Détroit, là où sa famille et elle aimaient se promener. Ils étaient encore très jeunes, à l'époque. La dernière fois où ils ont eu l'occasion de se livrer à cela semble remonter à des années-lumière. A chacun de ses pas, Rebbie a l'impression de se voir avec James et Alex en train de courir dans les allées, dans les feuilles, dans l'herbe...
Le temps où on était insouciants, se dit Rebbie tandis qu'une boule lui monte à la gorge. Elle donnerait tant pour pouvoir être la fillette qu'elle était, juste avant que cet appendicite ne vienne la traumatiser pour de bon.
Elle continue sa route, regardant les feuilles commencer à repousser sur les arbres. À un moment donné, elle s'arrête devant une petite colline, au milieu des bois. En la voyant, la jeune fille fait un petit sourire larmoyant. Cette colline, c'était leur endroit privilégié pour faire des pauses goûter, des pique-niques, ou tout simplement pour regarder le paysage. Rebbie grimpe sur la colline tandis que les souvenirs se bousculent dans sa tête. Une fois arrivée au sommet, elle se trouve pas très loin du lac qui traverse la ville. De l'autre côté, on peut apercevoir les grands buildings qui semblent s'élever jusque dans les cieux. Le vent se met alors à souffler légèrement, faisant ainsi voler les boucles brunes de la jeune fille, tandis qu'une larme roule sur sa joue. Seule, elle admire le ciel devenir de plus en plus sombre, signe que l'après-midi est en train de se terminer.
Après quelques minutes passées dans ce lieu qui lui rappelle tant de souvenirs, elle se décide à rentrer chez elle avec un certain regret, sans se douter du nouveau coup de massue qui l'attend.
En pénétrant dans le salon, les sons d'une conversation lui parviennent. Elle reconnaît la voix de James, en pleine discussion téléphonique.
La jeune fille remarque immédiatement le ton que son frère aîné a pris. Il paraît épuisé et... inquiet?
-Je ne sais pas, Carole. Je... j'en peux plus...
Rebbie jurerait avoir entendu un sanglot dans la voix de James. Qu'est-ce qui pourrait lui causer un tel désarroi?
Elle n'a pas le temps de se questionner davantage car elle entend son frère dire :
-D'après Josh, l'accident avait l'air sérieux. La voiture était cabossée de partout... Je suis allé à l'hôpital hier soir quand j'ai appris ce qui s'est passé et... non, c'était trop. Ça m'a tellement marqué de les voir dans cet état que je suis resté là-bas toute la nuit... J'arrive pas à croire que mes parents sont dans le coma à cause de moi...
-Quoi?!
Le cri qui s'échappe de la bouche de Rebbie semble résonner dans toute la pièce. James se tourne faiblement vers la jeune fille, laquelle s'est mise à trembler comme une feuille, tandis que son teint a pris la couleur d'un drap.
James n'a pas l'air de vouloir continuer sa discussion avec Carole. A la place, il fixe sa sœur de son regard brisé et fatigué.
-Rebbie..., commence-t-il d'une voix éteinte avant d'être interrompu.
-Papa... et maman... sont... à cause de..., fait la jeune fille d'une voix saccadée par l'horreur, la terreur et le choc d'avoir entendu ce qu'elle a entendu.
Elle ne cesse de secouer la tête tandis que sa respiration se fait plus rapide. Des larmes se mettent à perler dans ses paupières. Pendant quelques secondes, James croit alors qu'elle va s'évanouir d'un moment à l'autre, mais il ne fait rien pour l'aider. Il se sent dans un tel abattement que même si une bombe venait à exploser juste à côté de lui, il ne réagirait pas. Il se sent si... vide.
En revanche, les émotions qui traversent Rebbie sont si fortes que, sans un mot, elle quitte l'endroit où se trouve James et monte dans sa chambre. Autour d'elle, tout lui semble être brouillé. Tout ce qu'elle peut entendre, ce sont les battements désordonnés de son cœur.
