Chapitre 56 : Le dernier coup d'éclat
Hello tout le monde?
"Encore un jeudi?" me criez-vous, étonnés. Et bien il faut croire que je suis très occupée les vendredi ces derniers temps ! Demain je vais à Paris faire l'expo Ramsès donc je n'aurais pas vraiment le temps de poster !
Comment vous allez? Pas trop stressé par la rentrée? Ou on en parle pas? On en parle pas, restons dans le déni c'est encore les vacances !
MOI SI, parce que non seulement j'ai toujours pas de poste mais en plus j'ai un déménagement qui se profile ! Mais si vous savez j'ai trop hâte d'être dans ma maison avec mon jardiiiiin vivement octobre que je sois installée !
Juste une interrogation : y'a-t-il quelque chose qui vous a dérangé dans le chapitre précédant? Je sais que généralement les scènes lemon appellent, pour des raisons évidentes, peu de commentaires, mais là je n'ai littéralement eu aucun retour et je me demandais si ça sous-entendait une sorte de malaise ... N'hésitez pas à me le dire !
Bon, chapitre ! Chapitre un peu bascule et un peu particulier ... j'espère qu'il vous plaira ! Bonne lecture !
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Les choses les plus belles sont celles que souffle la folie et qu'écrit la raison. Il faut demeurer entre les deux, tout près de la folie quand on rêve, tout près de la raison quand on écrit.
- André Gide
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Chapitre 56 : Le dernier coup d'éclat.
Mercredi 4 juin 1991
Heureusement que ce sont les derniers examens de ma vie.
J'ai l'impression que le monde est sur les rotules. Déjà que ça m'a gâché mon anniversaire dimanche – évidemment il fallait que ça tombe PILE LA VEILLE de la première épreuve – mais là ça nous gâche une magnifique semaine. J'étais presque heureuse de voir le ciel voilé ce matin, même si l'épreuve de Soin aux Créatures Magiques est à l'extérieur. Mais au moins cet après-midi je ne regretterais pas de passer ma journée penchée sur un parchemin à potasser une traduction de runes.
Désolée, cher journal, je pense que je vais arrêter d'écrire. J'ai trop gratté ces trois derniers jours. Et un lutin de Cornouaille m'a mordu. Ma main me dit stop. Ma main lâche. Oui, mon corps m'abandonne. Saletés d'examens.
***
La plume lâche au bord des doigts, Joséphine repoussa son journal avant de s'écrouler dans son lit, le visage enfoui dans ses couettes. Après trois jours à être ballotée entre les épreuves écrites des ASPIC et séances pratiques dans lesquelles elle s'en était toujours beaucoup mieux sorties, Joséphine avait l'impression qu'on l'avait vidé de la moindre goutte d'énergie. Pas qu'elle se soit jetée corps et âmes dans les ASPIC, mais elle s'était tout de même évertuée à s'appliquer. Elle avait totalement achevé les sujets de Sortilèges et Métamorphoses – même si chaque fois elle était sortie la première de la Grande Salle – s'était donnée sur chacun des sorts et enchantements que les examinateurs lui avaient demandé d'exécuter, et avait même daigné supporter le stress presque maladif de Lauren qui l'avait presque fait vomir avant leur épreuve de Soins aux Créatures Magique matinale. Même sous la pluie, Charlie avait excellé à s'occuper de son crabe de feu et même Farhan avait semblé donner satisfaction à l'examinateur avec sa gestion des Botrucs. Tonks, comme toujours, était ressortie de là avec un épuisement physique et mental évident, et tenait à peine sur ses jambes. Vivement que la semaine s'achève. Nymphadora Tonks était en train de s'écrouler, et finalement, Joséphine n'appréciait pas tant que cela le spectacle.
C'était pour cela que Lauren avait insisté pour la rejoindre dans les salles de travails où elle s'entrainait sans relâche à l'épreuve de Défense contre les Forces du Mal qui avaient lieu le lendemain, mais Joséphine avait réussi à d'abord monter dans sa tour se changer – elle s'était retrouvée face à des lutins de Cornouailles qui, à la grande joie d'une partie de la classe, l'avait recouverte de boue – et profiter de quelques minutes de quiétude. Depuis quand ne s'était-t-elle pas retrouvée seule ... ? Elle qui s'était sentie reine de l'isolation contrainte et souhaitée, elle n'avait cessé d'être entourée ces dernières semaines.
-C'est épuisant d'avoir une vie sociale, décréta-t-elle dans le vide avant de s'arracher à son lit.
Elle s'ébroua envers et contre tout, et prépara son sac pour l'épreuve de Runes Anciennes qui l'attendait à quatorze heures. C'était bien la journée la plus tranquille de la semaine : ce n'était pas pour ses options qu'elle se mettait la moindre pression. Peu importait qu'elle échoue à traduire son texte. Elle avait passé son année à recopier les plus belles runes dans son journal et à chercher les traductions les plus saugrenues. Vraiment, ce n'était pas l'enjeu de sa semaine ... ça ne l'était tellement pas qu'elle eut un mal fou à mettre la main sur son dictionnaire de rune, qu'elle finit par dénicher dans sa malle sous son lit – c'était dire la négligence ... Ce faisant, ces doigts effleurèrent des parchemins qu'elle ramena à elle, perplexe. Son cœur tomba dans sa poitrine lorsqu'elle reconnut le dossier qu'elle avait volé dans le bureau de son père. Le fameux rapport sur la nuit où l'Obscrurus de Shahrazade Souleiman avait éclaté pour emporter la vie de treize personnes ... Dont ses propres parents. Plus intriguée par l'écriture policée et soignée de son père que par son épreuve future, Joséphine s'adossa à son lit et, pour la dizaine, non, centième fois parcouru le dossier, lut chaque mot, interpréta chaque phrase, analysa chaque tournure. Et lorsqu'elle le referma, l'impression fut identique à toutes les fois précédentes : celle d'un grand malaise qui ne l'avait jamais parfaitement quitté depuis sa première lecture. Joséphine avait l'affreuse sensation de contempler un puzzle incomplet, mais les pièces en question étaient assez discrètes pour que le dessin fasse illusion.
-Et pourtant la pièce la plus discrète qui soit peut changer le motif, murmura-t-elle en ouvrant de nouveau le dossier. Donner un tout autre sens au dessin final ... Oh je te jure, Farhan O'Neil, si je ne t'aimais pas ...
