Chapitre 59 : Le passé dans les yeux
HELLO AGAIN MY DARLINGS
Oui bon jeudi est le nouveau jour de poste. D'ailleurs je pense que je ne vais pas tarder à accélérer comme je l'ai fait à la fin d'Ombres et poussières ! D'autant que "Et Après" s'écrit petit à petit (trois sections de faites, déjà 20 000 mots ! Autant vous dire que ça risque d'être coupé en deux ou trois encore une fois ...)
Bref, checkez mes annonces aux abonnés, je vais réfléchir à un calendrier des postes pour les derniers chapitres comme j'avais fait pour la fin d'O&P !
D'ailleurs avant que j'oublie : justement concernant le "Et après?", un personnage dont vous aimeriez avoir l'avenir? Autre que les principaux? Je vous écoute !
(Je rappelle à bon entendeur que ... la fanfiction contient 63 chapitres. Voilà, je pose ça là).
ALORS LES ENFANTS cette rentrée pour ceux qui ont repris cette semaine? Comment ça se passe? (Les universitaires, ne vous vantez pas trop : ça arrive !)
Sur ce ... le chapitre TANT ATTENDU ! J'espère qu'il sera à la hauteur de vos espoirs ... Bonne lectures à tous.tes !
***
Ne pouvait-on faire d'un passé ce que les serpents font de leur peau ? Une dépouille qui sèche au soleil, s'effrite et devient poussière ?
- Edmonde Charles-Roux
Oublier Palerme
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Chapitre 59 : Le passé dans les yeux.
-Farhan, reste tranquille ...
Le regard noir que Farhan jeta à Charlie le découragea d'ajouter le moindre mot. Il leva aussitôt les yeux sur le plafond voûté devant l'infirmerie et fit mine d'ignorer le chaos qui se développaient à leurs pieds. Mais à côté de lui, Maya n'avait pas les mêmes scrupules. Ses yeux café assombris par la détermination accrochèrent ceux de Farhan. Avec ce simple foulard qui découvrait sa gorge, il avait une vue privilégiée sur les profondes cicatrices qui sillonnaient sa peau, ces griffes qui déformaient son cou pour disparaître sous sa chemise. Shahrazade. C'est Shahrazade qui lui a fait ça, juste avant de rendre son dernier souffle ... La nausée vint poindre et Farhan se détourna brutalement, le nez pincé entre le pouce et l'index. Les événements s'étaient enchainés ce matin, comme autant de coup de marteau infligés entre les deux yeux pour définitivement lui faire perdre la raison. Il parvenait s'accrocher à une succession de phrases qui lui donnait un semblait de chronologie et de sens à l'ouragan qu'il subissait depuis que Lauren avait ouvert le journal ce matin.
La Communauté est en paix, florissante, brillante et prospère dans l'allégresse ... pendant que dans l'ombre, les blessures que l'on a oubliées continuent de saigner en silence.
Je vais la tuer.
Ce n'est pas à toi de choisir la vérité Farhan ! Elle existe, elle est là c'est juste que personne ne veut la voir !
Si c'est ça ta façon de m'aimer, je préfère qu'on s'arrête là.
Déjà reste calme. C'est la seule chose que je te demande, par pitié Farhan, reste calme. Je viens de voir Maya ... elles ont décidé de suivre un plan ... plutôt radical ... Ouais, radical ...
Je lui ai demandé de le faire ! J'en ai assez Farhan ! Qu'on s'en tienne là parce que les réponses étaient inaccessibles, perdues dans l'histoire très bien. Mais qu'on nous mente ? Plusieurs fois de suite ?! Qu'on nous cache notre propre histoire, que quelqu'un décide à notre place ? Je ne peux pas, je suis désolée. Vraiment désolée ... Cette fois, il va falloir que ça cesse.
Que ça cesse. C'était tout ce que Farhan espérait, à présent. Que tout s'arrête.
Mais rien ne pouvait endiguer la marche du train que Maya avait lancé à toute vitesse lorsqu'elle avait donné un couteau à Joséphine Abbot. L'idée même lui soulevait le cœur et lorsqu'elle lui avait raconté la scène, Farhan avait eu envie de secouer sa sœur dans tous les sens pour sa naïveté. Un couteau ? A une Joséphine bouleversée emplie d'idées noires ? Mais la laisser en haut d'une tour de plusieurs centaines de mètres de haut avait déjà paru assez dangereux à Farhan ! Il avait même fait demi-tour une fois à la porte de la Salle Commune des Serdaigle, lorsqu'un éclair de lucidité avait déchiré sa colère et avait permis à l'amour qu'il ressentait pour Joséphine Abbot de remonter à la surface. Pris de remord, il avait fait volte-face ... mais il n'était retourné sur ses pas que pour constater que Bérénice tambourinait déjà la porte de sa sœur. Soulagé de la voir entre de bonnes mains, il avait quitté la place et la colère avait repris promptement la place dans son cœur et balayé l'inquiétude.
A présent, les rapports s'étaient douloureusement inversés. La colère couvait, mais partait tout azimut. Contre Joséphine, qui avec cet acte absurde ne faisait que donner de l'eau à son moulin, contre Maya qui avait autorisé cette manœuvre sans lui demander. Mais surtout contre ce mensonge organisé qui lui avait volé douze ans de sa vie et empoisonné sa dernière année à l'école. Face à cette dernière, sa colère initiale contre Joséphine et son article ne pesait plus grand-chose. Et c'était là qu'était venue la culpabilité. Si elle avait été si vite balayée, cela signifiait forcément qu'il avait surréagi ? Et en même temps les agissements de Joséphine ne prouvaient-ils pas tous ses dires ? Là encore, elle avait poursuivi sa quête de la vérité, sans le prendre en considération, en allant totalement contre sa volonté. Mais pas celle de Maya. C'est Maya qui lui a demandé. De faire un coup pareil, nom d'un farfadet ...
-Tu vas lui en vouloir ... ?
La question de Maya faisait tant écho à ses pensées que Farhan pensa l'avoir imaginé. Mais lorsqu'il se retourna vers elle, elle le fixait nerveusement, les mains étroitement nouées sur son genou plaqué contre sa poitrine.
-Elle ne l'aurait pas fait, assura-t-elle devant le mutisme de Farhan. Vraiment, elle m'a demandé mille fois si j'étais sûre de moi, si je préférais voir avec toi d'abord.
-Et tu ne voulais pas voir avec moi ? Je suis vraiment quantité négligeable partout, bon sang !
-Tu venais de te disputer avec elle, pas sûr que tu aurais été très objectif, ni très réceptif à leurs propositions, intervint Charlie.
-Ce n'est pas pour ça que ça ne me concernait pas !
-Ne me hurle pas dessus, je suis le premier à dire que ça va trop loin, rétorqua Charlie, les yeux toujours rivés sur le plafond.
-Ils nous ont obligés à aller trop loin, répliqua Maya avec hargne. Et puis ça ne concerne plus que nous, d'accord ? Tu crois que ça a fait quoi à Berry de comprendre que ce n'est pas juste son père, mais ses deux parents qui sont impliqués dans cette histoire et menti à tout le monde ? Elles ont le droit d'avoir la vérité, quasiment autant que nous.
La tête de Charlie oscilla sur son épaule, signe qu'il lui concédait le point. Farhan contempla sa sœur avant de reprendre ses mille pas devant la porte. Il n'était pas prêt à prêter oreille aux arguments sages et rationnels. Toute cette situation était trop irrationnelle pour qu'on lui demande de ne pas l'être.
-Si c'est vraiment la mère de Jo et Berry qui a signé les dossiers ..., entonna prudemment Charlie dans son dos. La femme de l'Auror qui a mené l'opération ... C'est que c'est véritablement fait exprès, de vous séparer ...
-Et ce serait pour ça qu'elle a signé avec sa signature de jeune fille, pour brouiller les pistes ... C'est ce que Berry pense ... Juste pour nous cacher un Obscurus ? Non ... Sinon le père de Berry aurait admis à Farhan qu'il nous a séparé ... ou la mère de Jo n'aurait pas réagi comme ça ... C'était violent, apparemment.
-Leur mère ? Mais elle est toute calme et toute frêle.
-Elle ne l'était pas, dans la beuglante. Berry n'en revenait pas qu'elle explose comme ça contre Jo, c'est ce qui lui a mis la puce à l'oreille ...
