Chapitre 44 : A l'amour comme à la guerre
Ladies, gentlemen and no-binary people, here I am !
J'espère que tout le monde va bien, que vous ne manquez pas trop de vitamine D (parce que mine de rien personnellement j'ai pas beaucoup aperçu le soleil depuis décembre) et que tout va bien dans vos vies !
CONSEIL LECTURE : j'ai lu toute la soirée hier Les grandes oubliées : pourquoi l'histoire a effacé les femmes de Titiou Lecocq. Bon c'est de la vulgarisation historique avec un ton qui s'adresse clairement à la jeunesse et quelques raccourcis mais c'était très intéressant de comprendre comment le processus patriarcal s'est mis en place, comment les libertés des femmes ont existé, puis reflués au fil des époques (vraiment rien n'est acquis, ça nous le prouve !), comment on a totalement invisibilisé leurs accomplissements, leurs œuvres et leur impact. Concis et très accessible, bourré d'anecdote et d'histoire inspirantes !
(En parallèle, la série Arte avec des vidéo de 5 minutes sur des femmes qu'on a oublié dans l'histoire, dont le travail a été revendiqué par les hommes ou effacé derrière eux).
CHAPITRE MAINTENANT.
Il faudrait vraiment que je me remette à l'écriture de LDP. Fin octobre j'avais 12 chapitres d'avances et je me suis dit "laaarge je peux écrire O&P". Yeah, sauf que depuis j'écris que O&P et maintenant j'ai en 7. Va falloir se bouger. MAIS O&P C'EST SI BIEN EN CE MOMENT ARGH. Je pense que je vais prendre le temps de finir ma phase, pour ne pas être frustrée.
Bonne lecture pour celui-ci, enjoy <3
***
Ce n'est pas le fait d'être aimé par quelqu'un qui guérit notre guerre civile intérieure, c'est d'être aimé par soi-même, s'accepter, de la racine à la cime.
- Placide Gaboury
***
Chapitre 44 : A l'amour comme à la guerre.
Jeudi 11 avril 1991
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
Je me sens comme une putain de reine
Et ça fait PLAISIR.
AAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAH
***
Elle était arrivée en furie, claquant les talons contre les marches avec détermination, investissant le salon comme si elle était chez elle. Elle était arrivée comme une reine dans son royaume, le menton relevé, les yeux étincelants, ses cheveux blonds soigneusement attachés en une queue-de-cheval presque martiale. Elle était arrivée avec un « Josie, aiguise tes couteaux, astique ta baguette et échauffe ta voix. La guerre est déclarée et tu seras ma lieutenante dans cette lutte ». Pour ensuite s'assoir à table comme si de rien n'était et étaler ses classeurs et échantillons de tissus au mépris des parchemins et grimoires qui couvraient déjà le plateau.
Oui, Ophélia Abbot était arrivée. Et face à une entrée si fracassante, Joséphine ne comprenait pas qu'on puisse la traiter de diva. Sa reine et son mentor en la matière s'était installée en face d'elle avant même qu'elle n'ait pu prononcer le moindre mot.
La scène était surréaliste, songea Joséphine tout du long alors qu'Ophélia lui présentait les différentes couleurs qu'elle envisageait pour elle et Bérénice, ignorant à côté d'elle un Farhan qui avait semblé trop déconcerté pour protester contre l'invasion de son appartement. La jeune fille étouffa un grognement. Depuis qu'elle était rentrée en Angleterre, elle prenait comme ses camarades sa part à la boutique de Nolan et le hasard (qui n'en était pas un si elle en croyait les sourires échangés par Lauren et Charlie) avait voulu que Farhan et elles se retrouvent ensemble pour les révisons de l'après-midi. Bien décidé à le faire craquer, elle avait vu tous ses espoirs se fracasser avec l'arrivée de sa sœur. Tentant d'ignorer la présence lourde de Farhan à côté d'elle, Joséphine se concentra sur les échantillons apportés par Ophélia. Les lunettes sur le nez, recroquevillé dans le morceau de table qu'Ophélia avait daigné lui laisser, Joséphine le voyait parfois réagir d'un sourire ou d'un haussement de sourcils à leurs délibérations.
-C'est joli ça, commenta-t-elle en saisissant un carré d'étoffe douce sous ses doigts.
-C'est du rose, constata Ophélia en fronçant du nez. Berry refusera, c'est une couleur de fille.
-Alors je dois vaincre ma haine du bleu mais elle ne doit pas faire d'effort ?
Ophélia l'avait supplié d'envisager cette couleur qu'elle honnissait pour l'avoir trop porté dans sa jeunesse et en la voyant prête à faire un carnage en cas de refus, Joséphine avait accepté de l'envisager en choisissant elle-même une teinte acceptable. La seule qui avait trouvé grâce à ses yeux était un bleu canard qui tendait vers le vert, mais Ophélia ne cessait de répéter qu'elle voulait des couleurs douces. Joséphine réprima un soupir exaspéré. Le doux ne me va pas.
Un sourire penaud retroussa les lèvres d'Ophélia et rangea soigneusement le carré de soie d'un rose qui tirait délicatement vers le rouge.
-D'accord, il y a un autre problème de taille avec le rose. Les couleurs de vos robes déterminent les couleurs du mariage et ... Cassius n'est pas fan non plus.
-Parce que c'est une couleur de fille ? devina Joséphine avec une pointe de sarcasme.
-Précisément. Oh regarde, c'est beau ça ! C'est un doré tout doux, Bérénice a porté une robe comme ça, vous seriez super mignonne dedans ...
-Très bien, accepta-t-elle avec un soupir. Ça fait trois couleurs, c'est assez non ?
-Une dernière ! Je vous connais toutes les deux, je préfère avoir plein de choix. Tu ne veux pas choisir une autre teinte de bleu ? Tu vois Berry porter quelque chose d'aussi fort ?
-Non, je veux celle-là ! Allez Lili, laisse-moi celle-là je serais super jolie dans cette couleur ! Et si je suis jolie, je serais heureuse. Et je suis heureuse alors ...
-Tu ne gâcheras pas mon mariage, j'ai compris, la coupa Ophélia d'un ton blasé. Va pour le bleu-canard.
Farhan lâcha un petit rire dans son poing et Joséphine le fusilla du regard, irritée. Vraiment la situation lui déplaisait au plus haut point, d'autant qu'elle savait qu'Ophélia était une bombe à retardement. Pour l'instant, les préparatifs des essayages l'occupaient tout entière, mais Joséphine sentait qu'au moindre instant, elle pouvait lui faire payer les lettres de Cassius qu'elle avait volé quelques années plus tôt.
-Bien, je pense qu'on a ce qu'il nous faut, conclut-t-elle avec un sourire soulagé. Je vais porter tout ça à Madame Guipure et sélectionner des robes pour vous ... ça va être un casse-tête, vous n'avez pas du tout la même morphologie avec Berry ... Dis-moi, est-ce que c'est à toi qu'elle a pris de la poitrine ? Je rêve ou tu es plus plate qu'à Noël ?
Joséphine plaqua une main désespérée sur son front, d'autant qu'à côté d'elle Farhan venait de se retrancher complètement derrière son livre de Potion et que sa réaction était inaccessible.
-C'est précisément pour ce genre de raison que je suis allée passer une semaine chez papy ...
-Oui, tu t'es planquée parce qu'on est une méchante famille et que tu as hâte de partir de la maison, on a bien compris. Dis-moi, dans tes valises tu ne pourrais pas prendre Buckingham ?
-Ton chat ? s'étonna Joséphine en baissant sa main, un peu surprise.
Ophélia hocha la tête d'un air impassible. Elle sortit sa baguette et d'un mouvement souple rangea tous ses préparatifs qui s'empilèrent soigneusement devant elle avant de s'entourer d'un beau ruban de soie.