Frustrée, elle effleura le nom de ses parents, Sirine et Ahmad, inscrits noir sur blanc dans la liste des victimes. Pas de Shahrazade. Qu'advenait-t-il du corps d'un Obscurial une fois que sa puissance destructrice l'avait dévorée ... ? Des pensées diffuses se percutèrent contre la boite crânienne de Joséphine tel un essaim d'abeille particulièrement actif. Toutes les voix entremêlées qui lui racontaient dans le désordre le parcours tragique de la famille. Les signatures, identiques sur le dossier d'adoption. La froideur de son père lorsqu'il avait assuré – menti – à Bérénice en promettant ne pas se souvenir. Papa ...
C'était à cause de lui qu'elle rongeait son frein. Parce qu'elle savait pertinemment que ce qui l'attirait, de plus en plus inexorablement dans cette affaire, ce n'était pas le mystère. Ce n'était même plus le fait d'aider Farhan. C'était la figure de son père qui surplombait tout. C'était tout ce qui les avait opposés, tout le fossé qu'ils s'étaient creusés, ce gouffre infranchissable qui les empêchaient de se comprendre et qui semblait littéralement s'incruster et se cristalliser dans cette affaire. Le souvenir amer de sa dernière lettre lui fit monter la bile aux lèvres. Et c'était parce que c'était si personnel, si viscéralement lié à l'un des maux les plus profonds qu'elle trainait, qu'elle ne pouvait pas se permettre d'entrainer Farhan dans cette dangereuse vendetta.
-Les pleurnicheries, ça ne t'a jamais affecté, lâcha-t-elle avec dépit au dossier empli de l'écriture d'Aloyssius Abbot. Non, toi tu es fait d'un autre bois ... Les pleurs, les cris, ça ne fait rien avancer du tout ... du tout ... Qu'est-ce que je peux faire ... ?
Elle fixa les pages noircies dans l'espoir qu'une réponse lui vienne, mais les abeilles courroucées dans sa tête ne laissaient pas la place à la moindre illumination. Exaspérée, elle rangea le dossier, récupéra son sac et s'en fut à grands pas. La marche jusque la bibliothèque ne fut pas assez pour expier toute la tension en elle et s'efforça de se recomposer un visage neutre en arrivant face aux salles de travail. Tonks et Lauren étaient déjà assez stressée par nature, inutile qu'une Joséphine pleine d'idée noire leur obscurcisse encore l'horizon. Fort heureusement, elle découvrit en ouvrant la porte que deux des personnes les moins stressées au monde s'étaient portées à leur secours : Charlie et Farhan disposaient sur la table devant Tonks des sandwichs et du jus de citrouille, tels les preux chevaliers servants qu'ils étaient tous deux à leur manière au fond de leur cœur. Joséphine esquissa un sourire attendri qu'elle réprima dans la seconde.
-Mais c'est que j'arrive au meilleur moment, clama-t-elle avec un ravissement sincère, car son ventre criait famine. Moi qui pensais que je devrais faire semblant de travailler ...
-Tu vas faire plus que semblant, on s'entraine sur les patronus, assura Farhan avec un sourire. Histoire d'avoir des point bonus demain, sur un malentendu ...
-Malentendu, malentendu, t'es le plus proche de la vérité, grogna Tonks. Oh, merci Charlie ...
Le Gryffondor venait de galamment lui servir un verre de jus de citrouille frai mais lui présenta dans la foulée un sandwich sur son grimoire devant lequel Tonks fronça du nez. Son teint était si pâle que Joséphine l'imagina aisément vomir sur l'offrande.
-Lève le pied, ordonna Charlie avec une autorité peu coutumière. Tu sais déjà tout, Tonks, tu ne fais que t'angoisser encore plus. Les patronus c'est très bien, ça va te détendre. Des souvenirs heureux, des belles lumières blanches, on va rire devant les formes que ça prendra toute l'aprem !
-Non pas toute l'aprem, j'ai l'examen de Runes anciennes.
Tout le monde dans la pièce tourna la tête vers Joséphine, même Tonks qui semblait incapable de détacher les yeux de son grimoire. Tous semblaient stupéfaits, si bien que le silence s'étira jusqu'à ce que l'amusement de Joséphine se mue en exaspération.
-Tu fais Etudes des runes, lâcha Farhan, comme si l'information venait de brusquement lui revenir. Nom d'un Farfadet c'est vrai.
-Pour être honnête c'est plutôt atelier dessin et écriture pour moi, admit-t-elle avec un pauvre sourire. Alors, ces patronus ?
Elle se hissa sur une table, la baguette négligemment tenue entre ses doigts. Elle s'était dépêchée d'orienter la conversation, car elle s'était rendue compte pendant les quelques secondes de silence qu'elle était bien incapable de citer toutes les options de Farhan. Il avait un cours le mardi après-midi. Histoire de la magie, peut-être ? Vraiment, on ne la changerait pas ... pas une seconde, elles s'étaient intéressées aux matières que révisaient son petit-ami, en dehors de celles qui lui étaient primordiales.
Fort heureusement, sa ruse réussit et dans les minutes qui suivit, la pièce fut envahie de fumée et de brumes lumineuses, de filaments argentés qui s'échappaient des baguettes et filaient dans tous les sens. Si celui de Charlie était un brouillard éclatant mais ô combien diffus et vaporeux, celui de Lauren n'était guère plus épais qu'une fumée de cigarette. Celui de Tonks, petit, compact, virevoltant, apportait plus de satisfaction mais c'était Farhan qui s'en sortait ouvertement le mieux. Joséphine avait beau s'y attendre pour une multitude de raison, observer cette brume scintillante se mouvoir dans une dynamique presque ordonnée était fascinante. Parfois, elle avait la sensation de distinguer une patte, ou une oreille dans le tumulte des arabesques vaporeuses qui s'échappait de la baguette de sorbier. C'est un bois protecteur, se souvint-t-elle du fond des recherches qu'elle avait un jour faites sur les essences de baguette. Parfait pour les patronus dont le but était précisément d'être un bouclier. Joséphine contemplait encore intensément la tentative de son petit-ami quand elle réalisa que Lauren s'était approchée d'elle pour s'assoir elle aussi sur la table.
-J'arrête, décréta-t-elle, défaite. De toute manière j'ai trop passé une année horrible pour mobiliser le moindre souvenir heureux ... j'ai l'impression que tous sont pervertis.
