-Tu penses avoir réussi l'interro en maths, Alberto?, demande Piper alors que les deux jeunes gens s'installent en face du foyer des élèves.

Le garçon fronce le nez, comme à chaque fois qu'il va faire une remarque acide.

-Si le paradis existe, oui.

Ce à quoi Piper éclate de rire. Une vraie boule à facette d'optimisme ce garçon, vraiment. Qu'est-ce que l'on aurait fait sans son débordement d'énergie!

-Tu l'as foiré à ce point?

-Ah mais ouais, complètement! Quand je dis que cette matière n'est pas faite pour moi, tu crois que je plaisante?

La jeune fille secoue la tête en riant. Comme les deux amis n'ont pas cours, ils ont décidé de passer le reste de l'heure à attendre leurs amis, avant d'aller à la cantine. A cette heure-ci, les couloirs sont pratiquement déserts. Seuls quelques élèves y circulent encore.

Un moment donné, Piper dit:

-Tu ne m'as pas dit du coup si tu venais fêter mon anniversaire ou non.

-Il me semble que si. Je t'avais dit que je pouvais, lui dit-il avant de demander:

-Tu sais dans quel resto on ira le fêter? Parce que t'avais dit que t'hésitais encore.

-Ouais, je voulais le faire dans le resto qui fait des grillades, mais comme Jeremy ne peut pas manger de viande rouge...

-T'inquiète, je vois.

Il n'empêche qu'Alberto trouve leur ami admirable. Ce dernier doit suivre un régime alimentaire particulier à cause de ses allergies et problèmes de santé, et le gars ne s'en plaint jamais. Et malgré les nombreuses opérations qu'il a subies jusque-là, il ne se laisse jamais aller. Jeremy Weber est sans aucun doute une véritable force de la nature, et Alberto ne peut que l'admirer pour cela.

Le plus drôle, c'est que ce n'est même pas avec Jeremy qu'il a sympathisé en premier, mais avec Julien. Pourtant, les deux sont ce qu'il y a de plus opposé et en effet, l'optimisme constant de Julien contraste fortement avec le pessimisme d'Alberto. Quant à Jeremy, il est celui qui apporte une sorte d'équilibre dans leur trio en étant le plus réaliste. Bien qu'il ne l'admettra jamais à voix haute, Alberto se sent chanceux d'avoir les deux cousins pour amis. Bon d'accord, meilleurs amis serait le terme approprié mais ça non plus, il ne l'admettra pas.

Il entend Piper lui dire:

-Je vais fêter mon anniversaire au resto japonais, finalement. Celui qui vient d'ouvrir. Là au moins je serai sûre que tout le monde pourra venir.

-Attends, mais ce resto doit coûter une blinde! Comment t'as réussi à convaincre ta mère?

Cette fois-ci, la jeune fille rit jaune:

-C'est mon père qui l'a convaincue. Apparemment, le fait que j'ai bientôt dix-huit ans ne lui suffit pas à me faire confiance mais ça, c'est une autre histoire.

-Ça dépend peut-être du nombre de personnes que t'as invité, non?

-Attends, je te dis ça tout de suite.

Elle sort son téléphone de sa poche et commence à chercher la liste des invités.

-Alors..., il y aura quatre potes de mon cours de sociologie dont mes deux amis qui sont actuellement en couple. Il y aura aussi Gabrielle, Celeste et ta copine.

-Quoi? T'as un problème avec elle?, dit-il en faisant semblant d'être sur la défensive.

-Mais pas du tout voyons! Je vois pas de quoi tu parles..., répond-elle avec un sourire espiègle.

Le jeune homme la bouscule légèrement.

-Tu sais que t'es infernale?

-Parce que tu crois que je l'ignorais pendant tout ce temps?

Il soupire en riant avant d'ajouter:

-T'as invité qui d'autre?

-A part ceux que je viens d'évoquer, il y a notre groupe. Toi, Rebbie, Jeremy, Julien et Evan. Alors oui, ça promet d'être très animé.

A la simple évocation du nom d'Evan, Alberto sent ses poings se serrer. Il n'a jamais, mais alors jamais, réussi à accepter ce garçon dans leur groupe. Depuis son arrivée, il y a quelque chose qui fait qu'il ne l'apprécie pas. En fait, il n'a jamais compris ce que les autres lui trouvent. A part la douceur dont il fait constamment preuve, sa modestie presque insupportable et cette timidité maladive qui le rend attendrissant, du point de vue des autres, mais qui énerve plus que tout Alberto, vraiment, il ne voit pas du tout en quoi il est si exceptionnel!

Mais en fait, au fond de lui-même, il sait pourquoi il ne supporte pas ce petit nouveau. (Parce que pour lui, il ne restera rien d'autre qu'un petit nouveau.) Il le sait, mais est-il prêt à l'admettre? Il n'arrive pas à exprimer toute son amitié envers Jeremy et Julien comme ils le méritent, ce n'est sûrement pas à un parfait inconnu comme Evan qu'il va dire ce qui le dérange autant chez lui!

Et comme Alberto est décidément très mauvais pour masquer sa mauvaise humeur, Piper comprend immédiatement que quelque chose ne va pas. Elle décide de ne pas y aller par quatre chemins et lui demande:

-Qu'est-ce qu'il y a? C'est Evan qui te dérange?

-Pourquoi tu me poses la question si tu connais déjà la réponse?, rétorque-t-il.