-Oui, Cassius est allergique, je ne pourrais pas le prendre chez nous ...
-Mais tu adores ta boule de poils. Tu dors tout le temps avec.
-Oui bah maintenant ce serait malséant vu que j'aurais un mari dans mon lit ? rétorqua Ophélia en dressant les sourcils. Donc tu veux de Buckingham oui ou non ?
Joséphine secoua la tête, n'ayant pas la moindre envie de s'occuper de cette bestiole qui avait toujours feulé sur son passage et n'aimait que sa maîtresse, mais elle capta la déception qui brilla dans les yeux de sa sœur. Son émotion passa vite et elle rangea ses affaires dans un sac, le visage stoïque.
-Pas grave. Je crois que Mrs. Glenfyre a une nièce qui va rentrer à Poudlard, elle sera ravie d'avoir un chat pour lui tenir compagnie dans les dortoirs je pense ... (Elle passa sa cape à son cou et se munit de son chapeau de sorcière). Bon, Josie, ne sois pas en retard. Tu es mon lieutenant, je te rappelle. J'ai besoin de toi, de ton coup d'œil et de ta voix.
Elle se dirigea vers l'escalier et Joséphine commença tout juste à relâcher son souffle. Un peu trop tôt : la main sur la poignée, Ophélia se retourna vers eux, un sourire tordu sur ses lèvres parfaites.
-Oh et Farhan ? Ravie de t'avoir rencontré ! C'est agréable de mettre un visage sur un nom.
Là-dessus elle souffla un baiser à Joséphine, adressa un petit sourire satisfait à un Farhan déconcerté et dévala enfin les escaliers du même pas martial avec lequel elle les avait battus en arrivant. Résignée, Joséphine croisa les bras sur sa poitrine et se laissa aller au fond de sa chaise.
-Elle faiblit. Je ne sais pas si c'est parce que la mariage parasite ses pensées et donc son éloquence ou simplement parce qu'elle vieillit.
Farhan ne répondit pas, se contenta de la fixer quelques secondes, les sourcils dressés en partie dissimulée par les mèches noires qui lui tombaient sur le front. Joséphine leva les yeux au ciel.
-Oui, elle te connait. Elle a capté une lettre à Noël dernier, je crois. Et peut-être que Berry a laissé échapper quelque chose.
-Maudites petites sœurs.
Ils échangèrent un regard entendu. Ils n'avaient pas eu besoin de mot pour comprendre que Bérénice et Maya s'étaient arrangées pour les faire se retrouver à l'anniversaire de cette dernière. Ça leur ressemblait si peu à l'une et à l'autre de se mêler de ce genre d'affaire que Joséphine en avait été plus étonnée que furieuse, avant de se résigner. Bérénice et Maya fait mûres et détachées pour leur âge, mais ça ne les empêchait pas d'avoir des délires d'adolescentes.
-Pour l'instant c'est plutôt la grande mon problème, bougonna Joséphine.
-Ah, la grande. J'ai eu du mal à voir l'air de famille ... puis elle a ouvert la bouche et ça m'a sauté aux oreilles.
Joséphine ne put s'empêcher de le gratifier d'une tape sur le bras et il eut l'audace d'en rire. D'un geste automatique, il releva ses lunettes dans ses cheveux et la jeune fille réprima un sourire satisfait. S'il renonçait aux lunettes, c'était qu'il renonçait aux révisions ... Merlin que cela avait été frustrant d'être assise avec lui à le voir le nez dans ses grimoires sans daigner lever les yeux sur elle.
-Arrête, elle est pire que moi, se défendit-t-elle. Quand on était petite c'était elle la capricieuse, elle qui hurlait quand on ne faisait pas ses quatre volontés, elle qui remplissait la maison de cri. A l'adolescence elle s'est un peu calmée et j'ai trouvé la maison trop silencieuse alors j'ai pris le relai.
-Quelque chose me dit qu'elle va retrouver sa voix pendant les essayages.
-L'enjeu est de taille, assura Joséphine avec sérieux. Vraiment tu n'as pas vu ma famille avant la fête de fiançailles, c'était une horreur. Ma mère et celle de Cassius ont tout imposé à Lili alors qu'elle se faisait une joie de tout organiser. Même le choix de sa robe. Lili a beaucoup de goût, un style bien à elle et je pense que cette fois elle ne se laissera pas dicter les préparatifs. Et moi non plus par ailleurs parce que si je la laisse faire je vais me retrouver avec une robe à volant et à dentelle.
-Et bleue.
-Surtout bleue, oui !
Farhan émit un petit rire mais Joséphine peina à répondre à son hilarité. Normalement, elle appréciait plutôt se choisir des vêtements, notamment des belles tenues, des jolies robes qui la mettait en valeur et la rassurait avec son image, mais cette journée lui promettait l'enfer. Parce que ses goûts n'étaient pas ceux de sa famille, parce qu'Ophélia était à fleur de peau, parce que ce genre d'activité était le cauchemar de Bérénice et qu'elle n'y mettrait aucune volonté et parce qu'elle comptait bien sur ses parents pour mettre de l'huile sur le feu. Tout pour gâcher son plaisir, donc.
-Pauvre, pauvre Madame Guipure, se moqua Farhan. Je viendrai peut-être passer un coup d'œil pour voir si personne n'a succombé sur le champ de bataille ...
Joséphine haussa un sourcil suggestif et se rapprocha ostensiblement de Farhan en plantant son menton sur son poing, un sourire enjôleur aux lèvres. Le but n'était pas d'être subtile et il le comprit bien en secouant lentement la tête sans la quitter des yeux.
-Qu'est-ce que ça t'a mis en tête ?
-Je ne sais pas. Disons que je trouve un certain potentiel aux recoins d'une boutique et à l'intimité d'une cabine d'essayage ...
-Quel mot tu n'as pas compris dans « à la rentrée » ?
Joséphine se doutait de la réponse mais ne put s'empêcher de plisser les yeux, irritée par la touche de fierté et s'amusement qui luisait dans les prunelles sombres de Farhan. Comme si ce n'était pas assez, il avait fallu qu'il laisse pousser cette moustache de trois jours qui attirait sans cesse son regard sur ses lèvres. Oui, Farhan O'Neil avait véritablement décidé de tout mettre en œuvre pour la torturer, et même si elle savait le mériter, la frustration était grande. Aussi grande que sa joie. La rentrée était dans quatre jours et dans quatre jours ...
C'était beaucoup trop long, quatre jours. Elle se laissa aller contre sa chaise avec un grognement.
-Je te déteste.
-Moi aussi je t'ai détesté quand tu as fait exploser mon chaudron en début d'année, lui apprit Farhan avec une pointe dérision. De toute mon âme. Au moins on est quitte là-dessus.
Mais pas à l'infirmerie ? faillit demander Joséphine avant de se mordre l'intérieur de la joue. Elle doutait que ce soit le moment idéal pour rappeler qu'elle était responsable de la situation en l'ayant repoussé ... Je ne regrette pas, se répéta-t-elle résolument. J'avais besoin de ses semaines pour me concentrer sur moi. J'ai fait le bon choix. Merlin que c'était difficile d'y croire lorsqu'elle voyait parfois quelques bulles de rancœur exploser dans les iris de Farhan. Au fond, il avait peut-être besoin de cette semaine pour définitivement expier la colère.
Assez tendue par la situation, Joséphine décida assez subitement de ranger ses affaires. Elle ne révisait pas réellement, avait fini de rattraper les cours de Potion qu'elle avait raté ce trimestre – avec l'aide précieuse de Farhan, il fallait le dire – et si elle devait rester une minute de plus à contempler stérilement ce garçon, elle allait devenir folle. Farhan fut surpris de son mouvement soudain et lui jeta un regard déconcerté.
-Attends, tu y vas déjà ? Alors que ça va être la guerre ?
