Chapitre 58 : Fendre l'armure et trouver le coeur
Un petit craquage des familles pour vous consoler de la rentrée qui approche? Allons-y c'est cadeau !
En plus je viens ENFIN de finir l'épilogue ! Dont je ne suis pas satisfaite, je ne vais pas mentir, mais au pire je le retravaillerais. Ne me reste plus que le "Et après !"
Et puis j'ai fortement conscience que c'est peut-être cruel de vous laisser avec l'épée de Damoclès au dessus de la tête : la fin du dernier chapitre était très rude et c'est peut-être mieux d'enchainer ses deux-là ...
Alors je rappelle dans la lignée du chapitre précédent ...
!! TW !!
Mention de tentative de suicide
Voilà ... sur ses bonnes paroles ... Bonne lecture !
PS : ne vous étonnez pas de ne pas voir de journal de Jo, comme c'est la suite immédiate du chapitre précédent il n'y en a pas !
***
À tous les signaux de détresse
Dis, comment j'aurais pu faire face
Pris entre le feu et la glace?
Au-delà de nos différences
Des coups de gueule, des coups de sang
À force d'échanger nos silences
Maintenant qu'on est face à face
On se ressemble sang pour sang
- Sang pour Sang
Johny et David Hallyday.
***
Chapitre 58 : Fendre l'armure et trouver le cœur.
Affalée contre le mur qui jouxtait l'infirmerie, Bérénice Abbot pleurait.
Les larmes avaient jailli toutes seule, dès qu'elle s'était écroulée au sol après avoir couru dans tout le château. Elle s'était laissée tombée, à bout de force, avec ses manches tâchées de sang et ses jambes qui tremblaient avoir descendu tous les étages du château à marche forcée derrière le brancard qui avait amené une Joséphine blême et inanimée à l'infirmerie. Son horizon s'était réduit à son seul poignet visible, compressé dans un pansement dont la blancheur commençait à se parer d'écarlate. Puis les portes s'étaient refermées, l'horizon abattu et ses nerfs avaient lâchés. Elle n'avait même pas eu le temps de s'en sentir honteuse, ou de s'obliger à tenir. Le flot l'avait simplement submergé sans même lui demander son avis.
-Je n'ai pas trouvé Farhan mais j'ai croisé Charlie qui revenait de chez Hagrid, et je lui ai ... Oh Berry ...
Bérénice voulut éponger ses joues, avant de brutalement réaliser que ce qu'elle risquait d'étaler sur son visage ce n'étaient pas des larmes mais du sang. Fort heureusement, Maya veillait et d'une main qui tremblait, elle lui tendit un mouchoir. Bérénice ne tenta même pas de se cacher, de refuser ou de sourire : elle attrapa l'offrande comme si sa vie en dépendait.
-Je suis désolée, hoqueta-t-elle, le nez dans le mouchoir. Je ne devrais pas ... C'est nul ...
-C'est loin d'être nul, arrête, c'est parfaitement normal d'être sous pression ..., murmura Maya en prenant place près d'elle. Enfin c'est ta sœur ... Ce n'est pas simple de la voir dans cet état.
La gorge nouée, Bérénice hocha la tête. Maya avait mis le doigt sur la raison pour laquelle les larmes avaient jailli avec autant de force et de facilité. Voir Joséphine dans un état pareil provoquait des émotions totalement irrationnelles qu'elle n'était pas en mesure d'endiguer. Un frisson la parcourut lorsque le tableau lui traversa une énième fois l'esprit : Joséphine, auréolée par la froide lumière du matin, blême et le visage barbouillé de larme, le couteau dans ses doigts lâches ... L'image lui donna la nausée. Maya posa une main rassurante sur son bras.
-Mais garde en tête qu'elle va bien. D'accord ? Tout va bien Berry, tout est sous contrôle ...
-Elle tenait le couteau, quand on est arrivé, objecta Bérénice d'une voix à moitié morte. Et je ne sais pas ... quand on descendait j'étais obsédée par l'image, je me disais ... ça a été un tel réflexe pour elle ... Maya, combien de fois elle a tenu un couteau, ou elle s'est perchée sur son balai en se demandant si le monde ne serait pas mieux si elle n'était plus là ... ?
Sa voix dérailla si affreusement qu'elle sembla se fondre dans un sanglot. Sur son bras, la main de Maya se crispa. Elle n'avait même pas pris la peine de mettre un hijab : elle s'était contenté d'enrouler un foulard autour de sa tête, un peu à la manière dont Joséphine entortillait ses cheveux dans une serviette quand elle sortait de la salle de bain.
-Bérénice, je suis désolée ..., chuchota Maya, les yeux baissés. Si c'est trop difficile, on peut ...
-Non ... Non, vraiment ne t'en fais pas ... C'est juste que je n'avais jamais réellement réalisé avant aujourd'hui à quel ... Elle allait mal toutes ses années. Elle allait vraiment mal, Maya. Elle aurait pu faire cent fois des conneries de ce genre et ... je n'ai rien vu, pas une seule fois. Je n'ai rien fait ...
-Arrête, la coupa Maya d'une voix sourde. Arrête Bérénice ne dis surtout pas ... C'est évident que Joséphine allait mal toutes ses années ... mais tu étais une enfant, d'accord ? Tu es encore une enfant. Ce n'est pas à toi de voir les signes, ce n'est pas à toi de régler les choses. S'il y a des coupables dans cette affaire, tu n'en fais pas parti, d'accord ? (Maya pressa sa main). Au contraire moi ce que je vois, c'est qu'aujourd'hui tu as été là pour elle ...
Bérénice acquiesça plusieurs fois. Sa tête s'alourdissait à mesure que ses pleurs se tarissaient. Maya avait raison. Toute l'année elle avait voulu se prouver le contraire, mais sa réaction présente prouvait bien qu'au fond, elle restait une enfant. Stupide, se morigéna-t-elle. Tu ne vas plus être en capacité de réfléchir après ça ... Et Merlin que ce n'était pas le moment de perdre la capacité de ses neurones. Pas maintenant que dans son esprit, tout était si clair. Bérénice n'avait jamais été plus clairvoyante qu'en cet instant. Ce n'était pas l'heure de perdre cette chance.