Sans réfléchir, elle se saisit de la valise qui se situe au-dessus de son armoire et y jette les premiers habits qui lui apparaissent sous le nez. Pendant qu'elle exécute cette tâche, de nombreuses larmes se mettent à couler en cascade sur ses joues et bientôt, des sanglots ne tardent pas à s'emparer d'elle.
Une fois sa valise faite, la jeune fille descend les escaliers d'un pas lourd et quitte le domicile en claquant la porte. Elle ne saurait dire si James ou même Alex l'ont interpellée, mais le déluge d'émotions qui l'anime est tel qu'elle ne serait pas en mesure d'entendre qui que ce soit. La seule chose qu'elle réussit à faire de manière consciente, c'est de prendre son téléphone et de composer le numéro d'Ava, l'ancienne baby-sitter qui veillait sur James, Alex et elle lorsqu'ils étaient plus jeunes.
Rebbie continue sa route, tout en ignorant les regards des passants, intrigués de voir une jeune fille marcher rapidement en pleurs.
***
Pendant la semaine qui suit, Rebbie s'isole plus que jamais. Quand elle est chez Ava, elle reste dans la chambre que son hôtesse lui a attribuée. Quand elle en sort pour manger, elle touche à peine son assiette, et commence même à mincir au fil des jours.
Lorsque la jeune fille est au lycée, elle se met volontairement à l'écart. Elle ne supporterait pas que l'on assiste aux conséquences de ses échecs. De ce fait, elle ne croise aucun de ses amis (si tenté qu'elle en ait encore). Et à la cantine, elle mange en solitaire dans un coin de la salle avec sa capuche sur la tête.
Et surtout, elle se tait. C'est tout à fait nouveau car Rebbie est une grande bavarde et par conséquent, elle ne participe plus en classe, ce qui commence à inquiéter ses professeurs. Elle ne parle plus, ou très peu. De toute manière, au vu des évènements qui l'ont bouleversée, elle ne se sent pas la force de parler à qui que ce soit. Et lorsqu'elle reçoit un message ou un appel par téléphone, elle ne fait rien pour en prendre connaissance. La jeune fille est dans un tel état de fatigue émotionnelle qu'elle souhaite se couper du monde et pour cause, son monde à elle est complètement réduit en miettes. Même ses cours de judo ne l'intéressent plus. Elle qui, d'habitude, n'en rate jamais une seule leçon... C'est bien la première fois qu'elle ne ressent pas l'envie de se défouler.
Mais elle n'est pas près de se douter qu'un autre événement viendra la faire toucher davantage le fond.
En effet, alors que la jeune fille sort de son cours de littérature, avec désormais sa capuche sur la tête pour passer incognito, une voix désagréable lui parvient derrière elle:
-Tu fais peur à voir, Rebecca Roberts.
Une seule personne serait capable de parler avec tant de mépris. Marlon Welsh. Sauf que ce n'est pas lui, pour une fois. Il s'agit d'une voix féminine que tout le monde connaît au lycée, en raison de son statut de «populaire» et de gosse de riches.
Rebbie sent un soupçon d'exaspération monter en elle à l'entente de cette phrase.
-Tu me fais presque pitié, continue Sadie Hopkins avec la même attitude condescendante, tandis que ses comparses, Lauren, Frances et Hanaé la suivent sur ses talons. Comment peut-on tomber aussi bas? Être entourée d'amis soi-disant fidèles pour au final se retrouver seule.
-Vas te faire voir, Sadie, réplique Rebbie en lui faisant volte-face.
Aussitôt, son interlocutrice prend l'air profondément surpris, avec une main sur la poitrine.
-Oh? Où ça?
Le sang de Rebbie se met à bouillir. Elle déteste ce genre de fille «poupée à maman» et «princesse à papa» superficielle qui se croit au-dessus de tout et de tout le monde, et qui pense que tout lui est dû. Pour avoir été dans le même groupe de travail qu'elle quelques années plus tôt, Rebbie en sait quelque chose. En raison de leur tempérament de chef né, les deux filles ont eu du mal à se mettre d'accord sur le travail qu'elles voulaient rendre. Finalement, l'ambiance entre elles était si électrique qu'elles ont fini par changer de binôme, mais l'hostilité entre elles est depuis lors toujours présente, si bien que Sadie a réussi à monter son groupe d'amies contre elle.
