Chapitre 61 : Se contempler dans un miroir
Je vous jure j'ai regardé cent fois que je postais bien au bon endroit cette fois
BONJOUR
Perri est de retour dans son Nord natal parce que ce soir ELLE VA AU STADE VOIR LA COUPE DU MONDE, FRANCE URUGUAY ME VOILAAAAAAAAA. Je suis aux anges, croyez-moi, j'espère que ça va chanter la Pena Baionna histoire d'avoir un peu de folklore. PNIFEAIBGAEjh ça va être trop bien.
CONCERNANT LES POSTS alors pour celle.eux qui n'ont pas insta, sachez que j'ai fait un sondage si vous voulez un calendrier pour voir venir ou avoir la surprise. Et la surprise l'a largement emporté donc je vais continuer comme ça !
Cela dit pour que vous ayez un point de repère : je prévois de poster la dernière partie du "Et après?" le 30 septembre !
Alors concernant ce chapitre ... tant attendu ... c'est un peu particulier. Je vous expliquerai tout à la fin, mais sachez que c'est le premier jalon d'un projet ...
Je ne vous en dit pas plus et je vous laisse savourer ! Bonne lecture les enfants !
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Les autres sont essentiellement des miroirs de toi-même. Tu ne peux aimer ou détester quelque chose chez autrui que si ce quelque chose reflète une chose que tu aimes ou détestes en toi.
- Friedrich Nietzsche
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Chapitre 61 : Se contempler dans un miroir
Lundi 23 Juin 1991
Bon, check-list final deux secondes avant de partir.
Je suis bien habillée. Je suis bien maquillée. Mieux maquillée qu'habillée, d'ailleurs, mais j'ai écouté Lauren. Flitwick m'a donné une autorisation spéciale pour sortir à Pré-au-Lard mais je dois rentrer sous une heure. Et je me suis faite menacée par Charlie donc si je n'y vais pas je suis certaine de finir dans le lac noir et je refuse de lui faire ce plaisir. Ça ne donne une motivation suffisante n'est-ce pas ?
Tu parles. Je tremble de partout. ARGH. QUELLE IDEE.
***
Pour la centième fois depuis qu'elle l'avait enfilé, Joséphine tira sur le col de l'impeccable robe de sorcière que Lauren l'avait forcée à porter, et tâta, incertaine, le chapeau pointu qui l'accompagnait. Le tout était d'un parme qui d'après elle ne faisait que ressortir son teint verdâtre mais qui selon Lauren lui donnait « une classe folle ». Elle n'avait pas trop protesté, pendant qu'elle et Bérénice vidaient consciencieusement son armoire dans la quête de la tenue parfaite pour se présenter à son entretien d'embauche. Mais ses vieux instincts s'étaient réveillés lorsque Lauren était sortie de la salle de bain avec une brosse et des épingles coincées entre ses lèvres. Joséphine lui avait jeté un regard si féroce qu'elle avait battu en retraite. Cela lui avait donné la force d'ensuite reprendre la main sur sa préparation en se chargeant elle-même de sa main experte le maquillage. Bérénice avait plissé les yeux, réprobatrice, devant l'écarlate qui parait ses lèvres, mais cela avait fait naître un immense sourire sur le visage de Joséphine. Enfin, elle se retrouvait.
Mais seule face au pavé inégal de Pré-au-Lard, elle n'avait pas de miroir pour se nourrir de cette certitude et se battait contre le col trop étouffant de la robe ou avec le chapeau qui avait une tendance certaine à tomber sur son front. Lorsque l'enseigne des Trois Balais fut en vue, sa poitrine se comprima. Elle n'avait jamais éprouvé d'affection particulière pour ce vieux village dont les pavés avaient été éternellement battus par les sorciers et petits sorciers de Poudlard. Ce qui expliquait qu'elle ait si peu de scrupule à sécher la dernière sortie de sa vie pour rester calfeutrée dans les couvertures avec Farhan ... Le souvenir fut comme un poing qui lui fracassa les côtes. Sans réfléchir, elle s'immobilisa sur le bas de la porte, luttant brusquement contre les larmes.
Si c'est ça ta façon de m'aimer, je préfère qu'on s'arrête là.
Exhalant un souffle chargé d'émotivité, elle leva son visage vers le ciel pour clouer les larmes contre sa cornée et sauvegarder son maquillage. Retrouver ses pinceaux et ses couleurs avaient été l'unique instant de joie depuis que sa tribune était parue, le rayon de soleil au milieu de l'orage. Un pur moment de confiance où ses pensées s'étaient épurées, éclaircie, pour se concentrer sur la balance d'harmonie sur sa peau. Elle refusait qu'il soit ruiné si vite, si facilement.
-Allez, stop, s'enjoignit-t-elle dans un murmure. On se concentre, on respire ... Comme devant le miroir, on oublie papa, on oublie Farhan, on oublie tout.
Elle inspira profondément, dans une pâle et maladroite imitation de la technique de Farhan pour reprendre le contrôle de ses nerfs. Cela ne marcha qu'à moitié, mais assez pour que les larmes refluent, et qu'elle puisse trouver le courage de poser la main sur la poignée de porte. Il lui fallut encore quelques secondes pour enfin la pousser. L'odeur du bois et les effluves sucrées de la bièraubeurre la happèrent tout de suite et l'enveloppèrent d'une familiarité qui l'apaisa définitivement. En plus c'était un endroit totalement dénué de tous souvenir, se rassura-t-elle en avançant dans la salle presque déserte. Elle avait bu quelques chopes de bièraubeurre du temps où elles avaient des « copines », mais sitôt son aura de louve solitaire érigée, elle avait plutôt évité les lieux fréquentés du village. Elle repéra Madame Rosemerta derrière son bar, la baguette levée juste en dessous de verres qui se nettoyaient seuls et s'y approcha prudemment.
-Excusez-moi ? lança-t-elle. Vous savez si Noah Douzebranches est arrivé ... ? Je ne sais pas si vous voyez ...
-Ah ça, un nom comme ça avec un accent pareil, j'ai retenu croyez-moi, ricana Madame Rosermerta avant de pointer une direction. Au fond de la salle, miss, la table derrière l'arbuste.