-Au moins les choses vont se régler, maintenant.
-Certes, souffla Maya, et son regard commença à luire férocement. Enfin j'espère parce que si ça, ça ne les adoucit pas, c'est moi qui vais perdre mes nerfs. Et crois-moi personne n'est prêt.
La colère qui émanait de Maya lui parvenait par bouffée et gravait ses traits dans le marbre. Elle était apparue, dès qu'elles s'étaient penchées ensemble sur les dossiers d'adoption pour comparer une ultime fois la signature qui l'avait séparé douze ans de son frère. Un peu comme les larmes de Bérénice, la fureur l'avait submergée. Balayée, violemment, sans préavis. Comme une tempête.
Ça n'avait jamais été Joséphine, la tempête. La tempête, c'était les autres.
Comme les pas qui claquaient contre les dalles et qui faisaient un fracas assourdissant. Bérénice jeta un coup d'œil dans le couloir et son cœur dévala sa poitrine lorsqu'elle aperçut Farhan, éternellement flanqué de Charlie Weasley, émerger de l'angle. Une sombre aura de trouble semblait bourdonner autour de lui et lorsqu'il se planta sur Bérénice, son regard était si noir qu'elle eut la sensation de se prendre un carreau d'arbalète dans le cœur. C'était ainsi qu'il avait toisé Joséphine tout le long de leur entretien ... ? Pas étonnant que sa sœur ait perdu pied. Farhan avança droit sur elle, à grandes enjambées, si bien qu'il en semait presque Charlie derrière lui. Maya attrapa vivement le bras de Bérénice.
-Rentre, va voir comment va Jo. Je m'en charge.
-Mais ...
-Nom d'un Farfadet, qu'est-ce qui se passe ici ?!
Bérénice n'eut pas le temps de réagir, pas le temps de formuler une réponse correcte : Maya s'était déjà dressée sur ses pieds et imposée devant son frère avant qu'il n'ait pu atteindre Bérénice. Elle était plus petite, et pourtant face à son regard de braise et ses épaules dignement carrées, Farhan s'immobilisa immédiatement.
-C'est moi, lâcha immédiatement Maya avec un aplomb qui impressionna Bérénice. S'il y a une personne ici ou dans cette infirmerie qui doit rendre des comptes, c'est moi.
-Mais qu'est-ce que ..., souffla Farhan, abasourdi. Mais qu'est-ce que vous ... qu'est-ce qu'il lui ait passé par la tête ... ?
Les yeux de Farhan papillonnèrent, et face à cette marque d'émotivité qui signalait qu'autre part, un nouveau barrage risquait de craquer, Bérénice décida de suivre le conseil de Maya. Elle se releva péniblement, cacha de ses mains ses manches couvertes de sang sur lesquels les yeux de Charlie s'étaient fixées, horrifiés, et glissa silencieusement vers l'infirmerie.
-Elle avait le couteau en main quand on est rentrées avec Berry, commençait à expliquer Maya à un Farhan sous le choc. On a juste voulu ...
Le cliquetis de la porte de l'infirmerie couvrit la voix de Maya et enfin, Bérénice retrouva le calme. Avant de s'enfoncer davantage dans la pièce, elle prit le temps de s'essuyer le visage d'une serviette et ausculta son reflet dans le miroitement d'une fenêtre. Pas terrible, songea-t-elle vaguement en se détournant. Mais au moins c'est réaliste. Pas tout à fait remis de ses émotions et de sa course dans le château, son cœur battait toujours la chamade alors qu'elle avançait entre les deux rangées de lit qui bordaient la pièce. Elle n'eut pas longtemps à chercher celui de sa sœur : un paravent avait été placé autour pour laisser de l'intimité. Elle prit une, deux, trois inspirations avant de trouver le courage de le franchir.
Et à son plus grand soulagement, les yeux noisette grands ouverts de Joséphine l'attendaient derrière.
-Comment tu te sens ? interrogea immédiatement Bérénice en se portant aux côtés de sa sœur.
Un long gémissement s'échappa des lèvres de Joséphine et une main se porta mollement sur sa tempe. Ses deux poignets avaient été encerclés de bandage blancs et propre, remarqua Bérénice, rassurée par leur aspect. C'était bien l'unique source de soulagement. Vêtue d'une blouse d'infirmerie qui ne faisait que souligner son extrême pâleur, Joséphine remuait faiblement dans ses draps, amorphe, les yeux mi-clos. Sa bouche s'ouvrit et se referma plusieurs fois avant de pouvoir articuler une pensée distincte :
-J'ai la tête tellement lourde ...
-Pardon. C'est la potion. J'ai certainement trop dû la doser ...
-Ah ça pour trop doser, on peut dire que vous avez trop dosé !
Bérénice fit un véritable bond lorsque Pomfresh émergea dans l'espace clos, les prunelles crépitantes. Elle posa brutalement son plateau lourd de potions, de bandages et de sa baguette au pied du lit de Joséphine et les fusilla toutes les deux du regard.
-Vous me croyez stupide ? Vous pensiez vraiment que je ne verrais pas que les blessures étaient superficielles ?
Joséphine eut la force d'accrocher le regard de sa sœur. Elles durent y lire exactement la même chose. De la honte, un petit peu. Mais beaucoup de détermination et de révolte. Les images défilaient dans l'esprit de Bérénice à toute vitesse. C'était comme ça qu'avait été prise la décision. A toute vitesse. Leur cœur au bord des lèvres, elle se revoyait tambouriner à la porte de sa sœur, angoissé face au silence et finir par forcer la porte ...
-Josie lâche ça !
Joséphine lâcha le couteau. Enfin plus véridiquement, elle l'envoya valser à travers la pièce, avec un cri de rage et de frustration. La tête rejetée en arrière, elle se contenta d''adresser un regard ennuyé à Bérénice qui était entrée en catastrophe.
-Ne me regarde pas comme ça, je n'allais pas le faire ..., assura-t-elle avant d'ajouter à mi-voix : Pas pour de vrai.
L'affirmation ne l'empêcha pas de contempler sa sœur avec effroi. Maya, elle, s'était précipitée pour ramasser le couteau et le presser contre son cœur, comme pour s'assurer que Joséphine n'y aurait jamais accès.