-Je suis intelligente, O'Neil. Je sais choisir mes batailles et reconnaître celles que je ne peux pas gagner. (Son sac à l'épaule, elle le gratifia d'un salut militaire). Bien joué soldat. A tout à l'heure – si je suis encore en vie.
-Oh j'en doute pas. Je mise même tout sur toi, Joséphine Abbot. Ne me déçois pas.
-Pff ...
Sans pouvoir s'en empêcher, elle le gratifia d'une tape dans l'épaule. Un contact qu'elle n'aurait jamais dû se permettre car immédiatement après, ses doigts se sentirent orphelins et elle accrocha le regard de Farhan où au fond brûlait la flamme qu'elle avait vu naître dans la salle de bain des Gryffondor. Une flamme qui réchauffait les braises depuis longtemps refroidie dans son ventre.
Brusquement compressée dans son propre corps, Joséphine se dépêcha de prendre la fuite, les mains crispées à sa lanière de sac. Elle prit à peine le temps de saluer Lauren qui tenait les comptes et Tonks qui travaillait dans la réserve et se dépêcha de sortir de la boutique, suffocante. L'air était frai et humide sur le Chemin de Traverse après une matinée où il avait plu à verse et lorsqu'elle entra dans la boutique de Madame Guipure de l'autre côté de la rue commerçante, elle respirait plus librement. De la brûlure soudaine et inattendue ne restait que des picotements agréables qui s'exprimèrent en ourlant ses lèvres d'un sourire. Il dura une demi-seconde, avant qu'elle ne croise le regard vert de son père. Aloyssius Abbot était assis sur l'un des fauteuils de velours qui ornait l'entrée de la boutique, un petit livre à couverture rigide à la main, visiblement préparer à passer la séance à donner son avis par monosyllabe. Haut de stature, cheveux châtains à peine grisonnant sur les tempes et coupés cours, la mâchoire carrée et les traits volontaires, Joséphine n'en revenait pas de tant lui ressembler physiquement. Seuls leurs yeux différaient : elle avait hérité du noisette maternel quand son père avait légué à Ophélia son vif regard vert.
-Bonjour, lança-t-elle à la volée.
Son père ne répondit que par un vague hochement de tête. Déjà son regard s'était désintéressé de sa personne pour scruter la boutique. Un réflexe d'Auror d'avoir les yeux littéralement partout et qui avait toujours somptueusement agacé Joséphine. Comment se sentir écoutée quand son propre père était incapable de la regarder ? Avant de laisser l'irritation monter en elle, Joséphine commença à partir vers l'arrière-salle de Madame Guipure qu'Ophélia avait privatisée pour les essayages. C'était sans compter la voix de son père qui la coupa net dans son élan :
-Josie.
Joséphine s'interrompit mais ne prit pas la peine de se retourner, hérissée par le surnom qu'il utilisait comme si cela pouvait lui ramener la gamine qui jouait aux échecs sur ses genoux, l'enfant sur laquelle il fondait tant d'espoir. Elle se contenta juste de tourner la tête d'un quart de tour pour signifier son attention. Du coin de l'œil, elle vit son père tourner une page.
-C'est un jour important pour ta sœur, un jour qu'elle est heureuse de passer avec Berry et toi. Je te saurais gré de ne pas gâcher son plaisir.
-Son plaisir ? répéta Joséphine, incrédule. Lili est au bord de la crise de nerf, je te mise même cinq Gallions qu'elle fond en larme avant la fin de la journée.
Mais son père parut prendre sa prédiction pour une menace et baissa son livre pour poser franchement les yeux sur elle. Le cœur de Joséphine remonta dans sa gorge et elle se dépêcha vers la pièce, plutôt que d'affronter son regard froid et scrutateur. Si c'était pour la toiser ainsi, qu'il continue à détourner les yeux.
L'accueil dans la belle pièce rectangulaire qui abritait les robes de soirées et de mariage de Madame Guipure ne fut pas plus chaleureux. Ophélia courrait dans tous les sens entre les rayonnages, suivie par un tournoiement de tulle et de soie qui lévitait dans son sillage, sous le regard blasé de Bérénice et les injonctions de sa mère de rester calme et de laisser faire Madame Guipure. Celle-ci remarqua Joséphine la première et lui jeta un regard où pointait une forme de désespoir. Farhan avait raison, pauvre, pauvre Madame Guipure. La journée promettait d'être interminable pour elle. La couturière s'éclaircit la gorge et entonna :
-Puisque la dernière est arrivée, je propose qu'on commence les essayages ? (Elle désigna à Joséphine les cabines fermées de lourds rideaux de velours qui longeaient le mur et faisait le lien entre les deux pièces de sa boutique). Votre sœur vous a proposé un large choix.
-Génial, couina Bérénice, mortifiée.
Elle entra dans sa cabine comme on montait à l'échafaud pendant qu'Ophélia distribuait ses dernières trouvailles, l'air dans tous ses états. Il fallut pour Joséphine littéralement la virer de sa cabine pour qu'elle daigne cesser et aller enfiler la robe de sa vie. La jeune fille referma le rideau derrière elle. L'espace était spacieux, mais sa sœur avait trouvé le moyen de la remplir d'une multitude d'étoffe colorées et chatoyante. Heureusement que les miroirs lévitaient pour éviter les tenues et Joséphine eut une vue prégnante sur son reflet blasé. Où était le beau sourire que Farhan avait su provoquer ?
Allez Jo, c'est le moment de retrouver un peu de confiance, se galvanisa-t-elle en essayant la première robe de la teinte dorée qui avait tapé dans l'œil d'Ophélia. Elle détesta l'effet sur sa peau pêche et ses cheveux cuivrés : elle avait la sensation d'être fade et unicolore. Pour la seconde couleur verte d'eau, c'était la coupe droite et les dentelles sur la poitrine qui ne la mettait pas en valeur. Le lilas n'était pas mal, admit-t-elle en s'examinant dans le miroir qui tournoyait autour d'elle. Ce n'était pas sa couleur, mais elle appréciait la sobriété du tissu, la découpe qui marquait sa taille par une ceinture argentée et le joli décolleté en V. Satisfaite à défaut d'être séduite, Joséphine sortit de sa cabine en même temps que Bérénice. Elle avait entendu sa sœur pester tout du long et Joséphine voyait maintenant des larmes briller dans ses yeux. Elle comprit en l'examinant. Le corps de Bérénice avait changé cette année avec la puberté et l'arrêt de sa croissance. Plus de courbe, de gorge et de hanche : c'était une jeune femme dans la robe dorée au col haut que lui avait trouvé Ophélia. Elle tira nerveusement sur le tissu, visiblement mal à l'aise.
-C'est horrible.
-Ce n'est pas le meilleur décolleté pour toi, admit Joséphine. Tu es trop enfermée, il faut un peu dégager la poitrine.
Horrifiée, Bérénice y croisa les bras dans un geste de repli et Joséphine soupira, un brin excédé.
-Un peu j'ai dit, promis on ne verra rien. Bon montre-moi ce que Lili t'a trouvé ...
-Rien de bien, maugréa Bérénice alors que Joséphine s'engouffrait dans sa cabine. Je te jure j'ai l'impression d'être juste ... moche, les unes après les autres, que rien ne me va. Non mais je rêve ! (Elle attrapa l'étiquette dans le dos de Joséphine). Mais je fais deux tailles au-dessus de toi ! Mais pourquoi, je suis plus petite !
-Mais tu as plus de hanche, rétorqua Joséphine avant de lire dans le regard épouvanté de sa sœur la dureté de sa réponse. Berry, écoute-moi ce n'est pas une critique et ça ne veut pas dire que tu es grosse. Ce n'est pas une question de poids, mais de morphologie. Ça veut dire qu'on n'a pas du tout la même, c'est tout. Ton corps n'est pas le mien et il a sa beauté singulière. Si l'univers avait été aimable, il aurait fait une moyenne de nos deux poitrines mais ce n'est pas le cas et on doit apprécier et valoriser ce qu'on a.