Joséphine n'osa rien répondre à cela. Que pouvait-elle faire, la détromper ? L'espace d'un an, on l'avait harcelé pour son orientation sexuelle, elle avait perdu sa copine et malgré la défense qu'elle avait toujours eu pour Aidan, Joséphine ne pouvait pas croire que leur relation ne s'était pas quelque peu effritée après le coup de poing. Et encore ma chère Lauren, si tu savais pour ma tendre petite sœur ... Mais comme la situation de Bérénice était davantage un poison prompt à acidifier ses mots, elle la repoussa au fond de son esprit.
-Pareil, finit-t-elle par avouer, faute de mieux. J'ai essayé ... mais j'ai l'impression que le pire, c'est de trouver un souvenir qui n'est pas parasité. Qui n'appelle pas à quelque chose qui ... tout sauf heureux.
-Je comprends. Un souvenir en appelle un autre, puis un autre ... et on sombre dans une spirale négative ...
Joséphine acquiesça distraitement, les yeux rivés sur l'épais brouillard argenté qui jaillissait de la baguette de Farhan. C'était exactement cela. Elle avait bien tenté dans les serres avec Farhan, une fois remis de leurs étreintes. Elle avait profité du profond sentiment de bienfaisance qui s'était répandu dans ses veines, elle avait puisé dans ce cœur qui palpitait au fond d'elle, dans le triomphe et le bonheur qui l'étourdissait chaque fois que Farhan répétait qu'il l'aimait, à la fièvre chaque fois qu'il le prouvait ... et alors qu'elle s'était sentie plus heureuse que jamais, la tentative s'était soldée par un filament si pauvre, si terne ... Pas de consistance, ni d'éclat. Il s'était même évanoui immédiatement, dès que la déception et l'incompréhension avaient pris possession du cœur de Joséphine. Farhan l'avait rassurée. Ce n'était que sa première tentative, le sortilège était d'une complexité folle ... Tout cela avait bruissé aux oreilles de Joséphine sans l'imprégner.
Elle était bonne sorcière. Jamais elle ne serait aussi heureuse et détendue qu'en cet instant. Aimée, désirée, écoutée, avec l'unique relation saine qu'elle avait réussi à construire dans sa vie. Et c'était tout ce qu'elle était capable de produire ... ?
-Ce n'est peut-être juste pas notre type de magie, aussi, articula Joséphine avec un haussement d'épaule. Je ne sais pas le patronus ce n'est pas que de la puissance et l'habilité magique ... ça doit venir de tes tripes. Du plus profond de toi. D'une part de toi dont tu n'as même pas conscience et c'est pour ça qu'on est parfois surpris par l'aspect du patronus ... (Joséphine battit des cils et baissa les yeux, dépitée). Il faut être entier, pur. En accord avec soi-même. Peut-être que c'est ça qui nous manque ... On nous a trop questionné pour être totalement entières.
-Alors pourquoi le garçon aux milles identités y arrive si bien ? ricana Lauren en désignant Farhan.
-Et bien tu vois ... Je suis persuadée qu'il aurait tenté sans savoir qui il était vraiment, il ne se serait jamais aussi bien débrouillé. Vraiment pas ... Oh !
Le cri lui avait échappé quand, après une énième tentative qui semblait avoir été fait dans la nonchalance la plus totale, ce ne fut pas de la brume, du brouillard ou de la fumée, mais un véritable animal qui se solidifia devant Farhan. A quatre pattes, trapu mais souple, il se ramassa sur le sol avant de bondir dans les airs sous les yeux stupéfaits de tous. Joséphine et Lauren se baissèrent lorsqu'il les frôla, aussi léger qu'un nuage et que sa belle lueur argentée irradia sur les plafonds de lambris de la salle.
-Waho ! (Epaté, Charlie donna un grand coup dans l'épaule de Farhan). Félicitations, c'est magnifique !
-C'est bon, je suis jalouse, décréta Tonks, avec néanmoins des étoiles dans les yeux. Qu'est-ce que c'est, un chat ?
Ce fut la proposition de Tonks qui fit jaillir la lumière dans l'esprit de Joséphine et elle plaqua une main contre sa bouche, étrangement émue. Lorsque son regard fouilla la pièce, il trouva d'abord et avant tout celui de Charlie, qui venait de perdre son sourire. Sans lâcher Joséphine des yeux, il s'approcha de nouveau de Farhan et passa un bras derrière ses épaules. Le jeune homme se laissa faire, remarquablement stoïque. Dans ses yeux sombres se reflétait les lueurs spectrales du patronus, comme autant de fantômes qui devaient traversaient ses pensées à l'instant même. Joséphine le considéra quelques secondes, le cœur serré, avant de revenir vers le patronus qui trottinait à présent aux pieds de Tonks. Plus gros qu'un chat, les pattes nettement plus épaisses, ses oreilles triangulaires terminées par de fines touffes de poils faisaient penser au lynx. Mais Joséphine, sans jamais avoir vu un jour cet animal, savait qu'il n'en était rien. Non, c'était quelque chose d'infiniment plus profond, d'infiniment plus viscéral, plus trivial en quelque sorte, qui avait jailli de Farhan.
-Un caracal ...
Lauren poussa une exclamation perplexe mais Joséphine l'ignora, presque fière de contempler ce patronus qu'elle estimait être le fruit de son œuvre. Cet animal du désert, de son pays natal, en quoi se transformait sa mère biologique ... Définitivement, Farhan aurait été incapable de le produire s'il ne s'était jamais reconnecté à ses racines. Et jamais il ne l'aurait fait si Joséphine n'avait pas fortuitement fouiné dans son passé ...
-Moi, je trouve que c'est vraiment un beau patronus, assura Charlie d'une voix douce. Surtout avec tout ce qui s'est passé ... c'est presque une consécration, Fa'. C'est ... ouais, beau.
-Je ne m'y attendais vraiment pas, en fait ...
-Tu pensais à quoi, un farfadet ? plaisanta Tonks avec un petit sourire. Oh arrête, on sait tous que ton accent irlandais, c'est juste pour frimer.
Les lèvres de Farhan tremblotèrent sans que jamais ne s'épanouisse totalement le sourire. Même lorsque le caracal lumineux s'estompa, ses yeux continuaient de fouiller la pièce comme s'il pouvait encore suivre son trajet des yeux. Joséphine envisagea d'aller à sa rencontre, mais finit par remarquer que Charlie avait la situation bien en main : le bras toujours passé derrière son épaule, il se pencha vers lui pour murmurer des paroles qui échappèrent à Joséphine, mais qui parurent atteindre Farhan. Ses yeux cessèrent enfin de contempler le vide pour se planter sur son meilleur ami, et sa mine impassible se fendilla pour laisser paraître un visage troublé et ému.