-C'est vrai, insista Joséphine, l'air agacé par leurs mines horrifiées. Je voulais juste ... (elle lâcha un ricanement qui ressemblait à s'y méprendre à un sanglot). Je ne sais même pas. Juste ... puisqu'ils disent tous que je suis une catastrophe, leur donner raison une dernière fois. Pour enfin provoquer un électro-choc et voir le bout de cette affaire ... Parce qu'il y a un bout ... Maya, je suis désolée ... je suis toujours certaine qu'une pièce vous échappe ... j'en serais persuadée toute ma vie ... Et cette pièce c'est mon père qui la détient. C'est sûr. C'est tellement sûr ...
Bérénice tressaillit, saisie par les pleurs qui secouaient sa sœur ... mais surtout par la révélation qui venait de l'éclairer, avant que Farhan n'arrive. Révélation qu'elle s'était dépêchée de vérifier avec Maya. Et les mots emplis de détresses de sa sœur donnaient du grain à moudre à un esprit déjà en fusion.
-Tu voulais faire ... une fausse tentative de ... ? comprit Maya du bout des lèvres.
-Je sais, c'est idiot, renifla Joséphine avec dépit. Vraiment n'importe quoi ...
Un sanglot jaillit de ses lèvres et elle étouffa les suivants en pressant son poing contre sa bouche. Bérénice la contempla, paralysée. Elle avait su les mots de sa mère propre à terrasser sa sœur, mais Farhan avait-il enfoncé le clou ... ?
-Maya, je suis désolée pour l'article, articula Joséphine. Désolée, j'aurais dû te le faire lire ... au moins ça ...
-Ne t'excuse pas, murmura Maya. Surtout pas ... Il était très bien ton article. Jo, tu as raison depuis le début. Tellement raison ...
Prudemment, elle s'avança jusqu'à s'écrouler contre le lit aux côtés de Joséphine, le couteau pressé contre sa poitrine dans sa main tremblante. Les deux filles regardaient devant elle, le regard si vide et si perdu que Bérénice sentit son estomac se relever. Cette image glaçante eut pour mérite de la sortir de sa torpeur et elle avança de quelques pas dans la pièce. Même le parquet qui grinçait sous elle ne suffit pas à ramener le regard des filles sur elle.
-On sait qui a signé les dossiers d'adoption.
Là, deux paires d'yeux se levèrent sur elle. Ceux de Maya bien sûr, qui savait aussi pour l'avoir compris avec elle dans l'intimité de leur chambre et qui se chargèrent immédiatement de dépit et de colère. Et ceux de Joséphine, troublés, veinés de filament rouge et qui parurent sortir de leurs orbites. Pour une fois, les mots semblèrent lui manquer ... contrairement à Maya, qui avait eu le temps d'ingérer l'information :
-Quand est-ce qu'on va arrêter de nous balader ... ? J'étais prête à laisser partir ... a gobé ce qu'on nous a dit ... je pensais qu'on avait été au bout de l'horreur... Qu'est-ce qu'il y aura, après ça ? Hein ?
-La vérité, souffla Joséphine, la voix rauque. Pure et simple. Pas celle dont tu veux te bercer ou la poudre qu'on te lance aux yeux ...
-Et il faudra quoi pour qu'on me la serve ? rétorqua-t-elle avec humeur. Tu as écris un magnifique article et tout ce que tu as reçu ce sont des menaces ! C'est dégueulasse. Pour toi comme pour moi ...
Enfin, Maya, les mots, faillit remarquer Bérénice, presque choquée par le vocabulaire inhabituel de sa meilleure amie. Mais il fallait le dire que comprendre qui l'avait séparé de son frère l'avait profondément bouleversé. Faute de quoi, elle baissa le regard sur sa sœur, sa sœur et ses airs de folle furieuses avec les débris qui juchaient sa moquette, ses mains qui pressaient ses genoux et ses fins cheveux cuivrés qui volaient dans tous les sens. Son cœur remonta dans sa gorge.
-C'était quoi ton plan ?
-Je n'avais pas de plan ..., répondit Joséphine avec une certaine réserve.
-D'accord ... Alors ton idée stupide et impulsive ?
Un semblant de sourire étira la bouche de Joséphine et ses doigts se mirent à pianoter sur sa peau.
-Je ne sais pas vraiment ... Cet article, je l'ai véritablement écrit pour moi, parce que j'en pensais chaque mot. Pour secouer tout le monde et si ça secouait papa en prime, mais c'était du bonus ... ça n'a pas brisé l'armure ... Mais ça a révélé ses failles. Alors je ne sais pas ... je me suis dit ... enfoncer le clou, une dernière fois, au bon endroit ... Faire miroiter le pire pour qu'enfin ... enfin ...
Le pire. Un goût de cendre envahit la bouche de Bérénice et elle refoula son malaise au plus profond d'elle-même. La simple vision d'une Joséphine avec un couteau dans la main avait failli lui faire perdre pied. Elle ne pouvait pas imaginer qu'elle ne déclenche rien chez leur père. Il était froid, dans la retenue, maître d'absolument toutes ses émotions ... mais il les aimait. Bérénice le savait. S'il s'avérait du contraire, elle s'arracherait elle-même le cœur de la poitrine. Joséphine avait raison, c'était peut-être l'ultime spectre capable de fendiller les carapaces ...
-Mais je sais, c'est trop, reprit Joséphine, et une larme roula sur sa joue. C'est vraiment beaucoup trop absurde et radical comme solution ...
-Vraiment ? se recria Maya, à la plus grande surprise d'une Joséphine qui sursauta. Tu penses vraiment que c'est trop radical ? Jo, on a littéralement tout essayé ! Toi pour arracher un peu d'amour, nous pour arracher des aveux ! Qu'est-ce qu'on a eu, l'une et l'autre ?
-Rien, admit Bérénice. On a épuisé tous les moyens en notre possession, on a joué franc-jeu et ils continuent de nous balader ...
-Exactement. Alors moi je dis qu'il est temps d'être radical.
-Si ça, ça ne les fait pas réagir ...