La jeune fille décide de ne rien répondre. Elle sait qu'il a raison. Contrairement à ce que l'on peut penser, Piper est beaucoup plus attentive qu'il n'y paraît. Sa réputation d'élève particulièrement intelligente n'est pas surfaite. Elle a en outre une excellente mémoire en plus d'avoir un sens de l'analyse très pointu. Et elle a compris depuis longtemps qu'Alberto aurait plus de mal à accepter Evan comme l'ont fait Julien et Jeremy. Tout simplement parce que ce n'est pas dans sa nature de se lier aussi rapidement d'amitié avec quelqu'un qui semble débarquer de nulle part et à qui l'on a imposé la présence.

Car disons-le clairement, Rebbie a imposé la présence d'Evan au sein de leur groupe. Piper n'a absolument rien contre lui, au contraire. Evan est quelqu'un de génial et elle le trouve adorable. Julien, lui, aime de toute façon tout le monde donc il n'a eu aucun problème à trouver des points communs avec lui et à être son ami. Quant à Jeremy, leur amour commun pour les activités calmes les ont rapprochés. Leurs tempéraments se sont vite compris. Et puis, Piper doit bien l'avouer, Jeremy a trouvé en Evan son «camarade principal» au sein même du groupe, car même si chacun est proche les uns avec les autres (à quelques détails près, bien sûr), ils ont tous quelqu'un avec qui parler de choses plus ou moins communes. Piper a Rebbie tandis que Julien, aussi étonnant que cela puisse paraître, a Alberto. Ce qui fait que Jeremy se retrouve souvent à suivre la conversation des autres et à intervenir quand cela est nécessaire. Comme il le dit lui-même, dans un groupe avec un nombre impair, il y en a souvent un qui finit seul. Et il a été enchanté de faire la connaissance d'Evan.

Comme le silence plane au-dessus d'eux, Piper dit:

-Je comprends que ce soit dur pour toi d'accepter Evan, Alberto. Et t'inquiètes pas, je te jugerai pas là-dessus.

Parce que je sais très bien que je suis mal placée pour le faire, dit-elle dans sa tête.

Alberto est comme surpris par ce que son amie vient de dire.

-Sérieux? Je pensais que t'allais mal le prendre.

-Mais non, t'inquiètes.

Il fait alors un rire sans humour.

-Si seulement Rebbie pouvait être aussi compréhensive.

Se rendant compte de ce qu'il vient de dire, il ajoute:

-Ne te méprends pas, surtout. Rebbie est une fille super, vraiment, mais il y a des jours où elle veut vraiment tout contrôler, et ça en devient usant. Et pour tout te dire, j'ai même l'impression de ne plus pouvoir lui dire quoi que ce soit de personnel parce que sinon, elle voudra trouver un moyen de me contrôler. Je sais pas si tu vois ce que je veux dire.

Piper hoche la tête. Elle voit parfaitement ce qu'il veut dire. Après s'être assuré que personne ne puisse les entendre, Alberto se penche vers Piper pour lui murmurer:

-Je préfère te le dire à toi parce que je sais que tu ne me jugeras pas. En fait, je ne sais pas si tu as déjà vu mon frère, Angelo.

Oui, je l'ai vu. C'est le garçon qui a un problème au niveau des pieds, pense-t-elle. Mais elle sait que mentionner le handicap du jeune garçon pourrait mettre Alberto de mauvaise humeur.

-Je vois qui c'est, oui.

-Bah, je sais pas pourquoi, mais Evan me fait un peu penser à lui. Dans l'attitude, je sais pas comment dire. Ils ont la même nonchalance, la même discrétion et le même esprit tranquille. Ça me... ça me... perturbe, c'est...

Voyant qu'il commence à s'échauffer, Piper fait un signe de la main pour dire qu'elle a compris où il veut en venir. Le jeune homme trouve beaucoup de similitudes entre une personne qu'il ne peut souffrir et une personne qui lui est proche que cela le dérange au plus haut point. Et la jeune blonde ne peut que compatir avec son ami.

Parce qu'après tout, réagir en fonction des similitudes que l'on peut trouver avec les autres, elle sait le faire. N'est-ce pas pour cela qu'elle a à tout prix essayé de retarder la demande d'Alex pour sortir avec elle? La jeune fille n'est pas stupide. Cela se voit à des kilomètres à la ronde que le jeune homme en pince pour elle, alors que Piper ne ressent à son égard rien de plus qu'une amitié sincère. Aussi, quand il lui a demandé de sortir avec elle, elle s'est sentie dans un profond embarras. Parce qu'elle sait qu'elle n'est pas amoureuse d'Alex, mais de son frère aîné, James. Et elle sait également autre chose: James sait qu'elle en pince pour lui. Et lorsque ce dernier lui a dit qu'il l'aime beaucoup mais qu'il préférerait qu'ils restent amis, Piper s'en est sentie au plus mal. Oui, la folle et excentrique Piper a eu le cœur brisé à cause d'un garçon. C'est même pour cela qu'elle a voulu faire en sorte qu'Alex ne lui déclare pas sa flamme. Elle ne voulait pas qu'il souffre comme elle-même a souffert.

Et à présent, elle sent qu'Alex est de plus en plus distant avec elle. A moins que ce ne soit de quelqu'un d'autre dont il veut s'éloigner. Mais de qui, alors?

La jeune fille finit par soupirer.

-Pourquoi j'ai de plus en plus l'impression que cette année scolaire est différente des autres?

Alberto hausse les épaules.

-Pas seulement parce qu'on est en Terminale, je crois. Et quelque chose me dit que ça n'est pas fini.

Alors? Que pensez-vous de ce chapitre? ^^

On commence petit à petit à entrer dans les révélations et croyez-moi, ce n'est que le début...