Joséphine jeta un regard derrière son épaule en toute indiscrétion, mais le fameux recruteur était totalement masqué à sa vue. Elle percevait simplement une table surmontée d'une tasse fumante dépasser derrière les feuilles abondantes de l'arbre qui habillait la salle. Elle remercia Madame Rosemerta et après avoir inspiré une dernière goulée d'air, réajusté pour la millième fois sa tenue et s'être observée dans le reflet d'une fenêtre pour se donner confiance, elle traversa la salle. A chaque pas, l'homme se découvrit à elle. Une baguette négligemment tenue dans sa main faisait laconiquement tournoyer une cuillère dans la tasse de thé. Elle s'attendait à une impeccable tenue de sorcier ou à une belle cravate, mais il portait une simple veste en jean sur un tee-shirt blanc. Des boucles sombres jetaient une ombre sur un visage aux traits fins, où seule l'arrête de son nez droit prenait la lumière. Lorsqu'il releva les yeux sur elle, elle put découvrir ses prunelles bleues, pétillantes et un sourire s'étira sur ses lèvres.
-Ah ! J.O. je suppose ?
-Euh ...
Joséphine se râcla la gorge, profondément agacée par cette entrée en matière qui lui ressemblait si peu. Souviens-toi du miroir, Jo. Souviens-toi de qui tu es vraiment. Le reflet sur la fenêtre où ressortait le rouge à lèvre rouge traversa son esprit et elle s'efforça de sourire pour faire bien mettre en valeur son travail.
-Joséphine Abbot, précisa-t-elle en prenant place en face de lui.
-Quel dommage, murmura-t-il, sarcastique. C'était avec « J.O. » que j'espérais échanger ...
Joséphine eut à peine le temps de hausser les sourcils face à la réponse qu'il hélait déjà Madame Rosermeta qui traversait la salle. Sans même lui accorder un regard, il demanda :
-Tu veux boire quelque chose ?
C'est un piège ? se demanda Joséphine, sceptique et un brin anxieuse. La boisson locale était la bièraubeurre et elle avouait que la tentation était grande tant elle avait besoin de calmer ses nerfs, mais la chose ne serait-elle pas jugée négativement ? Merlin qu'elle détestait cette situation. Être jugée, avec les yeux clairs de cet homme planté sur elle était des plus crispants. De plus, un léger sourire ourlait constamment ses lèvres, comme si chaque mot ou chaque geste de chaque instant semblait amusant à ses yeux. Comme s'il se moquait pertinemment d'elle. Du monde. Peu importait, elle détestait.
-Juste du thé, s'il vous plait.
-Quelle bonne petite anglaise, plaisanta-t-il et son rictus s'étira. Et quelle originalité ...
-Vous seriez surpris, rétorqua-t-elle, piquée au vif. C'est un ami qui m'a donné l'habitude ...
Il dressa un sourcil et daigna lui accorder un regard. Le sourire était toujours là, mais quelque chose sur son visage avait semblé légèrement s'attendrir.
-Ah. Je vois que nous avons quelque chose en commun ...
Joséphine refusa de répondre et se contenta de lui renvoyer un long regard en prenant soin de ne pas ciller. Pourtant ce n'étaient pas les répliques qui lui manquaient. Au contraire, elles lui brûlaient les lèvres, et avec le ton méprisant ou cynique qui allait avec. Mais aujourd'hui, avec l'enjeu, son état d'esprit et l'homme assez difficile à cerner face à elle, elle préféra prendre exemple sur Farhan et expérimenter le pouvoir du silence. De toute manière, n'était-ce pas à lui de la questionner, sur ses intentions et son parcours ? Mais de nouveau, il la prit totalement à contrepied et se contenta de sortir quelque chose de sa besace. Sans un mot, il lui jeta des feuilles enroulées. Heureusement qu'elle avait la main agile de l'attrapeuse, car c'était lancé en plein sur son visage. C'est quoi ça, il veut m'humilier ? s'interrogea-t-elle, exaspérée. Et son irritation monta en flèche lorsqu'elle déploya les feuillets pour découvrir son article, sa tribune étalée en double-page. Elle dut mal masquer son humeur lorsqu'elle releva les yeux sur Noah Douzebranches. Les mains jointes devant son visage, il souriait comme une araignée face à sa proie prise dans la toile.
-Allez, dis-moi tout. Pourquoi tu as écrit ça ?
Une familiarité qui seyait à merveille à son accent américain à couper au couteau ... C'était peut-être ça qui la déconcertait tant.
-Vous ne devriez pas vous présenter ? rétorqua Joséphine. Me parler de votre journal, demander mes expériences ?
-Si tu veux la jouer comme ça, on peut la jouer comme ça, soupira-t-il, l'air profondément ennuyé. Je suis Noah Douzebranches, rédacteur-en-chef et dessinateur officiel de la branche britannique de La voix du chaudron.
Ah, très bien, c'est lui, nota-t-elle intérieurement, une peu surprise. Tonks s'était fait une joie de lui apporter tous les exemplaires de La voix du chaudron qu'elle avait en sa possession, y compris le dernier numéro reçu qui, à sa plus grande fierté mêlée de désarroi, rebondissait sur sa tribune, notamment en ressortant les tenants et aboutissants de l'affaire Malefoy. Mais ce qui avait attiré son regard ce n'étaient pas tant les articles que la dernière page, quatrième de couverture, qui était systématiquement une caricature signée du « P.N. ». Le dessin, parfois grotesques, parfois grandiloquent, parfois rageur, lui avait toujours paru juste. Elle avait été touchée par l'énergie qui transperçait à travers les traits, la rage dans les couleurs, la franchise dans les quelques mots piquants. Parfois, les titres étaient un peu pauvres, mais Joséphine comprenait l'écueil. C'était difficile de réduire une pensée quand on voulait la hurler et la faire saigner à la face du monde.
Alors c'était lui. Le rédacteur-en-chef, américain qui plus était, en personne. Pour le coup, c'était original, il fallait le dire Joséphine sentit imperceptiblement ses muscles se détendre. Elle n'arrivait pas à cerner l'homme devant elle, mais le Perroquet Noir, lui, lui avait parlé.
-Vous êtes américain, commenta-t-elle d'un ton badin.
-Rien ne t'échappe, soupira-t-il sur un ton suprême d'ennui.
-Je m'attendais à un Canadien, vu l'historique du journal. Ou un Anglais. Ça aurait fait sens pour s'implanter en Angleterre, de nommer quelqu'un qui connait le pays et ses rouages.