-Il y a un rapport avec ses parents ? devina alors Lauren avec empathie. Vraiment, le pauvre ...
-Cette histoire d'Obscurus ça fait froid dans le dos, avoua Tonks avec un frisson.
Elle s'était assise à même le sol, bien loin de ses grimoires et mangeait même l'un des sandwichs au corned-beef qu'avait ramené Charlie. Avant qu'elle n'engloutisse tout, Lauren se glissa elle aussi à terre et se servit dans le plat avant d'en tendre un à Joséphine. Assourdie par le bruit de ses propres mastications, elle entendit à peine Tonks renchérir :
-Ça lui donne une famille aussi sinistre que la mienne, c'est dire ... Je sais à quel point c'est lourd à porter. Les monstres dans la famille.
-Ce n'était pas un monstre, intervint Farhan avec froideur. Ma sœur était malade.
Le visage de Tonks se décomposa – sans doute avait-elle espéré qu'il soit encore trop troublé, trop occupé avec Charlie pour tendre l'oreille. Joséphine la contempla avec condescendance en secouant la tête et réalisa avec un demi-temps de retard que c'était exactement ainsi que la considérait Farhan dès qu'elle faisait quelque chose de stupide. Un sourire faillit ourler ses lèvres et elle le masqua dans une bouchée de sandwich.
-Pardon, toi tu as l'histoire sinistre et moi j'ai la famille sinistre, rectifia alors Tonks avec contrition.
-Ta famille n'a rien de sinistre, arrête ...
Farhan n'aurait pas dû se laisser tomber à côté de Tonks pour prendre un sandwich, car Joséphine la sentit prête à brandir sa baguette sur lui pour avoir laissé échapper une telle aberration. Faute de quoi, ce fut un index qu'elle planta sous le nez de Farhan :
-Ah oui, on compte ? Sans même parler de ceux qui sont à Azkaban, tu sais que la plus jeune sœur de ma mère est mariée à Lucius Malefoy, mônsieur Sang-Pur par excellence ?
-Oh ne me parle pas de cette ordure, réagit immédiatement Charlie, révulsé. Quand je travaillais avec mon père il ne se passait pas une semaine sans qu'on le croise qui pavanait comme un paon au milieu du Ministère à lécher les bottes des Ministres ... Si Bagnold l'envoyait sur les roses, j'ai l'impression que Fudge est nettement plus sensible à ses flatteries ...
-Sa famille était à son gala de Nouvel An, se souvint Joséphine, songeuse. Lili voulait y aller pour suivre son fiancé, mais mon père a refusé ... C'est un Mangmort, mais il a plaidé l'ensorcellement ... Imperium, vous voyez. On l'a cru sur parole ...
-Vous voulez dire qu'on a littéralement un Mangemort qui chuchote à l'oreille de notre Ministre ? résuma Lauren, stupéfaite.
La conclusion instilla un drôle de silence entre eux et ils s'entre-regardèrent, un peu inquiets. Dit comme ça, c'était d'une inconsidération folle de Fudge ... Dix ans après la guerre, faire entrer quelqu'un d'ouvertement suspecté dans son cercle, comme si rien ne s'était passé, comme si la souffrance et le deuil qui avait déchiré la Communauté Magique n'avait rien été ... La révolte gronda dans la poitrine de Joséphine.
-Vous voyez, c'est pour ça que je veux être Auror, éructa Tonks, dégoûtée. Quand je pense au nombre de gens qui me regardent avec condescendance et qui me disent « mais c'est fini, on ne retombera plus jamais comme il y a dix ans » « mais la guerre s'est refermée, tout ça ... ».
-Demande à Farhan si le chapitre est refermé ...
Joséphine regretta d'avoir laissé échapper ces mots au moment où Farhan se tendit comme un arc, l'air désagréablement étonné d'être ainsi pris en exemple. Malgré sa pertinence, Joséphine soupira et repoussa ses cheveux derrière son épaule.
-Pardon, je ne voulais pas...
-Non, tu as raison, c'est un fait, l'interrompit Farhan, un peu dépité. Ce ne sera jamais fini pour moi. Tous les jours, je penserais à ce que la guerre m'a pris, m'a arraché, ou m'a donné.
Joséphine serra les dents, un flot de vieilles interrogations au bord des lèvres. Toutes ces questions qui, à ses yeux, restaient en suspens et tous sauf elle avaient allégrement jeté dans la case des coïncidences. Les coïncidences n'existent pas. Si mon père m'a appris quelque chose c'est ça. Ça, et qu'un Abbot cache toujours son cœur. Dieu que ça avait été douloureux pour Joséphine d'obliger le sien à réintégrer sa poitrine ... Parfois, elle avait la sensation qu'il restait en résidence alternée et que parfois, il retournait se calfeutrer entre les pages rassurantes et protectrices de son journal intime.
-Mais je ne suis pas le seul, cela dit, ajouta Farhan avec un mortel sérieux. On des dizaines de gamins, orphelins de guerre, ou alors juste touché par un éclat, ou alors façonné. Regarde Tonks, toi aussi tu as pris une balle perdue, des années après quand cet article est sorti sur le lien entre ta mère et Bellatrix Lestrange, non ? Toi aussi ton passé t'est revenu en pleine face ?
Tonks papillonna des yeux, comme frappée par la foudre. Joséphine avait totalement oublié cet épisode : cette confidence en retenue avait été totalement balayée par la suite et n'était demeurée de cette conversation que l'acceptation de Joséphine de la nommer par son seul nom ... Pourtant, à la façon dont Tonks blêmit, se raidit et à la teinte sombre que pris ses cheveux, elle devina que la douleur du souvenir était tout aussi vivace qu'à l'époque.
-Tu n'as pas idée ..., souffla-t-elle. Ça a fait remonter ... tellement de chose ... tellement ...
-Tonks ... ?
L'inquiétude de Charlie était palpable, et pour cause, la jeune fille semblait presque au bord de la crise de panique. Des larmes étaient venues lui brouiller la vue, forçant Farhan à étendre le bras pour poser une main sur la sienne, totalement déconcerté.