Avec un grand sourire, elle lui tendit la robe bleu canard. Bérénice avait encore les yeux humides et méfiants, une main contre son ventre mais attrapa tout de même le ceintre avec résignation. Joséphine sortit sa baguette et débarrassa l'espace des robes qui n'avaient pas été choisie qui allèrent soigneusement se ranger sur la penderie prévue à cet effet. Elle profitait de sa tranquillité pour examiner sa silhouette sur le grand miroir à pied de Madame Guipure quand la voix de sa mère jaillit de l'autre bout de la pièce :
-Venez ! Oh mon Dieu, venez tous ! Aloyssius, viens voir !
Bérénice jaillit de la cabine, encore en train d'ajuster la robe qui, pour le plus grand bonheur de Joséphine, lui allait à ravir. Un décolleté rond, des manches courtes qui couvraient élégamment ses épaules, et une coupe sobre et fluide plus adapté à son âge. Tout l'inverse d'Ophélia, constata-t-elle en arrivant au centre de la pièce, les yeux écarquillés. Elle avait beau s'y attendre, la vision de sa sœur si raffinée dans cette robe somptueuse, mais surchargée de pierreries et d'étoffe aux longues manches qui se terminaient aux gants en dentelle et la jupe si ample qu'elle semblait venir d'un autre temps lui coupait les pattes. Et en plus d'être longue, les manches étaient bouffantes. Mais en quel siècle on est ?
Ophélia avait le visage étrangement figé pour la femme qui se voyait pour la première fois dans la robe de sa vie. Autour d'elle, leur mère pépiait, les yeux brillants et Madame Guipure s'occupait des ajustements.
-Tu es magnifique ! assura Teresa d'un ton ému. Mille gargouilles, ma mère sera si heureuse de te voir remonter l'allée dans sa robe ...
-Elle m'a dit qu'elle ne m'irait jamais aussi bien qu'à elle ...
-Et tu vois qu'elle a tort ! (Elle se tourna vers le reste de sa famille avec un grand sourire). Alors, qu'est-ce que vous en dites ?
Pour la première fois depuis longtemps, Joséphine put dire qu'elle était sur la même longueur d'onde que son père. Le regard qu'ils échangèrent par-dessus la tête de Bérénice ne trompait pas et leur ressemblance devait être exacerbée par leur identique mine prudente.
-C'était plus adapté pour le siècle dernier, souffla-t-elle à voix basse.
-Si Lili aime ..., répondit Bérénice avant de s'éclaircir la voix. Et au fait, pourquoi tu n'as pas essayé celle de grand-mère Odélia ?
Les traits d'Aloyssius se crispèrent à la mention de sa mère, cette femme morte pour lui donner la vie et dont il ne connaissait que le souvenir. Teresa, occupée à déployer les différentes couches de tulle autour d'Ophélia, répondit distraitement :
-Elle est morte, ma chérie, ce serait un bien sinistre hommage ... En plus vous ne l'avez pas connue, ça n'aurait pas de sens.
-Ça aurait fait plaisir à papy, objecta Joséphine.
Veuf depuis longtemps, elle l'avait pensé habituer à sa condition jusqu'à qu'elle voit son regard se voiler lorsqu'il avait contemplé la photo de sa défunte femme accroché au mur de sa demeure des Highlands. Une belle photo d'Odelia McCallum avec sa tenue des Pies de Montrose et le vif d'or dans le poing. Joséphine aussi l'avait longuement observé en espérant absorber le quart de la belle joie de vivre et lumière intérieure de sa grand-mère.
-C'est à Lili de choisir la robe qu'elle souhaite porter, intervint leur père d'un ton froid. Et si c'est celle de votre grand-mère Melinda, ainsi soit-il ...
-Exactement, enchérit leur mère avec satisfaction. Merci, mon amour... Viens, on va voir pour toi pendant que Madame Guipure s'occupe de Lili ... Oh ma chérie (elle couvrit sa main de sa bouche). Comme tu es belle ...
Joséphine se retint de toutes ses forces de lever les yeux au ciel face à l'émotion exagérée de sa mère. Elle savait bien qu'Ophélia était son plus bel accomplissement, l'aboutissement de son éducation liée à la réussite en tant que femme, mais trouver la jeune fille noyée au milieu d'une blancheur surchargée magnifique tenait de l'aveuglement. La robe existait, mais au prix de la mariée qui se retrouvait effacé derrière l'éclat des pierreries et la délicatesse de la dentelle. Ses parents passèrent dans la salle d'à côté, laissant les trois sœurs seules à s'observer dans les miroirs qui flottaient partout autour d'elle. Sans prendre compte de Madame Guipure qui retouchait la robe, des aiguilles dans la bouche et sa baguette dans les mains, Ophélia descendit du tabouret. Son beau visage semblait être gravé dans le marbre.
-Voilà, lâcha-t-elle d'une voix pleine de dépit avant de porter son attention sur ses sœurs. Et vous, qu'est-ce que ça donne ?
Je réajuste mon pari, songea Joséphine face à la posture raide de son aînée. La moindre contrariété serait certainement propice à la faire fondre en larme, aussi préféra-t-elle exécuter une révérence qu'elle espérait pas trop moqueuse.
-Juge par toi-même.
-Je suis agréablement surprise par celle-ci, admit Bérénice en se contemplant dans un miroir. En tout cas c'est celle dans laquelle je me sens le mieux ...
-Ah, ah ! Je t'avais dit que le bleu canard ferait des miracles !
Ophélia observa Bérénice de son œil critique à qui rien n'échappait, replaça tendrement une mèche cuivrée derrière son oreille. La raideur de sa démarche semblait aussi tenir de la structure rigide de la robe, constata Joséphine en la voyant évoluer dans la pièce. Lorsqu'elle se retourna, ses arceaux faillirent renverser Bérénice.
-Tu as raison. Tu as raison, tu as raison, raison sur toute la ligne tu as toujours raison, je devrais le savoir à force ... Ce bleu-là vous va à ravir, et cette robe est d'un autre siècle. (Elle prit une profonde inspiration et joignit sagement ses mains devant elle). Mes sœurs, il est hors de question que je marie dans une robe qui m'empêche de respirer et qui en plus m'étouffe totalement. Trouvez-moi une autre robe avant que je ne fasse un massacre dans cette boutique.
-Nous ? douta Bérénice, désappointée.
-Oui, maman va m'avoir à la trace, mais vous vous êtes libres et j'ai une confiance aveugle en l'œil de Josie et en toi pour la contrôler un peu. Pitié, aidez-moi. (Elle retira une épingle de son buste). Désolée Madame Guipure, je sais les efforts que vous avez dû faire ...
-C'est votre mariage, miss Ophélia, lança la couturière avec douceur. Et vos parents l'ont dit ... C'est votre avis qui importe. Et si vous voulez le mien, je vote pour la solution qui ne finit pas en massacre de mon commerce.
Un sourire tremblant s'étala sur les lèvres d'Ophélia et elle supplia ses sœurs du regard. Il n'en fallut pas plus pour Joséphine : ni une, ni deux, elle avait attrapé le bras de Bérénice avec un grand sourire.
-Promis Colonel, on ne te décevra pas ! Sergent, au rapport nous avons une mission !
-Non mais sérieux ! protesta Bérénice en se laissant entrainer dans les rayonnages.
Un rire s'échappa de la gorge de Joséphine, jouissif et enjoué. Là, sa journée commençait véritablement à briller. La timide rébellion d'Ophélia devait jouer sur son humeur ... Elle tapa des mains avec impatience lorsqu'elle trouva les penderies réservées aux robes de mariée, deux rayonnages immaculés faits de tulles et de soie, plus hauts qu'elle sur des ceintres de velours. Les yeux de Bérénice s'étaient écarquillés.