-Ça doit être sans doute pour ça que je suis si mauvais à mon poste, rétorqua Noah Douzebranches avant de reporter son attention sur elle. Tu as apporté un CV afin que je puisse mieux te cerner, Joséphine Abbot ?
Non, elle n'y avait pas songé et maintenant qu'il en parlait ça lui semblait être la chose la plus basique et la plus essentielle à apporter à un entretien d'embauche. Ses joues durent se parer d'une légère couleur rosée, et avant que le rédacteur ne puisse remarquer son embarras, elle jeta l'exemplaire de La Gazette sur la table. Quel meilleur CV que le seul article qu'elle avait écrit ? Publier du premier coup, à peine relu ? Au sourire satisfait qui retroussa les lèvres de Noah Douzebranches, elle sut qu'il appréciait le geste.
-Tu as raison, c'est nettement plus révélateur. Du coup, tu m'expliques tes raisons ?
Les doigts de Joséphine se crispèrent légèrement sur la hanse de la tasse que Madame Rosermeta venait de poser devant elle. Les raisons étaient tellement intimes qu'elles restèrent bloquées au fond de sa gorge qui s'assécha brusquement. Elle prit une longue gorgée pour redonner du corps à son organe.
-J'ai ... pu vivre aux premières loges les conséquences qu'une gestion obscure de la guerre contre Vous-Savez-Qui peut avoir sur une vie. Tout le long de l'année, j'ai eu le temps d'y réfléchir, de mûrir un avis tranché sur la question. Et un jour, il a juste fallu que le fruit de toutes ces heures de macération jaillisse, d'une manière ou d'une autre. Ça a pris cette forme.
Tendue, Joséphine attendit qu'il renchérisse, qu'il décortique ses motivations et fasse émerger le nom de Farhan et tous les détails sordides de son affaire, histoire qu'elle le trahisse une fois de plus. Mais il n'en fit rien. Il hocha longuement la tête et tapota le bord des pages de La Gazette devant lui.
-Quelle autre forme ça aurait pu prendre ? Et si la réponse n'est pas « un pot de peinture à la figure de Fudge », je serais déçu.
-Navrée, répondit Joséphine masquant son sourire amusé. Je n'ai pas une vibration très artistique. Je m'exprime avec ma plume.
-Donc tu as écrit d'autres choses ?
Joséphine hésita quelques secondes, avant d'avouer avec l'impression d'être une gamine qui dessinait des cœurs dans un cahier :
-Je tiens un journal. Presque tous les jours. Mais je ne sais pas si ça compte ...
-Un journal intime ?
-Un journal où j'écris mes pensées, rectifia-t-elle avec une grimace. Où je peux hurler avec une plume, vous voyez ?
Sa tête oscilla légèrement et ses boucles suivirent le mouvement pour venir effleurer son épaule et dégager son front. Son expression ainsi révélée lui parut moins énigmatique et à la façon dont son rictus s'était effacé, elle sut qu'elle avait piqué sa curiosité. Néanmoins, la question qui franchit ses lèvres étaient d'une banalité affligeante :
-Et avant ça ? Des expériences professionnelles dans ton parcours d'écolière ?
Le calice jusque la lie, pensa-t-elle en s'efforçant de ne pas lever les yeux au ciel. Après tout, c'était elle qui avait lancé les bases d'un entretien classique. Elle avait oublié dans sa volonté de se protéger qu'elle n'avait jamais eu une façon de réfléchir classique.
-Pas vraiment. Une semaine dans la boutique d'apothicaire d'un ami, mais je ne sais pas si ce sont des compétences qui vous intéressent. Je ne suis pas mauvaise en potions. Je peux fabriquer l'encre ou le liquide pour développer les photos.
Noah dressa un sourcil face aux accents de sarcasme qui s'étaient instillés dans sa voix. Il reposa la tasse de thé qu'il maintenait à mi-hauteur pour donner l'impression de se désintéresser d'elle depuis quelques minutes.
-Le même ami qui t'a donné le goût du thé ?
-Celui qui m'a fait comprendre que je devais chercher la meilleure manière possible de mener ma révolution, rétorqua-t-elle, refusant d'entrer dans son jeu. Et j'ai compris que c'était la plume.
-Révolution, carrément ?
Un sourire s'étira sur les lèvres de Joséphine. Un peu cynique, légèrement moqueur, elle sut qu'il était l'exact reflet de celui qui ourlait les lèvres de Noah Douzebranches depuis le début de l'entretien.
-Vous avez lu ma tribune, non ? Ce n'était pas écrit par quelqu'un qui veut secouer tout le monde, mais renverser la table.
Elle regretta presque d'avoir laissé échapper sa saillie, tout en la notant dans un coin de son esprit pour la noter dans son journal le soir-même. Cela correspondait trop à son état d'esprit général pour qu'elle ne passe pas à la postérité. Tant pis si c'était tombé dans l'oreille d'un possible recruteur. Elle retint un soupir. Elle ne savait même pas si elle voulait cette place au sein de la rédaction. Sa plume avait toujours été libre, virevoltante. Parfois éteinte pendant plusieurs jours, réduite à reproduire vers et chansons, parfois effervescente avec l'encre qui jaillissait sans même qu'elle y réfléchisse. Voir la seule chose qui avait maintenu le cap de sa vie être mis sous cloche lui donnait la nausée.
-Je sais que ça ne correspond pas aux valeurs d'une journaliste, admit-t-elle du bout des lèvres. Je ne vais pas vous mentir, je ne vais pas vous fait perdre votre temps : je suis créative, je bouillonne d'idées et de réflexions et comme diraient mes amis, j'ai un avis sur tout. Ecrire sur l'actualité d'accord, mais je refuse de cirer les bottes de Fudge si j'estime qu'il fait n'importe quoi, ou féliciter la générosité d'un homme comme Malefoy quand il devrait être en prison depuis longtemps. J'en serais incapable. Ce serait votre table que je renverserais.
C'était certainement la pire façon de se vendre, songea-t-elle sans éprouver néanmoins ni regret ni amertume. Elle garda le silence quelques secondes alors que le sourire s'était totalement effacé des lèvres de Noah Douzebranches. Il se contentait de planter un regard sur elle, intensifié par l'ombre jeté par ses boucles sur son front.