-Désolé, je ne voulais pas ...
-Mais c'est vrai, toi aussi tu as raison, haleta Tonks en cillant pour refouler les larmes. Ça m'a broyé, cet article. Ça me broie toujours. Savoir quel sang coule dans mes veines, de quels actes ignobles ils sont coupables, ça me hantera toute ma vie ... Pourquoi je veux devenir Auror ? Est-ce que ce n'est pas une manière de compenser aussi face au destin ? De rattraper leurs conneries ? Alors que ... que ...
Sa main se serra sur sa poitrine, comme pour y contenir son cœur et pour la première fois de sa vie, Joséphine eut réellement de la peine pour Nymphadora Tonks. Sa colère contre sa famille l'avait atteinte plus rationnellement qu'émotionnellement pendant la retenue, son stress constant pendant les examens lui avait paru exagéré, mais cette fois Tonks semblait réellement vouloir s'arracher le cœur de la poitrine, expurger le mauvais de son sang avec cette main repliée comme une serre comme si elle pouvait pomper le poison. Et ça, Joséphine connaissait. Oui, elle connaissait tellement qu'elle ne put s'empêcher d'imiter le geste contre la table. Tonks parut brusquement réaliser l'inquiétude dont elle faisait l'objet car elle se força à rire pour libérer la pièce de sa tension et se saisit de la main de Farhan dans un geste qui se voulait rassurant.
-Désolée ... Ce n'est rien, c'est juste que ... avec tout ça, je me suis rappelée ... Pendant cette fameuse guerre, à quatre ans j'ai été enlevée ... j'ai peu de souvenir, pas grand-chose ... Juste que j'appelais mes parents, qu'il faisait noir ... C'est tellement diffus que j'ai fini par oublier ... Mais quand j'ai lu l'article, ça m'a percuté comme un cognard en pleine vitesse ...
-C'était ta tante ? devina Farhan dans un filet de voix.
-Qui ça pouvait être d'autre ? ricana amèrement Tonks. Je ne savais pas que c'était ma tante, ma mère me l'a toujours caché ... pour me préserver, je suppose ... C'est La Gazette qui m'a appris que j'étais apparentée à des monstres. Et là j'ai compris. J'ai compris ... j'étais la pomme pourrie de l'arbre des Black, celle qui fallait couper ... et qu'elle avait un jour tenter ...
-Tonks ..., souffla Lauren, estomaquée.
-Alors vraiment, pour en revenir à notre conversation avec les Détraqueurs, ils peuvent tous aller crever. Vraiment si je m'écoutais, j'enfermerais Malefoy et sa femme directement, sans procès.
-Non, tu ne le ferais pas, rétorqua Lauren avant de pousser un profond soupir. Moi je suis d'accord avec ce que disaient Jo et la sœur de Farhan. Ecoute, je ne sais pas trop le pourquoi du comment, mais tu sais, ma grand-mère a été enfermée deux ans à Azkaban pour de simples présomptions, quand ils ont donné les pleins pouvoirs aux Aurors – y compris celui de tirer à vue et de tuer ... Elle s'était retrouvée au mauvais endroit au mauvais moment, et elle n'a pas vu la lumière du jour pendant deux ans. Tout ça pour rien. Ça l'a brisé, d'accord ?
-C'est pour ça qu'ils ont été si laxistes une fois la guerre finie, ajouta Joséphine, avec en mémoire les nombreux débats qu'elle avait pu entendre à la table des Aurors. Parce que les dernières années ont été tellement dures qu'elles étaient injustes et que la priorité semblait d'être rétablir la justice ...
-Et aussi parce qu'à la mort de Vous-Savez-Qui, tout le monde était si content, si heureux ..., renchérit Charlie en hochant la tête. C'est ce que mes parents ont toujours dit ... Ma mère venait de perdre ses deux frères et pourtant elle voulait passer à autre chose. Je sais pas, on était petit ... mais vous vous souvenez, vous ?
Et ils hochèrent tous la tête à l'unisson. Oui, ils avaient eu sept ou huit ans, mais tout le monde avait un souvenir d'un moment de liesse au premier novembre, quand la bonne parole s'était rependue. Charlie devait avoir en tête les larmes de joies de ses parents, Lauren les feux d'artifices qui avaient éclairé le ciel Britannique, Farhan la foule qui avait joyeusement envahie le Chemin de Traverse ... Mais pour Joséphine, ce moment resterait pour toujours associée au visage fermé de son père qui, suivant les collègues qui venaient de le prévenir avait annoncé : « Teresa, je rentrerai tard. Ce n'est pas terminé. C'est même loin d'être terminé ».
Non. Pour Aloyssius Abbot non plus, ça ne s'était jamais terminé. Cette guerre aussi l'avait profondément marqué, comme la mort de sa mère. Il s'était donné corps et âme, avait vu la mort de si près, avait été touché par le deuil de ses collègues qui tombaient comme des mouches à ses côtés comme de sa famille et sa cousine préférée Marlène ... Joséphine n'avait jamais rien su d'elle, si ce n'était qu'elle avait assez compté pour son père pour que Bérénice porte son nom. Bérénice Marlène Abbot. Alors face à tout ça, la vision d'un Malefoy libre de tous mouvements devait lui laisser un goût de cendre et d'inachevé sur la langue. Et Farhan ... Ce regard, papa ...
-On voulait tous tourner la page et oublier dix ans d'horreur, conclut Charlie avec défaitisme. On s'est tous laissé emporter par la joie et l'espoir ... Alors on a fait de grands procès évidents ... Puis on s'est tous embrassés et on a laissé couler.
-Et maintenant on se retrouve de nouveau avec un Mangemort aux hautes sphères parce qu'on ne sait pas regarder notre passé dans les yeux, acheva Joséphine dans un souffle.
Elle sentit plus qu'elle ne vit le regard de Farhan qui glissa vers elle. Mais n'était-ce pas là le fond du problème ? Même son père y avait cédé. N'était-ce pas au nom du fait que la guerre était loin, terminée et qu'il était inutile de se torturer davantage qu'il s'était tu dans l'affaire de Farhan ? Leur vie était un véritable étang, avec leur eau clair et translucide mais qui dans ses profondeurs masquaient une vase poisseuse, âpre et couvrante. Personne en ce monde n'avait la moindre envie de remuer la vase et d'obscurcir leur précieux étang plein d'illusion. Même pas son père. Malgré sa verve et sa rancœur tenace envers les Mangemorts ... Joséphine n'avait pas souvenir qu'il ait tenté quoique ce soit pour renverser les choses. Pas une enquête, pas un dossier à charge. Rien. La prise de conscience de cette inactivité troubla Joséphine. Elle resta quelques secondes bloquée sur cette pensée jusqu'à ce qu'on vienne lui effleurer le bras.