-Je ne sais pas si ça m'angoisse ou si ça me fascine.
-Les deux sont liés. Allez Berry, vite avant que maman ne revienne !
Un lent sourire naquit sur les lèvres de Bérénice, marquant par là-même son excitation. Quelque part, Joséphine savait qu'elle se sentait comme elle flattée de la confiance de leur sœur et elle se dépêchèrent d'accéder à ses demandes. Ophélia faisait de son physique une fierté : hors de question que la robe lui vole la vedette. Non, sa tenue devant la sublimer, la mettre en valeur, elle et son corps de rêve et là-dessus Bérénice vit juste avec de robe simple bustier en fourreau avec une jolie traine, que Joséphine agrémenta d'une seconde à la jupe plus fluide mais au haut finement ouvragé qui devrait ravir l'œil gourmant d'Ophélia. Elles retournèrent les deux rayons, se nichant entre les robes pour vérifier les tailles ou les détails inaccessibles et se cachant même au cœur des étoffes lorsque leur mère passa devant elles. Suite à cela, Bérénice se dépêcha d'apporter leur première sélection à Ophélia pendant que Joséphine continuait les recherches. Elle avait la sensation de chercher un trésor, d'avoir le bonheur de sa sœur entre ses mains. De l'importance. Oui, c'était agréable de se sentir estimée.
Elle repéra une autre robe qu'elle imaginait à merveille sur le corps de sa sœur et s'infiltra entre les tulles pour atteindre le ceintre et vérifier la taille. Hissée sur la pointe des pieds, elle faillit trébucher et se retenir à la robe lorsqu'elle entendit une voix fuser de l'autre côté du mur d'étoffe :
-Qu'est-ce que tu fiches ici, toi ?
C'était Madame Guipure, reconnut-t-elle, le cœur battant à tout rompre. Certaine qu'elle s'adressait à elle, mais un peu surprise par le ton familier, Joséphine faillit sortir lorsqu'une autre voix répondit :
-Je suis venu voir s'il n'y avait pas des morts. Il parait qu'il y avait un risque que les essayages se transforment en carnage ...
Un sourire retroussa les lèvres de Joséphine et elle y planta ses dents pour le contenir. Mais il est vraiment venu ... Derrière les robes, Madame Guipure gloussa.
-Ah ça ! La mariée prépare un coup qui ne risque pas de plaire à la mère, c'est clair qu'il risque d'y avoir un meurtre ... Il y a quelqu'un que je dois protéger pour tes beaux yeux ?
-Ne t'en fais pas, elle sait se défendre toute seule. Tu viens avec moi voir papa ce soir, à Ste-Mangouste ?
Ça, c'était une information dont Joséphine ne se remettait pas. Il avait fallu que Farhan lui répète plusieurs fois pour qu'elle intègre que Nolan vivant depuis plusieurs années un amour clandestin avec Madame Guipure. Des deux côtés du Chemin de Traverse, les deux commerçants avaient fait parti du paysage de Joséphine depuis sa jeunesse sans qu'elle ne parvienne à les relier. Pour elle, ils étaient trop ancrés dans le paysage de leur boutique pour imaginer que l'un puisse traverser la rue.
Ils discutaient des modalités du rendez-vous de ce soir et Joséphine commençait à envisager de sortir de sa cachette lorsque les voix s'éteignirent soudain, si brusquement que la jeune fille s'inquiéta. Avec prudente, elle écarta deux pans de tulle pour apercevoir le chignon gris de Madame Guipure et le profil de Farhan qui se découpait nettement des tissus ivoires derrière lui. Complètement figé, les lunettes sur la tête et les mains dans les poches, il fixait d'un air étrange un point qui était inaccessible à Joséphine. Intriguée, elle se décala pour découvrir ce qui troublait ainsi Farhan et se figea également.
Nulle autre que son père.
Son souffle se coinça dans sa poitrine lorsqu'elle remarqua qu'Aloyssius Abbot renvoyait littéralement son regard à Farhan. Loin de se mouvoir comme à leur habitude, ses yeux s'étaient fixés sur son visage, étincelants malgré un visage impassible.
-Mr. Abbot, entonna Madame Guipure, visiblement penaude. Je retourne auprès de votre fille, je réglais juste ...
-Ne vous excusez pas de vous inquiéter pour l'un de vos proches, madame, la rassura Aloyssius en inclinant la tête.
Son attention dévia une demi-seconde de Farhan, lui ne le lâchait toujours pas des yeux, silencieux, cillant à peine. Joséphine ferma son poing contre sa gorge, nerveuse. Farhan l'avait habituée aux réactions mutiques, mais pas accompagnées de cette expression troublée proche de la paralysie.
-Merci de comprendre, poursuivit Madame Guipure, un peu perplexe. Euh ... son père est à l'hôpital, je garde un œil sur lui vous comprenez ...
-Nolan O'Neil est à l'hôpital ?
Joséphine haussa les sourcils en même temps que Farhan, et Madame Guipure entrouvrit légèrement la bouche, prise de court. Aloyssius baissa le regard et fit un vague geste d'excuse de la main.
-Pardon, excusez-moi ... (il s'adressa à Farhan, le gratifiant d'un regard moins appuyé et étrangement doux). Je suis l'Auror qui ...
-Je sais.
Bien sûr qu'il le sait. Ça transpirait dans son attitude, dans la façon dont il dévisageait Aloyssius Abbot comme si l'un de ses cauchemars s'était matérialisé devant ses yeux. Il s'en souvenait, exactement comme il se souvenait de Shahrazade ou des murs qui tremblaient. En revanche, son père parut presque déconcerté de l'affirmation ferme de Farhan et haussa un sourcil.
-Mon père m'a parlé de vous, ajouta Farhan avec un aplomb qui ne se reflétait pas sur son visage. De l'Auror qui l'a pris par le col et a douté de sa capacité à élever seul un enfant.
-Farhan O'Neil, tu me vends du rêve, là, murmura Joséphine alors que l'expression de son père s'assombrissait.
-J'avais toutes les raisons d'être inquiet à l'époque, se défendit Aloyssius d'un ton plus froid. Un homme célibataire qui veut s'occuper d'un garçon de cinq ans qui ne parle même pas anglais ...
-Vous vous en souvenez.
La note de reproche délicate dans la voix de Farhan vint verbaliser celle que Joséphine devait contenir. Je le savais, était ce qu'elle se répétait en boucle. Elle savait que son père avait un cœur caché quelque part, et que l'existence de ce cœur faisait qu'il ne pouvait pas oublier qu'il avait failli laisser mourir un garçon de cinq ans. Un garçon de l'âge de sa fille. Pourquoi avoir prétendu le contraire quand Bérénice l'avait interrogé sur l'attaque du La Mon House Hôtel ? Aloyssius cilla. Son visage était toujours de marbre, mais ses yeux avaient du mal à rester inexpressifs. De sa cachette, Joséphine lisait l'ombre d'une nostalgie au fond de ses prunelles vertes.
-Bien sûr que je me souviens ..., souffla-t-il. On se souvient toujours des affaires qui impliquent des enfants ... Surtout quand ils ne parlent pas un mot de notre langue, c'était plutôt inhabituel.
Mais c'était réellement un sourire qui était en train de s'étirer sur les lèvres de son père, constata Joséphine, estomaquée. Tenu et incertain, mais elle ne pouvait ignorer la façon dont la commissure de ses lèvres s'élevait.
