Chapitre 22 : Les rouleaux du passé
Bon, pas de problème d'italique cette fois, je suis EN JOIE
Sachez que je viens de subir ma première inspection. Que ce n'est pas forcément quelque chose d'hyper agréable, je déconseille l'expérience. Est-ce que ça s'est bien passé ? Je ne saurais pas trop le dire mais personnellement je l'ai mal vécu, c'est tout ce que j'aurais à dire !
Du coup quel meilleur moyen de se détendre et de rebooster sa confiance que de poster? N'est-ce pas?
Bon je sais ce n'est pas O&P ... Mais j'ai l'impression d'avoir TOUTE votre attention depuis le dernier chapitre héhéhé. J'ai vraiment l'impression le dernier chapitre c'était "Ah ouiii là tu nous parles Perri !"
Allez je vous laisse avec celui-là. Bonne lecture, prenez soin de vous et souvenez-vous que vous êtes exceptionnel.les <3 Perri vous aime.
***
Il y a des moments magiques, de grande fatigue physique et de grande excitation motrice où surgissent des visions de personnes connues dans le passé surgissent partiellement de livres non encore écrits.
- Umberto Eco
Le nom de la rose
***
Chapitre 22 : Les rouleaux du passé.
Je repars de chez les O'Neil.
Je me sens toute bizarre. Je ne sais pas ... Moitié triste, moitié mélancolique, moitié en colère – ça fait beaucoup de moitié.
Je ne comprends pas grand-chose. Pas grand-chose à ce qu'on a lu ... pas grand-chose à ce qui s'est passé. Quelque chose est apparu que je ne saurais même pas définir ... je connais juste son origine.
Ça fait peur. Il faut étouffer ça Joséphine. Tu n'as pas le droit. Ce n'est pas le moment ... Ce n'est pas la personne.
***
Joséphine pensait avoir été éprouvée pendant cette matinée : mais elle réalisa qu'elle n'était pas au bout de ses surprises lorsque Farhan ouvrit la porte qui menait au petit appartement des O'Neil et qu'une voix déformée par un fort accent irlandais fusa :
-Mon neveu ! Et une fille !
Joséphine venait d'apparaître derrière lui pour découvrir sur la table de la cuisine Nolan O'Neil occupé à mettre la table à l'aide de sa baguette. Mais surtout, debout à côté des fourneaux, un tablier d'un vert, blanc et orange noué à sa taille, l'une des créatures les plus étranges qui lui était donné de voir. Ses cheveux étaient d'un blond trop clair, trop éclatant pour être naturel et sous son tablier elle était vêtue d'un pantalon de velours violet en patte d'éléphant et d'un tee-shirt de tournée des Bizzar'Sister. Des lunettes papillons étaient juchés sur sa tête, rendant visible des yeux clairs d'un bleu délavé et son visage aux nombreuses taches de rousseur. La vieillesse se sentait sur quelques détails – les rides aux coins des yeux, la peau fripée de son cou. Mais malgré cela et son accoutrement, elle débordait d'une énergie folle visible dans le geste qu'elle vit, ouvrant grand les bras pour accueillir Farhan avant de joindre les mains au niveau de son cœur puis se taper l'épaule de Nolan avec frénésie.
-Il nous ramène une fille ! Mais Nolan, pourquoi tu ne m'as rien dit ? J'aurais préparé quelque chose de plus élaborée qu'un pain de viande ! Et si ça avait été un garçon, mon chou, tu aurais eu le droit au festin que j'ai fait à l'ambassadeur de Londres !
Joséphine demeura paralysée sur le bas de la porte, complètement abasourdie. Elle ne réfléchit même pas à détromper la femme tant elle restait sur l'analyse. Farhan se tourna d'un quart vers elle, un sourire tordu aux lèvres.
-Ma tante Fiona. Dis bonjour.
-Bonjour, obéit-t-elle par automatisme.
-Mais entrez ! s'enthousiasma Fiona en claquant dans ses mains. Entrez, entrez, la pause de midi de Nolan est courte et nous devons la mettre à profit ... Tu as fermé la boutique derrière toi, chouchou ?
-Evidemment, je ne suis pas toi.
Visiblement peu touchée par les effusions et les allusions de sa tante, il s'avança pour l'embrasser sur la joue. Il faisait une petite tête de plus qu'elle – et Farhan n'était lui-même pas très grand, Joséphine n'avait pas à lever beaucoup les yeux pour planter son regard dans le sien. Un gabarit qui changeait de Charlie ...
-Et avant que tu ne continues à rêver, ce n'est pas ma copine, rectifia enfin Farhan avec un sourire tranquille. Je te présente Joséphine (Il se tourna vers elle, les yeux pétillants). Ou plutôt Jo ?
-Jo c'est bien, confirma-t-elle en s'avançant enfin dans la pièce. Enchantée ...
Madame ? Non, elle sentait que l'appellation n'irait pas à cette femme ouvertement haute en couleur qui s'était figée pour gratifier son neveu d'une moue boudeuse.
-Comment ça tu nous ramènes une fille qui n'est pas ta copine ? Tu veux me faire mourir d'ennui ?
-Toi il faudra il y aller avant que tu meures d'ennui, marmonna Nolan avant de sourire à Joséphine. Il faut que je rajoute une assiette ?
-S'il vous plait, confirma Joséphine.
Elle admettait apprécier l'apothicaire, ces manières douces et humbles et la façon dont il lui avait parlé dans le Hall de Poudlard : loin de la repousser, de lui en vouloir ou de lui réserver sa méfiance, il l'avait complétement incluse dans la révélation, jusqu'à lui demander son avis. Une attitude qui l'avait touchée. Quand elle était arrivée ce matin avant l'aurore, le précieux dossier dans le sac, il lui avait souri et n'avait pas hésité à la faire monter. Là encore, il ne demanda pas d'explication et se contenta de rajouter une assiette. Seule Fiona se permit une objection, contrariée :
-Hum ... j'espère que j'ai fait assez de gratin, dans ce cas, je pensais qu'on ne serait que trois ...
-Ne t'en fais pas, je n'ai pas très faim, assura Nolan.
-Oh non, toi tu auras la plus grosse part ! protesta Fiona en plantant une cueillerez menaçante sur lui. Tu as perdu dix kilos depuis que je suis partie en Colombie, tu en ressemblerais presque à papa ! C'est moi qui vais réduire mes quantités, je dois perdre un peu ... Il faut dire que la colombienne qui m'a logé était un véritable cordon bleu, j'ai rarement aussi bien mangé de ma vie ... et dormi, bien évidemment ... Ah, Felicia quelle femme ... Peut-être que je retournerais en Colombie juste pour elle.