Au regard que lui lança Maya, elle sut qu'elles étaient sur la même longueur d'onde. La colère balayait son regard, une fois l'inquiétude pour Joséphine éteinte. C'était radical, certes. Mais ils ne leur avaient pas laissés d'autres choix. Bérénice choisissait de faire le pari. Celui que son père les aimait. Oui, c'était sur cela qu'elle misait son propre cœur. Les yeux brillants, Maya détacha le couteau de sa poitrine, et, posé à plat sur ses deux mains, le présenta à Joséphine.
-D'accord. Soit la grande, capricieuse et tempêtueuse Joséphine Abbot. Une dernière fois.
-Mais je peux savoir ce qui s'est passée dans votre petite tête ? tempêta Pomfresh, hors d'elle. Simuler une tentative de suicide !
Joséphine grimaça face aux cris de l'infirmière et porta de nouveau la main à son front. La potion de sommeil que Bérénice avait concocté afin que l'effet soit complet semblait avoir toutes les peines du monde à dissiper ses effets.
-On a un compte à régler avec nos parents, lâcha Bérénice en guise d'explication.
-Et vous n'auriez pas pu trouver un autre moyen de les régler ? rétorqua Pomfresh, pas adoucie pour deux noises.
-Non, intervint Joséphine. Ça vous dit un peu au point où on en est ...
Les yeux de Pomfresh paraissaient vouloir à tout prix jaillir de leurs orbites. Bérénice noua nerveusement ses doigts derrière son dos. Elle était la première à admettre l'extrémité de la chose, à quel point l'unique solution qu'elles avaient trouvée était radicale ... Elle y avait songé en concoctant la potion, en prélevant un peu de sang à Joséphine pour le décupler et que l'effet soit total ... Mais quels autres choix avaient-t-elles devant elles ? Leur expérience leur avait bien appris que leurs parents étaient insensibles aux cris et aux suppliques. Stoïques, ils avançaient, imperturbables. Pourtant l'article de Joséphine avait fendillé leur armure. Certainement pas à l'endroit où Bérénice s'y était attendu. Et pourtant ça fait tellement sens maintenant ...
Joséphine avait raison. Depuis le début. Dans l'affaire de Maya et Farhan, il n'y avait aucune coïncidence.
Non. Elles ne pouvaient pas simplement accepter et se taire. Même Maya avait fini par se rendre à l'évidence lorsque Bérénice lui avait exposé sa dernière trouvaille. Il fallait de nouveau frapper là où la fissure était apparue. Et frapper fort.
-Il est hors de question que je cautionne un tel comportement, persiffla Pomfresh, dépitée. Vos parents sont actuellement avec le professeur Flitwick, ils ne vont pas tarder et ...
-On comprend très bien, assura précipitamment Bérénice. On ne vous demande rien, juste ... Laissez-nous faire. S'il vous plait.
-On va assumer, promit Joséphine avec l'ombre d'un sourire tordu.
-S'il vous plait. Juste, laissez-nous tout expliquer à nos parents ... On leur dira la vérité, on vous le promet ... et je suis prête à rester vous aider à l'infirmerie tout le reste de l'année et même l'année prochaine pour nous faire pardonner votre frayeur.
Elle n'osait pas imaginer ce qui avait pu passer dans l'esprit de Pomfresh lorsqu'elle avait vu arriver une jeune fille blême et couverte de sang, certainement des plus inquiète de la maintenir en vie, pour finalement trouver deux petites plaies peu dangereuses aux poignets. L'infirmière toisa longuement Joséphine, qui parvint à maintenir ses yeux ouverts pour soutenir son regard courroucé et incroyablement dépité.
-Vous êtes toutes les deux consignées dans mon infirmerie jusque la fin de l'année, trancha-t-elle finalement d'un ton glacial. Et j'irai en toucher un mot au directeur, soyez-en sûre. J'espère que vous m'avez bien entendue.
-On sera des assistantes modèles. Merci.
-Je suis désolée ...
Les mots de Joséphine, alors que Pomfresh s'apprêtait à quitter le paravent, remontée, étaient à peine audible mais atteignirent l'infirmière. Elle s'immobilisa quelques secondes, puis secoua la tête.
-J'espère que vous savez ce que vous faites, Abbot.
Et sans un autre regard pour elles, elle s'en fut en rouspétant dans son bureau. Bérénice exhala un profond soupir et se laissa tomber sur la chaise aux côtés de sa sœur. Encore sonnée par la potion, Joséphine bascula mollement sa tête en sa direction. Ses paupières papillonnèrent à un rythme affolant.
-Tu as pleuré ?
-Non, mentit Bérénice avec un geste nonchalant de la main. Tais-toi, ça s'agite ...
Elle tendit l'oreille, intriguée par les remous qu'elle entendait même à travers l'épaisse porte qui bloquait l'accès à l'infirmerie. Tout lui parvint avec plus de netteté lorsqu'elles pivotèrent sur leurs gongs. Leur grincement fut couvert par une voix furieuse qui fusa avec violence :
-... songez même pas à entrer, je vous l'interdis ! Vous n'avez rien à faire ici !
Bérénice se figea, interdite. Joséphine, dont les yeux s'était refermé quelques secondes, redressa brutalement, sonnée.
-C'est ... ?
-On dirait, la coupa Bérénice en la forçant à se rallonger. Reste ici au calme, repose-toi, récupère. Je vais voir.
Joséphine n'était pas en état de protester, alors elle se laissa retomber dans ses oreillers, les yeux clos, mais une expression troublée peinte sur son visage livide qui indiquait bien qu'elle ne plongeait pas pour autant dans les bras de Morphée. De nouveau prise de nausée à la vision de sa sœur si faible dans ce lit, Bérénice prit le temps de bien remonter sa couverture et de lisser ses draps avant de quitter le paravent. Elle ne s'était pas trompée : c'était bien Ophélia, leur sœur aînée, qui barrait de ses deux bras la route à leurs parents outrés. Ses cheveux blonds virevoltaient autour de son beau visage déformé par la fureur.
-Vous n'avancez pas ! Je vous interdis de l'approcher ! Vous ne lui avez pas assez fait de mal comme ça ?
-Mais enfin, Lili ! suffoqua leur mère.