-Et je dois admettre que c'est un drôle d'effet d'avoir le souvenir d'un gamin qui babillait arabe et d'avoir en face de moi un jeune homme avec un accent irlandais. O'Neil a opéré une drôle de métamorphose ... Passez-lui mes sincères respects et espoirs de rétablissement. Un homme courageux, votre père. Je n'ai pas eu l'occasion de lui dire à l'époque ... Mais il faut du cran et du cœur pour se jeter dans un hôtel en flamme. Même pour sauver un enfant.
La pomme d'Adam de Farhan joua contre sa gorge et inclina doucement la tête. Joséphine observait la scène, étrangère, incapable de reconnaître ses deux personnes pourtant si familières. Ils vivaient un souvenir commun duquel elle était absente, s'exportaient dans un autre monde. L'instant aurait pu être beau quand ils échangèrent un regard devant lequel Joséphine eut la certitude que son père revoyait le petit garçon de cinq ans sauvé des flammes ... si sa mère n'avait pas choisi ce moment pour hurler :
-Lili mais pourquoi ? Tu étais magnifique je ne comprends pas pourquoi tu veux changer ! Qui t'a mis ça dans la tête ? C'est Josie, c'est ça, elle a dit quelque chose contre ta robe ? Lili, parle-moi !
-Mr. Abbot nous ferions mieux d'y retourner, proposa Madame Guipure avec résignation. Avant qu'il y ait un accident ...
-Vous avez raison ... (Aloyssius adressa un dernier bref sourire à Farhan). Je suis heureux que tu ailles bien ... qu'O'Neil se soit bien occupé de toi.
-Oh plus que bien, renchérit Madame Guipure. Nolan a été un père formidable.
-Je suis ravi de m'être trompé, alors.
PARDON ?! Joséphine fut si suffoquée de l'affirmation qu'elle fit obligée de plaquer une main contre sa bouche. Son père partageait ce trait de caractère avec Bérénice : il ne supportait d'être contredit. D'où venait cette soudaine humilité ? Elle rongea son frein jusqu'à ce que Madame Guipure et son père disparaissent pour rejoindre les cris qui se faisaient plus sonores du côté de la pièce de la mariée. Dès leur départ, les épaules de Farhan s'affaissèrent et il se prit la tête entre les mains. Cela expliqua certainement le bond qu'il fit lorsque Joséphine émergea des robes avec un rageur :
-Mais il se fiche du monde ?!
-Bon sang, Jo ! se récria Farhan, les deux mains sur le cœur. Mais ça ne va pas ?! D'où tu sors ?!
-Je cherchais une robe pour ma sœur ... Mais quel enfoiré ! Il a soutenu deux fois à Berry qu'il ne se souvenait pas du La Mon House Hôtel ! Je savais, je savais qu'il devait s'en souvenir, que ce n'était pas une histoire qu'il devait oublier, mais quel immonde petit ...
Elle s'interrompit brusquement en remarquant que Farhan ne se remettait pas vraiment de sa frayeur. Au contraire, son souffle continuait de se raccourcir de façon chaotique et il se tenait les côtes d'une main. Les grandes inspirations qu'il tentait de s'insuffler finissait toujours par dérailler. La colère de Joséphine fondit dans sa gorge et elle la ravala pour saisir le bras de Farhan, inquiète.
-Hé ... ça va ?
-Pas vraiment, répondit sèchement Farhan en rejetant sa tête en arrière. Nom d'un Farfadet ...
-Josie !
-Merde !
Le juron eut pour mérite d'arracher un rire étranglé à Farhan. Peu désireuse de le laisser dans cet état et encore moins de se retrouver face à sa mère en furie qui allait trouver le moyen de la taxer de tous les maux du monde, Joséphine prit la main de Farhan et l'emmena avec elle. Elle ne sut réellement ce qui la troubla le plus : le fait qu'il se laissa faire, ou la pression presque douloureuse qu'il exerça sur ses doigts. Une chape de plomb d'abattit sur ses épaules en même temps qu'un vieux doute s'instillait en elle comme un serpent de mer. Est-ce que je serais assez forte pour le porter s'il le faut ? C'était ce dont elle s'était sentie incapable lorsqu'il était venu la voir à l'infirmerie, une des raisons qui l'avait fait angoisser et celle qui s'était le moins gommée. Si elle doutait de sa capacité, sa volonté, elle, ne faisait aucun doute, elle venait une nouvelle fois de le prouver. Peut-être était-ce là l'essentiel ... Elle voulait être là pour lui. Pas pour son histoire, pas pour son mystère. Pour lui.
Faute de mieux, Joséphine le guida jusqu'à sa cabine et referma précipitamment les rideaux derrière elle avant de débarrasser le fauteuil installé dans un coin de toutes les robes qu'elle avait essayé. Farhan s'y laissa tomber immédiatement, la respiration lourde et erratique, le visage entre les mains, les épaules voûtées. Joséphine n'eut pas le temps d'esquisser le moindre geste que derrière la voix de sa mère s'égosillait :
-Josie !
-Je me change ! hurla-t-elle en retour, d'une octave plus forte.
La jeune fille attendit, les doigts crispés sur les rideaux au cas où sa mère tenterait de forcer le passage, mais elle se contenta de pester copieusement. Joséphine poussa un soupir de soulagement lorsqu'elle entendit les pas de Teresa s'éloigner jusqu'à complètement s'estomper. Elle adressa un petit sourire à Farhan.
-Il va falloir que je justifie mon mensonge, à un moment.
Mais le trait d'esprit passa complètement a par-dessus de Farhan qui resta prostré sur le fauteuil, les mains à présent déportées sur son crâne. Soucieuse, Joséphine abandonna l'humour pour s'accroupir à côté de lui, malgré sa belle robe et celles qui tapissaient le sol comme des nuages de soie et de dentelle. Avec douceur, elle lui attrapa une main pour qu'il cesse de martyriser sa peau. Elle fut atterrée de constater qu'il avait planté ses ongles dans sa nuque.
-Calme-toi, lui enjoignit-t-elle, un peu dépassée. Souffle. Dis-moi ce qui se passe ...
-Je me souviens de lui.
La détresse et l'irritation se mélangeaient dans la voix de Farhan. Joséphine hocha la tête, néanmoins un peu perplexe.
-Oui, j'avais remarqué ... Cela dit, mon père n'est pas un homme qu'on oublie facilement.
-Non, tu ne comprends pas. (Il redressa un peu la tête pour planter son regard dans celui de Joséphine. Pas de larme, juste un profond désarroi). Ça fait des mois que je m'interroge sur ma mémoire, sur ce que je dois me souvenir ou non de mes jeunes années. Visiblement peu de chose parce que j'ai réussi à oublier non pas une, mais deux sœurs, en plus d'une mère qui se transformait en caracal. Mais par contre je me souviens de ton père que j'ai croisé une dizaine de minutes à cinq ans ?!
Farhan passa nerveusement sa main libre dans ses cheveux et par conséquent fit tomber ses lunettes sur l'amas de robe. Il en faisait visiblement peu état : il était trop occupé à écraser les phalanges de Joséphine.
-Vraiment, ça a été ... instantanée. Dès que j'ai croisé son regard, j'ai eu un flash, ça a fusé dans ma tête ... Et tout s'est remis à trembler ...
-Rien ne tremble, rectifia Joséphine avec fermeté avant de poser une main sur sa joue. Regarde-moi. Tu es en sécurité, d'accord ?
Farhan sembla s'accrocher à ce contact visuel comme il s'accrochait à sa main et finit par lentement acquiescer. La détresse semblait lentement se muer en grande lassitude et Joséphine encouragea ce changement par de petites caresses, timides, du bout des doigts. Elle les fit courir sur sa joue, sa tempe, effleura ses mèches soyeuses et Farhan finit par fermer les yeux, de moins en moins tendu.
-Pourquoi je me souviens de lui et pas d'elles ... ?