-Mais j'ai cru croire que ce n'était pas ce qu'attendait votre journal, releva-t-elle en désespoir de cause.
-Pas vraiment, concéda-t-il, avant de prendre une gorgée de thé. Et si je critique ton travail, ou que je refuse de le publier, pour une raison ou une autre ?
-Ne vous attendez pas à ce que je vous cire les bottes à vous aussi pour être publiée.
-Comment ça je n'aurais pas le droit des pâtisseries chaque matin, des massages gratuits en échange des meilleures pages et un thé prêt dès que j'arrive au local ? fit-il mine de s'offusquer, une main sur le cœur. Je pensais que c'était une obligation chez les journalistes de vénérer son rédacteur-en-chef ! C'est gravé dans le marbre de leur code de conduite ...
-Je vous l'ai dit. Je n'adhère pas à toutes les valeurs du journalisme. Si je dois être honnête, si vous ne publiez pas mon article, vous aurez un thé prêt dans la seconde, mais plutôt pour que je puisse vous le jeter au visage.
Il se fendit d'un petit rire que Joséphine ne sut interpréter.
-Donc si je te suis, tu écris dans ton journal tous les soirs, tu as envoyé un article au quotidien le plus lu du Monde Magique anglais mais tu n'as ... aucune intention de devenir journaliste ?
-Vraiment pas. Pour être honnête, je n'ai pas la moindre idée de ce qui m'attend une fois sortie de Poudlard.
Sa gorge se noua douloureusement tant la phrase était véridique et angoissante, à tous les étages de sa vie. Elle avait un jour eu la certitude d'au moins pouvoir tenir la main de Farhan pour sortir du Poudlard Express ... mais même cette image si douce s'était évaporée, fracassée contre ses mots. Les mêmes mots qui noircissaient les pages que Noah Douzebranches effleuraient machinalement. Elle porta sa tasse de thé à ses lèvres, espérant que la fumée masquerait l'expression troublée de son regard. Lorsqu'elle reposa sa tasse, elle constata que les yeux du rédacteur-en-chef ne l'avait pas lâché. Au contraire, pour la première fois de l'entretien, il semblait réellement la regarder. Peut-être avait-il enfin pu gratter le vernis de Joséphine Abbot pour trouver « J.O. ».
-Tu ne connais pas, Joséphine Abbot, mais si tu ne connaissais tu saurais que ce n'est pas sous ma direction que je vais empêcher quelqu'un de « hurler avec sa plume », lança-t-il avec une certaine solennité.
Non, elle ne le connaissait pas, mais la réponse ne la surprenait pas le moins du monde. Après tout, ses caricatures lui avaient paru être un cri dont les ondes étaient faites de couleur. Mais avant qu'elle n'ait le temps de se sentir rassurée par ses dires, il poursuivit d'un ton nettement plus sérieux :
-Maintenant pour ta crise de vocation ... Si le journalisme te tente, alors tente-le. Tu n'auras rien à regretter et si jamais tu en as assez ou que tu découvres que ça ne correspond pas à ta personnalité, tu pourras toujours tenter une autre voie.
-Mais ça voudrait dire que je me suis trompée ... que j'ai encore échoué.
Le « encore » lui écorcha les lèvres et elle se les pinça pour ne pas laisser entendre qu'elle était une tempête capable de renverser sa table de ses vents sans même le vouloir.
-Pas forcément, objecta-t-il avec une certaine douceur. Il faut arrêter de voir ce genre de chose comme des échecs ou des réussites. C'est à toi de décider ce que tu veux en faire. (Il sembla hésiter et un étrange sourire se dessina sur ses lèvres). Vois ça comme une somme d'expériences qui te permettront de te connaître et de savoir ce que tu veux faire de ta vie.
Il repoussa sa tasse vide et s'avança un peu sur la table comme pour entrer dans son espace personnel et rendre son discours audible car plus proche de son oreille.
-Tu veux un secret ? Ton métier ne te définit pas. Ce n'est pas une peau que tu vas porter toute ta vie. Je ne plaisantais pas tout à l'heure. Je suis un rédacteur-en-chef exécrable, je fais ça pour rendre service à des amis, sinon crois-moi je serais restée à mes crayons et mes dessins. J'ai vingt-huit ans, et je n'ai pas de profession stable et définie. Mais crois-moi, je le vis très bien, parce que je sais que ça laisse face à moi une multitude de vie que je rêve d'emprunter.
Ce n'était pas la première fois que Joséphine entendait ce discours. Nolan O'Neil lui avait déjà dit quelque chose de similaire, fort de son expérience de cueilleur de champifleur qui n'avait eu le courage d'accomplir son rêve qu'en devenant père. Parfois, il fallait le déclic dans la vie qui éclairait brusquement les chemins, mais surtout le but ultime au bout. Et comme le soulignait Noah, parfois ce chemin qui semblait si clair bifurquait, et ce n'était pas un échec. Juste une nouvelle aventure qui débutait. Elle s'était laissé emprisonner parce que son père avait voulu faire d'elle. Quand on voit quel homme ça a fait de lui ... Elle ravala son amertume et préféra lâcher :
-Merci ... je ne m'attendais pas à recevoir de ce genre de conseil en venant ici.
-Tu vois ? Je suis multi-fonction. Je n'ai pas qu'une peau. Je suis sûr que c'est ton cas et c'est ce qui fait la richesse des gens comme nous.
Des gens comme nous. C'était sorti si naturellement. Et pourtant, aussi étrange que ça puisse paraître, il s'était compris. Ce n'était pas leur discussion qui l'avait permis, cela dit. Elle l'avait cerné par ses dessins ; lui avait contemplé son intériorité en lisant ses mots. Ce fut à son tour de le considérer sans sourire narquois, sans artifice. Ils s'étaient parés de masques alors qu'ils connaissaient déjà leur fond de leur cœur. Quels imbéciles.
-En quoi consiste le poste ? interrogea-t-elle finalement, plus résolue.
Noah Douzebranches sourit et exposa les détails, les horaires décalées, les reportages au pied levé à la moindre actualité. Ils n'avaient pas le budget pour sortir un numéro tous les jours, donc les pages devaient être marquantes, percutantes pour justifier que le public attende deux semaines la publication. Pour ces mêmes raisons, elle devait faire seule ses recherches et n'avaient qu'un photographe pour trois journalistes. Le salaire était très loin d'être mirobolant, d'autant qu'elle sortait de Poudlard. La voix du chaudron était un journal engagé, mais justement assez ouvert aux idées neuves et aux nouveaux concepts si elle avait des suggestions. Qu'elle ne se laisse enfermée ni par la bienséance, ni les lignes directrice du journal. Cette dernière suggestion lui plaisait. Oui, elle lui plaisait beaucoup. Ça lui plaisait tant que ça effaçait peut-être le reste.