En cet instant précis, mère et fille étaient de parfait miroir l'un de l'autre. La même taille, les mêmes cheveux blonds, les mêmes traits délicatement ciselés sur un visage ovale qui s'empourprait de seconde en seconde. En retrait, leur père se taisait, les sourcils froncés. Ses yeux verts allaient de l'une à l'autre sans discontinuer :
-Tu comptes nous interdire l'accès à notre propre fille ? Mais qu'est-ce qui te prend Ophélia ?
-Il suffit, laisse-nous passer, intervint leur père avec sévérité. Ta sœur est blessée
-Ma sœur a tenté de mettre fin à ses jours, cracha Ophélia, révulsée. Et vous ne me ferez pas dire que ce n'est pas de votre faute !
-De notre faute ?!
-Mais quelle idée de lui envoyer cette beuglante, maman ? Tu n'es même pas sûre que cet article venait d'elle et tu lui envoies une beuglante ? Ne me mens pas, je t'ai entendue la faire ! Tu lui as des choses ignobles, et ça au milieu de Grande Salle de Poudlard ! Ma question c'est qu'est-ce qu'il t'a pris à toi !
Teresa crispa sa main sur son chandail, enfermant dans son poing la belle broche d'or sertie de pierre qui le refermait sur sa robe de sorcière impeccable. Leur regard si mobile d'Aloyssius se figea sur elle. Un éclair d'incompréhension déchira ses prunelles émeraude.
-Tu as fait ça ... ? lâcha-t-il dans un filet de voix.
-Elle a mis notre famille en danger ! se recria Teresa en se tournant vivement vers lui. Tu as lu ce qu'elle a écrit ...
-Elle a dit la vérité !
Bérénice jaillit franchement du paravent, outrée de voir la main gracile de sa mère prendre l'épaule de son père, comme pour le forcer à rejoindre son camp. Ophélia, sans doute heureuse d'avoir du renfort, n'attendit pas que sa sœur se poste à ses côtés pour enchérir :
-Et au-delà de ce stupide article ! Je ne dis pas qu'il m'a fait plaisir mais encore, ce n'est pas la pire chose qu'elle a faite, loin de là ! Mais tu prends ça comment, comme un concours ? Pire elle vous fait, pire il faut lui rendre ? Jusque tout, jusqu'à la briser et qu'elle se retrouve à ... à ...
La voix d'Ophélia s'enroua brusquement et elle referma le poing au creux de sa gorge. Contrairement à leur mère, elle n'était pas apprêtée, pas maquillée. Vêtue d'une robe parme toute simple, le nez et les yeux rougis, elle compensait amplement son apparence fébrile par un regard vert qui tournait au poison.
-Lili, entonna Aloyssius d'un ton résolument calme. Reprends tes esprits et laisse-nous aller voir comment va ta sœur ...
-Ce n'est que maintenant que tu t'en inquiète, de comment va Josie ? répliqua Bérénice. Maintenant qu'il s'est vraiment passé quelque chose ? Mais combien de fois elle te l'a dit qu'elle allait mal, papa ? Combien de fois elle te l'a hurlé ?
Bérénice serra les poings lorsque son père lui renvoya un long regard dont il était difficile de tirer quelque chose. Non, malgré ses mots d'inquiétude, c'était toujours le même visage en lame de couteau, sculpté, impassible. Bérénice avait envie d'hurler à son tour. Oui, à cet instant précis face à cette silhouette inflexible, elle comprit parfaitement la rage bouillonnante qui avait pu animer Joséphine toute ses années.
-Mais c'est bien le moment de vous inquiéter ! A moins que ce soient des faux mots, hein ? Qu'est-ce que vous allez lui dire, au final ? Qu'elle a fait un caprice de plus ?
-Pas du tout, Bérénice, assura son père, l'air un brin vexé par l'allégation. Enfin ... comment peux-tu croire qu'on ne prenne pas au sérieux un tel geste ... Josie ... elle croque la vie par les deux bouts, difficile d'imaginer qu'elle puisse simplement ... vouloir cesser de vivre.
La fin de la phrase sembla lui avoir été arrachée et il se détourna, une main sur la hanche, le souffle lourd. Et Bérénice vit que le coup produisait son effet. Oui, leur père était inquiet, si inquiet qu'il se mit à marcher de long en large devant la porte de l'infirmerie, les bras nerveusement croisés derrière leur dos. Elle assistait à la chute de l'armure et y prenait un certain plaisir sauvage.
-Il ne serait jamais arrivé si tu ne l'avais pas écouté avant, répliqua Ophélia d'un ton acide. Vous l'avez poussée toutes ses années en attendant l'impossible d'elle ! Toute sa vie vous avez exigé qu'elle soit quelqu'un d'autre et vous l'avez traité d'hystérique simplement parce qu'elle le refusait !
-Comment peux-tu dire ça ? s'offusqua Teresa, indignée. On voulait le meilleur pour elle ! On s'est battu pour son avenir, pour qu'elle ...
-Mais vous faites ça avec nous trois ! Avec moi, avec Berry, on est toutes logées à la même enseigne ! (Elle pointa un doigt accusateur sur ses parents). Vous nous avez tracés à toutes un chemin dès lors qu'on a été capable de parler. Lili est jolie ? Elle va faire un beau mariage ! Josie est intelligente ? Elle va faire de grandes études ! Berry est les deux ? Mais jackpot ! Et une fois engagée sur le chemin c'était marche ou crève !
-Je n'ai jamais exigé que tu te maries, rappela Aloyssius en la pointant du doigt.
-Ni moi que ...
-Alors votre guerre sur votre vision de l'éducation, c'est un autre problème ! les coupa Ophélia avec un grand geste d'agacement. Vous étiez tellement concentré sur l'idée de donner tort à l'autre que vous n'avez pas compris que vous vous êtes transformés en véritable machine à broyer !
Bérénice coula un regard vers sa sœur aînée, totalement abasourdie par l'argumentaire qu'elle jetait à la figure de ses parents. Elle n'avait jamais eu réellement conscience de la guerre que s'était joué ses parents, certainement parce que la partie était trop avancée lorsqu'ils en étaient arrivés à son cas. Mais elle était surprise qu'Ophélia, la parfaite Ophélia, la si docile Ophélia, ait tant de rancœurs renfermées. Que malgré son beau chemin qu'elle avait suivi, elle avait été assez observatrice, assez fine, pour comprendre ce qu'il y avait conduite. Honteuse, Bérénice faillit baisser le nez. Il fallait le dire : elle avait pensé sa grande sœur réduite à un clone de leur mère, férue de mode, de fête et de musique. Une créature un peu frivole et vaine. Encore une preuve qu'elle s'était lourdement trompée sur ses sœurs.