Joséphine ne sut réellement qui de Maya, Shahrazade ou Sirine se cachait derrière le « elles » mais elle ne trouva momentanément rien à répondre à la question désespérée de Farhan. Il se battait contre sa mémoire depuis le début de cette histoire, mais pouvait-on vraiment se fier à des souvenirs d'un enfant de cinq ans ? Sans cesser ses caresses, elle se remémora le court des événements et la réponse lui vint comme un éclair déchirant l'orage.
-Il a lu tes pensées.
Les yeux de Farhan se rouvrirent, intrigués. Joséphine sourit, fière d'avoir trouvé cet élément rationnel.
-Il a lu dans tes pensées. Pour certains, il est préférable d'avoir un contact visuel, plutôt long et intense. Il fouillait ton esprit et pendant ce temps-là la seule chose que tu voyais, c'était son regard. On parle d'un acte magique, à un moment où tu devais désespérément t'accrocher à quelque chose. Pas étonnant qu'il se soit imprimé quelque part.
L'explication parut apaiser Farhan dont la ligne des épaules s'affaissa. La prise sur la main de Joséphine se fit plus légère également et il commença même à balayer doucement la peau de son pouce en des gestes réguliers qui s'harmonisaient avec son souffle. Joséphine se fendit d'un dernier sourire rassurant et abaissa sa main à regret.
-Bon, je vais vraiment devoir aller me changer maintenant, j'ai une dernière robe à essayer. Tu peux rester, mais il va falloir fermer les yeux, O'Neil.
-Tu es au courant que je t'ai déjà vu comme ça ? fit-il remarquer avec un petit rire.
Oui, elle voyait littéralement le souvenir défiler dans l'éclat de ses prunelles et cela fit naître une rougeur sur ses joues. Elle détourna les yeux et joua négligemment avec ses doigts, un petit sourire aux lèvres. Recréer la situation de la salle de bain de Gryffondor le ferait-il craquer... ? Finalement elle fit volte-face et lâcha sa main avec hauteur.
-On a dit « la rentrée », O'Neil. Alors tu vas attendre tes quatre jours avant d'avoir ce privilège. Ferme les yeux.
-C'est de bonne guerre, concéda Farhan en s'exécutant docilement.
Il rejeta la tête en arrière et s'enfonça dans le fauteuil. Les traits enfin détendus, il paraissait presque somnoler et Joséphine le contempla encore quelques secondes avant de défaire sa robe lilas. La simple présence aveugle de Farhan derrière elle accélérait considérablement son rythme cardiaque et elle put s'empêcher de lui tourner pudiquement le dos en se retrouvant en culotte dans la cabine. Elle resta quelques secondes ainsi, presque nue sous la belle lumière avec les miroirs qui lui revoyait son reflet sous tous les angles, sonda ses sensations, de son cœur qui battait la chamade à la douce chaleur qui s'était glissée au creux son ventre. Son corps n'était pas cassé, réalisa-t-elle, profondément soulagée. Ses dernières semaines n'avaient été qu'une douloureuse épreuve pour lui. Et quelque part, cela prouvait toute la confiance inébranlable qu'elle avait en Farhan. Pas une seconde elle avait hésité à se dénuder. Pas une seule seconde elle avait douté qu'il ouvrirait les yeux.
Un peu fébrile, elle rajusta ses cheveux pour qu'ils couvrent sa poitrine et défit patiemment la robe du ceintre. Derrière elle, Farhan s'agita.
-Au fait, qu'est-ce que tu disais ... ?
-Quand ?
-Quand tu es sortie des robes. Sur ton père.
-Oh ... (Elle fit couler le tissu fluide de la robe entre ses mains). Que c'était un salaud. Que je ne comprends pourquoi il a menti à Berry ... Ce n'est pas juste qu'il s'en souvenait. Ça l'a marqué. Comment il te regardait ...
Elle se mordit la lèvre inférieure. Farhan ne pouvait sans doute pas comprendre, mais c'était peut-être ce qui l'avait le plus déstabiliser dans la réaction de son père. Il avait dévisagé Farhan, l'avait scruté de ses yeux verts, avait posé les yeux sur sa personne plus longtemps qu'il ne l'avait jamais fait sur sa fille.
-Peut-être qu'il a une grosse conscience professionnelle et qu'il ne voulait pas discuter avec sa fille d'une affaire qui ne la concernait absolument pas, hasarda Farhan, les yeux toujours clos.
-Il a une conscience professionnelle, c'est sûr, concéda Joséphine en glissant dans sa robe. Mais de là à nier la connaître ... Il aurait simplement dire qu'il avait travaillé dessus mais qu'il ne pouvait pas en révéler les détails.
-Ne me dis pas que tu soupçonnes ton père d'être relié d'une manière ou d'une autre à la façon dont j'ai été séparé de Maya ?
En réalité, c'était la question qui tenaillait Joséphine depuis cette conversation hors du temps. Elle passa les bretelles de la robe avec un soupir, hésitante. Elle repensa à Brûlopot qui cherchait en ce moment même la cause des cicatrices de Maya, aux dossiers d'adoptions munis d'une signature identique ... Son père était-il le lien entre tout ses éléments ? Ses relations avec lui étaient glaciales, mais l'idée lui serrait le cœur. Peut-être lui restait-il de l'estime pour son père, au moins pour l'Auror et l'homme qu'il était. Pas le genre à séparer des enfants.
-Je ne sais pas du tout, avoua-t-elle en toute honnêteté. Je trouve juste sa réaction étrange, c'est tout. Peut-être que ça ne veut rien dire ... C'est bon, tu peux ouvrir les yeux.
En réalité, elle n'avait pas complètement fini de s'habiller et la fermeture était encore largement ouverte dans son dos, mais en jetant un coup d'œil au miroir, elle avait d'ors et déjà décrétée que c'était la robe qu'elle porterait au mariage de sa sœur. La soie était de loin sa matière préférée et rendait la couleur vive et chatoyante en plus d'être exquise sur sa peau. La jupe ample et fluide était serrée à la taille par une large ceinture noire à motif et son buste lui donnait presque l'impression d'avoir d'une poitrine digne de ce nom. L'un des miroirs refléta le réveil de Farhan, ses yeux papillonnants pour s'habituer à la luminosité. Le sourire qui ourla ses lèvres lorsqu'il posa le regard sur Joséphine fit briller sa lumière intérieure. Mutine, elle joua avec un pan de la ceinture.
-Alors, c'est à ton goût ?
-C'est très joli, admit Farhan en s'extirpant de son fauteuil. Mais si je dois être parfaitement honnête ... Le moment où je t'ai trouvé la plus belle, tu portais une tenue de Quidditch et tu étais trempée.
Joséphine lui jeta un regard éberlué à travers le miroir avant qu'un sourire ne s'étende sur ses lèvres. Précisément le petit sourire qu'elle trouvait idiot et qu'elle tentait par tous les moyens de réprimer. Là, cela avait été impossible à éviter : il avait fleuri sur son visage, tirant sa force de la fierté et de la confiance qui rayonnait en elle. D'un geste qui n'était là que pour s'occuper les mains, elle ramena ses cheveux sur son épaule et réajusta sa frange.
-Au match contre Serpentard ...
-C'est ça, murmura Farhan, les yeux rivés sur l'un des miroirs. Tu avais un de ses sourires ...
-Moi c'est quand tu parles arabe que tu me fais de l'effet.
La confidence avait glissé toute seule sur sa langue, et elle retint in extremis la main qu'elle avait voulue plaquer sur sa bouche. Pour compenser, ses joues s'embrasèrent et elle évita soigneusement le regard de Farhan en faisant mine de continuer son inspection. Evidemment, elle échoua lamentablement et ne put s'empêcher d'observer son reflet, ses sourcils dressés par la surprise. Il dodelina quelques instants de la tête, l'air indécis, avant d'avancer un pas vers elle et de lâcher un mot aux sonorités orientales et aux accents interrogatifs qui sonnait comme un « vraiment ? ». Joséphine pivota immédiatement pour lui faire face et enfoncer un index dans sa poitrine.