Lorsqu'ils sortirent des Trois balais, le ciel s'était un peu voilé mais l'horizon de Joséphine s'était dégagé. Elle serra la main de Noah Douzebranches avec un sourire franc. Sa poitrine était toujours lourde et plombée, mais c'était comme si le poids de roc c'était changé en poids de plume. Toujours le même volume, mais une sensation plus douce et chaleureuse.
-Merci, souffla-t-elle. Merci ... pour tout, en fait.
-Un plaisir, miss Abbot, répondit tranquillement Noah Douzebranches.
Face à la pression qui redescendait, elle plongea sa main dans sa poche pour extraire son étui et planter une cigarette entre ses lèvres. Face au regard que le rédacteur coula sur elle, elle l'éloigna de sa bouche, gênée. La seule seconde où elle l'avait tenue avait suffi à colorer le filtre de rouge.
-Pardon ce n'est pas très professionnel ... mais je pense que rien dans ce que je vous ai dit ne vous le laisse penser. Et l'entretien est terminé, je ...
-En fait je me demandais si c'était ce n'était pas exagéré de t'en gratter une. J'ai oublié mon paquet.
Les yeux de Joséphine s'écarquillèrent et de façon machinale, elle lui tendit son étui. D'un geste souple, Noah Douzebranches saisit une cigarette et l'alluma prestement pour recracher aussitôt un nuage odorant dans l'air. Bientôt, la fumée de Joséphine vint se mêler à la sienne et épaissir l'air en mille nuances de tabac.
-Tu vois que tu es du genre à faire de la lèche, plaisanta-t-il, l'œil étincelant.
-Peut-être que je suis juste gentille.
-Tu as menacé de m'envoyer du thé au visage. Je connais quelqu'un qui te clouerait au pilori pour ça.
-La personne qui vous a donné le goût pour le thé ?
Noah rejeta sa tête en arrière et éclata de rire en même temps qu'il recracha un épais panache de fumée grise. Joséphine rebroussa chemin après l'avoir salué une dernière fois, sa cigarette à moitié consumée entre ses doigts, le pas plus léger que lors de son aller. Son chapeau de sorcière pendait dans son autre main et ses cheveux virevoltaient librement autour de son visage. Peut-être qu'elle avait été trop honnête pour que ça passe. Que malgré son esprit rebelle, Noah Douzebranches l'avait trouvé trop volatile pour lui faire confiance et l'intégrer dans son équipe. Elle s'en fichait, à dire vrai. Elle n'avait peut-être obtenu le poste, mais en ce qui la concernait elle avait réussi son entretien. Elle avait tiré toutes ses cartes sans rien n'omettre. Décortiquer ses atouts avait réhaussé sa confiance aussi efficacement que le maquillage et le discours sur les différents chemins qui s'ouvraient à elle avait décloisonné ses perspectives. Si ce n'était pas maintenant, ce serait plus tard. Si ce n'était pas ça, ce serait autre chose. Mais elle n'était pas sans ressources. Elle aussi avait plusieurs peaux, et elle aurait le temps de les user avant de se découvrir enfin.
Oui, pour la première fois depuis longtemps, Joséphine avait la sensation d'avoir réussi quelque chose. Elle crut qu'elle pourrait garder ce talisman brillant au creux de sa poitrine quelques semaines, que son éclat la protège de la fin de sa scolarité et du vide béant qui l'attendait derrière. Mais il était plus fragile qu'elle ne le pensait. Il suffit qu'elle aperçoive Farhan quelques mètres derrière les grilles surmontées de sangliers ailés qui protégeaient le château pour qu'il vole en éclat.
-Oh non, souffla-t-elle, catastrophée.
Elle se dépêcha de cacher son mégot à moitié fumant dans son étui à cigarette pendant que Rusard ouvrait la grille, prévenu qu'elle n'avait qu'une heure d'autorisation de sortie. Il râlait comme un putois, comme chaque fois qu'il devait faire quelque chose dans cette foutue école, mais Joséphine était totalement sourde à ses pleurnicheries. Tournés de trois-quarts, lunettes plantées sur son nez, Farhan avait enfoncé profondément ses mains dans ses poches. Il gardait les yeux obstinément rivés sur le gazon et pourtant Joséphine était certaine qu'il ne pouvait ignorer le grincement des grilles ancestrales, ni la voix stridente de Rusard qui les dépassa vite après les avoir refermés, ni les pas de Joséphine qui se rapprochaient timidement de lui.
Elle ignorait totalement comment réagir. C'était la première fois qu'elle le contemplait depuis leur dispute sur sa tribune. Et si au fond d'elle, elle avait une envie furieuse et viscérale d'empoigner son visage et d'en scruter chaque détail pour contempler de ses yeux son état, son esprit lui disait plutôt de passer son chemin, et de le traverser comme le fantôme qu'elle aurait toujours dû être pour lui. Elle était toujours tiraillée quand elle arriva à sa hauteur, déchirée entre les deux possibilités quand la voix de Farhan surgit du gouffre :
-Tu n'étais pas en potion ce matin.
Elle s'immobilisa, les yeux clos, frappée par cette voix de façon presque physique. Elle lutta de toutes ses forces pour ne pas refermer ses doigts sur le camé qui reposait toujours contre sa poitrine. Ainsi, il était retourné en cours. McGonagall et Pomfresh lui avaient, à Maya et lui, octroyé quelques jours de repos pour prendre le temps de digérer.
-C'est Charlie qui m'a dit que tu avais rendez-vous avec quelqu'un, poursuivit-t-il sans attendre qu'elle se retourne sur lui. Je vois que tu n'as pas perdu de temps ...
Mue par l'indignation qui gonflait dans sa poitrine devant l'hypothèse, Joséphine fit prestement volte-face. Ses cheveux fouettèrent l'air et s'enroulèrent autour de sa gorge, son regard s'écarquilla et face à sa réaction, Farhan leva immédiatement les mains pour faire amende honorable.