Farhan frémit aux explications, mais ne fit aucun commentaire. Savoir que lui et sa fureur étaient arrivées sur une Joséphine au moral déjà entamé par les violentes remontrances de sa mère lui acidifiait le ventre. Visiblement, il n'était pas le seul à se prendre des vagues successives. Et la mer n'avait pas fini de les malmener. Car après un silence lourd et pesant, un cliquetis retentit dans le couloir. Leurs regards se rivèrent sur la porte de l'infirmerie et Farhan vit un Aloyssius Abbot bien différent de son souvenir en jaillir. Fini, la tenue impeccable et le menton fièrement dressé pour que toute sa posture épaississe son aura. L'homme semblait avoir pris dix ans depuis leur dernière rencontre. Les épaules ployées, le visage marqué, creusé de rides qui semblaient venir d'apparaître, il braqua son regard vert qui n'était plus magnétique, mais étincelant, perdu, vide. Farhan était tant frappé par son allure qu'il négligea la feuille de parchemin qu'il crispait entre ses doigts. Il fallut quelques secondes, quelques secondes où tous se fixèrent en chien de faïences pour qu'Aloyssius consente à tendre la feuille à Farhan.
-Tiens.
-Qu'est-ce que c'est ?
-La dernière page.
Farhan haussa les sourcils, modérément impressionné.
-La dernière page de quoi ?
-Du rapport que Joséphine a trouvé dans mon bureau, répondit simplement Aloyssius en un joli euphémisme pour décrire un vol en bonne et due forme. Celle qui est jointe seulement au bureau des Aurors dans un coffre, avec tous les documents classifiés. Celle qui raconte en détail notre mission, la raison qui nous a amené au La Mon House Hôtel le 17 février 1978. Toutes les réponses que vous cherchez sont là.
-Nom de Dieu ...
C'était Charlie qui s'exprimait ainsi au nom de tous, mais il n'aurait pas pu faire plus juste. Sonné, Farhan ne fit aucun geste pour saisir le précieux parchemin. Au contraire, il s'en éloigna d'un pas alors que tout son corps semblait se vider, s'expurger de la colère, de la haine, de la curiosité, de l'attente. A la place ne restait plus que la stupéfaction et la peur. Il pensait avoir touché le fond et l'horrifique de son histoire avec la découverte de l'Obscurus de Shahrazade ... que pouvait-il bien avoir de plus dans cette dernière page ?
-Ce n'est pas possible ..., souffla-t-il, dépassé. Ce n'est pas possible ... Elle a raison. Evidemment qu'elle a raison ...
Depuis le début. Joséphine avait tout compris, mieux et avant tout le monde. Sa clairvoyance les avait guidés à chaque étape. Là encore, elle avait visé fort mais juste. La signature masquait un dernier mystère. Elle avait raison.
Et moi j'ai eu tort.
Maya se fendit d'un ricanement incrédule à moitié étranglé, sidérée. Comme il restait toujours statique, à fixer le parchemin comme s'il était enduit de poison, elle se leva d'un bond et l'arracha sans ménagement des mains d'Aloyssius Abbot. Elle n'y accorda pas le moindre regard. Non, toute son attention, tout le venin dans ses yeux, fut réservé à l'homme devant elle.
-Et quels mensonges on y trouvera cette fois ? cingla-t-elle. Vous avez déjà fait mine de tout avouer à Farhan à Ste-Mangouste, et là on devrait croire un morceau de parchemin sur parole ?!
Aloyssius accusa stoïquement le coup, se contentant d'acquiescer humblement à chaque mot asséné par Maya. Maintenant que ses mains n'étaient plus occupées par le parchemin, elles s'étaient jointe l'une à l'autre.
-J'ai bien conscience que votre foi en ma personne est totalement ébranlée ... c'est totalement mérité il faut le dire ...
-Non, vous croyez ? grinça Farhan, incrédule.
-D'autant que j'ai cru comprendre que ça se jouait entre ma version et celle de ma fille, ajouta Aloyssius, et une ombre tomba sur son visage. Non, je ne peux plus jouer à ça ... je me suis tu pour protéger ma famille. Mais si maintenant ça la met en danger ...
Son intonation s'infléchit légèrement pour se muer en murmure rauque, à peine plus haut qu'un souffle. Si Farhan ne subissait pas déjà un trop plein d'émotion, il se serait laissé aller à la peine. A la périphérie de sa vision, la page dans les mains de Maya le narguait cruellement. Elle avait raison, comment s'assurer qu'il s'agissait de la vérité ? Autour de Farhan, les murs se mirent à trembler.
Non ! Reculez ! Shahrazade !
Ses seuls souvenirs, qui profitaient du trouble pour remonter à la surface et le faire tanguer un peu plus. Il se détourna, le souffle coupé et ferma les yeux le temps que son monde se stabilise de nouveau. Ce ne fut que lorsqu'il croisa de nouveau le regard vert et intense de l'Auror que ça le frappa comme un cognard en plein ventre. Ses seuls souvenirs. Ce regard ... Il l'avait cloué sur place.
-Vous n'avez pas lu dans mes pensées, lâcha-t-il d'une voix blanche. Vous m'avez effacé la mémoire ...
-Farhan, murmura Charlie, pétrifié.
-J'ai tort ?!
-Ce n'est pas possible ..., souffla Maya.
Cette fois, la colère disparut totalement de son regard. Elle fut emportée par les larmes qui débordèrent et dévalèrent ses joues, sans préavis. Dans le même temps, elle porta la main à sa tempe, comme dans l'espoir de toucher du bout des doigts sa mémoire trouée d'un immense gouffre contre lequel ils avaient dû se battre tous les deux cette année. Face à la détresse silencieuse de Maya, Aloyssius Abbot se taisait. Ses jointures avaient blanchies.
-On ne se souvenait même pas qu'on avait une grande sœur, insista Farhan d'une voix enrouée. Ce n'est pas possible, on oublie pas ses choses-là ... Est-ce que j'ai tort ?
-Non, avoua-t-il, si bas que ses lèvres frémirent à peine. Non, tu n'as pas tort. On vous a effacé la mémoire, à tous les deux ... Même si j'ai bel et bien lu dans tes souvenirs ...
-... pour mieux me les prendre ensuite.
L'amertume lui saturait les papilles. Horrifiée, Maya réprima un hoquet et se détourna pour cacher les larmes qui inondaient ses joues. Charlie, qui jusque là était resté silencieusement dans l'ombre, se leva pour l'accueuillir, elle et son profond désarroi, entre ses bras. Par-dessus sa tête, il cherchait le regard de Farhan. Mais lui n'avait d'yeux que pour Aloyssius Abbot. Il n'avait même pas la force de s'énerver, même pas la force de lâcher des larmes pour ces précieux souvenirs perdu, arraché, avalés dans le néant. Quelque part, il l'avait toujours su. Sa mémoire comprenait des défaillance ... et il était soulagé de trouver une raison rationnelle à cela.
-Vous nous avez volé la mémoire. A cause de vous, on ne souvient même plus des voix de nos parents ... de notre propre sœur ... Vous avez effacé notre identité. Et vous pensez vraiment que c'est un morceau de parchemin qui va compenser ?
-Un morceau de parchemin ? ricana Aloyssius, les lèvres déformées en un rictus. Crois-moi, c'est ma vie que vous avez entre vos mains. Qu'est-ce que vous voulez de plus ?
-Vous m'avez volé mes souvenirs. J'exige les vôtres en compensation.
Les secondes s'égrainèrent à l'infini après que l'ultimatum fut jeté. Maya émergea de l'épaule de Charlie pour planter un regard écarquillé sur son frère.
-Farhan, enfin ... c'est impossible ...
-En fait si j'ai bien révisé pour mes ASPIC, il existe un moyen d'extraire des souvenirs de l'esprit.
-Fort vrai, reconnut Aloyssius du bout des lèvres. Et il faut un réceptacle pour les visionner ... Et il se trouve que Poudlard possède justement une Pensine.
L'idée le mettait de manière évidente dans le plus grand embarras. Ses yeux si défaits s'étaient remis à bouger, fixer partout, comme pour chercher une alternative dans son environnement. Tout, sauf revivre ce moment.
-On ... verrait ce qui s'est passé ? demanda Maya avec une pointe de dégoût.
-Vous verrez tout ce dont je me souviens. Cette nuit-là, comme si vous y étiez ... (Aloyssius baissa la tête). S'il n'y a que cela qui peut vous convaincre ... réparer mes torts ... alors j'y consens.
***
Maya refusa.
La vérité, mais pas à n'importe quel prix. Si apprendre que sa mémoire, le plus intime d'elle-même, lui avait été arraché l'avait bouleversé, elle refusait de récupérer ses souvenirs de cette manière. Elle se fierait totalement au jugement de Farhan, décida-t-elle. Et Farhan avait sa foi en la vérité tant ébranlé qu'il ne voyait aucun autre choix que celui de valser la tête la première dans la Pensine.
Laquelle se trouvait renfermé dans le bureau de Dumbledore. Le directeur était absent, leur appris McGonagall qui les attendait devant la gargouille, pâle et nerveuse. Un voyage urgent en France, visité un estimé ami et collègue. Un alchimiste. Elle avait donné des détails, pendant leur ascension de la tour qui menait au bureau du célèbre directeur, certainement pour s'extirper du silence pesant comme du plomb qu'elle trainait derrière elle. Mais Farhan n'avait pas été en mesure d'en enregistrer le moindre. Ton son être était polarisé vers l'expérience inédite qui l'attendait. Il ne réalisa pleinement l'énormité de sa décision que lorsque McGonagall ouvrit un placard pour découvrir un imposant bassin creusé dans la pierre, orné d'arabesque baroques. En son sein flottait une substance, mi-liquide, ni-vapoureuse, qui diffusait une belle lumière argentée. Fasciné par l'objet, Farhan oublia totalement où il se trouvait, pourquoi il s'y trouvait. La façon dans les volutes lumineuse jaillissaient de la vasque avait quelque chose d'apaisant. Derrière lui, McGonagall et Aloyssius échangeaient quelques mots à voix basse. Il fallut que l'Auror se porte à ses côtés et qu'il réalise que son professeur n'était plus là pour que la peur se loge enfin dans ses entailles. Et si cette lueur si douce, cette substance si voluptueuse était l'antichambre de l'enfer ?
Farhan avait lu le Coran, s'était renseigné sur la religion musulmane pour se sentir proche de ses parents sans totalement l'embrasser. A présent il donnerait tout pour être comme Maya. Y croire, pour qu'Allah le protège des terribles images qui l'attendaient.
Aloyssius se tenait face à la Pensine, les traits toujours creusé, marqués par les derniers évènements. La pointe de sa baguette se portait nonchalamment sur sa tempe, avant de s'écarter, pour de nouveau venir l'effleurer.
-Je trahis un secret classifié des Aurors et du Ministère ..., murmura-t-il d'un air révulsé, avant de baisser les yeux sur un Farhan obstinément mutique. Oui, je suppose que tu n'en as pas grand-chose à faire.
-Vraiment pas.
-C'est bien ce que je pensais.
Poussé au pied du mur, il n'eut pas d'autre choix que pousser un soupir de totale reddition et enfin franchement appuyé sa pointe de sa baguette sur sa tempe grisonnante. Lorsqu'il l'écarta, un filament argenté de la même consistante que la substance dans la Pensine suivait. Tout, songea Farhan, tétanisé. Tout résidait en ce simple, petit, et vaporeux filament qui alla se dissoudre dans la Pensine. Et aussitôt, sa surface changea : un tremblement la parcourut et tout s'assombrit. La belle lueur argentée s'était transformée en une nuit noire.
-Tu es prêt ? Il est encore tant de reculer.
Honnêtement, Farhan avait envie de le faire. La vision de cette nuit noire uniquement brouillée par quelques lueurs dorées qui rappelaient la lumière lointaine d'un bâtiment percés de fenêtres ne lui apportait qu'un profond malaise et la peur vient lui tordre les entrailles. Pourtant, il avança d'un pas. Maya et Joséphine avaient raison. Ils avaient été tant malmenés cette année que ne leur restait plus que la radicalité pour accéder à la vérité. Il avança une main tremblante et sitôt que la peau entra en contact avec la surface qu'il se sentit basculer.
Le bureau de Dumbledore, avec ses étranges instruments dorés et ses tableaux ancestraux de directeur qui faisaient la sieste sur leur cadre s'effaça totalement et après une chute déboussolante, Farhan atterrit sur de l'herbe humide. Pour peu, il se serait pensé rester dans le parc de Poudlard, la nuit tombée. Il avait tant plu aujourd'hui que le parc devait être dans le même état. Mais lorsqu'il leva les yeux, ce n'était pas la silhouette imposante du château qui se découpait dans la pénombre, mais celle plus rectiligne d'un hôtel planté au milieu d'un des rares écrins de verdure du centre-ville de Belfast.
-Le La Mon House Hôtel ...
-Lui-même.
Farhan sursauta lorsque Aloyssius apparut à ses côtés. La lumière pâle de la lune donnait à son visage marqué un aspect blême et maladif. D'un coup sec du menton, il indiqua une direction à Farhan.
-Et nous sommes là ...
Farhan dût plisser les yeux, mais il perçut les quatre silhouettes qui parcouraient le parc. Leurs longues capes noires frôlaient l'herbe et leur donnait des airs de vampire au milieu de la nuit. Aloyssius s'avança et Farhan lui emboita machinalement le pas. Délaissant les quatre Aurors, il fixa l'hôtel, à l'affut du moindre signe d'agitation. Son cœur s'était mis à tambouriner dans sa poitrine.
-Donc les Mangemorts doivent déjà être là ... ?
-Non, Farhan. Il n'y a pas de Mangemort. Il n'y en a jamais eu ...
Le choc coupa le souffle de Farhan. Il dévisagea Aloyssius, le cœur au bord des lèvres, avant que des voix ne viennent briser leur huis-clos. Ils s'étaient assez rapprochés du groupe d'Auror pour percevoir leur discussion. C'était la plus grande silhouette qui parlait, et avec stupeur, Farhan reconnut une version plus jeune, plus dynamique mais tout aussi rigide d'Aloyssius Abbot.
-... devons agir avec la plus grande douceur, le plus grand doigté. C'est pour ça qu'on t'a choisi pour cette mission, Silverstone ...
-Parce que je suis une femme je suis la douceur incarnée ? ironisa la seule femme du groupe.
Son capuchon empêchait de voir ses traits et seul son nez pointu en dépassait. L'homme à côté d'elle, plus petit qu'Aloyssius, mais plus large d'épaule, se fendit d'un ricanement gras.
-Un peu. Pourquoi tu crois que tu as été embauché, Silverstone ?
-Pas du tout, Bellchant, répliqua sèchement le jeune Aloyssius. Je te l'accorde, Silverstone, c'est ce que tu représentes et le rôle que tu dois jouer. Tu dois amener la mère à baisser sa garde. C'est elle, le principal danger, autant que l'enfant.
-Un animagus lynx, souffla le dernier Auror, massif et seule tête découverte qui laissait entrapercevoir d'épais cheveux sombres. Tu m'étonnes qu'on t'ait nommé en charge, Abbot ...
-Caracal, rectifia la femme, Silverstone, avec un profond dédain. Bande d'abrutis vous n'avez même pas lu le dossier ...
La mâchoire déjà dure de l'Auror se contracta un peu plus. Avec son allure tellement grave et solennelle, difficile de lui donner un âge. La petite trentaine, certainement. Ses cheveux d'un châtain qui flamboyait à la lueur des fenêtres toutes proches n'avait pas la moindre trace de gris.
-C'était ma première mission en tant que chef de groupe, mais je dois dire que je n'ai pas pris l'honneur sans ombrage, expliqua l'Aloyssius qui se tenait aux côtés de Farhan avec une certaine amertume. J'étais un peu le préposé aux missions qui touchaient aux créatures magiques. Parce que c'était une option que j'avais choisi à Poudlard mais surtout ...
-Parce que votre père dirigeait le service des animaux et qu'à présent il élève des Abraxans.
-Je vois que Joséphine est passée avant moi ...
-Mon père, en fait, le détrompa tranquillement Farhan. Il travaille avec le vôtre, c'est lui qui nous livre en crin d'Abraxan ... S'il n'y avait pas de Mangemort, qu'est-ce que vous faisiez là ?
Aloyssius ne répondit pas, les yeux rivés sur la jeune version de lui-même qui avançait droit devant lui, comme avec des œillères. Le décor sombre de la nuit s'effaça alors et les premières taches de lumière agressèrent la rétine de Farhan. Il ferma les paupières pour se préserver et lorsqu'il les rouvrit, il prit un véritable coup de poing en pleine poitrine.
Face à lui, son clone, plus grand, plus grave, lui faisait face.
Ce n'était pas lui, réalisa Farhan, bouleversé. L'homme devant lui était certainement plus mûr et une barbe noire et drue lui couvrait les joues et masquait ses pommettes hautes. Ses cheveux, aussi noirs et soyeux que les siens, étaient plus longs et ondulaient dans son cou. La seule chose qui émergeait était ce nez droit et fin, ainsi que des yeux sombres et veloutés, étincelants. Les bras écartés, il protégeait quelque chose qui échappait à la vue de Farhan.
-Vous ne la prendrez pas !
-Soyez raisonnable, monsieur Souleiman ...
Farhan était si obnubilé par l'homme face à lui qu'il en avait totalement oublié son environnement. Une chambre d'hôtel, toute simple avec son lit parental double accompagnés de leurs tables de nuit. L'une d'elle était déjà renversé et devant son contenu qui gisait au sol, les quatre Aurors faisaient face à l'homme. Devant eux, une femme leur faisant face. Ses longues boucles brunes rebondissaient sur ses épaules alors qu'elle se ruait vers eux, le visage déformé par la fureur.
-Raisonnable ? siffla-t-elle, avec un accent anglais bien meilleur que l'homme dernière elle. Vous nous demandez d'être raisonnable alors que vous exigez d'emporter notre fille ?!
Oummah. Maman. Farhan n'avait jamais eu de mère. Fiona n'était que sa tante devant l'éternelle, mais sa figure n'avait jamais pu faire illusion et remplacer ce manque. Cette réalité n'avait de sens qu'en arabe. Oummah. Sa seule et unique mère se tenait devant lui, fière, ses yeux couleur café rivés sur Aloyssius Abbot avec dégoût. Son nez retroussé se tordait face à lui. Farhan la contempla, subjugué. Il l'aurait fixé jusqu'à s'en dessécher les yeux.
-Jamais, cracha-t-elle. Tournez les talons avant que je ne vous déchiquète la gorge.
-Mais quelle barbare, murmura Williamson.
-Madame je comprends votre volonté, l'interrompit Aloyssius. Mais sachez que je suis très au fait du pouvoir des Animagi et que je connais le sort qui vous force à reprendre forme humaine. Et vous savez à quel point ce n'est pas un processus agréable ...
Comme tous les Aurors, il avait déjà sa baguette en main. Celle de Silverstone était mieux dissimulée dans les plis de sa robe de sorcière et lorsqu'elle rejeta son capuchon, Farhan découvrit un angélique visage en forme de cœur, une peau noire qui tranchait avec la chaine d'argent qui brillait à son cou. Elle mit une main sur sa poitrine dans un geste qui semblait plein de sollicitude.
-Madame, il faut que vous compreniez que l'Angleterre est en pleine guerre. Je ne sais pas ce que vous avez tenté de fuir en quittant l'Orient, mais vous avez amené votre fille dans le pire endroit du monde. Quelle idée de venir à Belfast ? Ici les conflits sorciers et moldus se nourrissent. Il ne s'y passe pas un jour sans que ...
-Quelqu'un va guérir Shahrazade ! Elle nous l'a promis !
-On ne guérit pas d'un Obscurus, répliqua froidement Aloyssius. Il ronge l'enfant jusqu'à épuiser toute énergie vitale.
A ça, Sirine Souleiman n'eut pas d'autres réponse qu'un regard hostile. A la différence de son mari, elle ne possédait pas de baguette, et pourtant une aura semblait crépiter autour d'elle. Silverstone poursuivit son opération séduction :
-Selon nos informations, nous ne sommes pas les seuls au courant qu'un Obscurial a franchi nos frontières. Les forces du Seigneur des Ténèbres entendront parler de votre fille, et viendront vous l'arracher pour semer le chaos dans notre pays. Mrs. Souleiman, ils vont vous prendre votre fille et utiliser ses pouvoirs destructeurs à des fins épouvantables.
-Shahrazade va ... était ... guérie, répliqua Ahmad Souleiman dans un anglais approximatif. La force noire ... partie ...
L'Aloyssius du passé semblait au bout de sa patience, et Farhan devina que les négociations duraient depuis plusieurs minutes. Interdit, il rassembla les pièces du puzzle alors que ses parents s'étaient mis à discuter en arabe, dans un dialecte qui chantait à ses oreilles comme une musique enfouie en lui. Ce n'était pas les Mangemorts qui avaient attiré les Aurors ici. C'était Shahrazade elle-même et le chaos en puissance qu'elle constituait. L'arme terrible qui pouvait tombée entre les mains des Mangemorts et déchirer davantage une communauté déjà à bout de force après des années de guerre. Il n'y avait jamais eu de Mangemort, réalisa enfin Farhan, détruit, alors qu'Aloyssius s'avançait pour faire face à sa mère. Seuls les Aurors seraient – étaient – responsables du désastre qui allait suivre.
-Votre fille contient une puissance destructrice. Vous devez comprendre. Il ne faut pas qu'elle tombe entre de mauvaises mains ...
-Allah 'akbar, rétorqua sa mère, un éclat farouche dans ses prunelles café. Allah est grand. S'il le veut notre fille guérira.
Elle baissa le regard sur la table de nuit qui n'avait pas été renversé, toute simple avec sa lampe de chevet et son médaillon de dentelle. Farhan porta la main à sa poitrine et sera le Khamsa sous sa chemise, le cœur au bord des lèvres. Les temps semblaient se fracassaient les uns contre les autres. Parce que la breloque qu'il pressait dans sa paume existaient deux fois en l'instant : contre lui, et dans le tiroir de la table de nuit, aux côtés d'un Coran encore intact. C'était la foi. La foi qui avait donné la force à sa mère d'entonner ce voyage à travers le monde pour sauver sa petite fille. La foi qui lui avait donné l'espoir. La foi sur laquelle elle comptait pour guérir sa fille. Pas le temps, pas l'Irlande, pas la magizooliste Theophilia O'Gara. Seulement Allah. La chose semblait cruelle à Farhan. Il avait la sensation d'assister à une tragédie dont il ne pourrait changer la fin.
-Non, elle ne guérira pas, réfuta Aloyssius sans le moindre état d'âme. Aucun Obscurial n'a survécu au-delà de dix ans ... Les recherches des plus grands spécialistes n'y ont rien changé. Elle va mourir.
-Et c'est vous qui allez la tuer ? siffla Sirine.
-Pas du tout, objecta tranquillement Silverstone.
-Mais si, murmura Farhan, épouvanté.
Sa mère semblait arriver à la même conclusion. Malgré les cajoleries des Aurors, elle n'en crut pas un mot. Ces gens en voulaient à sa fille. Alors de ses jupes, elle saisit sa baguette et jeta le premier sort. Tous répondirent. Sans exception. Le duel était engagé et la chambre se trouva arrosé de dizaines jet de lumières. La lampe cassa. Un rideau pris feu. Une trace de brûlure vint déformer le mur. Sirine ne se transforma pas, mais se battit comme un caracal face à Aloyssius en personne. L'Auror était puissant, méthodique contre les assauts furieux de la brillante ensorceleuse de Uagadou. Pris de nausée, Farhan se tourna vers Aloyssius. Plaqué contre le mur, invisible, il ne regardait même pas la scène dans les yeux. Il gardait son regard planté sur la fenêtre et au milieu du chaos, contemplait la lune.
-C'est ça, votre mission, comprit Farhan, un goût aigre dans la bouche. Vous deviez tuer Shahrazade ...
-Non, objecta-t-il d'une voix caverneuse, toujours sans le regarder. Non ... nous devions intercepter l'enfant ... avant qu'elle ne tombe dans de mauvaises mains ...
-Morte ou vive, accusa Farhan, écœuré.
-Vive ... Vive, c'était le plan ... C'était ce que je voulais, ce que je visais ...
-Morte ou vive, c'étaient les ordres ? Non ? Peu importait dans quel état finissait Shahrazade, du moment qu'elle ne finissait pas dans les griffes des Mangemorts !
Les cris presque hystériques de Farhan peinaient à couvrir ceux des combats dans son dos. Il ne suivait plus rien, ni les gestes de ses parents, ni ceux des quatre Aurors. Un trait de lumière rouge le traversa comme un fantôme qu'il en eut cure. En revanche, un autre frappa le front d'Aloyssius et brûla le mur derrière lui. Ce fut étrangement jouissif.
-Nous entrions dans l'instant le plus dur de la guerre, souffla Aloyssius d'une voix morte. Dix ans d'effort déjà, et dix ans pour rien ... Chaque année, le Seigneur des Ténèbres et ses partisans étaient plus forts ... plus organisés ... leur force de frappe était telle qu'il y avait un tel désespoir ... Nous étions terriblement impuissants alors la guerre s'est durcie. Les derniers éléments modérés comme Fleamont Potter n'était plus là ... Alors on nous a donné de nouvelles directives. Plus radicales, plus dures, mais considérées comme nécessaire pour pouvoir répondre efficacement à la menace des Mangemorts.
Ce n'était pas audible pour Farhan. Ce n'était pas audible qu'on a ordonné de saisir, ou d'exécuter si c'était impossible, sa grande sœur simplement parce que la menace des Mangemorts les dépassaient. Elle n'était pas un Mangemort. Elle avait été une enfant malade. Une enfant ... Alors que les émotions le prenait à la gorge, Aloyssius se détacha brusquement de son mur et saisit Farhan par l'épaule. Contrairement au reste de la scène, le contact était chaud, réel et contrasta avec la lumière verte et glacée qui vint éclabousser les murs. Farhan n'avait jamais vu une telle couleur. Son cœur s'arrêta de battre lorsque derrière lui, quelque chose tomba lourdement sur le sol.
Et tout fut calme. Terriblement calme.
-Allons-nous-en, ordonna Aloyssius.
-Non ..., protesta Farhan d'un ton étranglé. Non, je veux voir ... s'il vous plait, je veux les voir ...
-Qu'as-tu fais ? rugit l'autre Aloyssius dans son dos, alors qu'une plainte déchirante d'élevait. Mais par tous les mages de ce monde, qu'as-tu fais ?!
-On a le droit, à présent Abbot, ne me casse pas les pieds ! On n'allait pas s'en dépêtrer de cette bonne femme !
Oummah ... Ce n'était pas sa voix, mais celle d'un enfant de cinq ans qui ne connaissait alors que l'arabe qui s'élevait dans l'esprit de Farhan. Figé, il cessa de se débattre, le cœur morcelé. Derrière lui, sa mère venait de tomber. Il le savait. Les deux mains d'Aloyssius s'abattirent sur ses épaules.
-Ne regarde pas, murmura-t-il. Bellchant ... c'était un enragé. Je ne l'aurais jamais pris avec moi si son père n'avait pas été un haut fonctionnaire et n'avait pas exigé son implication dans les missions de taille ... Mon chef me l'a assigné ... Il a été tué à la fin de la guerre, d'ailleurs... Dans sa hâte d'en découdre ... Partons d'ici.
-Oummah ?
Interloqué, Farhan se détacha totalement d'Aloyssius pour faire volte-face. Attirée par les éclats de voix, une petite fille venait de passer la porte devant laquelle se tenait obstinément Ahmad. Assez grande pour son aspect juvénile, ses longs cheveux noirs lui battaient les reins, elle ressemblait à part cela en tout point à sa mère : le visage rond, le nez retroussé, les yeux café étincelants.
Shahrazade ... Shahrazade.
Rien n'indiquait que cette frêle petite fille habitait un monstre surpuissant destiné à la ronger. D'autant plus qu'elle tenait par la main une enfant encore plus jeune et plus frêle qui tenait à peine sur ses petites jambes et pressait son visage noyé de larmes contre la hanche de sa sœur. Une corolle de boucles folle auréolait son visage aux traits fins.
-Maya s'est réveillé en pleurant, je crois qu'elle a fait un cauchemar, énonça-t-elle en arabe, tout en cherchant leur mère du regard. Oummah ... ?
Ce ne fut pas Sirine qu'elle trouva, mais Ahmad, éploré, agenouillé au pied du lit. De là où il était, Farhan ne percevait que la détresse déchirante de son père. Ses lèvres remuaient pour laisser échapper des plaintes, des mots à peine audibles, incompréhensibles même pour Farhan. De Sirine, aucune trace. Le lit la cachait totalement à sa vue mais Shahrazade devait avoir un meilleur panorama que lui. Car aussitôt, elle lâcha la main de Maya et tout son corps s'arqua pour hurler :
-Oummah !!
-Abbot, lança nerveusement Silverstone.
Un filet de sang coulait de son nez et elle l'épongea de sa manche, l'air sonné. La petite fille qui continuait de s'époumoner de paroles arabes incompréhensibles face à elle semblait la terrifier. Shahrazade s'avança, les yeux brillants sans que les larmes ne parvinrent à déborder. Et pourtant ...
-Par la baguette de Salazar, elle fume ..., lâcha Bellchant, paniqué.
Farhan réalisa avec un temps de retard qu'il disait vrai. Elle tremblait de tout son corps, et ce qu'il avait pris pour des spasmes, des taches sombres liées aux larmes qui lui avait brouillé la vue aux cris de sa sœur aînée étaient en réalité de la fumée qui semblait jaillir des pores de Shahrazade. Farhan considéra l'image, figé d'horreur. Cela sembla réveiller la pièce : passé la stupéfaction, tous les Aurors, sauf Bellchant, se précipitèrent sur l'enfant, baguette à la main. Mais ils ne furent pas assez rapides : Ahmad fut le premier sur sa fille et repoussa les assassins de sa femme d'une main.
-Non ! Non, reculez ! Shahrazade !
S'en suivirent des paroles en arabe, angoissées, éplorées mais qui pourtant se voulaient apaisantes qui pourtant n'atteignirent personne. Les mots de son père se fondirent dans l'ombre lorsque le décor bascula à nouveau. Tout s'effaça : les Aurors, à la fois paniqués et terrifiés, Ahmad et son regard à la fois détruit et déterminé, et Shahrazade, Shahrazade dont la peau ne semblait plus avoir grand-chose de solide ...
Et ce fut de nouveau la nuit glacée de février qui l'enveloppa, l'herbe humide qui chatouilla ses narines ... une seconde avant qu'il ne remarque les flammes qui dévoraient les murs du La Mon House Hôtel. La tragédie avait rendu son dernier acte. La crise de Shahrazade avait tout emporté.
Farhan contempla le coin éventré de l'immeuble, imaginait quelle force devait avoir l'explosion qui avait ainsi fait sauter la pierre et les tuiles pour ensuite enflammer le bâtiment. Des cris d'angoisse et de panique commençaient à retentir de toutes parts, à tous les étages. Une à une, les fenêtres s'éclairèrent et les rescapés du La Mon House Hôtel se déversèrent sur la pelouse, guidé par des employés terrifiés. Farhan resta quelques secondes fixé sur l'épouvantable spectacle, à court de mot, à court d'émotion, et même à court de larme. Elles restèrent bloquées contre sa cornée à laisser s'y reflétaient les lueurs orangées du brasier. Et enfin quand son cœur en eu assez, et pivota brutalement vers Aloyssius Abbot, toujours posté silencieusement derrière lui. Un véritable fantôme. Il avait promis les souvenirs et mettait un point d'honneur à ne pas les dénaturer de sa voix.
-Non ! Vous n'avez pas le droit, pas le droit de faire ! Comment voulez-vous que j'y crois enfin si je ne le vois pas ?!
-Parce que tu voulais voir ton père et ta sœur mourir sous tes yeux ? répliqua Aloyssius avec humeur. Tu n'y as pas assisté, Farhan, jamais ! Ne t'inflige pas plus que de raison. Cette fois, elles ne s'effaceront jamais ... Tu devras vivre toute ta vie avec.
C'est déjà le cas ! Mais les mots ne voulurent pas franchir ses lèvres. Il avait trop de cri sur le cœur qui n'étaient pas les siens pour en rajouter. Faute de quoi, il planta ses doigts dans ses cheveux et s'accroupit dans l'herbe, les dents serrées à l'en briser. Aloyssius avait raison sur ce point : il en avait déjà trop vu, beaucoup trop vu. Cet lumière verte ... Shahrazade se dissolvant dans la fumée ... Tout tournait en boucle dans son esprit, et il lui fallut quelques secondes pour reprendre son souffle et les repoussait tout au fond de lui pour reprendre le cours de l'histoire.
-Comment ... comment vous avez ... ?
-On a tous transplané à temps. Tiens, regarde ...
Farhan leva les yeux pour découvrir trois des Aurors en cercle, gesticulants sur l'herbe dans la lueur des flammes. Le seul qui n'était pas avec eux était accroupi non loin, penché sur une petite silhouette allongée dans la pelouse.
-Williamson a attrapé Maya in extremis, expliqua Aloyssius. Ça n'a pas totalement suffi ... l'aura de Shahrazade l'avait déjà atteinte ... mais ça a évité le pire pour elle.
Farhan acquiesça, un brin apaisé par la conclusion. Sans ce geste, il aurait grandi seul.
-Et ... et ... ?
Aloyssius planta son regard dans le sien. Dans les prunelles vertes se reflétait à la fois l'éclat froid de la lune et les feux infernaux, et pourtant à travers ce voile, Farhan parvint à percevoir de l'horreur et de la détresse.
-L'Obscurus est une boule d'énergie intarissable, une sorte d'ouragan magique qui détruit tout sur son passage, murmura-t-il, hanté. Elle déchiquette, enflamme, ravage, tue, tue tellement ... on a d'abord trouvé des corps de moldus défigurés avant de retrouver l'Obscurus dans les couloirs de l'hôtel ...
Farhan se pencha en avant, au bord de la nausée. Sans le vouloir, son regard glissa jusque la petite silhouette allongée dans l'herbe, et dont le visage était éclairé par intermittence par les enchantements qui jaillissaient de la baguette de l'Auror à ses côtés. Les cicatrices ... les terribles cicatrices qui donnait un si cruel aperçu de la puissance destructrice qui habitait Shahrazade ... Farhan s'arracha à sa contemplation morbide, les dents serrées. Non, il n'avait jamais vu ça. Aloyssius avait raison, il ne fallait pas qu'il s'inflige plus ce qu'il n'avait réellement vécu.
-Vous l'avez ... c'est vous qui l'avez ... arrêté ?
-Je ne te mentirai pas, lâcha Aloyssius après quelques secondes de silence. On a essayé. Par tous les moyens possibles ... On a suivi l'ouragan, on a lancé des sorts, tellement de sorts ... j'ai cru que rien ne l'arrêterait, qu'il consumerait la ville entière ...
La voix se fondit dans la nuit, réduite à néant par la violence du souvenir. Il fallut encore quelques secondes pour rassembler son courage et ses mots pour ajouter :
-Mais au bout de quelques minutes, ce n'est pas un ouragan, mais Shahrazade qu'on a retrouvé, allongée dans une chambre dévastée. Est-ce que c'est l'un de mes sortilèges qui l'a terrassé ... est-ce que c'est l'Obscurus qui a fini par la consumer ... Parce que c'est toujours ce qu'il finit par faire, il grignote l'énergie vitale de ses hôtes ... ça fait douze ans que cette question me hante. (Il cligna des yeux avant de les baisser sur la pelouse). C'était comme si elle dormait ...
Farhan sentait que la dernière phrase était faite pour éviter à son imagination de s'emballer et d'être à jamais hanter par la vision de la fumée qui jaillissait de tous ses pores ou la penser comme Maya totalement défigurée par des griffures. Non. Shahrazade était morte paisible. Peut-être même soulagée d'être libérée du monstre qui la rongeait ... Il fallait qu'il se raccroche à cette idée, sinon il allait devenir fou.
Farhan leva la tête vers l'espace éventré, et le balcon de la chambre dont le garde-fou était arraché, tordu par le souffle de l'explosion. Je suis encore en haut, réalisa-t-il avec en mémoire le récit de son père. Je suis encore en haut à la proie des flammes ... Qu'est-ce qu'ils foutent ? Il avait beau savoir la fin de l'histoire, qu'il n'avait pas fini calciner dans cette chambre, il se leva d'un bon, pétri d'angoisse, pour rejoindre le groupe d'Auror qui se pourfendait en cris :
-... moi je dis : mission accomplie, Abbot ! On nous a demandé d'intercepter la menace et on a fait mieux : on l'a éliminé !
-Eliminé ? répliqua Aloyssius, ulcéré. C'est ... c'est une enfant ! J'ai une fille à peine plus grande qu'elle !
-Parce que tu as des sentiments, maintenant ? répliqua Silverstone avec dédain. Cette fille pas plus grande que la tienne, tu as littéralement dit à sa mère droit dans les yeux qu'elle allait mourir !
-Ça ne devait pas être ce soir ! Pas de notre main ! Pas en emportant ses parents avec elle ! Et combien de moldus ont été emporté par l'explosion ? Combien ?! C'est nous qui tuons les moldus, maintenant ?!
La réflexion obligea Silverstone à ravaler toutes ses protestations et elle jeta un regard inquiet sur les flammes. Tout à leur dispute, ils ne semblaient pas se soucier d'arrêter le court impitoyable.
-C'est déjà bien assez le chaos dans la Communauté Magique pour qu'on se permette de faire de telles intervention ! poursuivit Aloyssius, les yeux plantés sur chacun de ses collègues. Ce n'est pas possible, c'est tout sauf propre ! C'est sale, tellement sale qu'on va nous demander des comptes !
-Tu penses ? chuchota Silverstone, le regard écarquillé. Mais ... ce n'est pas nous ... C'est la fillette qui ...
-La fillette en question n'aurait eu aucune crise si Bellchant n'avait pas tué sa mère ! Ce n'était pas ça, le plan ! Le plan c'était de rassurer les parents, rassurer l'enfant afin de la mettre en sécurité sans encombre ! Pas de finir avec des moldus calcinés sous les bras ! On s'abaisse au même niveau que les Mangemorts et vous pensez qu'on ne nous demandera pas des comptes ?!
-Si, tu as raison, admit Silverstone dans un filet de voix. Si beaucoup de moldus meurent ... Le Premier Ministre va demander des sanctions à Minchum, c'est certain ... Oh Merlin ... ils vont nous radier du Bureau ...
-Radier ? C'est Azkaban qui nous attend !
-Tu délires, Abbot, lança brutalement Bellchant avec un rictus de mépris. Croupton nous a donné les pleins pouvoirs, tu te souviens ? On a le droit de tuer, dans l'intérêt de la Communauté et c'est précisément ce qu'on a fait.
Le discours révulsait tant Farhan qu'il s'étonna de ne pas rendre son déjeuner au pied de l'Auror. Puis il se souvint que tout à sa colère contre Joséphine et son article, il avait oublié d'avaler quoique ce soit ce matin.
-Non, je suis d'accord avec Abbot, répliqua Silverstone. Si toutes nos interventions finissent comme ça, et qu'on commence à balayer les dommages collatéraux, alors on ne vaut pas mieux que les Mangemorts. Tu penses que Maugrey va nous louper ? Il a horreur du gaspillage de vie humaine !
Cette menace-là, elle, atteint sa cible avec une précision chirurgicale. Dès lors, un silence épouvanté s'installa entre les Aurors, uniquement coupé par les gémissements à peine audibles de Maya à côté. Williamson s'affairait en sorts et enchantement pour guérir l'enfant auquel Farhan ne voulait plus accorder un regard. La vraie Maya, celle qui l'attendait au sortir de la Pensine, hantait néanmoins son esprit.
-Oh merde, j'avais oublié Maugrey et sa foutue droiture ..., souffla Bellchant, décomposé. Pourquoi il a fallu qu'il soit nommé à la tête du Bureau ...
-Parce qu'il est le meilleur, rétorqua Aloyssius d'un ton sec. C'est lui qui nous jugera et Dieu ait pitié de nous ...
-Maugrey était impitoyable, souffla l'Aloyssius aux côtés de Farhan. Avec les Mangemorts bien sûr, mais aussi avec nous. Il nous réclamait l'impossible ... Mettre fin à cette guerre en restant droit dans nos bottes ... Mais le mal était fait. Même chez lui, même s'il ne voulait pas de l'avouer. La guerre nous a tous transformé en monstre, Farhan. Ce n'est pas une excuse. C'est juste ce qui est arrivé.
Farhan ne trouva rien à répondre à ça. Il n'avait pas eu besoin d'Aloyssius pour éprouver la même conviction. C'était une guerre qui avait changé Shahrazade en monstre ... Une autre qui avait eu raison d'elle sur le territoire anglais ... en forgeant d'autres monstres. C'était une vérité universelle, la principale que cette histoire avait gravée dans l'esprit de Farhan.
-MORSMODRE !
Le cri strident déchira le silence et la lueur infernale des flammes fut remplacée par une aura verte et glacée de la teinte exacte qu'il avait vu éclabousser les murs dans la chambre d'hôtel. Dans un même ensemble, Farhan et Aloyssius levèrent les yeux au ciel. Dans la voûte étoilée, une tête de mort venait d'apparaître, presque en lieu et place de la lune. Un immense serpent jaillissait de sa bouche. La vision horrifique fit frémir Farhan et il suivit la langue de serpent jusqu'à tomber sur la baguette tendue vers le ciel de Silverstone. Face à elle, la Marque éclairait les visages sidérés de ses collègues.
-Mais ... mais enfin, Silverstone ...
-Désolée, mais il hors de question que Maugrey m'envoie à Azkaban avec les Mangemorts, lança-t-elle d'une voix chevrotante. J'ai encore des choses à faire dans le monde libre. Ils ont besoin de nous ici !
-Mais la Marque des Ténèbres ! éructa Bellchant, les yeux exorbités. La Marques des Ténèbres ! ça va attirer tout le Monde Magique, Maugrey sera là en deux-deux !
-Et on lui racontera que des Mangemorts sont arrivés avant nous, prévenus de la présence de l'Obscurus. Qu'ils ont déclenché la crise. Que la Marque brillait déjà quand on est arrivé. (Elle désigna Williamson toujours penché sur Maya). On a pu sauver un de leurs enfants ...
-Pas bête, convint Bellchant, l'œil allumé par la réflexion. Pas bête ... ça nous évitera l'ire de Fol Œil ...
Le visage des deux Aloyssius exprimait la plus grande répulsion face à ce plan. A dire vrai, celui du plus jeune était tant tordu par le dégoût que Farhan n'arrivait pas à comprendre qu'il ait pu accepter de suivre l'avis de ses collègues. Pourtant il parut ravaler toutes ses protestations. Depuis trop longtemps, ils restaient vainement à se disputer alors que l'hôtel brûlait. Alors il se borna à lancer :
-Suivez le protocole. Eteignez-moi ce foutu feu.
Silverstone et Bellchant, soulagés, transplanèrent aussitôt dans la nuit. Aloyssius ordonna ensuite à Williamson de faire son possible avec Maya et s'éloigna sur la pelouse, seul. A chaque pas, il sembla perdre un peu de sa rigidité, ployé sur lui-même et devint bientôt un reflet plus jeune de la version que Farhan avait vu surgir de l'infirmerie. Avant d'avoir été défait par sa fille, Aloyssius Abbot l'avait été par la guerre. Par Shahrazade ... Farhan le suivit du regard, lorsqu'il se remobilisa pour s'élancer vers un sorcier dont la baguette était levée vers le ciel et lui enfoncer la sienne dans la gorge.
-Pitié ! glapit l'homme, effrayé.
-Qu'est-ce que vous foutez là ? Les moldus auraient pu vous voir faire de la magie, sombre idiot !
-Papa, souffla Farhan.
L'aura verte qui empoisonnait l'air modifiait tant les traits de Nolan O'Neil que Farhan peinait à le reconnaître, mais sa voix, elle, n'était affectée ni par la peur, ni par la maladie. L'entendre, même étranglé et malmené par un Auror, fut un véritable baume sur le cœur déchiré de Farhan. Il fixa le visage à la fois soulagé et apeuré de son père jusqu'à ce qu'à nouveau, la pelouse s'efface devant lui et qu'il soit de nouveau ébloui par une lumière qui perçait la nuit.
Farhan plissa les yeux, étourdie par la soudaine activité qui régnait autour de lui. Ce n'était plus la panique et les flammes, mais l'urgence et l'effervescence d'une ruche. Ste-Mangouste, devina-t-il avait même d'ouvrir les yeux. Il reconnaitrait l'ambiance entre mille à force d'y conduire Nolan.
-Ecoutez, elle a perdu beaucoup de sang ... C'est une blessure magique ... ça va être difficile ...
-Je me fiche que ce soit difficile. Sauvez cette gosse. Faites tout ce qui est possible, mettez-y toutes vos ressources, faites-en votre priorité. Mais je vous en supplie, sauvez-là. Cette enfant vient de perdre ses parents ... Qu'elle vive, au moins ...
Un temps perdu, Farhan finit par situer Aloyssius Abbot dans l'ombre, face à un guérisseur atterré aux traits tirés. Celui-ci poussa un profond soupir, à moitié résigné.
-Je ne peux rien vous promettre, prévint-t-il, avant de prendre la porte.
Mais il l'avait sauvé. Le guérisseur n'avait rien lâché, dégoûté de devoir laisser mourir une enfant. Et Maya avait été sauvé.
Aloyssius se laissa alors tomber sur une chaise, épuisé, le visage enfoui dans ses mains. C'était peut-être une illusion causée par la lumière ardente et crue de Ste-Mangouste, mais il lui semblait que ses tempes avaient déjà blanchies. Farhan eut la dérangeante sensation d'entrer dans son intimité et lorgna son alter-égo plus âgé, qui comme depuis le début voulait se fondre dans les meubles et faire oublier sa présence.
-Mon amour ... !
Une femme surgit de la ruche bourdonnante et Aloyssius se leva immédiatement pour cueillir ses mains dans les siennes. Néanmoins, il ne parvint pas à se recomposer un visage rassurant : son regard respirait le désarroi.
-Teresa ..., souffla-t-il dans un murmure rauque. Mon amour ... Si tu savais la nuit que je viens de vivre ...
Teresa Abbot parut perdue. Farhan reconnut parfaitement l'ovale de son visage qui rappelait Ophélia et ses grands yeux noisette dont avaient hérités Joséphine et Bérénice. Sa longue chevelure blonde était attachée dans une impeccable queue-de-cheval et elle portait une blouse bleue inconnue de Farhan. Pourtant ça n'avait pas été faute de fréquenter assidûment Ste-Mangouste depuis quelques années ... Elle saisit les mains de son époux et ensemble, ils glissèrent silencieusement dans une petite salle annexe, à l'abri des oreilles et des regards.
-Ma femme travaillait comme bénévole dans un service social créée spécialement pendant la guerre, expliqua Aloyssius pendant qu'ils les suivaient dans l'intimité de la discussion de plante. Il y avait tellement d'orphelin, de veuves et de veufs, de familles en détresse ... Ils avaient un bureau au Ministère et ici ...
Farhan hocha la tête pour indiquer qu'il avait compris. Tout le nœud du mystère se situait dans cette pièce. L'histoire de Shahrazade, les Mangemorts exceptés, était déjà assez complète et prévisible. La véritable nouveauté, celle qui avait forcé à Maya à être réduite à la radicalité, c'était l'implication de Teresa Abbot. La femme qui avait décidé de les séparer ... Quand la porte se referma sur eux, Aloyssius finissait son récit éprouvant. Dans la semi-pénombre de la petite pièce, son regard vif était hanté.
-J'ai ... j'ai perdu le contrôle de la situation, Teresa, totalement. Je n'étais plus en état de réfléchir, je me suis laissé dépasser ...
-Tu es un homme, Aloyssius. N'aie pas honte de l'être ... Cette mission avait l'air éreintante ...
-C'est cette gamine ..., murmura Aloyssius, les yeux clos et sa voix dérailla légèrement. Cette gamine, Teresa ... C'est peut-être moi, moi qui lui aie lancé le sort fatal ... une enfant ...
Farhan s'efforça de toute ses forces de ne pas se tourner vers le véritable Aloyssius derrière lui, de maintenir ses yeux sur un homme ployé par la possibilité de son geste. Des vagues d'émotions venaient lui brûler la poitrine, mais il était incapable de distinguer la colère de la douleur. Tout ce qu'il savait, c'était qu'au milieu de ces vagues résistait une petite goutte fraiche et acide de pitié. Pitié. Dans le sens le plus pathétique du terme.
-Quand je l'ai vu, j'ai toute de suite visualisé le visage d'Ophélia ... notre petite Lili ... Elle était là, morte devant moi ... Imagine ...
-Ce n'était pas Lili, mon amour, tranquillise-toi ... Lili dort profondément, surveillée par Mrs. Glenfyre ... Chez nous.
Aucune douce parole ne parut rassurer l'Auror. La caresse de sa femme sur sa joue parut le piquer et il se leva d'un bond, raide comme la justice. Blessée, Teresa laissa tomber sa main.
-Je ne peux pas cautionner de tels agissements, reprit-t-il d'une voix qui avait gagné en fermeté. Imagine combien de personnes Bellchant tuera encore parce qu'on lui a donné le droit ... Combien de moldu mourront par erreur ... Si on commence comme ça ... J'ai laissé couler, parce qu'ils m'ont mis devant le fait accompli et qu'il y avait plus urgent à traiter mais ...
-Attends, le coupa Teresa, brusquement soucieuse. Qu'est-ce que tu comptes faire ? Les dénoncer ? Raconter la vérité à Maugrey ?
-C'est la seule chose à faire ... Deux enfants sont orphelins parce que je me suis laissé dépasser. La moindre des choses c'est qu'ils obtiennent réparation.
-Merci, grinça Farhan en lorgnant vaguement Aloyssius. Ça ne remplace pas des parents ... mais merci. Qu'est-ce qui a déraillé dans ce si beau plan ?
La réponse était gravée sur le visage révolté de Teresa Abbot. Furibonde, elle se dressa sur ses pieds et attrapa Aloyssius presque à la gorge. Ses doigts se refermèrent sur son col avec une telle poigne que Farhan fut surpris qu'il ne grimace pas.
-Et tes enfants, à toi ? persiffla-t-elle, blême. Et nos filles, Aloyssius ? Tu y penses ? Comment grandiront-t-elles sans leur père ?
-La question à cette question me parait à posteriori ironique, cingla l'Aloyssius derrière Farhan.
Farhan faillit sourire de la saillie, mais il fut coupé par la vois sifflante et désespérée de Teresa Abbot qui poursuivait son argumentaire :
-Tu as des devoirs envers nous, mon amour. C'est toi qui permets à notre famille de vivre. Tu veux quoi, que j'entame mes économies, que je sois obligée de travailler et confier nos filles à des étrangers ? Que je les amène tous les mois te visiter sur cette île maudite parce que tu as fait ton travail ? Que tu as eu des remords ? Mais ce qui est fait est fait, Aloyssius ! Tes remords n'y changeront rien !
-Oui, c'est fait, cracha Aloyssius, les traits crispés. C'est fait, et un jour ces deux enfants viendront me demander des comptes, demander ce qui a bien pu emporter leur sœur aînée et leurs parents ! Et qu'est-ce que je leur répondrais, hein ? C'est moi qui dirigeais cette mission Teresa ! Moi le responsable !
-Ne sois pas si sévère envers toi-même, murmura Teresa en prenant son visage en coupe. Mon amour, ce monde est trop horrible pour que tu en portes la misère. Tu ne peux plus rien pour ces enfants ... mais tu peux encore beaucoup pour les nôtres. Lili rêve de rentrer à ton bras au bal de Noël du Ministère ... Josie est fascinée par tes échiquiers ... Et Berry, Merlin elle sait déjà presque lire ... Tu ne peux pas les abandonner ... Pense à nous, Aloyssius ...
Les lèvres d'Aloyssius se pincèrent, l'air de réprimer à la fois mots et larmes. Epuisé, il laissa aller son front contre celui de sa femme qui expira un soupir tremblant, visiblement soulagée par la reddition de son mari.
-Très bien ... mais trouve-leur une bonne famille ... une gentille famille ... qu'ils grandissent heureux ... Je sais que cet O'Neil a l'air motivé pour garder le garçon, mais il n'imagine pas ce que c'est d'élever un enfant seul ... je ne t'infligerai pas ça, mon amour ...
-Merci ... Merci infiniment ... (Teresa caressa sa joue jusqu'à glisser sa main dans sa nuque). Mais ... afin que tu ne me laisses jamais seul avec nos trois filles, je pense qu'il serait plus prudent de ... les séparer. Tu ne penses pas ?
-Peut-être, concéda Aloyssius à contre-cœur. D'autant que j'ai ... j'ai ... (un ricanement amer lui déchira la gorge et il se frotta les yeux, dépité). Mes émotions ont pris le dessus, j'ai tellement paniqué ... je leur ai effacé la mémoire ... Mille gargouilles, pourquoi j'ai fait une chose pareille ...
-Pour qu'ils ne gardent pas les traces d'un tel traumatisme. C'est un acte de charité, mon amour.
Teresa effleura sa joue d'un tendre baiser avant d'enfouir son visage dans le cou de son époux qui ploya contre elle, vaincu. Vous auriez dû aller à Azkaban, songea amèrement Farhan devant le couple enlacé, uni dans le mensonge. Quand on voit les dégâts que vous avez fait à votre famille ... Mais Joséphine n'aurait pas été pétrie d'autres maux en grandissant avec sa seule mère à la gloire déchue, obligée de visiter son père à Azkaban ? L'esprit de Joséphine n'était pas fait pour résister aux épreuves ... il se brisait vite. Elle aurait été broyée, peu importe la situation. Pour elle, il n'y avait pas eu de bonnes issues.
Et pour moi ?
La réponse résonnait toujours en Farhan quand le bureau du directeur se recomposa autour de lui. L'air frai de la nuit de février laissa place à la douceur de juin, et pourtant même après plusieurs minutes, Farhan grelottait. Les jambes tremblantes, il se laissa tomber sur une chaise en face du bureau massif aux pieds en serre d'aigle. Les images qu'il venait de voir tournoyaient dans son esprit à lui en donner la nausée.
Il n'y a jamais eu de Mangemort. C'est les Aurors qui ont tué ma mère et déclenché la crise de Shahrazade. Et l'Obscurus qui a tué les treize moldus de l'hôtel ...
-Je pourrais me cacher derrière ma femme, je pourrais me cacher derrière Bellchant, je pourrais me cacher derrière la guerre, entonna doucement Aloyssius. Mais je reste ... viscéralement convaincu de ce que j'ai dit à l'époque. J'étais le chef de l'escouade. J'étais en charge. J'ai ... perdu mes moyens et laisser les événements m'échapper. Je suis responsable. Et si tu veux enfin réclamer justice au nom de tes parents et de Shahrazade ... je ne m'y opposerais pas.
Farhan riva ses yeux sur l'Auror, qui s'était posté près de la porte, la main déjà sur la poignée. Il avait respecté sa part de l'engagement, douze ans plus tard. Tout ça pour ça ... Tout ça, pour masquer que la guerre avait si fort marqué les esprits qu'ils avaient été réduits à prendre des décisions inhumaines. Comme exécuter une fille de huit ans. Shahrazade ... Emportée, libérée. Par un sort, par l'Obscurus lui-même, la question était ouverte, béante, douloureuse. Etait-ce vraiment le pire, d'ignorer ce qui avait emporté Shahrazade ? Aloyssius l'avait rappelé, aucun enfant ne survivait au monstre dévorant qui avait planté ses griffes dans sa chaire. Shahrazade serait morte, un jour ou l'autre. Quoiqu'il arrivait, il aurait grandi sans sa sœur ... quoiqu'il arrivait, elle aurait été un fantôme.
Farhan pressa les paupières pour retenir les larmes et se détourna, la gorge chauffée à blanc. Il voulait être seul, et enfin pleurer sa sœur pour ce qu'elle était, et ce qui l'avait emporté. Pitié. Laissez-moi au moins ça ... Aloyssius parut le comprendre, car il entendit le loquet s'activer. Et alors l'une des seules certitudes qu'il avait remonté à la surface comme une bulle à la surface de l'eau et il s'entendit appeler :
-Monsieur Abbot ?
La porte cessa de grincer. Farhan laissa échapper un souffle tremblant et une larme dévala enfin sur sa joue pour venir brûler sa peau qui avait gardé dans ses pores un peu du froid de février.
-Je ne sais pas si ça pourra apaiser votre conscience ... je ne sais même pas si vous le méritez ... Mais j'ai grandi heureux. Avec Nolan. J'ai vraiment grandi heureux ...
Il s'interrompit quand sa voix fut étouffée par un sanglot qui menaçait d'exploser dans sa gorge. Il appuya son poing contre sa bouche pour contenir son émotivité.
-Je suis heureux de le savoir, souffla Aloyssius. Surtout ... prends soin de toi. Et prends soin de ta sœur ...
Sur ce, il referma la porte derrière lui, et laissa Farhan seul, en tête à tête avec son histoire retrouvée. Oui, il avait grandi heureux. Mais comme d'habitude ça l'emplissait de désarroi plus que d'apaisement. Parce que pour cela, il avait fallu qu'il oublie sa famille, son passé, et son identité. Et seule la douleur les lui avait rendus.
***
Alooooors?
Les révélations tant attendues ... tellement attendues que j'espère qu'elles ont été à la hauteur de ce que vous espériez !
Le choix de la Pensine s'est imposé sur suggestion d'Anna, tout simplement parce que c'est plus dynamique narrativement que seulement raconter, ou seulement lire la fameuse "dernière page" du rapport qui détaille les véritables objectifs de la mission que conduisait Aloyssius ...
J'espère aussi que le récit n'a pas été trop confus, notamment dans les transitions entre "scène" dans la Pensine, j'ai tenté de clarifier au mieux mais je ne voulais pas non plus faire des transitions trop longues et artificielles !
Vous avez à présent tous les tenants et les aboutissants de l'affaire. Ce qui a réellement tué les Souleiman, le véritable rôle de Teresa Abbot - qui derrière, vous l'imaginez, s'est arrangée pour que les enfants soient séparés et a donc signé leurs dossiers d'adoption pour valider leur placement dans des familles différentes ... J'espère que toutes les explications vous auront convaincu !
Maintenant ...
PLACE LA COUPE DU MONDE DE RUGBY
Oui, pas de transition, mais si vous saviez à quel point je suis EXCITEE COMME UNE PUCE POUR DEMAIN ET LE MATCH D'OUVERTURE CONTRE LES BLACK ça va être ouffissime, je vais tellement stressée chez moi, en plus je suis TOUTE SEULE. En plus jeudi prochain ... je vais au stade de Lille voir France Uruguay ET CA VA ETRE INCROYABLE AUSSI MON DIEU.
BREF je vous laisse. Je vous tiens au courant pour le calendrier des postes. Si vous voulez parler rugby et stresser avec moi demain, rdv sur insta. BISOUS TOUT LE MONDE
PS : pour vous mettre dans l'ambiance, mon moment préféré de ce sport, les frissons, les larmes. Ce regard de tueur de Dussautoir ... ARGH JE VAIS DEVENIR FOLLE AVANT DEMAIN.
(Contrairement à ce qui est dit dans la vidéo, ce n'est pas un V de la victoire, mais une flèche venue transpercer le haka)
https://youtu.be/t4pMOD5XpdU
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