-Je te trouve incroyablement injuste, cingla Teresa en les contemplant toutes les deux. Josie c'est une chose ... mais vous ne m'avez pas l'air particulièrement broyées.
-Oh maman, je t'en prie, renifla Ophélia, méprisante. Tu te souviens du drame que ça a fait lorsque j'ai voulu choisir ma propre robe de mariée ? Il a fallu qu'on s'y mette toutes les trois ! Pour un choix qui m'appartenait totalement ! Ne souris pas, lança-t-elle brutalement à leur père dont les lèvres s'étaient retroussées en un rictus. Je te rappelle ta réaction quand Josie a ramené sa première mauvaise note ? Tu as toute de suite voulu lui interdire le Quidditch ! Vous ne connaissez pas la mesure !
D'un large geste du bras, elle pointa le paravent derrière elle, les yeux brillants de détermination rivés sur leurs parents.
-Vous avez compris ? Vous lui avez trop fait de mal, tous les deux. Berry a raison : elle vous a hurlé son mal-être, vous avez choisi de l'ignorer. Vous avez perdu vos droits. Tenez-vous loin d'elle, maintenant. Berry et moi, on prend le relai.
-Lili ...
-Il est hors de question que je vous laisse l'approcher pour que vous puissiez lui dire qu'elle en fait que ce n'était qu'une mise en garde pour attirer l'attention !
Le cœur de Bérénice saigna à cette phrase, car dans les faits c'était exactement cela. C'était pour de faux. Mais ça ne changeait rien. Ça aurait tellement pu être vrai, une véritable Joséphine brisée sur ce lit, que ça ne changeait rien.
-Ou pire, pour que vous lui parliez de ce stupide article, ajouta Ophélia avec défi.
-Tu ne te rends pas compte, Lili, murmura leur mère, dépassée. Tu ne te rends pas compte ...
-Teresa, laisse ... nous lui parlerons plus tard de cela, c'est quelque chose qui peut attendre ... Les filles ont raison, ce n'est pas la priorité.
-Bien sûr que si !
La voix de Bérénice s'était envolée, prise par la panique. Tous les regards de la pièce convergèrent vers elle et face à ce projecteur qu'on venait de braquer, elle faillit se sentir perdre tous ses moyens. Alors elle se raccrocha au seul regard qu'elle n'avait jamais su comprendre : celui de son père. Elle était quelqu'un de froid, alors la froideur de son père ne l'avait jamais heurtée. Contrairement à Joséphine, elle avait pu l'admirer, cet Auror brillant qui s'était construit seul. Oui, elle aimait son père. C'était certainement pour cela que toute cette affaire la retournait tant.
-Elle était fière de son article. Elle a repris tes combats, papa. Tu es le premier à t'être battu pour que les Malefoy soient enfermés, elle ne dit rien de moins ! Pourquoi ça a valu une beuglante si violente ? Pourquoi ?
-Mais enfin, qu'as-tu dis dans cette beuglante ? rouspéta Aloyssius à sa femme. Quelle idée !
-Ce n'est pas la question ! l'interrompit Bérénice, exaspérée. Pourquoi cet article met en danger notre famille ?
Le sang de leur mère reflua totalement de ses joues et son visage devint exsangue en quelques secondes. Quant à Aloyssius, qui poursuivait ses pas devant la porte, il s'immobilisa, l'oreille tendue. Dans son dos, ses doigts s'étaient noués plus étroitement encore.
-Mais parce que ..., bredouilla leur mère en cherchant le regard de leur père. Parce qu'elle attaque le Ministre ! La future belle-famille d'Ophélia ...
Pour peu, Bérénice en aurait pleuré. Mais elle avait déjà vidé son stock de larme pour Joséphine et c'était la seule qui méritait qu'on en verse pour elle. Alors d'un ton âpre, elle répliqua :
-Absolument rien à voir avec le fait que c'est toi qui as signé les dossiers d'adoptions de Farhan et Maya ?
La carte était lancée.
Elle s'en voulait. C'était pourtant si simple. La signature lui avait parlé, dès les premières fois qu'elle avait vues. Un beau « R », rond, raturé, stylisé, élégant. Mais elle ne le connaissait pas sous la forme d'un « R ». Non, elle connaissait le « A », calligraphiée exactement de la même façon, qui trônait fièrement au bas de chaque document administratif. C'était avec son autorisation de sortie à Pré-au-Lard, signé par leurs deux parents, qu'elle avait pu comparer avec Maya. Le double « A » sobre et soigné d'Aloyssius Abbot ... Et ce beau « A » plus raffiné et classieux de Teresa. C'étaient les mêmes courbes, les mêmes arabesques. Seule la lettre changeait. « R » comme « Rosier », son nom de jeune fille. Le simple fait que ce soit lui qu'elle ait utilisé était un aveu de crime en soit. Parce que faisait leur mère pendant la guerre ? Elle s'en était bien assez vantée ... Du bénévolat pour Ste-Mangouste, dans les services administratifs.
Non, définitivement, Joséphine avait eu raison. De bout en bout. Il n'y avait pas la moindre coïncidence dans cette histoire. Son unique erreur avait été de focaliser les efforts sur leur père ... alors que la pièce manquante de l'affaire résidait chez leur mère.
-Berry, entonna Ophélia d'une voix qui avait perdu tout venin, mais gagné en prudence. On va où là ... ?
-Oui éclaire-nous ma chérie, enchérit Teresa avec un ricanement haut perché. Oh, Berry je n'imagine pas à quel point tu dois être bouleversé pour t'imaginer de telles histoires ...