-Je plaisante, je plaisante ! Je sais que c'était quelqu'un d'un journal. La voix du chaudron, c'est ça ?
Septimus, je t'ai autorisé à laisser échapper ces informations ? Non, bien sûr que non. Bercée par son soutien, elle avait simplement oublié que sa loyauté allait à Farhan, davantage qu'à elle. Déboussolée, Joséphine le considéra et profita que leur panique respective ait brisé la glace pour le dévisager tel qu'elle l'avait rêvé. Il ne paraissait pas aller si mal. Ses traits étaient un peu tirés par la fatigue certes, mais c'était là les seuls stigmates de sa plongée dans la Pensine.
-On plaisante, alors, murmura-t-elle, toujours crispée. Qu'est-ce que je dois en déduire ?
Le silence de Farhan parut s'étirer à l'infini. Il était maître dans l'art de les rendre signifiant, mais cette fois-ci Joséphine sentit que ce n'était pas volontaire. Non, Farhan était simplement à court de mots. Ceux qu'il finit par faire tomber étaient simples et lapidaires :
-Que tu avais raison. Depuis le début, et jusqu'au dernier chapitre. De bout en bout.
Le souffle de Joséphine se retrouva bloqué dans ses poumons au point que sa poitrine fut saisie de douleur. Cette fois, sa main se perdit sur son sternum et accrocha l'ovale du camée.
-Je ne l'aurais pas fait si Maya ne m'avait pas ...
-Je sais, l'interrompit-t-il avec douceur. Elle me l'a répété cent mille fois au moins ...
-Et je n'ai pas écrit cet article pour contrarier mon père.
Sa voix s'était faite sèche, presque froide. Elle avait douté dans sa chambre, face à la fureur de Farhan et encore sonnée des mots de la beuglante qui l'avait frappée de toute part. Mais le temps et surtout sa discussion avec Noah Douzebranches avait raffermi sa certitude. Elle ne l'avait pas écrit pour son père. Elle ne l'avait même pas écrit pour Farhan. Ils avaient nourri dans sa réflexion, mais si elle avait lancé Athéna dans les cieux ce jour-là avec ses mots accrochés à la patte, c'était pour elle et pour le monde. Pour se prouver qu'elle était capable de renverser la table.
-Est-ce que j'aurais dû t'en parler, même à posteriori pour te prévenir ? Certainement, admit-t-elle simplement. Et je comptais le faire, je pensais qu'ils allaient me prévenir et que je pourrais le faire mais ...
-Ça aurait été appréciable, concéda Farhan en replaçant ses lunettes sur sa tête. Mais ce n'est pas ça qui m'a fait vriller. J'étais en colère, bien sûr mais surtout parce que j'étais ... pris de court. C'était tellement énorme, Jo. Même venant de toi. Mais bon derrière tu as fait plus énorme encore donc ça fait relativiser ...
Son ton s'infléchit légèrement et dans ce simple timbre éraillé, Joséphine comprit toute l'impact que son geste simulé avait pu avoir sur lui. Elle l'avait senti durant la semaine écoulée : même si la tentative était feinte, la simple image avait considérablement marqué son entourage. Pendant son travail d'intérêt général, elle remarquait les regards de Pomfresh sur ses poignets. Lorsqu'elle était sortie de l'infirmerie, Bérénice l'avait enlacé. Sans préavis, sans raison. Elle avait vraiment pleuré. De nouveau, Joséphine ferma les yeux, elle-même désarçonnée par l'écho de la vague terrible qui l'avait englouti et poussé à refermer ses doigts sur ce couteau. Une terrible volonté d'expier la tempête en elle, même avec la douleur. D'en finir avec toute cette hypocrisie. Mais jamais d'en finir tout court.
-Je ne peux pas te promettre qu'un jour, je ne ferais pas pire, pour une raison ou pour une autre, évalua-t-elle, défaitiste. Ça ne sert à rien de faire une promesse pareille. C'est ce que je suis, c'est comme ça que je fonctionne. La seule chose sur laquelle je peux travailler et sur laquelle j'ai déjà avancé, c'est orienté le flux. Faire quelque chose d'énorme, oui, mais pour une raison valable et quelque chose d'utile. Faire du bien, pas détruire. Non, ce n'est pas ce que je voulais. Ce n'est pas ce que je suis.
Joséphine connaissait le pouvoir des mots depuis qu'elle avait appris à jouer avec dans son journal. Elle avait pu constater leur impact sur les autres à la moindre pique qui jaillissait de sa bouche. Pourtant ils avaient coulé sur elle sans jamais la pénétrer. Non, il avait fallu qu'on les martèle qu'enfin elle fasse corps avec, les verbalise et finalement y croire. Elle n'était pas une tempête qui détruisait tout sur son passage.
-Ça aussi, je le sais, murmura Farhan, dépité. Et je suis désolé si j'ai laissé entendre le contraire. J'étais en colère, je ne voyais que ce que je voulais voir. L'article, le fait que tu continues à fouiller ... (Il se trémoussa, embarrassé). Mais ça encore, c'était vrai à moitié, non ?
-C'est Bérénice qui avait sorti les dossiers, oui, mais ...
-Tu avais raison, la coupa encore Farhan, inflexible. Tu avais raison pour les signatures, comme tu as eu raison d'envoyer cet article sans me demander. Je t'en aurais empêché, Jo et ... finalement, j'aurais eu tort, non ? Je t'aurais privé d'une belle carte ... (Il hésita un instant, avant de demander du bout des lèvres). Alors cet entretien ?
-Le recruteur m'a taxé une clope. Je ne sais pas vraiment si ça a joué pour ou contre moi. Et ... toi ?
-Comment ça, moi ?
La mine de Farhan s'était renfermée et teintée de réticence, et Joséphine sut qu'il avait parfaitement compris la question derrière. Elle prit une petite inspiration pour se donner le courage et lâcha, résolue :
-Qu'est-ce que vous avez décidé, avec Maya ? Concernant mes parents ?
Elle n'avait aucun avis sur la question. Et pourtant son ventre se tordait violemment chaque fois qu'elle songeait à l'une ou l'autre des possibilités. Elle avait des griefs contre ses parents, mais pas assez viscéraux, finalement, pour se réjouir que le garçon qu'elle aimait les envoie tous les deux à Azkaban. Et en même temps l'idée qu'une année – non, des années – de souffrances ne trouvent aucunes conséquences ... Farhan prit le temps de repousser ses lunettes dans ses cheveux pour planter son regard velouté dans le sien.