-Hé ? Ça va mieux ta main ?
Joséphine sursauta face à Farhan et baissa les yeux sur sa main bandée après la morsure du lutin pendant son examen. Autour d'eux, le monde s'était remis à se mouvoir après leur lourde conversation. Tonks mangeait toujours, Charlie avec elle et Lauren s'était remise derrière ses livres, le visage fermé.
-Oui, je ne sens plus rien, affirma Joséphine avec un faible sourire. Quel dommage d'ailleurs, je n'aurais pas de vraie excuse pour rater l'Etude des runes ...
Elle hésita quelques secondes et son esprit quitta ses dernières réflexions pour remonter le court de la conversation jusqu'à son origine. Alors là, elle glissa sa main contre la joue de Farhan qui planta son regard dans le sien. Les éclats coupants du désarroi étaient perceptibles dans le fond de ses prunelles sombres.
-Et toi, ça va ?
-Tu demandes parce que mon patronus prend littéralement la forme de ma défunte mère ? ironisa Farhan avant de soupirer, résigné. C'est sans doute ma punition pour avoir mis tant de temps à m'intéresser à elle ...
-Ce n'est pas une punition ça, Farhan. C'est ton héritage.
Un petit ricanement s'échappa de ses lèvres et il couvrit la main de Joséphine de la sienne pour la presser un peu plus contre sa joue. Elle fut rassurée de voir un sourire plus sincère, plus naturel, fleurir sur ses lèvres.
-Charlie a dit presque la même chose mot pour mot. Ça commence à devenir inquiétant.
-Et bien au moins il ne te manquera qu'à moitié quand il sera en Roumanie, répliqua Joséphine avant de planter un bref baiser sur ses lèvres. Je dois y aller, l'épreuve va commencer ...
-Bon courage.
Joséphine roula des yeux avant de récupérer sa main et son sac. Ce n'était pas du courage qu'il lui faudrait, mais du talent. Et en cette matière, il était plus que limité. Qu'à cela ne tienne. Ce n'était pas sur les runes qu'elle comptait pour avoir un avenir.
Les encouragements l'accompagnèrent jusqu'à ce qu'elle ferme la porte derrière elle. Elle rejoignit les rares concernés par l'épreuve. Ils avaient été dix cette année dans le cours de Babbling et personne avec qui elle daignait adresser la parole. Il y avait même l'ex-petite-amie de Farhan, constata-t-elle, un peu surprise. Elle avait fini par imprimer le visage rond et souriant de cette Poufsouffle à force de la voir lui jeter des regards de travers. Même concernant les cinquième année qui passaient le même examen, elle ne remarqua aucun air familier. Bérénice avait décidé de prendre Divination. Divination. C'était bien là la première excentricité de sa sœur, réalisa Joséphine en sortant sa plume et son encrier sur table au premier rang, amusée. Peut-être même son premier acte rébellion. La tête de leur père lorsqu'elle lui avait annoncé ...
-Vous avez deux heures pour rendre votre traduction, annonça Flitwick depuis l'estrade. Les dictionnaires sont autorisés ; les baguettes, plumes auto-correctrices ou encore changeante ne le sont pas. Souvenez-vous : toute triche vous privera d'examen pour les cinq années avenirs ...
Le silence de plomb qui s'abattit sur la pièce ne rendit les pensées de Joséphine que plus fracassantes. Flitwick distribuait les sujets qu'elle songeait toujours à son père. Elle avait la sensation qu'on avait tracé ses traits dans les nuances d'ocres du parchemin, comme pour la hanter. Durant quelques secondes, elle tenta de s'intéresser à sa traduction, chercha quelques runes dans le dictionnaire, mais chaque fois des pensées diffuses venaient la déconcentrer. La conversation qu'ils venaient d'avoir tournait en boucle dans son esprit. Chaque mot décodé semblait y faire référence et venaient ensuite se tracer autour de la figure centrale que semblait être Aloyssius Abbot. Une telle obsession faillit donner envie à Joséphine de pleurer sur sa copie. De rage, de frustration. De douleur. Oui, il restait la meilleure personne capable de la faire souffrir, des années après.
Je ne suis pas entière, pas encore. Papa, tu es la seule chose que je n'ai pas encore réglée.
C'était un jour d'examen. Un jour où il fallait se dépasser, remplir ses objectifs pour mieux envisager l'avenir. Sortir en tremblant, donner ses tripes, tout. Au diable la traduction de rune : il était intolérable à Joséphine de sortir de Poudlard avec cette affreuse épée de Damoclès au-dessus de la tête, prête à la décapiter malgré tout ce qu'elle s'échinait à construire. D'une main qui tremblait, elle dégagea les quelques lignes de sa traduction, referma le dictionnaire, et attrapa plume et parchemin neuf.
Ce n'était plus un essaim d'abeilles, c'étaient des frelons qui la piquaient, l'importunaient, attiraient son attention d'une brûlante piqûre qui lui fit presque frapper son font dans la brûlure de la pensée lui semblait réelle. Il fallait absolument qu'elle trouve de l'ordre dans ce chaos. Ecrire, ça l'avait toujours aidé à mettre de l'ordre dans ce qu'elle avait de pire dans sa vie. Ça l'avait sauvé alors qu'elle s'était sentie au bord du gouffre. Personne ne l'écoutait, ne lui prêtait la moindre attention ? Très bien : Joséphine s'était créé un simulacre d'écoute à travers son journal. Ecrire, ça avait été exister à ses yeux. C'était la manière la plus saine qu'elle avait trouvé d'expurger le poison. Et Merlin qu'il y avait du poison à expurger ... Après des mots furieux, des pensées rangeuses et des explications diffuse, elle parvint à dégager trois axes aux pensées qui se bousculaient dans son esprit.
La première, c'était cette volonté hâtive de tourner la page de la guerre qui avait poussé la Communauté Magique à bâcler les procès et qui avaient laissé les criminels dans la rue. L'ivresse avait ses limites : pourquoi n'avoir jamais creusé les dossiers comme celui de Malefoy, dont la femme avait vu son cousin et sa sœur être confondus ? Corruption, naïveté, incompétence ?
La seconde, c'était de cet immense trou noir qui en découlait et qui créait dans leur société un véritable déficit d'identité qui se répercutaient sur des centaines d'individu à qui justice n'avait pas été rendu et qui les laissait avec cet immense vide au fond du cœur. Des personnes comme Farhan, dont l'histoire demeurait un labyrinthe parce qu'on avait rendu l'accès à l'information impossible. Pourquoi remuer la vase quand l'eau de l'étang était à présent si claire ?
Enfin, ajouta Joséphine en un troisième point rageur, celui qui l'obsédait, si bien que sa plume perça le parchemin, la responsabilité du Ministère jamais admise dans les blessures encore béantes qui ouvraient la Communauté. D'abord un manque flagrant de prise en compte de la menace qui avait permis aux forces de Celui-Dont-On-Ne-Doit-Pas-Prononcer-Le-Nom de prospérer pendant des années. Puis un volte-face sanglant qui avait littéralement déchiré la société : des innocents emprisonnés, des sorciers tués sans préavis, et des bévues, quelles bévues, combien de bévues ? Tu te sens coupable, papa. Pourquoi ? Qu'est-ce que tu as fait ? Pas juste ton travail, je ne peux pas le croire ... Qu'est-ce qu'on t'a demandé au La Mon House Hôtel ? Qu'est-ce qui t'empêche maintenant de rétablir la justice que tu aimes tant ?
La question permit rapidement à Joséphine de passer du plan au brouillon. Sa plume virevolta, elle demanda un excédent de parchemin et Flitwick lui jeta un regard incrédule en le lui remettant. Elle écrivit, ignora la brûlure qui rongeait ses muscles, la raideur qui s'éprenait de ses doigts, la douleur qui émanait de la morsure du lutin, réveillée par l'activité. A mesure que les mots jaillissaient et que l'encre noircissait son esprit, la révolte gonflait ses veines, une saine et pure révolte qui lui avait fait affirmer un jour que le rouge était sa couleur. Celle de la révolution. « Ton air bravade et frondeur, c'est une façade et on le sait tous les deux » avait rétorqué Farhan, un brin désabusé. « Et ce n'est clairement pas ta manière la plus saine de mener ta révolution ... ».
Il avait entièrement raison. Elle avait oublié que depuis toujours, c'était avec sa plume qu'elle s'exprimait le mieux.
Des comptes, monsieur le Ministre. Des comptes pour tous ceux qui ont été oubliés.
Le cri grandit dans son esprit et ce qui n'était d'abord qu'une organisation rageuse de ses pensées prit une nouvelle coloration. Joséphine contempla son œuvre encore inachevée, hébétée, avant d'ajouter quelques détails sur un coup de tête. Un titre. Une adresse. Des mots rajoutés, par-ci, par-là. Le cri du cœur prit une allure plus noble, l'opinion latente et officieuse une parure officielle. Et alors que la sonnerie tonna dans la Grande Salle pour annoncer la fin de l'épreuve, la vérité frappa Joséphine comme un coup de poing en plein ventre.
C'est bon. Très bon. Merlin ... ça peut donner quelque chose, pour de vrai. Une vraie chose.
-Abbot, c'est fini, lança Flitwick en passant à ses côtés. Votre copie, s'il vous plait ?
Joséphine contempla son professeur, totalement perdue. Elle avait toutes les peines du monde à sortir de sa bulle et de toutes les réflexions qui l'avaient animée durant les deux dernières heures, qui l'avaient totalement emportée, plus loin qu'elle ne l'aurait jamais imaginé. Elle en demeurait toute étourdie et il lui fallut quelques secondes avant d'articuler à Flitwick :
-Oh ... Attendez ...
Joséphine fouilla passivement ses nombreux parchemins et finit par trouver le début de sa traduction qu'elle confia à Flitwick. Les sourcils du professeur s'envolèrent lorsqu'il remarqua les maigres lignes qui tranchaient avec la blancheur du parchemin.
-Seulement ? s'étonna-t-il, stupéfait. Mais je ne vous ai pas vu lever le nez de l'épreuve ...
-Oui, assura distraitement Joséphine, déjà en train de rassembler les pensées couchées sur l'encre. Oui ... Au revoir, professeur.
Les parchemins pressés contre sa poitrine, elle planta Flitwick au milieu de la Grande Salle et suivit les rares élèves qui étaient restés jusqu'au bout de l'examen dehors. Emerger dans le Hall ne la fit pas émerger tout court : tout son être était tourné vers les mots tracés, ces parchemins contre lequel son cœur battait la chamade ... Elle n'avait pas fini. Elle était loin d'en avoir fini ... Les mots lui brûlaient les doigts, son sang n'appelaient qu'à devenir encre et à écrire, écrire toujours ce qui lui empoisonnait l'esprit ... Elle était si habitée qu'elle sursauta à peine en entendant son prénom :
-Jo ? Hé, Jo !
Il fallut qu'on lui fauche le coude pour qu'elle se retourne. Là, elle se retrouva comme dans un rêve avec l'une des personnes qui hantaient ses pensées depuis deux heures, sous-jacente. Oui, chaque mot elle l'avait tracé sous ce regard sombre et velouté, mais qui cette fois brillait d'une lueur surprise, pour ne pas dire choquée.
-Je ne t'attendais pas si tard, je pensais que tu partirais avant la fin ..., lança Farhan, un peu étonné. Ça ne va pas, c'était difficile ?
Une part d'elle fut touchée qu'il ait pris la peine de l'attendre, mais ce n'était qu'une goutte au milieu d'un océan où se mêlaient des courants d'exaspération et de crainte. Cette dernière la fit presser un peu plus ses parchemins contre elle. Merlin même si Farhan n'arrive pas à faire claquer cette bulle ... C'était qu'il y avait quelque chose à aller chercher. Oui, elle en était de plus en plus persuadée. En deux heures, l'hypothèse diffuse était devenue certitude.
-Non, ça va, bredouilla-t-elle. Enfin, si c'était difficile mais ... enfin, les runes quoi ...