Elle adressa un clin d'œil canaille à son neveu qui se contenta de secouer la tête, exactement comme il faisait quand Joséphine racontait une bêtise. La jeune fille, elle, ouvrit de grands yeux devant l'allusion. Elle se dépêcha de s'assoir à côté de Farhan et se dépêcha de l'interroger du coin des lèvres :
-Dormi ? Elle parle du lit ou ... de ce qu'on fait dans un lit ?
-Parce que tu fais autre chose que dormir dans un lit, toi ?
Farhan O'Neil ! se scandalisa-t-elle intérieurement, complètement interdite par le sourire moqueur qui se dessinait sur les lèvres du jeune homme. Le pire, c'était qu'il avait même d'être fier de son effet et se servit du gratin de légume avec la plus grandes des nonchalances. Joséphine le contempla, complètement abasourdie. Elle avait l'impression de découvrir un autre monde, un monde où Farhan s'intégrait étrangement bien pour quelqu'un qu'elle avait cru réservé ... et prude. Pas du genre à se fendre de ce genre de remarque ou à écouter sans rougir sa tante parlait de sa vie intime. Sa vie intime avec une femme, ajouta-t-elle à part elle, perplexe. Elle savait que c'était possible, que deux femmes pouvaient s'aimer, mais elle y était confrontée pour la première fois de sa vie. Farhan dut lire son trouble sur son visage et n'hésita pas à la dénoncer à voix haute :
-Tatie, je crois que tu déconcertes un peu Joséphine.
Joséphine lui donna un coup sous la table pour le faire taire mais c'était trop tard : Fiona rivait déjà sur elle son regard bleu singulièrement dépourvu d'artifice. Ses paupières se plissèrent.
-Tu ne m'as pas ramené une homophobe, rassure-moi ?
-Non, se défendit immédiatement Joséphine. Vous êtes simplement ... la première que je rencontre.
-La première à ta connaissance, rectifia Fiona.
La sonnerie du four l'empêcha d'aller plus loin et elle s'empressa d'en sortir un pain de viande fumant. Farhan dissimulait très mal son rire dans une toux et Joséphine lui jeta un regard aigu. Dans quoi l'avait-il sciemment embarqué ?
-Par ailleurs, si ça t'intéresse, je couche aussi avec des hommes, annonça Fiona sans la moindre gêne en découpant le pain de viande – et Joséphine faillit s'étrangler dans son jus de citrouille. Disons que devant la beauté de la nature humaine, j'ai renoncé à choisir.
-Et par « renoncer à choisir » il faut comprendre « renoncer à se poser », ajouta Nolan d'un ton indifférent. Ma sœur voyage un peu partout dans le monde, mais quoiqu'elle fasse, les vents la ramène toujours en Irlande ...
-Et je chante les louanges de notre beau pays partout dans le monde. Je suis la meilleure promotion pour l'Irlande. D'ailleurs, j'ai réussi à convaincre Jason, tu sais, l'éleveur de vaux-de-lune canadien ? De me rendre visite avant la fin des vacances. Je vous redirais quand, quand ça veut dire que je ne veux pas voir vos têtes à la maison. Mais tu es le bienvenu cette semaine, mon grand.
Elle caressa avec tendresse les cheveux de Farhan et le geste adoucit considérablement les traits de son visage. Mais son neveu se déroba avec un glapissement.
-Hé, je n'ai plus huit ans !
-Et ça ne va pas m'empêcher de te bichonner jusque noël, répliqua Fiona avec ravissement. J'ai déjà fait un stock de Guinness et de quoi préparer des scones ... Par contre, achète-toi ton paquet avant de venir, hors de question que tu me taxes comme la dernière fois.
-Et c'est moi le diable sur ton épaule ? s'indigna Joséphine à voix basse alors que Fiona s'éloignait pour ranger ses ustensiles. Je rêve !
Elle jeta un bref coup d'œil à Nolan O'Neil, qui malgré les promesses d'alcool et de cigarette n'avait pas émis la moindre protestation. Simplement un soupir qui marquait à peine sa désapprobation. Farhan esquissa un bref sourire.
-Normalement, je ne touche pas la cigarette quand je suis à Poudlard. En fait, je dirais même que je ne fume jamais, sauf avec ma tante, et plus pour l'accompagner qu'autre chose. OK, et une ou deux en soirée mais c'est complètement à cause de l'alcool.
-En soirée ? Mais qui es-tu ?
Le sourire de Farhan se fit presque énigmatique et il s'abstint de répondre en enfournant une bouchée de gratin de légume. Joséphine fut forcée de l'admettre en y goûtant : le plat était délicieux, relevé de délicate épice qui lui donnait un parfum d'ailleurs tout en gardant les saveurs réconfortantes. Alors qu'elle s'appliquait à finir son assiette, elle remarqua que Fiona l'observait à la dérobée, l'air intrigué. Elle avait dédaigné le pain de viande de sa propre préparation pour ne prendre que des légumes qu'elle avait fini depuis longtemps.
-Bien. Et maintenant qu'on m'a brièvement présenté, tu comptes en faire de même ?
-Qu'est-ce que vous voulez savoir ?
Joséphine s'était forcée de mettre plus d'assurance dans son ton : elle avait conscience d'avoir l'air déstabilisé depuis le début du repas et l'image d'elle-même que cela renvoyait lui était insupportable. Les yeux de Fiona étincelèrent.
-Oh pas grand-chose, juste l'essentiel.
-Ça comprend mon orientation sexuelle ? attaqua Joséphine.
-Ce n'est pas obligée, je ne juge pas les gens à cela, fit Fiona en haussant les épaules. Et tu es si jeune, tu as l'air si ... je ne sais pas, tu as quelque chose de noble – je ne sais pas si c'est la jolie robe ou ton port de tête, mais si ça se trouve c'est complètement les apparences. Enfin bref, je doute même que tu te sois interrogée sur une autre possibilité que celle d'aimer les hommes. Mais comme je te le dis, c'est loin d'être le plus important chez quelqu'un. Gryffondor ?
-Non, Serdaigle.
-J'ai raison pour la noblesse ? Sang-pure ou riche ?
Cette fois, Joséphine se retint de trémousser sur sa chaise et planta son regard insolent dans celui de Fiona. C'est que je suis. Pourquoi j'en aurais honte ?
-Les deux. Enfin mes parents sont riches. Moi ça risque de changer une fois sortie de Poudlard.
-Parce que qu'est-ce que tu feras une fois sortie de Poudlard ?
-J'y réfléchis, éluda la jeune fille en tentant d'avoir l'air nonchalante. J'ai quelques cordes à mon arc, il faut juste que je trouve sur laquelle j'ai envie de jouer.
-Ne te mets pas trop la pression, intervint Nolan avec douceur. A la fin de Poudlard, j'étais complètement paralysé par l'idée de gagner ma vie rapidement et je me suis enfermé dans une vie qui n'était pas faite pour moi. Ça ne m'a pas empêché de changer de voie quelques années plus tard. On a plusieurs vies : tu as le droit de te tromper de corde dans un premier temps.