-On ne va rien faire. La situation est déjà assez pénible comme ça. Pour nous comme pour vous.
Le « vous » contre le « nous » la heurta en plein cœur et se fracassa contre une réalité toute différente. Elle était un électron libre entre le « vous » et le « nous », avec trop d'attaches aux deux camps, écartelée entre les deux, suspendue au milieu du vide. « Vous » et « nous ». Une confrontation binaire qui les polarisait tous les deux. Elle était « vous » contre lui. Dans le camp de ceux qui avaient détruit sa vie. Son cœur se morcela instantanément, causant une douleur cuisante dans sa poitrine qui la fit refermer ses doigts sur son sternum.
-Très bien, chuchota-t-elle, le souffle court. C'était votre décision, de toute manière.
Elle commença à se détourner pour masquer les larmes qui commençaient à noyer les yeux. Ce « vous » contre « nous » étaient un coup de poignard définitif dans leur histoire. Comment pouvaient-ils être un couple dans ce monde manichéen et polarisé où ils appartenaient à deux mondes différents ? Et qu'elle était clairement dans le camp des « méchants », non par les actes, cette fois, mais par le sang ? Suffoquée, elle voulut simplement mettre fin à la conversation et fuir, trouver son balai, voler dans les montagnes pour hurler sa douleur avant qu'elle ne la consume. Vraiment, le beau et rayonnant talisman créer par l'entretien n'avait été qu'éphémère. Elle fit quelques pas dans l'herbe, de plus en plus rapide, mais sa course en avant fut stoppée par un frein pour le moins inopportun.
-Jo !
La main de Farhan se referma sur son bras, l'immobilisant net. Pour autant, trop consciente des larmes qui menaçaient de déborder de ses yeux et du bouchon qui lui brûlait la gorge, Joséphine ne parla pas, ne se retourna pas. Elle resta statique, suspendue au vide, uniquement retenue par les doigts qui se crispaient sur sa peau.
-Jo, s'il te plait, murmura Farhan, le timbre assourdi. Ne pars pas. Je ... je suis désolé, d'accord ? Pour tout ce que je t'ai dit dans ta chambre. Absolument tout. Surtout la fin. Oui, surtout la fin ...
Si c'est ça ta façon de m'aimer, je préfère qu'on s'arrête là. Malgré les excuses, la plaie était tant à vif qu'une larme dévala la joue de Joséphine. Trahie, elle l'écrasa sous sa paume avant de prendre sur elle pour faire face à Farhan. S'il ne lâcha son bras, sa prise se fit moins désespérée, plus légère, plus tendre. Il ne put ignorer son regard inhabituellement brillant, mais il eut la décence de ne pas en faire état.
-Je te le jure, je ne veux pas que ça s'arrête, assura-t-il avec une conviction qui réchauffa un peu le cœur glacé de Joséphine. Je veux continuer. Je veux avancer avec toi, Jo ... Dans tout ce bordel, tu es la seule belle chose que j'ai trouvé. Enfin, avec Maya. Et là encore c'est grâce à toi ...
-Attends, Farhan ... mes parents t'ont ...
-Tes parents ont la chance que tu sois leur fille, parce que c'est surtout dans ce sens que ça influe mon jugement, et pas l'inverse, répliqua-t-il avec douceur. Je n'arrivais pas totalement à te détacher des délibérations ... C'est comme ça que j'ai compris, définitivement. Je pourrais faire tous les efforts du monde, je n'arriverais jamais à t'extirper de mon cœur, Joséphine Abbot.
-Tu n'avais pas à ..., entonna Joséphine, déboussolée par la déclaration. Farhan, il ne fallait pas penser par rapport à moi ... C'était votre décision, j'aurais tout accepté, peu importe ... ils ont fauté, ils méritent ...
-Justement, ils méritent, le chef de ton père mérite, le Ministre de l'époque mérite et on ne va jamais s'en sortir et continuer de faire saigner à plaie à l'infini jusqu'à ce qu'on finisse exsangues, Maya et moi. Non, ça suffit, Jo. Il est temps de juste clore le dossier enfin avancer.
Ensemble, lisait-t-elle dans ses prunelles qui avaient retrouvé toute leur chaleur. Dans sa gorge, la boule chauffée à blanc fondit lentement devant l'intensité de ce regard. Il agissait comme un aimant, un centre de gravité face auquel elle ne pouvait que glisser, se rapprocher, souffle par souffle. La main de Farhan caressa son bras puis trouver la peau de son poignet, les mailles de son bracelet, avant d'effleurer sa main sans franchement oser la saisir. Leurs doigts jouèrent, se goûtèrent, retrouvèrent la sensation exquise du contact. Joséphine baissa les yeux, hypnotisée par leur ballet, le souffle bloqué au creux de sa poitrine entre exaltation et restes d'angoisses.
-Je ne veux pas que tu te réveilles dans quelques années en réalisant que tu n'es pas capable de vivre avec la fille de ceux qui t'ont volé ta vie, murmura-t-elle, le cœur serré.
-La seule chose que j'entends, c'est « quelques années », rétorqua Farhan et son visage s'inclina vers elle, assez pour que leurs nez se frôlent en une caresse qui électrisa Joséphine. Tout ce que je te demande, c'est de me le dire quand quelque chose « d'énorme » te passe par la tête. Juste pour que je puisse me préparer psychologiquement. Promis, je ne te ferais pas obstacle... je t'aiderais juste à ... « orienter ».
Face à ça, Joséphine n'eut rien d'autre à objecter qu'un sourire. Il s'étira sur ses lèvres, d'abord contre son gré, tempérer par les doutes et l'incrédulité, mais tous s'effacèrent lorsque les doigts de Farhan se nouèrent franchement aux siens. Plus de roche qui enfermait sa poitrine, ou la douceur d'un poids de plume qui la saturait. Elles furent éparpillées par le souffle de Farhan qui effleurait son visage par intermittence, chatouillait sa joue, faisait voler quelques mèches.
-Je suppose que ... ça doit pouvoir se faire.