Ses propos confus firent dresser les sourcils de Farhan et dans son regard qui se teintait de prudence, elle prit lentement conscience de son état. Elle devait avoir des taches d'encre sur les mains, les doigts. Ses cheveux attachés en une queue informe pour que ses longues mèches ne balaient pas ses mots. Elle tremblait. Oui, c'était presque comme si elle tremblait. Pour la première fois de la semaine, elle paraissait sortir de l'examen de sa vie, et elle n'en avait rendu que deux lignes. Un peu déconcertée par son propre état, elle posa une main sur l'épaule de Farhan. Très vite, le reste de son corps suivi : elle se retrouva plaquée contre lui, sa tête trop lourde pour ses cervicales nichée dans son cou. Les parchemins coincés entre eux lui brûlaient presque la peau. Un peu surpris, Farhan mit quelques secondes à refermer ses bras sur elle
-Qu'est-ce qui ne va pas ... ?
-Je veux que ça se finisse ..., avoua Joséphine dans un souffle.
-Les examens ? Il ne reste que deux jours. Enfin pour moi, toi tu n'as plus que demain ...
Les lèvres de Joséphine s'ouvrir pour rectifier, pour verbaliser le mal-être et la révolte qui tempêtaient en elle depuis quelques heures ... avant de brusquement de se refermer pour se pincer. Pas qu'elle doutait que Farhan comprenne ce qui pouvait la révulser ... mais elle savait d'abord et avant tout qu'il prendrait peur. Oui, ce feu ça le terrifierait, car après des mois dans l'obscurité, lui aussi avait renoncé à remuer la vase. Lui aussi voulait que le courant s'apaise et que l'eau redevienne claire. Jo, si tu veux régler tes comptes avec ton père, tu as mon entière bénédiction et tout mon soutien. Mais par pitié, ne me mêle pas à ça. Elle n'avait pas une seule fois écrit le nom de Farhan, ni même mentionné son histoire ... mais son combat transpirait littéralement dans l'encre.
L'idée de trahir sa promesse à Farhan la déchira littéralement de l'intérieur. Les pages pesèrent comme des pierres dans ses mains et pourtant ses bras trouvèrent la force de les garder contre son cœur. Et pour qu'ils trouvent une vigueur pareille, c'était que leur attachement devait être viscéral ... Ce n'est pas pour lui que j'ai écrit pour ça, réalisa-t-elle, le souffle coupé. Ce n'est même pas pour mon père au final ... C'est pour moi. C'est parce que j'ai besoin d'écrire mes révoltes et mes peurs. On doit regarder notre passé dans les yeux pour avancer. Des larmes virent lui brûler les yeux et elle pressa les paupières pour les refouler. Elle les prit comme un gage de sa profonde sincérité, de la pureté de ses intentions. Ce n'était pas trahir. Elle avait en avait besoin.
Terriblement besoin de faire un coup d'éclat pareil.
***
Même conscient de son trouble, Farhan connaissait ses limites et avait laissé Joséphine s'échapper dans sa tour. Là, elle avait achevé ce qu'elle appelait à présent sa lettre ouverte, l'avait corrigée, l'avait recopiée jusque tard dans la soirée malgré l'examen qui l'attendait le lendemain. Elle y songea durant toute la durée de l'épreuve théorique, les pages noircies la hantèrent pendant qu'elle attendait pour la pratique de Défense contre les Forces du mal et même pendant le repas qu'elle prit en compagnie de Maya le soir même. Elle laissa encore s'écouler une nuit, une ultime nuit et se réveilla aussi déterminée que la veille. La tempête s'était apaisée pour ne laisser qu'une glaçante détermination, calmée par des mots caressants qui venaient éteindre toute culpabilité.
J'en ai besoin.
Le Monde Magique en a besoin.
Il faut secouer tout ça. Eux, papa, eux. Tous. Tous méritent d'être secoués comme des pruniers.
Un grand coup de pied dans la fourmilière.
C'est bon. Je ne peux pas le laisser juste dans mes tiroirs.
Il faut que j'en fasse quelque chose.
Pour la première fois de ma vie, faire quelque chose de bien et d'utile.
Et si papa tu peux craquer en prime alors j'ai tout gagné.
Les mots l'accompagnèrent alors qu'elle montait à la volière, le soir du dernier jour des ASPIC. En bas c'était la liesse, car les jours de stress et d'angoissent s'achevaient enfin. L'avenir leur tendait les bras sous la forme de belles notes, d'un soleil de juin resplendissant et d'une divine promesse de quiétude. Joséphine caressa sa belle Athéna perchée à son bras, souriante. A sa patte était accrochée une épaisse liasse de parchemin qu'elle avait protégé d'un sort pour que les intempéries ne délavent pas ses mots. C'était plus subtile qu'une beuglante envoyée directement au bureau des Aurors. Plus incisif qu'un article de La Gazette. Plus ouvert que toutes les lettres qu'elle aurait pu envoyer à son père. Ça transperçait même ses plus traviales inspiration. Elle l'avait commencé en songeant à son père mais le résultat final le réduisait à l'état d'insecte dans sa vie. C'était une lettre pour le monde et pour elle.
C'était une entreprise solitaire. Un véritable coup de tête, les mêmes qui l'avait poussé à entrainer Farhan O'Neil dans la salle de bain des Gryffondor ou à voler la correspondance d'Ophélia. Un coup de tête qui se nourrissait de son désir ardent de se construire comme de sa profonde intuition. Souvent, cela avait donné quelque chose de bien, se souvint-t-elle, apaisée. A présent, Farhan et elles formaient un couple solide. Ophélia allait se marier. Et elle ... D'une impulsion, elle laissa Athéna prendre son envol dans les airs, son précieux chargement virevoltant derrière elle. Joséphine la contempla jusqu'à que ses plumes ocre et crèmes se fondent dans l'horizon, le cœur battant à tout rompre.
-Plus de retour en arrière, les dés sont jetés, conclut-t-elle face au vide. Alors papa ? Content que ta fille reprenne ton combat ?
***
Alooooors?
J'ai conscience que le chapitre était assez narratif et très plongé dans la psychée de Jo donc ça peut donner un rendu assez ... lourd? Déconcertant? J'ignore même, j'espère juste que j'ai réussi à rendre le tout plaisant !
Vous êtes peut-être un peu perdu.es sur les tenants et les aboutissants : c'est NORMAL ! C'est volontaire de ne pas être explicite sur les projets de Jo et de vous laisser un peu dans le flou ... jusqu'au prochain chapitre ! (qui, je l'espère, sera un vendredi !)
On se retrouve la semaine prochaine ! Profitez bien de la fin de vos vacances ! <3
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