Il y avait tant de bienveillance dans ses propos que Joséphine en fut soufflée. Elle observa l'apothicaire à la dérobée, alors qu'il tentait d'étouffer une quinte de toux dans son poing sous le regard inquiet de Farhan. Il était l'antithèse de son père, réalisa-t-elle. Complète et sans nuance. Fiona attendit que la toux de son frère se calme pour interroger avec une certaine retenue :
-Et ... c'est quand que je rencontre ta sœur, puceron ?
-Oh, Merlin, souffla Farhan, un peu pris de court. Jamais ?
Joséphine eut un petit rire entendu face à la réponse : c'était simple, elle n'arrivait pas à imaginer la douce Maya face à cette femme. Néanmoins, la connaissance de Fiona la rendait perplexe, mais Farhan ne semblait pas être surpris. Peut-être l'avait-il lui-même tenu au courant – autoriser son père à le faire. Ça démontrait des liens familiaux forts et en voyant l'inquiétude et l'alerte briller dans les yeux de Fiona, Joséphine sut qu'elle avait vu juste. Il n'était peut-être pas son neveu par le sang, mais visiblement, cela importait peu. Même pas du tout.
-Tu sais que pour tes beaux yeux je vais me tenir, assura-t-elle avec calme. Alors, comment elle est ?
La tête de Farhan oscilla doucement sur ses épaules mais il finit par décrire Maya à sa tante. Joséphine sentait qu'il tâtonnait sur certains mots, restait dans des idées simples et vagues qui marquait son manque de connaissance de sa sœur mais Fiona et Nolan écoutaient avec attention, un sourire attendri aux lèvres.
-Elle porte le hijab ? s'étonna Fiona avec une maîtrise du terme surprenante. A Poudlard ? Et elle n'a pas de problème ?
-On y veille, marmonna Joséphine à la place de Farhan. C'est la meilleure amie de ma sœur, elle est à Serdaigle avec moi, expliqua-t-elle devant le regard interrogateur de Fiona. Et ne vous en faites pas, c'est vraiment la fille la plus adorable que je connaisse.
-Elle avait l'air, évalua tranquillement Nolan. Et bouleversée par ce qui se passe donc clairement on ne lâchera pas la tigresse sur elle.
Fiona recourba ses doigts finis par des ongles roses en griffe et feula littéralement sur son frère. Le cœur de Joséphine se serra et elle coula un regard sur Farhan pour constater qu'il la fixait du coin de l'œil. Il riva immédiatement les yeux sur son assiette vide, mais elle perçut le sourire qu'il tentait de réprimer. Elle te plairait, Abbot, avait-il lancé à la bibliothèque. Evidemment, de la tigresse à la tempête, il n'y avait qu'un pas ... Elle piqua rageusement dans un morceau de gratin, assez contrariée par la comparaison. Mine de rien, elle s'était ouverte à Farhan au pub. Ce qu'elle avait dit sur son père, elle ne s'était jamais permise de le laisser sortir d'elle-même. Elle ne voulait pas avoir l'air de se plaindre, ne voulait pas se justifier, mais sous la lumière tamisée du pub les confidences étaient plus faciles, moins terrible. Et il lui avait paru la bonne personne. La personne qui écouterait. Qui ne jugerait pas. Et surtout, qui ne parlerait pas. Mais maintenant qu'il avait les cartes en main, qu'il la réduise à « Joséphine la tempête » était inacceptable.
Pour la centième fois depuis ce matin, elle effleura le camée qu'elle avait gardé autour du cou. Sous ses doigts se déployaient les fameuses trois Grâces, les déesses de la vie qui dansaient sous les fleurs. C'était le genre d'objet qu'elle trouvait apaisant, elle aimait suivre les gravures du bout des doigts comme un labyrinthe de strie d'abord chaotique puis qui finissait par prendre sens.
Farhan se leva le premier pour débarrasser – sans doute pour éviter que son père le fasse, il avait été prise de plusieurs quinte de toux qui avait même inquiété Joséphine pour leur fréquence. Elle avait parfaitement remarqué qu'à chacune d'entre elle, la bonne humeur de Farhan s'estompait et elle lui trouvait le visage fermé au-dessus de son évier. Nolan se plia en une nouvelle toux et Joséphine bondit sur ses pieds pour à son tour débarrasser son assiette et les plats pendant que Fiona se penchait sur son frère. Farhan observait la vaisselle se faire seule, les bras croisés, la baguette négligemment tenue dans sa main. Joséphine mit son assiette dans l'évier et s'enquit d'un ton badin :
-C'est quoi ?
-Pardon ?
-Ta baguette.
Elle sortit la sienne, d'une teinte extrêmement claire, le manche finement ouvragée et la tige sobre quand celle de Farhan était ciselé de délicates arabesques. Elle tapota son assiette en murmurant la formule et elle se couvrit immédiatement d'une couche conséquente de savon.
-La mienne c'est du bois de pin. Une baguette qui aime les sorciers solitaires et curieux. Presque mystérieux.
Pour ménager son effet, elle rejeta ses cheveux en arrière avec un petit sourire et Farhan s'esclaffa doucement. Il fit tourner sa baguette entre ses doigts.
-Je ne me suis pas trop interrogée sur la signification de la mienne. Ollivander m'a juste dit ...
-...Que la baguette choisit son sorcier. Tout le monde a entendu ça en ressortant de sa boutique ... Je m'y suis intéressée, je ne sais plus ... Il y a trois ans ? J'ai eu une fulgurance, je me suis même imaginée devenir fabricante de baguette avant de me rappeler que jamais je n'en aurais la patience. Et j'ai peut-être un peu peur d'Ollivander, aussi.
Cette fois, Farhan laissa échapper un rire un peu plus franc. Il jeta un petit regard à son père, occupé à boire une potion fumante sous l'attention scrupuleuse de Fiona et finit par être assez rassuré pour poursuivre :
-Quand j'étais petit, il me terrifiait, avoua-t-il avec un pauvre sourire. Tu n'es pas la seule ... (Il leva sa baguette). C'est du bois de Sorbier.
-Tu es né en février ? hasarda Joséphine. Ou fin janvier ?
S'il avait d'abord secoué la tête, Farhan se fendit ensuite d'un mouvent de recul et Joséphine sut qu'elle avait vu juste. Un sourire satisfait s'étira sur ses lèvres et elle brandit discrètement le poing.
-Tu es né fin janvier !
-Le 24, confirma-t-il, interloqué. Il y a des bois qui correspond à des dates ?
-A des périodes, rectifia Joséphine d'un air docte. Au calendrier celtique. Ce n'est pas une science exacte, mais parfois la date de naissance influe ... Bon bois, le bois de Sorbier. Peu sensible à la magie noire – normal, généralement il choisit des sorciers à l'esprit clair. Parfait pour un demiguise.
Joséphine était extrêmement satisfaite d'arracher ses détails au fond de sa mémoire alors que sa passion pour les baguettes l'avait depuis longtemps quitté. La conversation badine semblait avoir détendu Farhan après l'inquiétante quinte de toux de son père, mais celui-ci semblait aller mieux et s'était même redressé, tout sourire. Il semblait avoir perçu des brides de leur conversation car il enchérit :
-Mon père avait une tonne de diction pour les baguettes. « Le sorbier cancane, le châtaignier est monotone ... »
-« Le frêne est entêté, le noisetier ronchonne », acheva Fiona d'un ton chantant avant de coincer une cigarette au coin de sa bouche.
-Tatie ! protesta vertement Farhan.
-Je vais sur le balcon, le rassura-t-elle en roulant des yeux. Tu viens ?
-Non.
-Et toi ?
Elle hocha la tête en direction de Joséphine, un sourcil dressé. La jeune fille voulait refuser – l'idée de se retrouver seule sur le balcon avec elle l'intimidait étrangement. Mais la tentation du tabac fut plus forte que son appréhension et elle finit par sortir son étui de sa poche dissimulée dans sa robe. Elle suivit Fiona sur l'étroit balcon qui donnait sur les toits de Londres. Le ciel s'était couvert et Nolan avait agrémenté son maigre extérieur de lumière de noël qui clignotaient magiquement, alternant en rouge, vert, sapins et canne à sucre. Fiona alluma à sa cigarette et expira sa fumée dans l'air. En une seconde, elle semblait avoir pris dix ans.
-Ce bordel, maugréa-t-elle. Nolan n'a pas d'énergie à perdre avec Farhan – et Farhan n'en a pas à perdre avec Nolan. Je ne vais pas te mentir cocotte : cette histoire de sœur qui réapparaît arrive au plus mal.
-La maladie ? devina Joséphine d'un ton neutre.
Elle tira sur sa propre cigarette et préféra promener son regard sur les toits. Si elle prenait exemple sur Farhan, ne pas fixer son interlocuteur appelait étrangement à la confidence, parfois plus efficacement qu'une fixation indécente. Du coin de l'œil, elle vit Fiona hocher la tête.
-Ne te méprends pas, j'adore Farhan. Quand Nolan l'a adopté, je suis restée un an avec eux pour l'aider – à mettre la boutique en route, à apprendre l'anglais au petit, à l'aider à devenir père. Alors ce n'est pas mon fils, je m'en garde bien, mais ça n'en demeure pas moins ma petite perle. Je lui appris tout ce que j'ai pu. Tu crois que ça allait être Nolan qui lui aurait appris à mettre une capote ?
Joséphine sentit la fumée de sa cigarette se coincer dans sa gorge mais se refusa à tousser pour garder la face. Néanmoins, sa trachée lui brûla atrocement et des larmes lui montèrent aux yeux jusqu'à ce qu'enfin, elle laisse passer le bouchon douloureux. Elle pensait pourtant être décomplexée avec son corps – mais pas au point d'en parler avec une femme de plus de cinquante ans et encore inconnue. Complètement flegmatique, elle n'en poursuivit pas moins :
-Je lui appris tout ce que Nolan ne pouvait pas lui apprendre : ses limites lors d'une soirée, comment traiter les filles, comment se trouver ... Farhan est un garçon formidable et je m'en attribue disons, quinze pourcents du mérite. Quinze autres pourcents pour ces gènes, trente pourcents de lui-même et quarante de Nolan.
-Travail d'équipe, commenta distraitement Joséphine.
Elle sentait un avertissement sous-jacent à travers la fierté visible de Fiona. Farhan n'était peut-être pas son fils, il n'en demeurait pas moins une partie d'elle et sous la nonchalance Joséphine sentit un profond attachement et surtout un souci latent. Elle inspira une nouvelle profonde bouffée de sa cigarette.
-Mais c'est la dernière année, ajouta Fiona d'un air sombre. Je me souviens de ma septième année, la pression que c'était dans les derniers mois ... Déjà avant la rentrée j'étais inquiète. Tu connais Charlie ?
-Vaguement ...
Son mensonge l'amusa elle-même et elle fut intriguée par le grognement étouffée de Fiona.
-Ce garçon se repose trop sur Farhan. Et ça allait tant que tout se passait bien dans sa vie, mais depuis quelques mois tout s'accélère. Nolan est malade, Farhan commence à se mettre la pression sur la boutique – non sans raison. Les ASPIC seront durs ... Et maintenant cette Maya qui apparaît ...
-Oh, attendez. Vous voulez que j'y fasse quelque chose ? Que je tape sur les doigts de Charlie ?
Joséphine avait forcée son ton ironique et Fiona choisit d'en rire. Sa cigarette à moitié entamée coincée entre ses lèvres, elle pivota plus franchement vers elle, la hanche appuyée contre la rambarde.
-Disons que Nolan m'a dit que c'était en quelque sorte toi qui as déclenché tout ça et que j'espérais que tu étais prête à assumer.
-C'est que vous ne me connaissez pas. J'ai un côté pit-bull : ne vous en faites pas, j'irais au bout, quitte à porter cette affaire toute seule. Et s'il faut en prime que je tire les oreilles de Charlie, sachez que ce sera avec un véritable plaisir. Par contre encore une fois, ne tapez pas sur Maya. Elle n'y est pour rien.
-Non. C'est toi.
Joséphine fut si furieuse de la réponse que sa cigarette se réduisit d'un bon quart en une inspiration. Elle l'écarta impatiemment de ses lèvres et fusilla Fiona du regard.
-Pardon ?
-Tu n'as rien à voir dans cette histoire. Pourquoi tu t'y investies ? Qu'est-ce que tu faisais ici à sept heures du matin ? Je n'avais jamais entendu ton nom avant ce matin ...
-Et vous pensez que je vais me justifier ? ricana Joséphine. Vous voulez des explications, demandez-les à Farhan.
D'une dernière bouffée, elle acheva sa cigarette et fit tomber les cendres sur les toits de Londres. Les particules grises furent emportées par une brise et s'éparpillèrent dans l'air, comme des flocons. Elle rangea le mégot dans son étui et hésita même à en prendre une seconde. Fiona la coupa net dans son élan :
-Oh c'était prévu, j'ai une semaine pour le cuisiner. Ne te bile pas, je n'ai rien contre toi non plus ... J'essaie juste de protéger ma famille. (Elle la considéra quelques secondes, un sourire aux lèvres). En fait je te crois même avec un certain potentiel.
-Et je devrais en être honorée ?
-On me dit assez bonne juge de l'âme humaine, tu pourrais ...
Joséphine haussa haut les sourcils en une expression dédaigneuse. Elle avouait apprécier peu la façon dont Fiona la jugeait ouvertement sans rien savoir d'elle et semblait trouver un malin plaisir à la bousculer. Elle aurait pu répliquer, mais la porte qui menait à la petite cuisine s'entrebailla alors, révélant le visage de Farhan qui semblait encore avoir pâli d'une teinte. Fiona écrasa aussitôt sa cigarette sur la rambarde.
-Qu'est-ce qui se passe ? Nolan tousse encore, il faut ... ?
-Non ! Non, il va mieux, c'est bon ... C'est ... (Il tourna le regard vers Joséphine, l'air indécis). Maya est là.
***
-Rentre chez toi !
-Tes parents m'ont dit de t'accompagner.
-Jusqu'à Charing Cross Road, c'est bon maintenant ! Allez Rayan ...
Rayan plissa les yeux devant Maya, qui ne put retenir un soupir. Ils parlementaient depuis dix minutes, emmitouflés dans leurs manteaux, piétinant sous l'enseigne du Chaudron Baveur. Maya lui jeta par ailleurs un regard inquiet. Elle se balançait au grès de la brise, les anneaux qui la retenait à moitié gelé par l'hiver mais Rayan ne semblait pas la remarquer. Elle avait reçu très tôt une lettre de Farhan lui indiquant de venir chez lui dès qu'elle pouvait et elle s'était empressée de prendre le premier train pour Londres ... c'était sans compter l'inquiétude de ses parents, qui avaient insisté pour que Rayan, un fils de leur cercle d'ami, l'accompagne. Maya avait argumenté qu'elle était une sorcière et pouvait se défendre, qu'elle allait juste sur la plus grande avenue commerçante du monde magique, que Rayan ne pourrait pas l'accompagner, qu'elle ne risquait rien chez son frère, ils avaient été intraitable.
Le pire, c'était que Rayan ne semblait lui-même rien y comprendre. Plus âgé qu'elle de trois ans, il était grand, les cheveux coupés courts pour éviter qu'ils ne deviennent crépus, le nez légèrement épaté mais de très beaux clairs, presque noisette qui lui donnaient un regard presque hypnotique et tranchaient avec sa peau brune.
-Mais pourquoi je ne peux pas t'accompagné chez ton ami ? Il est raciste ou quoi ?
-Evidemment qu'il est raciste, c'est pour ça que je suis amie avec et que je me ramène en hijab ! Non c'est juste ... c'est juste là !
Elle désigna la porte du Chaudron Baveur et Rayan l'observa d'un air critique. Maya faillit grimacer. Rayan était un garçon pieux et sain de corps, le genre de personne qui se levait chaque matin pour faire son jogging et n'avait, bien sûr, jamais consommé la moindre goutte d'alcool.
-C'est un pub.
-Il habite au-dessus d'un pub, mentit-elle.
-C'est glauque. Je viens avec toi.
-Non !
Maya plaqua une main désespérée sur son front. Elle se sentait à deux doigts d'agripper sa baguette et de lui jeter le sortilège de confusion qu'ils avaient appris juste avant les vacances, mais l'idée lui tordait le ventre. Mentir était déjà bien assez humiliant, jamais elle ne lèverait la baguette contre les gens qu'elle aimait.
-Son père est malade, plaida-t-elle finalement, abattant sa dernière carte. Très malade, alors ils évitent les visites impromptues et le stress ...
Cette fois, le visage de Rayan s'adoucit et prit un air résigné qui desserra l'étau dans la poitrine de Maya. Il poussa un soupir et recula d'un pas.
-Bon, très bien. Je vais en profiter pour faire quelques courses, il me manque un cadeau pour Amina ...
-Parfait. On se retrouve dans une heure ici ? Merci Rayan ...
-Une heure, pas plus, marmonna-t-il. Sinon on va louper le train de retour ...
-Promis. A toute.
Elle pressa doucement son bras avec un dernier sourire et se dépêcha d'entrer dans le Chaudron Baveur avant qu'elle ne change d'avis. Malgré la chaleur moite du pub, elle était glacée jusqu'aux os. C'était peut-être ce qu'elle détestait le plus dans sa condition de sorcière : mentir. Elle n'avait pas à le faire avec ses parents – elle ne l'aurait pas supporté – mais Amina était comme sa sœur, ses parents sa famille. Et eux ne devaient pas savoir. La magie devait restée cachée, enfouie, pour le bien des deux mondes, lui avait expliqué Flitwick en venait lui apprendre qu'elle était une sorcière. Mais ces mensonges lui trouaient le cœur et empoisonnaient l'esprit.
Maya traversa rapidement la salle bondée. Certains clients se tournaient vers elle avec curiosité, lorgnant son hijab ou son visage juvénile mais elle les ignora pour sortir du côté du Chemin de Traverse. Cette fois, elle put sortir sa baguette et même si c'était une utilisation minime, elle apprécia chaque mouvement de sa pointe contre les pierres. Et juste ainsi, par la sainte efficacition de la magie, son autre monde s'offrit à elle. L'avenue était noire de monde en cette période qui précédait Noël et encore une fois, Maya sentit les regards s'attarder sur elle de façon dérangeante, assez pour qu'elle presse le pas jusqu'à la boutique d'apothicaire. Elle fut déçue en remarquant le panneau « FERMEE – ROUVRE A 13h30 » et consulta sa montre. Encore une demi-heure ... Non, je ne pourrais pas attendre, décréta-t-elle. Elle trouva une cloche fixée à l'embrassure et se mit à sonner frénétiquement. Elle n'eut pas longtemps à attendre : derrière la vitre embuée par son souffle, elle reconnut la silhouette massive de Nolan O'Neil. Il lui ouvrit, tout sourire sous sa moustache de fer, son regard bleu pétillant.
-Hé bien ma belle ! Qu'est-ce qui t'amène ?
L'amabilité de l'apothicaire desserra l'étau dans la poitrine de Maya. Il s'effaça pour la laisser entrer dans la boutique aux senteurs végétales fraiches, et une chaleur sèche estompa les derniers frissons de la jeune fille.
-Farhan m'a dit de venir ... il a dit qu'il y avait peut-être du nouveau ...
Sa voix trembla sur le dernier mot et Nolan mit immédiatement la main sur son épaule, le regard brillant. Il hocha doucement la tête et sans un mot, il la guida jusque l'étage. Le rythme cardiaque de Maya s'éleva à chaque marche qu'elle grimpait. Quand elle avait reçu la lettre, elle n'avait pas hésité avant de demander à son père de la conduire à la gare. Un peu plus de deux heures séparait Leeds de Londres, mais peu importait : elle voulait savoir. Elle voulait se tenir à côté de Farhan si quelque chose était découvert.
Maya suivit Nolan dans une pièce qui semblait cumuler plusieurs fonctions : cuisine avec ses fourneaux et son évier, salle à manger avec sa vieille table ronde aux chaises dépareillées et salon avec un fauteuil usée jusque la corde et la radio adjacente. Elle était décorée avec effusion : des guirlandes tapageant se croisaient sur le plafond, un père noël animé montait puis descendait d'une corde contre la porte qui menait à un petit balcon, et un modeste sapin lourdement chargé tentait d'exister dans un coin. Farhan était posé contre la table, la baguette à la main, à surveiller la vaisselle qui se faisait seule. Il sursauta quand son père fit grincer le plancher d'un pas, et son regard s'écarquilla lorsqu'il aperçut Maya. Elle lui adressa un sourire penaud.
-J'ai pris le premier train ...
-Bah dis donc, vous êtes des rapides, fit remarquer Farhan, sonné.
-Vous ?
Farhan pinça des lèvres et abandonna sa tache pour ouvrir la porte derrière lui et passer la tête dehors. Des ombres apparurent alors sur le balcon et quand il s'écarta, Maya vit avec stupeur Joséphine Abbot entrer dans l'appartement, frigorifiée dans sa robe bordeaux.
-Salut ! Tu es prête ?
-Prête à quoi ? s'inquiéta Maya, surprise par l'apparition de la jeune fille. Mais ... Jo, qu'est-ce que tu as fait ?
Elle ne le laissa pas échapper, mais le « encore » flottait partout dans la pièce. Joséphine leva les yeux au ciel et se pencha sur un sac au pied d'une chaise. Derrière elle, une autre femme était rentrée dans la pièce. Véritable feu d'artifice de couleur, elle poussa un cri de ravissement lorsqu'elle vit Maya.
-La voilà !
-Tatie, gronda Farhan d'un ton menaçant.
-Je serais sage, promis ! Bienvenue dans la famille, ma chérie !
La femme tapota joyeusement la joue de Maya, trop stupéfaite pour réagir. L'accueil la glaça plus qu'autre chose : elle n'arrivait déjà pas à intégrer complètement Farhan dans le concept de « famille », alors s'intégrer elle dans la sienne était au-delà de ses forces. Le trouble dut se lire sur son visage car Nolan marmonna :
-Et tu commences très mal. Tais-toi, va.
-Qu'est-ce qui se passe ? insista Maya en fixant Farhan. Qu'est-ce que ... ?
-Elle a volé un dossier à son père, lui expliqua succinctement Farhan. Le rapport sur cette nuit là ...
Les yeux de Maya sortir de leurs orbites et son regard se glissa sur Joséphine. Elle venait de sortir une liasse de parchemin refermé dans une pochette et la posait à plat sur la table. Maya en fut suffoquée et elle préféra en revenir à Farhan.
-Elle a volé quoi ?
-Il m'a dit « si tu sens que tu peux faire quelque chose, vas-y », se défendit tranquillement Joséphine.
Incrédule, Maya se tourna brusquement vers Farhan qui eut un mouvement de recul.
-Tu as dit ça ?! A Joséphine Abbot ?!
-Et j'ai été d'une efficacité remarquable, la coupa Joséphine en ouvrant largement les bras. Maintenant, tu veux savoir ce qu'il contient ou je le remets là où il était ?
-Je pensais que c'était une copie, protesta Farhan, les yeux plissés.
Joséphine crispa les doigts sur le dossier et le crissement de ses ongles contre le carton arracha un violent frisson à Maya. Il y avait quelque chose de possessif selon elle, qui la mettait mal à l'aise.
-C'est une copie, confirma Joséphine. Mais je peux la remettre dans mon sac. Ou l'ouvrir. Ou vous laisser l'ouvrir. A vous de voir.
Le souffle de Maya se bloqua dans sa gorge. Elle échangea un regard avec Farhan. Il n'y avait pas la moindre hésitation dans les prunelles sombres, malgré l'illégalité qui leur avait amené l'information. Maya était une fille beaucoup trop droite, beaucoup trop innocente pour être insensible. Elle hésita quelques secondes, le ventre noué, avant de céder en s'écroulant sur une chaise – qui en plus, grinça sous son poids.
-D'accord, vas-y. Puisqu'il est là ...
-Moi ou vous ?
Farhan lui fit le signe de tête d'y aller et Joséphine n'attendit pas pour défaire le ruban qui enfermait le dossier. Nolan chaussa ses lunettes et s'empressa de se pencher sur l'épaule de la jeune fille pour lire en même temps qu'elle. La femme à ses côté – sans doute sa sœur – fit de même de l'autre côté. Nolan finit par pousser un cri de triomphe en pointant une ligne :
-Ah ! C'est ce nom que je cherchais depuis la dernière fois, le nom de l'Auror ... Aloyssius Ab ...
Il se figea et son index se rétracta dans sa main. Joséphine se fendit d'un ricanement amer.
-Ah oui. C'est mon père ça.
-Sérieusement ? réagit Farhan.
Il semblait s'être mis dans une bulle depuis l'ouverture du dossier et n'avait même pas pris la peine de tourner la tête vers Joséphine. Maya ignorait comment il faisait pour être impassible : elle-même se sentait au bord de la nausée. Joséphine hocha longuement la tête, le visage fermé.
-Je pensais qu'il avait simplement supervisé ... ou juste écrit le rapport – c'est littéralement la plume de son bureau – mais non. Non, il était sur place. Quel incroyable petit salaud ...
-Jo, soupira Maya.
Elle croisa ses doigts devant son visage et y appuya son front, à bout de souffle. Elle devrait peut-être suivre l'exemple de Farhan : ne pas subir un trop plein sensoriel. Regarder leurs visages s'animer à mesure qu'ils découvraient les mots étaient la pire des tortures.
-C'est un salaud, insista néanmoins Joséphine dans un murmure rageur. Il a dit à Berry que ça ne lui disait rien : ça devait forcément lui dire quelque chose, non ?
-Peut-être pas, intervint la femme d'un ton songeur. Belfast était à feu et à sang à l'époque, il a dû faire des dizaines d'intervention comme celle-ci ...
-Mais il était là, je l'ai vu Fiona, objecta Nolan. C'est lui qui m'a dit de rentrer, c'est lui qui m'a aidé à identifier Farhan, il est rentré dans son esprit, il ...
-Il est quoi ?!
Devant le cri indigné de Joséphine, Maya releva la tête et remarqua que Farhan en avait fait de même, complètement sonné. La jeune fille avait pivoté vers Nolan, incrédule.
-Il est entré dans l'esprit de Farhan et il n'a pas vu qu'il avait une sœur ?
-Il n'est pas allé profondément pour ne pas enrailler son esprit. Peut-être qu'il n'a pas pu aller très loin, assez loin pour découvrir ça ... La seule chose qu'il m'ait apprise, c'était qu'il était magique. C'est tout.
-Et c'est impossible de savoir quand on a été séparé, ajouta Maya dans un filet de voix. Si ça se trouve, c'était bien avant ... Jo, continue de lire s'il te plait.
La supplique dans sa voix fit céder la jeune fille qui replongea immédiatement le nez dans le rapport. Maya ferma de nouveau les yeux, les mains portées en prière devant elle. Et soudainement, elle sentit une petite main, douce sur son épaule, accompagné d'une inconfortable odeur de tabac froid. Un soutien silencieux, presque incommodant mais Maya se rattacha à la pression sur son épaule et à la chaleur qu'elle diffusait. Les minutes s'étirent, rendues insupportables par quelques exclamations pensives de Nolan et Joséphine et la façon dont celle-ci tapotait ses ongles contre ta table.
-Hum ..., laissa échapper Nolan, visiblement songeur.
-Comme vous dites, marmonna Joséphine. Bon. Prêts ?
-Non, répondit Farhan d'une voix étouffée. Mais feu.
Maya confirma d'un hochement de tête, sans oser ouvrir les yeux pour lire l'expression de Joséphine. Elle attendit quelques secondes avec pour seule compagnie la main de Fiona et les battements assourdissants de son cœur, jusqu'à ce qu'enfin elle lâche :
-Vous êtes cités tous les deux.
-C'est vrai ?
-Mais séparément, ajouta Nolan d'un ton sombre. Toi tu es cité par le père de Joséphine : « enfant sauvé par Nolan Philip O'Neil dans la chambre 204, ne souffre d'aucune blessure, examen partiel de la mémoire peu concluant ». Si on analyse bien ...
Maya entendit le froissement des feuilles et elle tressaillit. C'étaient les pages du passé qui chantaient ainsi leur musique oubliée.
-Là, il est mention d'une enfant de trois ans blessée, trouvée dans un couloir et sauvée in extremis par un Auror – A. Doppler – en plein cœur de l'action. Il est noté qu'il a abandonné la chasse au Mangemort pour mettre la petite fille à l'abri ...
-Mais comment vous pouvez savoir qu'il s'agit d'elle ? s'enquit Fiona.
-Parce qu'il est noté que la petite fille était inerte dans le couloir, lourdement blessée au niveau du cou, expliqua doucement Joséphine. Et que ça correspond aux cicatrices de Maya ...
D'un geste machinal, Maya porta la main à sa gorge, là où se tenait ses profondes blafardes – seul vestige depuis toujours de son monde d'avant. Ses yeux s'ouvrirent et elle put enfin constater que les regards peinés de la pièce s'étaient tournés vers elle.
-Vous avez dû être séparé dans l'attaque, hasarda Nolan avec prudence. Farhan est resté dans la chambre, toi tu t'es retrouvée dans le couloir. Ils n'ont pas fait le rapprochement, tu ne t'es pas réveillée et tu as vite été confiée au service de l'enfance de Ste-Mangouste, d'après le rapport ... comme tu n'as pas été réclamée.
-Ils ont deux enfants d'origines arabes dans un hôtel peuplé d'irlandais et ils ne font pas le lien ? cingla Fiona, dubitative. Vraiment ?
-Le dossier est lacunaire, confia Joséphine, les sourcils froncés. Très surprenant de la part de mon père, il est du genre consciencieux, on peut imaginer qu'il aurait mis plus de détail mais ... non. C'est lapidaire. « Petite fille blessée – envoyée très vite à Ste-Mangouste puis confiée aux services de l'enfance » ; « garçon de la chambre 204 : adopté par Nolan P. O'Neil ».
-Je pense que c'est là, le nœud : devant la gravité des blessures de Maya, ils l'ont directement envoyée à l'hôpital sans réfléchir, proposa Nolan. Peut-être même qu'elle y était déjà quand je t'ai trouvé, Farhan ... Et après, que pouvaient faire les Aurors ? Leur job c'était d'attraper les Mangemorts. Pas autre chose ...
Farhan hocha la tête en signe de compréhension, le visage marqué. Devant l'explication des plus plausibles, Maya sentit son souffle se relâcher et ses épaules s'affaisser. La main de Fiona la tapota doucement, comme pour lui donner du courage. Ils avaient été séparés dans le feu de l'action. C'était aussi simple que ça. Joséphine continua de tourner les pages, un pli soucieux entre les sourcils.
-Cette page est dédiée à la recherche des Mangemorts ... des pistes mais toutes dans l'impasse. Et la dernière ... c'est une liste de victime.
-Oh, souffla Maya, les yeux larmoyants. Ich'Allah ...
A la façon dont Joséphine sourit, mélange de contrition et de fierté, elle comprit que oui, Allah le voulait. Maya plaqua ses mains contre son visage avec une exclamation étouffée et Farhan pivota brusquement vers la porte qui menait au balcon, en proie à un grand désarroi. Cette fois, Nolan parut moins empresser de faire part de ses conclusions.
-C'est juste ... Oui, il a treize noms, comme treize victimes et seulement deux sonnent arabes ...
-Et sont désigné clairement comme « réfugiés politiques », renchérit Joséphine avec plus d'aplomb. Alors ça peut être une coïncidence comme ...
-Je pense qu'on a largement prouvé qu'il n'y avait plus de coïncidence dans cette histoire, intervint Farhan d'une voix dure.
Non. Toutes les coïncidences se sont avérées réelles. Son regard s'aimanta à celui de Farhan et elle y lit un déchirement égal au sien. Il s'était adossé à la porte, tenant visiblement à peine sur ses jambes, les bras croisés sur sa poitrine. Avec une certaine angoisse, elle attendit que Joséphine parle, que le couperet tombe, mais la jeune fille se leva en secouant la tête. Maya avait rarement vu autant de sollicitude, de trouble, de désarroi sur le visage si expressif de Joséphine.
-Non, ça ... je préfère vous laisser le découvrir. (Elle s'avança vers Farhan, qui était restée figée prêt de la porte, la main couvrant le bas de son visage). Je peux juste regarder ton dossier d'adoption ? Juste pour vérifier quelque chose ...
Farhan lui jeta un bref regard puis acquiesça lentement. Joséphine sourit et après une seconde d'hésitation, posa brièvement la main sur son bras comme une marque de soutien. Cela dura une seule seconde, mais ça surprit assez Maya pour qu'elle continue de surveiller Joséphine du coin de l'œil. Elle contourna la table à la suite de Nolan O'Neil qui ouvrit un tiroir du buffet pour en extirper le dossier. Leurs regards se croisèrent et Maya finit par lire la question muette dans ses yeux.
-Je ne l'ai pas ...
-Alors heureusement que Dieu m'a fait don de la magie, soupira Joséphine avec une petite révérence.
Elle sortit sa baguette et la fit tournoyer plusieurs fois sans que rien ne se produise. Maya finit par comprendre qu'elle ne tentait pas réellement et se concentrait sur sa tache, car quand elle donna un coup sec, la pochette en carton bleue qui contenait son dossier apparu sur la table. Joséphine se mit à battre des mains, extatique.
-Mais oui ! Je suis très mauvaise en sortilège d'apparition normalement, il est informulé et je suis une nulle en sortilège informulé et ... je me tais, s'interrompit-t-elle quand elle remarqua le long regard de Farhan sur elle. Je ... vais là-bas.
Elle pointa le fauteuil usé, prit les deux dossiers et se dépêcha de s'y installée. Une fois plongée dedans, elle demeura silencieuse et concentrée, presque comme partie des meubles et Maya s'autorisa un mouvement pour se lever. Fiona demeura à côté d'elle mais elle lui adressa un sourire qu'elle espérait rassurant, mais qui devait relever de la grimace. Elle prit le temps de prendre une grande inspiration et se plaça face au rapport. Ses yeux se baissèrent sur la liste, une liste de treize noms qui s'étalaient comme une litanie funéraire. Chacun serrèrent douloureusement le cœur de Maya, mais il s'arrêta de battre dans sa poitrine quand elle tomba sur les noms des victimes de la chambre 204.
Ahmad Souleiman – réfugié politique
Sirine Souleiman – réfugiée politique
Des larmes de frustration piquèrent les yeux de Maya et elle se laissa tomber sur la chaise qu'avait occupé Joséphine, les poings serrés. Elle ne ressentait rien. Elle ne se souvenait de rien. Comme face à Farhan, elle était devant un immense vide qui lui trouait la poitrine. Et surtout ...
-Et Shahrazade ?
-Quoi ?
Farhan ne s'était pas décollé de la porte et considéra Maya, un peu perdu. La jeune fille caressa du bout des doigts les noms supposés de ses parents. Je suis née Maya Souleiman, mais cela sonnait mal. Elle ne se considérait pas autrement que Maya Tabet. Farhan ne semblait pas prêt à découvrir cela, mais la perplexité manifeste de la jeune fille l'y força. Le visage fermé, il s'avança et se pencha au-dessus de l'épaule de Maya. Le coin de sa bouche tressaillit face à la liste mais il se redressa vite, les sourcils froncés.
-Pourquoi ? Tu t'attendais à la voir ?
-Je m'attendais ... je pensais que c'était notre mère.
Fiona papillonna des yeux.
-Attendez ... qui est Shari ...
-Shahrazade, rectifia sèchement Farhan.
-C'est la seule chose dont on se souvient tous les deux, haleta Maya, énervée. La seule chose, notre seul souvenir commun ... pourquoi on ne la retrouve pas dans le rapport ?
Le peu d'image qu'elle avait réussi à se faire de sa mère s'évanouit complètement, brisée par cette petite liste. Sirine Souleiman. Ça ne lui évoquait rien ... contrairement à Shahrazade. La main de Farhan vint couvrir son épaule.
-Shahrazade, ça sonne comme Shéhérazade ... l'héroïne des contes des Milles et une nuits, lui rappela-t-il avec douceur. Peut-être que c'est simplement de ça qu'on se souvient ... des histoires qu'on nous racontait ...
-Non ! Tu te ... tu te souviens d'un cri, tu me l'as dit, tu ... c'était quelqu'un.
Sans qu'elle le réalise pleinement, des larmes se mirent à dévaler ses joues et tâchèrent le parchemin sous elle. Le peu de certitude qu'elle avait venait de s'écrouler en elle comme un château de carte, ne laissant que d'un vide tremblant qui la fit frissonner. Elle sentit Farhan s'abaisser, s'accroupir à côté d'elle et passer un bras dans son dos, comme pour la soutenir.
-C'est le problème quand on n'a pas de souvenir, c'est qu'on finit par en créer de toute pièce ... C'est pour ça que je n'ai jamais voulu m'interroger sur tout ça ... Il va falloir s'attendre à découvrir des choses qui vont mettre à bas le peu qu'on pensait savoir. Maya, on était trop petit pour pleinement réaliser ...
Sa main caressa doucement son dos, légère, présente sans l'oppresser. Un sourire frémit sur ses lèvres.
-Si ça se trouve, Shahrazade c'était ... je ne sais pas, un doudou ... ou un chat ... Pas grand-chose, mais quelque chose qui ait compté dans notre esprit d'enfant.
Un chat ... ce qu'elle aurait aimé avoir Bastet avec elle et la presser contre elle, sentit sa chaleur et apprécier ses ronronnements apaisants. A la place, elle n'avait que la main de Farhan dans son dos, Farhan qui tentait de faire face, qui prenait sur lui pour la rassurer. C'est ça un grand frère ? Un bouchon douloureux dans la gorge, elle attrapa l'autre main de Farhan pour la serrer sur son genou. Il contempla leurs mains noués, l'air complètement déconnecté de la situation. Ils restèrent quelques secondes ainsi, silencieux, tremblants, l'esprit bourdonnant du peu qu'ils venaient d'apprendre – mais qui était déjà tellement. Face à Ahmad et Sirine résonnait l'écho sinistre du vide, mais Farhan lui, était de chair et de sang. Son pouls pulsait sous ses doigts, au même rythme que le sien.
-Je ne sais pas pour ... Shahrazade ...
La voix de Joséphine claqua la bulle dans laquelle Maya avant réussi à retrouver une certaine sérénité et elle la fusilla du regard. La jeune fille était toujours sur le fauteuil, les jambes négligemment repliées sous elle, une feuille dans chaque main.
-Mais si la thèse du « vous avez été séparé car ils ont emmené Maya à Ste-Mangouste et vous vous êtes perdus » tient, il va falloir qu'on m'explique ceci.
Elle se leva et plaça les deux feuillets devant Maya et Farhan. C'étaient les deux actes de d'adoption, qui attestaient de leur prise en charge respectivement par les Tabet et Nolan. Farhan se redressa brutalement, sur le qui-vive.
-Oh Merlin ...
-Quoi ? Quoi encore ?
Farhan pointa brusquement les deux signatures de l'administration, apposée à côté de celle des parents adoptifs. Maya les examina, perplexe. Puis de nouveau, son sang se figea dans ses veines. Un grand « R » élégamment tracé puis barré de plusieurs traits ... Elles étaient strictement identiques. Donc ...
-La même personne a signé vos dossiers d'adoption, conclut Joséphine en se fendant d'un sourire satisfait. Côté moldu et côté sorcier. Si vous me dites que c'est un hasard, j'abandonne complètement.
***
Et un mystère de plus, n'est-ce pas?
Voilà, j'espère que vous avez apprécié le chapitre. Je n'ai pas été fine avec Fiona, j'aurais plus faire ça plus en délicatesse mais j'imagine tellement ce personnage brute de décoffrage qu'au final son écriture m'est venue comme ça ! N'hésitez pas à me dire ce que vous avez pensé du chapitre <3
Maintenant je vais aller ruminer sur le fait que je suis visiblement autoritaire. Autant y'a des trucs que je suis capable d'accepter mais le "autoritaire" il me laisse perplexe quand même.
ENFIN BREF KEUR SUR VOUS <3
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