Les lèvres de Farhan s'étirèrent en un sourire comblé et la main qui ne tenait pas la sienne s'éleva pour venir cueillir sa joue. Mais au moment où son visage s'inclina, où les battements de leurs cœurs s'emballèrent et tonnèrent tels les battements effrénés d'un tambour de guerre, Joséphine plaqua sa main contre son torse pour venir suspendre l'instant. Cependant, elle ne chercha absolument pas à s'écarter. Au contraire, elle caressa la ligne de la mâchoire de Farhan de l'arrête de son nez, les yeux mi-clos.
-J'ai du rouge à lèvres.
-Ça ne m'a jamais dérangé.
-J'ai fumé.
-Moi aussi. Il y a dix minutes, en t'attendant.
-Je veux attendre la rentrée.
Cette fois, Farhan s'écarta mais pour s'esclaffer bruyamment, incrédule. Un rire qui hérissait la peau de Joséphine et s'harmonisait divinement avec leurs rythmes cardiaques. Mais lorsqu'il reposa ses yeux étincelants sur Joséphine, elle sut qu'il appréciait la référence.
-Il n'y a plus de rentrée, Jo !
-La fin d'année alors, proposa-t-elle, mutine. Lorsqu'on descendra du train. Ce sera ton temps de réflexion.
-Tu craqueras avant moi.
-Ne me mets pas au défi Farhan O'Neil.
Elle ne savait pas s'il prendrait le risque, mais elle le sentait lui mis totalement au défi de lui arracher un baiser, ici et maintenant. Et petit à petit, elle vit la solution se constituer par éclat dans ses yeux sombres qui se mirent à pétiller. Ses lèvres n'eurent pas le temps de s'ouvrir que Joséphine plaquait déjà sa main dessus.
-N'essaie même pas de parler arabe devant moi ! C'est déloyal !
-Alors on va avoir un petit problème, répliqua Farhan en écartant sa main. Parce qu'il se peut que ce soit ma langue maternelle.
-Passe à ta langue paternelle, alors. L'accent irlandais au moins ça me fait rire.
-Pff !
Le sourire de Farhan se teinta d'un léger dépit mais ce n'était pas ce qui importait à Joséphine. Non, ce qui lui importait c'était la main qui pressait toujours tendrement la siennes, les doigts qui effleuraient sa joue et écartaient ses cheveux avec douceur, et ce regard, ces mille nuances de chaleur dans les prunelles de Farhan qui avaient toujours nourri le cœur de Joséphine.
-Tu peux me donner un temps de réflexion autant que tu le souhaites, je ne suis pas sûr que ça changera grand-chose. Alors ? Tu veux qu'on avance ensemble ?
Pour toute réponse, Joséphine sourit. Farhan lui avait appris le pouvoir du silence, alors sans un mot, elle se détacha de lui, excepté leurs mains nouées ensemble. Entraîné par ce lien qui n'avait eu de cesse de se tendre et s'étirer durant ces derniers mois, Farhan la suivit sur la pelouse. Sous le soleil de juin, ils avancèrent littéralement ensemble vers le château et fendirent le beau tableau de Poudlard auréolé de son insouciance de fin d'année. Ce n'était pas un talisman qui avait pris place dans la poitrine de Joséphine. C'étaient des certitudes qui se fondirent dans sa chair, son esprit et son âme. A présent, elle n'aurait plus besoin d'un miroir pour savoir qui elle était, ce qu'elle fallait et gonfler sa personne de confiance artificielle. Maintenant, elle savait. Et main dans la main avec Farhan, elle était prête à le prouver aux yeux du monde entier.
***
Je vous écoute :D
Concernant Farhan et Jo : bon, les lecteur.ices d'O&P ont peu de surprise, évidemment qu'ils se réconciliaient ... et qui a pu croire que Farhan n'oserait pas revenir vers Jo? Il a des défauts ce garçon, mais aussi beaucoup d'aplomb et l'intelligence de reconnaître quand il a tort !
MAIS SURTOUT CONCERNANT NOAH DOUZEBRANCHES
Avouez que c'est frustrant, hein? Une première prise de température entre les deux ... c'est une rencontre chouette mais qui n'a pas atteint son plein potentiel, vous avez la même sensation?
Nous aussi figurez-vous. D'autant qu'avec Anna, on a la certitude ABSOLUE que Noah et Joséphine sont vraiment semblables. Souvent dans nos vocaux commentaires quand on parlait de l'un, l'autre disait "oui bah comme Noah/Jo en fait". Ils ont du potentiel, à deux. Vraiment beaucoup. Beaucoup trop pour qu'on y soit insensible...
Vous commencez à le voir venir?
Eh oui, on vous prépare un bonus sur Noah et Jo ! Date de sortie inconnue, pas vraiment écrit pour l'instant, mais pensé, conceptualisé et assez balisé !
Plusieurs parties (4 ou 5) sont prévues. Et alors si ce chapitre était bizarre, c'est qu'Anna a oublié (ou alors je ne lui avais pas dit pour faire la surprise? Je ne sais plus !) que j'allais écrire cet entretien d'embauche dans La dernière page et sur un coup de tête l'a écrit il y a quelques mois. C'était un très bon texte, mais au fur et à mesure on s'est rendu compte qu'il valait mieux que je le retravaille pour qu'il colle vraiment à mon récit. Néanmoins j'ai repris des éléments : Anna revendique la maternité de la phrase "hurler avec une plume" et de toute la tirade de Noah sur le fait de tenter le journalisme et de faire des ... EXPERIENCES.
BREF ce qui devait être dans sa tête la première partie de notre bonus s'est retrouvé chez moi. Et c'est un peu compliqué de commencer un bonus avec un texte qui se trouve au milieu d'un récit, donc la première partie sera un peu particulière. D'autant qu'on a conceptualisé le truc et qu'on va tenter de faire pour chaque partie "Partie Noah - Partie commune couverte par les deux PDV - Partie Joséphine" - Oui oui on va se donner.
On vous tiendra au courant du quand du comment du où. Est-ce qu'on le met dans le bonus book d'Anna? Est-ce qu'on publie chacune sa partie dans nos histoires? N'hésitez pas à donner votre avis !
VOILA pour ce chapitre ! Je ne remercierai jamais assez Anna d'avoir inventé des personnages pareil et de m'autoriser à les reprendre ainsi - et d'être à mes côtés dans chaque étape de l'écriture !
Voilà, on se retrouve bientôt les enfants, bon week-end !
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