Elle voulait encore nier. Très bien. Bérénice avait eu quelques scrupules lorsque Maya avait rendu son couteau à Joséphine. Elle avait trouvé le coup trop radical, absurde, mais n'avait pas une fois douté de sa nécessité. Non, même les faits n'achetaient pas une décence à Teresa Abbot. Il allait falloir leur arracher la vérité, et pour cela il fallait que l'armure cède totalement. Alors en bonne stratège, elle capitalisa sur le plan mis en place et pointa le lit de sa sœur derrière elle.
-Si Josie est dans ce lit, c'est aussi parce qu'elle est persuadée que vous avez fait quelque chose à Farhan. Et il n'a pas voulu la croire. Bravo papa. Je ne sais pas ce que tu lui as dit, mais ça l'a convaincu. Alors on fait quoi, on continue le cercle infernal, ou le jeu s'arrête ici ? Parce que c'est littéralement avec la vie de Joséphine que vous jouez, là.
La mâchoire de son père en tomba. Et Bérénice sut qu'elle venait de mettre son père échec et mat.
***
-Josie ?
Joséphine ouvrit péniblement les yeux. La lumière l'aveugla quelques secondes et lui éclata la rétine avant que la réalité ne se recompose autour d'elle sous forme de taches diffuses et distinctes. Vite, elle a eu la sensation de se contempler dans un miroir ... Avant de se souvenir que ses cheveux n'étaient pas si courts, et surtout pas grisonnants sur les tempes, et que ses yeux qui la fixaient n'étaient pas verts. Elle prit une tremblante inspiration.
Son père était là. Et il la regardait.
Toujours en phase de réveil, Joséphine était sensible au moindre son et celui que produisit la chaise que tira Aloyssius contre le carrelage fut un véritable supplice. Elle grimaça et porta l'une de ses mains à son oreille. Aussitôt, les yeux de son père se déportèrent sur les bandages qui enserraient ses poignets. Joséphine leur accorda un regard. C'était un poids étrange sur sa peau, auquel elle ne s'habitue pas forcément. Depuis la première fois qu'elle s'était réveillée, elle avait envie de les arracher sans en avoir la force. Chaque fois qu'elle faisait un mouvement, sa tête valsait. Définitivement tu as trop dosé, Berry.
-Ne t'en fais pas, articula-t-elle, la bouche pâteuse. Ce n'est rien du tout ... je savais ce que je faisais.
-Paraît-il ... Ta sœur m'a expliqué.
Joséphine ouvrit un œil pour le planter sur son père. Il venait de s'écrouler sur la chaise avec un soupir qui venait des tréfonds de lui-même. Et à mesure que son souffle se relâchait, son visage se transformait, se déformait. Joséphine avait connu la froideur. Elle s'attendait à la colère. Mais dans les traits si marqués de son père elle ne lisait qu'une chose. Un profond soulagement. Joséphine remercia silencieusement Bérénice de lui avoir épargné ce morceau. Avec tout le coton qu'elle avait dans la tête, elle n'aurait sans doute pas réussi à formuler une pensée cohérente et encore moins à expliquer l'absurde décision qui avait conduit à son geste.
-Mais dis-moi la vérité, reprit son père, la main passée dans ses cheveux. C'est déjà une idée que t'es réellement passée par la tête ... ? Bérénice avait l'air de le sous-entendre ...
L'affirmation la sonna un peu plus. Elle papillonna des yeux plusieurs fois et à chaque fois le visage de son père devint plus net. Etait-ce vraiment son père ... ? Il paraissait si différent ... Qu'est-ce qui faisait briller ses prunelles ainsi ?
-Peut-être, avoua Joséphine du bout des lèvres. Parfois, quand je me tenais près de la fenêtre, et que je me demandais ce qui se passerait si je tombais ... juste, tomber ...
-Oh, Josie ...
-Jamais pour de vrai. Non. Je n'ai jamais eu l'envie. Je n'ai jamais eu le courage.
Le mot lui transperça les tympans et répandit un goût de cendre sur sa langue. Mais regarde-toi, tout respire la lâcheté ! cingla la voix de Farhan dans son esprit, et les larmes lui montèrent immédiatement aux yeux. La violence de leur dispute la faisait encore frémir et au fond d'elle, le désespoir qu'elle avait ressenti une fois Farhan disparu était intact. Même les effets de la potion étaient impuissants contre ça.
-Le courage ..., répéta son père d'une voix caverneuse. Enfin Josie ... ce n'est pas ça le courage. Le courage c'est d'affronter la vie, de résoudre ses problèmes ...
-J'ai essayé ... j'ai essayé ... mais ... je ... tu ...
Les brides de phrases s'échappaient de ses lèvres, mais elles parurent suffisantes pour frapper Aloyssius. Sa mâchoire se contracta et aussitôt se recomposa la mine sévère que Joséphine lui avait plus connu. Seul le regard variait. Pourquoi était-il si humide ... ?
-Je pensais que c'était ... normal, entonna-t-il avec lenteur. Ce qu'on appelait une crise d'adolescence. Que tu testais mon autorité et que la bonne posture c'était de tenir bon, ne pas varier ...
-Ne pas céder, hein ? C'était un duel. Tu ne voulais pas perdre face à moi ...
Le silence dans lequel se mura son père était éloquent. Et comme toujours, il blessa Joséphine, davantage qu'avaient pu le faire tous les mots venimeux de sa mère.
-Je suis épuisée, papa, lâcha-t-elle d'une voix qui, à sa grande horreur déraillait. J'en ai assez de me battre ... contre toi, contre moi, contre tout ... c'est épuisant. Ça m'a grignoté ... Et même quand je gagnais enfin, même quand j'ai réussi à mettre ma vie sur des rails j'ai cet élément qui a tout fait dérailler ... (Un ricanement amer lui déchira la gorge). Bon sang, il a vu tellement juste avec les Potions ... Je fais tout parfaitement jusqu'à ce que je déconcentre et ce que ça foire ...
-Qui a dit ça ... ?
Joséphine ne répondit pas. Parce que dans la foulée elle revit Farhan quitter sa chambre, la tête basse et son cœur s'était mis à saigner à vif. Elle porta la main sur son sternum, pour apaiser la douleur d'une caresse mais ses doigts rencontrèrent son camé.
-Josie, si l'élément qui a ... « tout fait dérailler » était ton article, alors laisse-moi te dire une chose, reprit son père avec un grand sérieux. Je ne sais pas ce que ta mère a dit dans sa beuglante, mais sache que je n'étais pas au courant. Je l'ai lu ... tout de suite j'ai su que c'était toi ... la signature n'était pas subtile.
Joséphine haussa vaguement les épaules. Elle n'avait aucune vocation à l'être. Elle s'était juste amusée de la coïncidence, du fait que les initiales de ses deux noms formaient son surnom. A défaut d'être subtile, elle la trouvait fine.
-Joséphine, je ne me suis pas un seul instant senti attaqué dans cet article, avoua leur père. Non, je l'ai trouvé ... d'une justesse désarmante, de bout en bout. Il ... il m'a parlé.
-C'est vrai ... ?
-Evidemment que c'est vrai. Tu sais toujours atteindre ta cible, Joséphine. Tu pensais sérieusement que ça ne faisait rien, toutes ses années ? Les cris, les pleurs, les disputes ? (Il ferma les yeux et se massa les tempes). Oh, tu as sans doute raison. C'était un duel et je ne voulais pas te céder la moindre miette de terrain. Je ne voulais pas ... surtout pas ... que tu puisses faire apparaître une faiblesse ...
-L'amour, ça n'a jamais été une faiblesse.
Aloyssius contempla longuement sa fille, l'air profondément tiraillé. Le soulagement était toujours là, baignant ses prunelles étincelantes, mais quelques bulles de désarroi commençaient à éclater à la surface.
-L'amour ne m'a jamais sauvé, lâcha-t-il du bout des lèvres. L'amour, la peur ... Joséphine quand les émotions reprennent le dessus et que je me laisse envahir ... tu n'imagines pas de quoi je suis capable. Je n'ai pas le droit d'y céder ...
Le puzzle commençait lentement à prendre place. Les pièces éparses reprenaient un ordre précis qui faisait sens, même dans l'esprit ralenti de Joséphine.
-Parce que tu y as cédé la nuit où les parents de Farhan sont morts ... ?
Aloyssius ferma les yeux et parut se recroqueviller sur lui-même, comme atteint en pleine poitrine d'un maléfice propre à le terrasser. Si leur relation était un duel, alors Joséphine était enfin en train de gagner.
-Pourquoi tu as fait ça ? souffla-t-il, abattu. Pourquoi ... ?
-Chaque Abbot cache son cœur. C'est peut-être la première chose que j'ai appris sur cette famille ... (Une larme dévala sa joue et elle ne fit aucun geste pour endiguer sa chute). Parce que je sais que tu as un cœur. Alors je ne sais pas où tu l'as caché et à dire vrai je pense juste que tu l'as perdu en chemin ... Mais moi j'ai trouvé la place du mien
Elle garda le silence sur le fait que la place en question était des plus précaire, au bord du précipice, et que d'une seconde à l'autre il risquait de se briser. Néanmoins sa poitrine se réchauffa un peu lorsqu'un sourire effleura les lèvres de son père et qu'il lança :
-Hum. Auprès du garçon qui fait le pied de grue devant l'infirmerie ?
-Papa ... ça fait longtemps que tu as perdu le droit de discuter mes choix. Que ton approbation ne vaut littéralement plus rien pour moi.
-Je me doute ... mais de tous les garçons bien de Poudlard ... mille gargouilles, il aura fallu que tu tombes sur lui ...
-Je te l'accorde, ce n'est pas de chance pour toi.
Le sourire de son père se fit amer. Ses yeux se perdirent au loin, sombres, hantés. Et alors qu'elle était happée par ce regard, Joséphine ne vit pas sa main avancer sur les draps et presser ses doigts avec douceur. Choquée, elle fixa ce petit miracle, ce geste qu'elle n'avait plus expérimenté depuis de longues années. La pression de son père sur sa main s'alourdissait de seconde en seconde.
-Je suppose que c'est le destin. On ne peut pas lui échapper. Un jour ou l'autre, il vous rattrape et vient chercher son dû ... Je l'ai toujours su, Joséphine. Si tu savais depuis combien de temps j'attends ce jour ...
Alors pourquoi tu l'as tant retardé ? Mais Joséphine n'eut pas la force d'opposer cette question. Quelque part, elle connaissait la réponse. Il ne s'agissait pas que de son père. Bérénice avait mis le doigt sur la pièce manquante en identifiant la signature. Joséphine s'était sentie bête. Rien de moins que celle de leur mère. Elle commençait à percevoir le désespoir qui submergeait Farhan et Maya chaque fois qu'ils parcouraient une nouvelle branche de leur histoire. Elle poussait en excroissances insensées et impensable et ne paraissait jamais avoir de fin ... L'immensité de la tâche la prenait à la gorge.
-Papa, je suis fatiguée ...
-Je sais, Josie, moi aussi. Si tu savais à quel point ...
Elle l'imaginait. La lassitude était littéralement incrustée sur ses traits. Aloyssius avait toujours fait jeune avec son dynamisme et ses cheveux encore épais et brillants malgré des tempes grisonnantes. Mais là il semblait avoir pris dix ans. Elles dataient de son enfance, ses tempes, réalisa Joséphine, soufflée. Depuis la guerre, Aloyssius n'avait pas cédé le moindre terrain au gris. Avec un soupir, il pressa ses doigts et planta encore son regard sur elle. Il la regardait. Il avait fallu ça pour qu'il la regarde. L'amertume lui faisait monter la bile aux lèvres.
-Ton article était brillant. Tu as eu raison, à chaque point. Il est temps de regarder son passé dans les yeux. Et d'assumer nos erreurs.
***
Aloooors votre verdict?
Vous avez le droit de dire qu'elles ont été trop loin. C'est une certitude, le plan était bien trop radical. Mais on parle de trois jeunes filles qui viennent de passer une année très difficile et qui ont littéralement été poussé à bout par les événements ... en tout cas j'espère avoir bien réussi à justifier tout ça !
Je ne sais pas quoi dire d'autre ... d'autant que je prévoie une petite expédition au Furet du Nord pour acheter un nouveau livre sur la Rome Antique? Certainement oui, ça peut finir ainsi !
Allez, à la semaine prochaine ! Peut-être pour enfin avoir des réponses ...
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