Rebbie choisit de ne pas répondre et se retourne pour continuer sa route, non sans avoir lancé un regard méprisant à son ennemie. Mais Sadie n'en a pas fini pour autant.
-Parce que tu te défiles, en plus? T'es vraiment pathétique, ma pauvre fille.
Sadie ne compte pas laisser Rebbie quitte à si bon compte. Après tout, c'est à cause de cette fille que Celeste ne traîne plus avec elle. Si elle et son groupe d'amis, dont elle est visiblement le leader, n'avaient pas influencé la jeune fille, elle serait encore avec son groupe à elle. En conséquence, Sadie considère que Rebbie lui a volé son amie, et elle a bien l'intention de se venger en signe de représailles. Voir sa rivale en si piètre position est l'occasion rêvée de la ridiculiser en public.
Et elle compte bien profiter de chaque seconde qui se présente à elle.
-Si on m'avait dit que la brillante Rebbie ne serait plus que l'ombre d'elle-même, je n'y aurais pas cru... C'est à cause de l'accident de tes parents, c'est ça?
Dans ce lycée où les commérages sont monnaie courante, il est fort probable que ce tragique évènement soit parvenu aux oreilles des élèves. En entendant cela, Rebbie s'arrête net et serre les poings, tandis que la moutarde lui monte dangereusement au nez.
-Ah, c'est donc ça?, continue Sadie avec une fausse compassion. J'ai aussi cru comprendre que c'était à cause d'un de tes deux incapables de frères, mais j'ai oublié si c'était ton loser de jumeau ou ton idiot de grand frère.
Cette fois, la vue de Rebbie vire au rouge et sans qu'elle ne puisse se contrôler, elle se retourne vers Sadie et lui assène un coup de poing au visage. Le coup est si puissant que sa rivale bascule en arrière, et aurait sans doute atterri au sol si une des camarades ne l'avait pas rattrapée.
Alors que Sadie masse sa joue endolorie, ses yeux se remplissent peu à peu d'une grande fureur, face à cet acte qui attente à son honneur et à sa dignité.
-Petite garce!, lance-t-elle avant de se jeter à son tour sur Rebbie.
Les deux jeunes filles se ruent de coups de griffes tout en se tirant les cheveux et en multipliant les coups, sous les yeux choqués des autres élèves qui se rassemblent autour d'elles. Bientôt, des bras tentent tant bien que mal de les séparer. Aussitôt, Rebbie tourne la tête vers celui qui la tient et voit qu'il s'agit de son professeur de littérature. La jeune fille est tellement submergée par la colère que pendant quelques secondes, tout ce qu'elle parvient à entendre lui paraît flou.
Se rendant compte de ce que la présence de son professeur signifie, Rebbie arrête de s'agiter. Elle commence à regarder autour d'elle, comme si elle était complètement perdue. Elle prend conscience de l'agglutinement que forment les élèves, le visage haineux de Sadie, les exclamations de surprise de part et d'autre et la voix de son professeur qui leur ordonne de se calmer.
Mais lorsqu'elle tourne la tête à sa gauche, elle réussit à voir l'expression de choc et de tristesse sur le visage d'Alex. En l'espace de quelques secondes, le temps semble comme arrêté. De là où ils se trouvent, les deux jumeaux peuvent se fixer les yeux dans les yeux, pouvant ainsi lire la détresse présente dans le regard de leur moitié.
Cependant, le retour à la réalité est brutal. En effet, une voix criarde résonne dans le couloir, et le silence se fait instantanément. Ensuite, des talons à aiguille se font entendre, et il n'en faut pas plus à Rebbie pour deviner qui est en train de s'approcher.
-Rebecca Roberts, Sadie Hopkins, vous viendrez toutes les deux dans mon bureau, dit madame Smith, la proviseure, d'une voix sévère.
Les choses commencent à chauffer dangereusement pour notre chère Rebbie...
Que va-t-il se passer suite à cette altercation? Comment Alex va-t-il se sentir suite à cet épisode qui implique sa sœur?
La réponse... prochainement. (J'espère.)
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