-Non, ça c'est pas jeu !
Son regard étincelait tant qu'elle était persuadée qu'il allait poursuivre, mais il se contenta d'éclater de rire et de refermer sa main sur son index menaçant. Un peu prise de court par cette hilarité soudaine, Joséphine plaqua une main contre sa bouche pour le faire taire, de peur qu'un de ses parents – ou pire, l'une de ses sœurs – ne l'entendent, mais le rire de Farhan lui fila littéralement entre les doigts.
-Je vais te jeter dans la fosse aux Abbot !
-Oh je m'y suis jeté tout seul je pense, s'esclaffa Farhan.
Sa main qui n'emprisonnait pas son index glissa ostensiblement sur sa taille et Joséphine réalisa un peu brutalement à quel point ils étaient proche, à quel point leurs nez étaient proches de se frôler. Elle eut douloureusement conscience des lèvres de Farhan sous ses doigts, de son propre cœur qui tambourinait contre sa poitrine. Elle dut se faire violence pour rester stoïque, pour ne pas répondre à l'élan rugissant qui la poussait vers lui. Faute de trouver un véritable point d'ancrage, elle trouva le regard de Farhan. Son rire était lentement mort sur ses lèvres et lorsqu'elle écarta enfin sa main, elle découvrit qu'il ne souriait même pas. Il la fixait, presque avec gravité, une main crispée sur la sienne et l'autre sur sa taille.
-Tu es sûre cette fois Jo ? C'est vraiment ce que tu veux ?
Un sourire incrédule s'étira sur les lèvres de la jeune fille et une sensation triomphante grandit dans sa poitrine à en briser sa cage thoracique.
-On ne devait pas attendre la rentrée ? chuchota-t-elle d'un ton espiègle.
-Oublie la rentrée ...
-Qu'est-ce qui t'a fait changer d'avis ?
Farhan cilla, déconcerté et médita un instant insupportable la question. Ce fut sans regarder Joséphine qu'il avoua du bout des lèvres :
-Parce que je viens de réaliser que ses deux dernières semaines, je te dois ma santé mentale. Ce qui est paradoxal mais ... c'est vrai.
L'aveu tempéra quelques secondes les ardeurs de Joséphine, étouffant ses désirs dans un mélange de peine et de fierté, fierté d'avoir réussi là où elle pensait échouer dans les grandes largeurs. Être là pour lui. Incapable de répondre verbalement à cela, elle hocha plusieurs fois la tête, jusqu'à ce que leur nez se frôle, jusqu'à ce que leurs visages s'inclinent l'un envers l'autre comme attirés par l'implacable gravité, jusqu'à ce qu'enfin leurs lèvres se frôlent avec une douceur qui tenait de la prudence, une lenteur qui tenait de l'incertitude. La seconde d'adaptation, d'observation, avant qu'au même rythme que leur cœur les choses s'emballent.
Joséphine réalisa à quel point elle avait craint ce baiser au moment où le soulagement éclata dans ses veines, avant même toute autre sensation. C'était une vérité qu'elle avait refusé de s'avouer, une vérité qui expliquait qu'elle ait accepté d'attendre la rentrée, qui expliquait sa prime prudence. Oui, au fond elle avait eu peur, peur que son corps rejette le geste, peur que ses démons resurgissent du néant, peur d'une multitude de chose. Peurs qui éclatèrent face à la chaleur qui se diffusa depuis les lèvres de Farhan, face à la sensation grisante qui agit comme une bulle bienfaisante et protectrice, une bulle où rien ne comptait d'autre que les bras qui se refermaient sur elle.
Pleinement rassurée, Joséphine entrouvrit les lèvres pour mieux accueillir celle de Farhan, se pressa contre lui pour mieux l'apprécier, mieux le sentir, laissa ses doigts s'engouffrer dans ses mèches noires qui lui avaient tant manquées. Au moment où la hardiesse la gagnait totalement, la bouche de Farhan quitta la sienne pour poser une multitude de baiser sur sa joue, le long de sa mâchoire puis dans son cou, des baisers précipités qui avaient le goût du manque et du triomphe. Joséphine étira la gorge, complètement grisée. L'ivresse à la fois du contact retrouvé et du bonheur à portée de main l'étourdissait totalement.
-J'en conclus que tu as abdiqué ...
Le rire de Farhan trembla contre sa peau et il embrassa la peau de son épaule comme il aurait embrassé ses lèvres. Son souffle se répandit sur son sternum et Joséphine réalisa que dans son emballement, la robe mal ajustée avait glissé sur elle. Les bretelles étaient tombées au creux de ses coudes, le buste s'était affaissé pour dévoiler la naissance poitrine et elle rétablit l'égalité en passant les mains sous le tee-shirt de Farhan. Il tressaillit lorsqu'elle parcourut sa colonne vertébrale de ses doigts et se figea presque sur son épaule lorsqu'elle descendit sa chute de rein d'une main curieuse. La limite qu'il lui avait posé dans la salle de bain, il la laissa la franchir avec un petit rire. Délaissant sa ligne d'épaule, il se redressa et caressa doucement sa mâchoire de l'arrête de son nez. Ses mains enlaçaient sa taille, l'effleurait avec douceur, ne cessait de la parcourir. Pas de manière insistante ... simplement pour réaliser qu'elle était là. Que l'instant était réel. Que cette fois, elle ne se dissiperait pas dans la fumée et les larmes.
-Disons que j'ai hissé le drapeau blanc, prétendit-t-il dans un souffle. Match nul, Jo. Tes parents t'attendent ... ?
-Je suis en train de me changer ... Cette robe est affreusement délicate à mettre ...
Un sourire étira les lèvres de Farhan et elle s'empara de nouveau de ses lèvres, complètement euphorique. Pour l'heure et malgré la gourmandise que ses mains laissaient entendre, elle ne voulait rien de plus. Simplement acter que cette fois, ils franchissaient réellement le pas. Cette fois, ce baiser signifiait quelque chose, qu'il n'était pas là dans le vent, qu'il n'était pas là pour oublier, pas là pour se faire du bien ... mais là pour une promesse. Avide le prouver, elle prit délicatement son visage en coupe et pressa derechef ses lèvres contre les siennes, avala son souffle, l'embrassa à perdre haleine. Ses cordes vocales semblaient emplies d'éclat de rire prêt à s'envoler à la moindre occasion. C'était fou, aussi fou qu'à leurs débuts, avec la même envie, la même insouciance, la même âme qui virait au diapason. Ils avaient tous les deux besoins de ça, besoin l'un de l'autre. Besoin et envie. En Joséphine, la bataille venait de s'achever ... et contrairement à ce que prétendait Farhan, elle se considérait comme complètement victorieuse.
***
Aloooooooooooors, heureux.ses ?
J'ai conscience que ça a pu être très long pour vous d'en arriver jusque là, mais ça a vraiment été une lenteur calculée, je voulais vraiment laisser le temps à Jo de se retrouver et se reconstruire, et à Farhan de digérer un rejet qui, pour ce qu'il en sait, peut être un caprice de Jo et qui a ébranlé sa confiance.
J'espère que la manière vous aura plu, ainsi que le chapitre ! Moi j'ai été super contente de l'écrire (les musiques de Your Name m'ont délicieusement accompagnées à chaque fois).
Maintenant je vous laisse profiter !
Bonne journée et bon WE et moi je vais regarder le biathlon (passionnante saison chez les filles !! Elles m'ont un peu désespérées les années précédentes avec des coups d'éclats, mais là Julia Simon a tellement passé un cap, j'y crois vraiment pour la victoire finale et les nouvelles tiennent vraiment leur rang ! Bravo à Lou Jeanmonot pour son premier podium en carrière <3)
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro