Chapitre 16 : Se découvrir
Pss. Un petit réconfort pour oublier la rentrée demain, ça vous dit ?
C'EST MOIIIII
ET BONNE ANNEE A TOUS.TES !! Plein de bonheur, de joie et de réussites dans vos divers projets ! J'espère que votre réveillon s'est parfaitement bien passé et que l'année 2021 s'est parfaitement clôturée pour vous !
Pour ceux que ça intéresse, mon séjour aux Rousses s'est parfaitement bien déroulé, à base de ski, de rando et de fromage - beaucoup de fromage, heureusement qu'il y a eu le ski. Mais vraiment vraiment vraiment la flemme de reprendre le travail demain alors aidez-moi à oublier tout ça.
Sinon pour le dernier chapitre, je voulais soulever un point qui me tient à coeur : mais c'est que je commence à vous la faire apprécier Joséphine ! Ce n'était pas gagné, mais croyez-moi ça m'a fait un plaisir vous de voir que certain.e.s d'entre vous commencez à vraiment s'attacher à elle, c'est vraiment l'un de mes meilleurs personnages toutes fanfics confondues !
Mais là on va démarrer sur quelqu'un d'autre - avec un autre point de vue. J'espère qu'il vous plaira !
Bonne lecture et encore bonne année !
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Quelle chose étrange qu'une famille ! Une réunion fortuite de gens étrangers, une association absurde.
- Alberto Savinio
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Chapitre 16 : Se découvrir.
Jeudi 8 Novembre 1990
Et il ne suffisait que cela pour sortir la tête de l'eau !
Vraiment j'ai perdu, mais j'ai l'impression d'avoir tout gagné. J'ai l'impression qu'après ses semaines de noir et de blanc, mon monde est de nouveau en couleur. C'est prégnant, de là où je suis. J'ai décidé d'aller voler, pas forcément pour m'entrainer, mais que pour la première fois depuis longtemps, j'en avais vraiment envie. De Charlie ? Aucune trace. J'ai raison, il a tort : il est effacé de mon système. C'est peut-être pour ça que j'ai tellement envie de voler en ce moment : je me sens enfin libre. Et c'est di-vin.
Et en plus, l'hiver arrive. Je le vois, je le sens. Il y a des nuages au loin et je suis sûre qu'ils apportent avec eux la première neige. C'est peut-être pour ça que je reste plantée là, j'espère goûter les premiers flocons. Le vent est glacial sur ma peau, et me gèle les os. Ma main est crispée sur ma plume, je ne sais pas si j'arriverais à la desserrer. Alors autant écrire, non ? Ecrire en attendant que l'hiver se déverse enfin sur moi et que je puisse danser sous ses larmes en riant.
***
Maya Tabet ragea quand Bastet, sa chatte « noire de malheur » comme le dirait Bérénice, sauta sur son bureau et renversa l'encre sur la carte du ciel qu'elle était en train de réaliser. En plus de cela, elle s'empressa de marcher dedans avant de sauter souplement sur le sol et de couvrir la moquette de trace de patte noires et luisante.
-Bastet ! râla-t-elle.
-Je t'avais dit d'acheter un hibou, chantonna tranquillement Bérénice.
Elle était lancée à même le sol sur une partie d'échec contre elle-même, ses longs cheveux châtains épars dans son dos. Maya avait l'impression que c'était une compétition chez les Abbot : à celle qui aborderait la plus belle longueur. Pour l'instant, Joséphine supplantait de loin les trois sœurs : Bérénice avait longtemps eu les cheveux courts en carré à l'épaule et leur grande sœur Ophélia en prenait tellement soin qu'elle les coupait tous les mois. D'habitude, Bérénice tressait ses longues mèches mais cette fois elles étaient lâchés et laissaient le soleil révélé la couleur cuivrée cachée dans les pigments.
Maya porta une main distraite à son hijab qui dissimulait sa propre chevelure, de très belles boucles noires qui avait longtemps fait son orgueil. Tout le monde s'était extasié devant les magnifiques cheveux de Maya, de leur couleur envoûtante à leur texture soyeuse. Si elle devait être parfaitement honnête, les cacher était le plus douloureux dans le fait de porter le voile, elle avait toujours aimé en prendre soin et considéré que c'était la plus belle chose qu'elle possédait ... Entendre ses camarades se plaindre du gâchis que cela représentait n'aidait pas. Mais la détermination à appliquer à la lettre les principes de sa religion et d'enfin de passer le pas pour devenir une femme comme sa mère l'avait emporté sur ses envies de beauté.
Les larmes lui vinrent brusquement aux yeux et elle comprit quand le visage de Fathia Tabet lui vint à l'esprit. C'était une femme exceptionnelle du sens de Maya : accomplie dans sa maternité, brillante – elle parlait quatre langues et préparait une thèse sur la littérature égyptienne depuis deux ans – courageuse – il le fallait pour reprendre ses études à presque cinquante ans. Et surtout spirituelle. Fathia Tabet, c'était le calme, la sérénité, la force d'accepter ce qu'elle ne pouvait pas changer. Sa foi lui permettait de trouver une raison à tout, même aux guerres : c'était ce qui l'avait sauvé de la dépression lorsqu'ils avaient dû quitter l'Egypte. Tout arrive pour une raison, avait-elle répété toute l'enfance de Maya, d'une voix douce et bienveillante. Tu as été mise sur notre chemin pour une raison ... Et chaque jour que Dieu fait je remercie le ciel pour cela.
Maya lâcha sa plume et tourna le visage de sorte à ce que Bérénice ne voit pas la larme qui s'était échappée de ses yeux. De toute manière, elle n'aurait pas réagi : depuis une semaine, elle était habituée à voir Maya pleurer, parfois sans raison apparente, en toute circonstance – en cours, dans la Salle Commune, pendant le repas ... Elle s'était inquiétée, puis avait compris que Maya avait besoin de se gérer seule. Elle porta une main à son cœur et frappa doucement sa poitrine au rythme d'une prière qu'elle se récita dans la tête. Guide-nous dans le droit chemin.
Le chemin de ceux que Tu as comblés de faveurs ..., récita-t-elle en arabe, le souffle court, jusqu'à ce que les larmes se résorbent et que ses voies respiratoires se libèrent.
Tout arrive pour une raison. Et cette raison est profondément bonne ... j'ai retrouvé un frère.
Mais le frère se faisait singulièrement absent depuis quelques jours. Maya se doutait parfaitement qu'il fallait du temps à Farhan d'accepter tout ce qui venait de se passer, d'accepter que leur vie venait d'être éventrée et qu'on avait renié leur droit à l'ignorance. Mais c'était arrivé. Maintenant il fallait avancer.
Pourquoi ?
C'était la question qui la tenaillait depuis une semaine. Le « comment ? » venait pas loin et lui donnait envie de s'arracher les cheveux s'ils avaient été laissés accessible. Cela regroupait trop de question. Comment s'était-elle retrouvée à Londres alors que sa famille était visiblement morte à Belfast ? Comment les autorités sorcières n'avaient-elle pas pu voir qu'un enfant manquait dans l'immeuble ? Et la pire, celle qui lui serrait le cœur, c'était celle qui se demandait comme Farhan – son frère, son frère aîné – avait pu oublier son existence ... alors même que comme elle, il se souvenait de Shahrazade.
Mais qui était Shahrazade ? Le nom avait toujours hanté l'esprit de Maya comme un vieux serpent des mers. Même Farhan, plus âgé au moment des faits, n'avait pas de réponse et Maya avait fini par se persuader qu'il s'agissait du prénom de sa mère biologique. Sa mère, celle qui n'avait pas les traits doux et le visage rond de Fathia Tabet, mais qui devait peut-être avoir ses yeux café, ou son nez droit et fin. Peut-être même que c'était d'elle qu'elle tenait cette abondance de boucle noire ... De cette mère qu'elle n'avait jamais connue. Mais surtout, qu'elle n'avait jamais cherché à connaître.
-Maya ?
Bérénice avait levé le nez de son jeu d'échec et la considérait avec une certaine inquiétude. Pourtant, les yeux de Maya étaient de nouveau parfaitement secs, mais le trouble et la réflexion devait se lire sur son visage.
-Maya, tu ferais bien d'aller voir Farhan ...
-Non, refusa-t-elle mécaniquement. Non, je ne veux pas l'embêter, il ...
-... est visiblement quelqu'un de timide. Peut-être qu'il n'ose simplement pas aller vers toi. Qu'il se dit que toi aussi tu as besoin de temps ...
-Oh mais c'est pas vrai ! Dites, qui a laissé son chat salir la Salle Commune ?
Maya sentit son visage s'échauffer face au cri sévère de la préfète-en-cheffe, Elisa Strettins. Elle était debout au milieu de la pièce, ses cheveux blonds rejetés en arrière, le regard foudroyant les taches de pate noire qui parcouraient la moquette. Elisa était quelqu'un d'intimidant, toujours bien au chaud au milieu de son groupe de fille, forte de son influence et de son insigne : d'expérience, Maya ne se frottait jamais à elle. Bon sang Bastet !
-Je trouve ça sympa, la tempéra son petit ami et Capitaine de Quidditch Aidan McColley. On se demande ce qu'il y au bout ...
-Le propriétaire du chat, ricana une amie d'Elisa.
-Nettoie ça, lui murmura Bérénice en désignant sa carte du ciel tachée d'encre. Mieux vaut éviter les foudres d'Elisa ...
Maya hocha frénétiquement la tête mais quand elle sortit sa baguette, ses mains tremblaient si fort qu'elle fut incapable de songer à jeter le moindre sort. Devant le trouble manifeste de son amie, Bérénice s'occupa de tout nettoyer et s'avança même dans la Salle Commune pour faire disparaitre les pattes de chat.
-Mais vous êtes des sorciers oui ou non ? clama-t-elle avec un charmant sourire. Je pense que ce sortilège, c'est niveau ... quoi, deuxième année ? Troisième à la limite ?
Elle jeta un regard par-dessus son épaule et gratifia Maya d'un discret clin d'œil. Le cœur de la jeune fille se gonfla de reconnaissance envers sa meilleure amie. Ce n'était pas la première fois que Bérénice la sauvait de la sorte – de sa maladresse ou de sa volonté de se cacher. Elle avait toujours eu plus d'assurance que Maya et surtout une vraie appétence pour le fait de se mettre en avant. Ça avait pu agacer la jeune fille dans leurs premières années : Bérénice était le genre d'élève insupportable qui levait sans cesse la main et voulait étaler son savoir et son intelligence. C'était en apprenant à la connaître que Maya avait compris que c'était davantage dû au climat familial basé sur la compétition et l'excellence que sur la personnalité intrinsèque de Bérénice, qui était d'un naturel plutôt modeste. Très vite, Bérénice avait compris qu'elle n'avait pas à montrer qu'elle était meilleure que tout le monde – mais il fallait dire que c'était une telle évidence et tant loué par les professeurs que là-dedans, sa propre voix était devenue inaudible. Ce jour-là, elles étaient devenues amies.
Puis meilleures amies après un cours atroce de Potion où Maya avait failli faire exploser leur chaudron. Comme quoi, il n'y avait pas que Joséphine.
Pendant que Bérénice continuait de nettoyer les dégâts de Bastet, Maya chercha sa sœur du regard. Mais visiblement, elle n'était pas dans la Salle Commune – peut-être profitait-t-elle que ses camarades y soient pour profiter de sa chambre en toute tranquillité. Elle avait tenté plusieurs fois de la trouver pour s'excuser : elle avait conscience que dans sa douleur, elle avait été extrêmement blessante avec elle. Et elle savait que Joséphine n'avait pas besoin de ça. Elle avait assez vu les sœurs Abbot évoluer ensemble pour comprendre quelques petites choses et la première qu'elle avait perçu chez l'aînée était une souffrance constante qui se traduisait par une coquille d'agressivité. Maya ne savait pas ce qu'elle avait fait pour avoir les bonnes grâces de Joséphine, mais elle savait être une exception.
-Bon, lança Bérénice en revenant vers elle. Tu vas voir Farhan ?
Maya hésita. C'était tentant : il était l'unique personne dans cette école à savoir ce qu'elle était en train de traverser. La seule qui pouvait l'aider à y voir plus clair, à mettre des mots dessus. Et ... Oh mon Dieu, c'est mon frère, se dit Maya pour la centième fois dans la semaine, suffoquée. Elle avait un grand frère. Des parents palestiniens. Ils ne l'avaient pas abandonné : ils étaient morts, tués par des Mangemorts. Mais son frère était en vie. Il avait vécu à côté d'elle pendant des années, à une table de distance, dans les classes d'à côté ... Elle l'avait rencontré dans les gradins de Quidditch sans imaginer une seule seconde qu'ils étaient du même sang. Pourtant, elle aurait dû le voir, non ? Sentir quelque chose, une connexion quelconque, plus que la simple sympathie qu'elle avait eu pour lui dès le départ ... Ils avaient perdu tellement de temps dans l'ignorance ...
-Je ne sais même pas où il est ..., céda Maya d'une petite voix.
-Ça peut s'arranger, assura Bérénice avant de se redresser. Oh, Capitaine ! Tu peux venir ?
Aidan McColley, penché sur ses propres travaux, parut être surpris d'être ainsi hélé par Bérénice. Néanmoins, il s'arracha docilement de sa chaise et s'approcha d'elles avec un sourire.
-Oui, miss Abbot ? Qu'est-ce que je peux faire pour vos beaux yeux ?
Le sourire de Bérénice se fit presque timide face à la tentative de charme d'apparence innocente. Elle replaça une mèche derrière son oreille et Maya dressa un sourcil devant le geste. Bérénice était loin d'être coquette en temps normal. C'était Joséphine qui jouait avec ses cheveux comme s'ils étaient une entité vivante.
-Dis, tu saurais où est Farhan ?
-O'Neil ? s'étonna Aidan. Cherche Weasley, ça ira plus vite ... Quoique je reviens de la bibliothèque et je crois l'avoir vu là-bas – j'ai toujours du mal à le reconnaître dès qu'il met ses lunettes ...
-Merci Aidan.
Le Capitaine sourit à Bérénice et retourna à sa table. Maya capta le regard prolongé de son amie, bien qu'elle feignit immédiatement d'observer le plafond étoilé de la pièce. Maya n'était pas dupe. Ses paupières se plissèrent et elle attaqua avant que Bérénice ne se reprenne :
-Berry, tu sais qu'il a une copine ?
-Bien sûr, répondit-t-elle immédiatement d'un ton détaché. Ça fait combien de temps qu'il sort avec Elisa ... un an et demi ?
-Alors évite de crusher sur lui. Depuis quand tu t'intéresses aux garçons ?
Bérénice tenta d'avoir l'air surpris, mais ses joues la trahirent en se colorant délicatement d'une teinte rosée. Maya ne devrait pas être surprise : elles avaient quinze ans, l'âge réellement propice pour commencer quelques expériences amoureuses. Simplement, Bérénice avait toujours éprouvé un véritable désintérêt pour la chose – voire du mépris – et c'était surprenant de surprendre ces regards et ces gestes sur Aidan. C'était un beau garçon, il fallait l'admettre, populaire sans être hautain – peut-être simplement sûr de son charme – avec un mot gentil pour tous et de bons résultats scolaires. Mais justement, Maya s'étonnait de voir Bérénice s'intéresser à un garçon qui, à son sens, n'était qu'une copie un peu édulcorée de Charlie Weasley, l'ex-petit-ami de sa sœur ...
-Je ne crushe pas sur lui, assura néanmoins son amie, déterminée. Je le trouve juste très sympa. On a joué aux échecs ensemble, et à part Jo, personne ne veut m'affronter ...
-C'est pas drôle de perdre systématique, fit remarquer Maya.
Les yeux de Bérénice roulèrent dans leurs orbites.
-Oui bon. Farhan est à la bibliothèque : qu'est-ce que tu attends ?
Ce brusque rappel fit faner son sourire sur les lèvres de Maya. Elle hésita quelques secondes, tiraillée entre son besoin de comprendre les choses, d'apprendre à connaître ce frère qui se découvrait à elle, et la peur de l'inconnu. Jamais elle ne s'était intéressée à un possible passé. Au contraire ... Mais là, c'était différent. Ils avaient perdu du temps. Ils avaient des réponses à trouver. Résolue, Maya se leva et abandonna à Bérénice toutes ses affaires – y compris Bastet qui était revenue et se léchait à présent les pattes sur la chaise vide entre elles. Avant que son amie ne lui propose de l'accompagner ou ne lui dise la moindre chose qui aurait pu ébranler sa détermination, Maya s'en fut.
Elle sentait bien que son amie voulait se tenir à ses côtés dans cette situation des plus délicates, mais cette affaire, Maya préférait la mener seule. C'était seule qu'elle avait décidée de taire le petit doute qu'elle avait eu en apprenant que les parents de Farhan avaient été tués. Seule qu'elle avait, après de longs jours d'indécisions, décidé de consulter son dossier d'adoption. Seule qu'elle était allée trouver Farhan. Parce qu'au fond, malgré ses airs de fille douce, Maya avait une détermination de fer et aimait l'idée d'agir en son âme et conscience. Elle savait ne pas être parfaitement maître de son destin, qu'une main invisible lui traçait une voie depuis les cieux. Mais elle savait aussi que ces voies étaient multiples, qu'un libre arbitre était laissé et que c'était à elle de choisir le bon chemin, celui qu'Allah lui avait destiné et qui demeurait invisible à ses yeux d'humaine. Mais pour le suivre, c'était elle qu'elle devait écouter, elle et Lui qui vivait en son sein. Et elle ne pouvait pas L'écouter si sa voix se perdait dans celles des autres.
Elle s'efforça de se concentrer sur ces chemins, à ceux qu'elle devait parcourir, auquel choisir alors qu'elle parcourait le château jusque la bibliothèque. Profondément ancrée dans son introspection, elle n'hésita pas à en franchir le seuil et se réveilla brusquement au milieu de la pièce, un peu hébétée. Le silence régnait sous la houlette furieuse de Mrs. Pince qui promenait un regard sévère et suspicieux sur chacun des élèves qui travaillaient. Mais s'il y avait quelqu'un qu'elle oubliait, au milieu des groupes qui retenaient leurs gloussements ou des travailleurs exaltés, c'était l'élève isolé sur une table collée à la fenêtre. Aidan avait raison : difficile de reconnaître Farhan quand il chaussait ses lunettes. Elles cassaient la ligne de son nez droit, rendaient inaccessible son regard sombre et lui donnait un air sérieux et réservé. Le ventre de Maya se tordit lorsqu'elle se refit exactement la même réflexion que lorsqu'elle l'avait croisé pour la première fois. Farhan O'Neil était plutôt mignon. Il n'avait pas un physique d'athlète comme Charlie, ni le charme indéniable d'Aidan mais il avait quelque chose. Les traits fin, le sourire timide, les yeux doux et veloutés ... Maya finit par porter la main à sa joue, brusquement consciente que chacun de ces traits étaient un reflet des siens. N'avait-elle pas ce même nez ? Les mêmes pommettes hautes ? Les mêmes doigts fuselés ? La seule différence remarquable était la texture des cheveux de Farhan, souple, ondulés et la couleur de ses prunelles, plus foncée que celles de Maya. Elle était toujours en train de le détailler, le souffle court, stupidement debout au milieu de la bibliothèque quand quelqu'un finit par la bousculer. Maya trébucha en avant et marcha sur l'un des livres que la personne avait fait tomber en la heurtant.
-Hé ! rouspéta celui-ci, un garçon roux à lunette. Fais attention, un peu !
Il ramassa rapidement ses affaires et s'en fut, le nez en l'air. Maya n'eut pas le temps de réfléchir à s'excuser – ou de lui faire remarquer que c'était lui qui lui était rentré dedans. Faute de quoi, elle soupira et reporta son attention sur Farhan. Sauf que la scène l'avait déconcentré de ses devoirs et qu'il avait à présent les deux yeux rivés sur elle. Le cœur de Maya manqua un battement, d'autant que le reste du visage de Farhan était resté impassible, à peine imprégné d'une vague surprise. Il lui fallut mobiliser toute sa volonté pour se remettre en mouvement et s'avancer vers lui, avec l'impression qu'à chaque pas, la distance qui les séparait grandissait. Finalement, sa main finit par saisir une chaise et elle s'entendit dire dans l'avoir pleinement décidé :
-Salut ...
Farhan la contempla quelques secondes qui semblèrent durer une éternité. Puis après ce temps où Maya fut complètement anesthésiée, étourdie par les battements de son cœur, il sourit.
-Salut.
Ce simple mot et toute la douceur que sa voix dégageait détendit tant Maya qu'elle se laissa presque tombée sur la chaise. Faire ces quelques pas avec le regard de Farhan planté sur elle semblait l'avoir vidé de ses forces. Son regard se promena sur les parchemins et les livres qui jonchaient la table et elle grimaça face aux formules complexes de Potion.
-Désolée si je te dérange ...
-Tu ne me déranges pas, de toute façon je n'arrive pas à me concentrer, avoua Farhan en lui montrant son devoir. Je suis là depuis une heure et je n'ai écrit que le titre ...
En effet, il n'y avait qu'une mince ligne inscrite sur le parchemin et cela arracha un sourire à Maya.
-Tu m'étonnes, c'est de la Potion ... Ce n'est pas motivant. Loin d'être la meilleure matière.
-C'est ma préférée avec la Botanique, rétorqua Farhan avec un brin de mordant.
-Alors c'est qu'il faut qu'on refasse un test de génétique ...
Maya se mordit l'intérieur de la joue dès que les mots franchirent les ses lèvres. Elle s'était laissée emportée par la conversation badine, mais elle vit Farhan blêmir et détourner le regard en direction de la fenêtre. Maya se passa une main sur son visage en se morigénant enterrement.
-Oh la la, désolée ...
-Non, non, t'inquiète, la coupa précipitamment Farhan, toujours sans la regarder. Non, c'est moi, c'est juste ... Il faut le temps qu'on s'y fasse, non ? C'est ... improbable comme situation ...
Il darda de nouveau son regard sur elle, dans un geste qui parut contraint et forcé à Maya – tout comme le sourire dont il la gratifia dans la foulée.
-J'en conclus que tu n'aimes pas beaucoup la Potion ?
Maya papillonna des yeux, surprise qu'il revienne sur ce sujet, avant de comprendre qu'il était plus familier, plus rassurant que celui de leur parenté. Peut-être cherchait-il aussi à en savoir plus sur elle ... à apprendre à la connaître. Peu importait la raison, Maya s'engouffra dans la brèche avec soulagement :
-Pour être honnête, c'est le prof que je n'aime pas. Rogue m'a toujours mis extrêmement mal à l'aise, chaque fois que j'entre dans la classe j'ai une boule au ventre ... ça m'a dégoûté de la matière, je pense. Comment tu fais pour supporter ça ? En plus tu es à Gryffondor, c'est bien connu que vous êtes sa cible favorite ...
-Oh, depuis le début de l'année je suis surtout la cible favorite de Joséphine Abbot, rectifia Farhan avec un sourire qui tenait plus du rictus. Elle m'a fait raté trois potions ...
La mention de Joséphine tordit les entrailles de Maya qui se mit à mâchouiller sa lèvre inférieure. Ses doigts attrapèrent un pan de son hijab pour jouer avec et presque aussitôt, des larmes mouillèrent ses yeux. Depuis qu'elle savait, elle se demandait si ses parents avaient été musulman. Si elle porterait ce hijab si elle avait vécu avec eux ... Il y avait peut-être un moyen de savoir, via Farhan, réalisa-t-elle en rougissant. Mais la question attendrait qu'ils aient appris à se connaître, c'était bien trop personnel ...
-Tu l'as revu, Jo ? demanda-t-elle plutôt. Depuis samedi ... ?
-En Potion. Elle est plutôt calme. Enfin, elle me vole de la nourriture, mais je considère que c'est le prix à payer pour qu'elle laisse mon chaudron en paix.
-Et elle ne te parle pas ... de nous ?
De moi. De la façon dont je l'ai blessé quand j'ai refusé de l'écouter. Lorsque je lui ai dit qu'elle était égoïste et sans cœur. Au fond d'elle, Maya avait toujours apprécié Joséphine, sa façon de voir le monde, qu'elle la défense sur ses convictions et qu'elle cherche même à les comprendre. Elle avait admiré son indépendance d'esprit, assez pour fermer les yeux sur tous ses défauts. Et ses défauts n'étaient même pas de vrais défauts. Joséphine était tourmentée : dès qu'elle se serait apaisée, tous ses défauts s'évanouiraient et ne resteraient que les vrais.
Farhan haussa les épaules et rangea son maigre devoir de Potion pour sortir de son sac une clémentine qu'il éplucha patiemment. Dans la lenteur et la précision de ses gestes, Maya se demanda si ce n'était pas un moyen pour lui de tromper la nervosité.
-Elle essaie, plus ou moins subtilement. Je pense surtout qu'elle est en train d'y réfléchir avec sa sœur. Bon sang, bientôt elles en sauront plus que nous ...
-C'est déjà le cas, je le crains, admit Maya. Elles sont plutôt coriaces ... Et Berry ne supporte pas de ne pas comprendre les choses. (Elle hésita avant d'ajouter :) Elle a déjà envoyé une lettre à son père pour avoir des informations sur cette fameuse nuit.
Un frisson lui parcourut l'échine. Elle ne parvenait pas à se faire à l'idée que ses parents avaient été assassinés. Assassinés par des Mangemorts. Elle qui s'était toujours considérée comme une née-moldue, même adoptée, l'idée lui donnait un goût de cendre dans la bouche. En revanche, cela paraissait laisser Farhan de marbre.
-Je ne suis pas sûre qu'elle trouvera quoique ce soit ..., souffla-t-il, résigné. Mon père avait déjà interrogé les Aurors et la réceptionniste de l'hôtel à l'époque. Il est même retourné sur les lieux, après ... Il ...
Les mots parurent s'étouffer dans sa gorge et il porta une main sur sa poitrine. Son regard se riva de nouveau sur la fenêtre et Maya le suivit. C'était une très belle journée, pour un mois de novembre : un soleil froid brillait sur le lac noir et ses rayons transperçant la vitre leur apportait une certaine chaleur bienfaisante. Finalement, Farhan passa la main dans son cou et Maya vit alors une chaine en or accroché un rayon de soleil. Il la passa par-dessus sa tête et la posa à plat, sur la table. Maya baissa les yeux sur elle et son cœur cessa de battre.
-Khasma, murmura-t-elle. La main de Fatima ...
Elle l'effleura du bout des doigts, fascinée. En or, piqué de quelques pierres vertes, il était de facture particulièrement belle. Un sourire retroussa ses lèvres quand elle leva le regard sur Farhan.
-Tu sais que c'est impie de porter la main de Fatima ?
-Ah bon ? s'étonna-t-il, les sourcils dressés.
-C'est de l'idolâtrie. Tu ne dois pas demander à une amulette de chasser le mauvais œil, mais te mettre sous la protection d'Allah par la prière et la piété. En tout cas, c'est ce qu'on considère chez les sunnites, mais je crois que les chiites la tolèrent, et de toute manière beaucoup la porte plus comme un signe d'appartenance culturel ... Tu l'as eue où ?
Farhan cligna des yeux et ses lèvres se pincèrent en une mince ligne avant qu'il ne réponde :
-Mon père l'a trouvée dans la chambre d'hôtel. C'était dans le tiroir d'une table de nuit ...
Maya retira brusquement les doigts du bijou, comme s'il s'était mis à irradier d'une chaleur insupportable. Son monde sembla l'espace d'un instant autour de cette main aux cinq doigts déployés – cinq comme les cinq piliers de l'islam – et se réduisit brusquement à cette surface dorée qui chatoyait au soleil. Quelque part dans les éclats d'or et les nuances de vert, elle crut percevoir le visage aux traits flous de sa mère biologique, qu'elle imaginait avec ses boucles et les yeux doux de Farhan. Maintenant un détail se rajoutait au portrait : une chaîne dorée passée à son cou, avec la main flottait sur sa poitrine. Ses doigts se rétractèrent dans son poing qu'elle serra jusqu'à ce que ses ongles s'enfoncent dans sa peau.
-Tu peux l'avoir, si tu veux, proposa Farhan d'un ton calme, mais dont elle percevait l'émotion. C'est moi qui l'aie depuis toutes ses années, donc si tu veux ...
-Non.
Maya était surprise de sa propre détermination, mais elle émanait d'une part profondément sereine et inébranlable d'elle-même. Sa foi. Pour adoucir son refus, elle s'efforça d'adresser un sourire à Farhan.
-Non, non ... Je te l'ai dit, c'est contraire à la religion telle que je la pratique. C'est ... (Elle eut un petit ricanement étranglé et porta la main à sa bouche). Oh, s'ils portaient ça ... c'était qu'ils n'étaient pas vraiment croyants. Ou à peine. Ou chiites – et je ne sais pas ce qui est le pire ...
-Je pense qu'ils pratiquaient, lui apprit Farhan avec une grande douceur. Mon père a pu récupérer un coran dans la chambre ... et ... euh ...
Les yeux de Farhan se perdirent à travers la fenêtre alors que ses joues se coloraient délicatement. Avec amusement, Maya comprit qu'elle avait la réponse qui la tiraillait depuis quelques jours. Un poids immense s'envola de sa poitrine et elle devina avec un petit sourire :
-Tu as eu le droit à ta petite opération ?
-C'est une façon délicate de le dire, admit Farhan, toujours absorbé par la fenêtre. Mais je dirais que oui, j'y ai eu le droit. Ce qui prouve que notre mémoire est sacrément défaillante parce que ça a dû faire un mal de chien ...
Maya eut un petit rire devant l'air penaud et gêné de Farhan. Son père n'avait pas la même pudeur pour parler de sa circoncision et de la douleur qu'elle avait occasionnée – si pour la plupart des garçons elle avait lieu dans la première année afin de justement éviter un traumatisme, celle de son père avait été pratiquée à sept ans. Plus détendue maintenant qu'elle savait que ses parents biologiques étaient vraisemblablement croyants et que c'était un lien auquel elle pouvait se raccrocher, elle se laissa aller contre la table, la joue appuyée contre son poing. Peu à peu, le nœud dans ses entrailles se délitait.
-C'est tout ce que tu as, alors ? Un bijou, un coran ? Shahrazade ?
Maya avait sciemment glissé le prénom pour observer la réaction de Farhan. Cela ne manqua pas : ses doigts se crispèrent compulsivement sur ses pelures de clémentine et un pli de contrariété apparut au coin de ses lèvres.
-Je n'ai pas cherché à avoir plus, bougonna-t-il en coupant une pelure en deux. J'étais bien comme ça ... je me suis contenté d'en apprendre plus sur le peu que je savais. La Palestine, l'islam, l'arabe ... Je comblais le vide comme ça. (Un sourire trembla sur ses lèvres). Le fait que je te rattrape en route reste un petit miracle.
Maya battit des paupières, émue. Elle avait l'impression d'entendre son père, qui avait mainte fois répété que sa venue dans leur vue avait été un véritable miracle, compte tenu de leur histoire et de leur âge. Maya s'était toujours sentie indigne d'être un miracle et se retrouva tout aussi gênée par la formulation quand elle émanait de Farhan. Pourtant, cela revêtait une telle tendresse que cela l'adoucit assez pour qu'elle réponde du bout des lèvres.
-Contente de t'avoir trouvé aussi ... enfin, retrouvé.
Le mot lui donna envie de pleurer. Il sonnait faux. Elle n'avait aucun souvenir de lui, aucun souvenir de leur enfance commune. C'était comme ça que cela se construisait un frère, pas vrai ? Par des liens de sang, mais aussi par des souvenirs de famille, par les jeux d'enfants, par les disputes puis les réconciliations, les bêtises, les dîners de famille ... Elle avait ce type de relation avec des amis de sa famille qui lui tenait presque lieu de cousin tant ils avaient passés leur enfance ensemble, Rayan et Amina. Mais Farhan était apparu dans sa vie quelques semaines plus tôt, un jour ensoleillé de septembre. Avant cela, c'était le néant.
Farhan dut percevoir les larmes dans ses yeux car son visage se décomposa. Il agit instinctivement en prenant la main de Maya dans les siennes. Elle le laissa faire et se rendit compte quand ses doigts se retrouvèrent emprisonner dans l'étreinte de son frère que c'était précisément de ce genre de contact, de ce genre de soutien, dont elle avait besoin. C'était ce qui rendait les choses réelles. De sa main libre, elle écrasa une larme qui venait de rouler sur sa joue.
-Je suis désolée, j'ai l'impression de passer d'une émotion à l'autre, d'être complètement perdue ...
-Moi aussi, avoua Farhan dans un filet de voix. Je suis vraiment sur courant alternatif : un jour je vais bien, j'accepte, je suis serein, et le lendemain je sombre complètement dans les doutes et les questionnements. Alors je suppose que si on est deux à ressentir ça, c'est que ... c'est normal.
-Tu raisonnes comme un Serdaigle, fit remarquer Maya avec l'ombre d'un sourire.
-Ah ? Pourtant le Choixpeau a hésité avec Poufsouffle ...
-Moi aussi.
Ils sourirent de concert, un sourire entre les larmes de Maya, un sourire qui fendait le désarroi de Farhan. Un sourire pour matérialiser le lien qui lentement, à défaut d'exister, se construisait. Dans cette anecdote, Maya voulait croire que c'étaient les gènes qui s'étaient éveillés, une façon de penser et d'agir qui avait été transmise dans leur sang et qui aurait justifié pour tous les deux un envoie dans la Maison des justes et des travailleurs. Farhan baissa le regard sur leurs mains entrelacées et une lueur s'éteignit au cœur de ses prunelles. Sa pression se relâcha lentement sur les doigts de Maya.
-Ecoute, tu n'es pas obligée de te forcer ou de brusquer les choses ... Si tu préfères garder de la distance, continuer d'agir comme tu le faisais avant, je comprendrais parfaitement.
La honte submergea Maya quand elle considéra sérieusement l'option. Ne pas se torturer, poursuivre son chemin comme elle l'avait toujours fait, dépasser Farhan qui venait d'y apparaître brusquement et l'oublier derrière elle. Puis ses yeux se promenèrent sur la table, sur le Khasma qui scintillait toujours joyeusement, sur leurs mains entrelacées. Etait-elle prête à renoncer à cela ? Etait-elle prête à tourner le dos à sa véritable famille ? Elle prit une profonde inspiration et la voix de sa mère adoptive jaillit en elle, de la même partie sereine et insubmersible. Tout arrive pour une raison. Allah un plan. Trouve le ... Puisant dans cette fois et dans ce pilier qui la soutenait depuis toujours, elle trouva la force de relever les yeux et de planter son regard dans celui de Farhan. Il attendait sa réponse, le visage crispé par une appréhension qu'il ne tentait même pas de masquer.
-Je ne suis pas sûre d'en avoir très envie ...
Les traits de Farhan se détendirent et ses doigts qui s'étaient figés sur les mains de Maya retrouvèrent leur chaleur et leur mobilité. Ses prunelles retrouvèrent aussi tout leur éclat, réchauffée par un sourire qui fendit timidement son visage.
-Moi non plus, pour tout te dire ... Alors ... ça te dit qu'on prenne le temps ... d'apprendre à se connaître ? Et à comprendre ?
Maya hocha résolument la tête. C'était pour ça qu'elle était venue chercher Farhan, pour cela qu'elle appréciait que ses mains entourent ainsi la sienne, qu'elle avait soulagée d'apprendre que pour eux deux, le Choixpeau avait hésité avec Poufsouffle. De sa main libre, elle effleura une dernière fois le Khamsa avant de le glisser jusque Farhan.
-Garde le. Si tu l'as toujours autour du cou, c'est qu'il signifie beaucoup pour toi ... Je ne veux pas t'en priver. Ni finir en enfer.
-Merci d'y livrer mon âme, railla Farhan sans la moindre animosité. Mais si tu veux, je te ramènerais le coran ... Il est un peu abîmé et continue de sentir le brûlé malgré les années, mais ... c'est la seule chose que mon père a extirpé des décombres, caché dans une table de nuit à moitié détruite ... Le peu qu'il y avait a brûlé avec eux ...
Sa voix s'enroua et il toussa pour se donner contenance.
-Enfin bref, je pense que ça t'intéressera plus que moi. J'ai fait des recherches, mais plus par curiosité que par conviction ...
-Merci, chuchota Maya, touchée. Je l'accepte avec plaisir.
-Il est chez moi, par contre. A Londres.
-Tu n'es pas Irlandais ? Enfin palestino-irlandais ...
La double touche tenait à cœur à Maya. Elle était peut-être née sur le sol britannique, mais elle s'était toujours sentie en partie égyptienne, revendiquait son héritage arabe par la langue et sa culture. Elle était très fière d'être une bilingue complète, de manger des spécialités nord-africaines et même si elle était allée à l'école publique sous l'insistance de ses parents, en dehors de l'école elle s'était plus facilement lié aux enfants des amis de ses parents, dans ce petit cercle de descendant d'émigré chez qui elle pouvait parler arabe et faire sa prière. Les autres enfants n'avaient pas compris la différence, et cela avait été pire à Poudlard. Seules les Abbot la soutenait et la défendait. Farhan eut un sourire.
-Si, mon père est nord-irlandais. De Belfast. Mais il s'est installé à Londres quelques jours après m'avoir recueilli, Belfast était une ville dangereuse à l'époque. On était en plein conflit Nord-Irlandais, et il y avait régulièrement soit des attaques de l'IRA, soit des attaques de Mangemort alors ...
-Oh c'est trop mignon !
L'intervention fit sursauter Maya, d'autant qu'elle fut suivie d'un brusque fracas quand quelqu'un s'appropria lourdement la dernière chaise autour de la table. Elle leva les yeux sur le visage souriant et les yeux pétillants de Joséphine Abbot. Elle devait venir de dehors car ses joues étaient rougies par le froid, sa cape toujours serrée sur ses épaules et ses cheveux complètement ébouriffés par la brise. Elle retira son écharpe aux couleurs de Serdaigle, toujours souriante et étrangement, ce sourire réchauffa le cœur de Maya. Elle ne savait pas quand pour la dernière fois elle avait vu Joséphine si détendue.
-Vraiment adorable, poursuivit-t-elle joyeusement. Très heureuse que vous vous entendiez, mais soit vous rendez la chose publique, soit vous restez discret. J'ai perçu deux ou trois regards et je pense que les gens vont finir par avoir des pensées extrêmement déplaisantes appliquées à un frère et une sœur ...
Farhan et Maya échangèrent un regard horrifié et récupèrent immédiatement leurs mains. La jeune fille n'avait pas réalisé – ou plutôt, elle avait oublié – qu'ils étaient dans une pièce pleine de monde, et que certains élèves n'avaient pas d'autre occupation que d'observer leurs voisins. Elle porta les doigts à sa joue qui s'était mise à chauffer pendant que Farhan fusillait Joséphine du regard.
-Merci de l'info. Que nous vaut ta présence ? Tu t'ennuies ?
Le sourire de Joséphine s'agrandit malgré le ton presque froid de Farhan. Elle se débarrassa de sa cape d'un haussement d'épaule, révélant une tenue sportive décontractée qui tranchait avec les uniformes alentours.
-En fait, je reviens de l'entrainement et effectivement, je cherchais une occupation ...
-Mais Aidan était en haut, fit remarquer Maya, perplexe.
-Ouaip et il sera sans doute ravi d'apprendre que je m'entraine seule, rétorqua Joséphine. Je me suis fait battre par un gosse, hors de question que je laisse le crétin de Serpentard m'humilier la prochaine fois. Est-ce de la nourriture ?
Elle pointa les pelures de clémentine de Farhan et la clémentine en tant que telle qu'il avait pris dans les mains – plus pour les occuper que pour les manger. Le Gryffondor n'eut même pas le courage de s'indigner et se contenta de souffler très fort par les narines.
-Ce n'est pas possible ...
-Juste un quartier ! Le sport, ça creuse ! Allez O'Neil, je te paye en clope s'il le faut !
-Tu fumes ? s'exclama Maya, presque outrée.
Farhan foudroya si fort Joséphine du regard que Maya fut persuadée que la jeune fille rentrerait sous terre, juste par cette force simple et si intense. Mais elle resta droite et fière sur sa chaise, quoiqu'esquissant un sourire qui pouvait être qualifié de penaud.
-Entièrement de la faute de ma tante Fiona, se dédouana fermement Farhan, avant d'ajouter : Elle te plairait, Abbot.
-Ouh, lâcha Joséphine, vaguement amusée. La fameuse diva ? Je n'en doute pas ... Alors, nous avons un accord ?
La mâchoire de Farhan se contracta. Pourtant, il déchira sa clémentine en deux et tendit une moitié à Joséphine. Maya était presque persuadée qu'il faisait cela simplement pour la faire taire. Ou pour qu'elle s'étouffe. Loin de lui donner satisfaction, Joséphine se dépêcha de gober un quartier sans même mâcher et s'enquit tranquillement :
-Alors ? Vous mettez au point un plan de bataille ? Un plan B parce que la réponse de mon père tarde à arriver – et n'arrivera pas, je vous préviens. Il préférerait s'arracher le cœur plutôt que de trahir le secret des Aurors ... Enfin, si tant est qu'il est un cœur. Ça reste à vérifier.
Elle s'adressait à Farhan, constata Maya, mortifiée. Pas une seule fois depuis qu'elle s'était abattue sur la table elle n'avait tourné le regard vers elle. Les yeux de Farhan roulèrent dans leurs orbites et il repoussa ses lunettes dans ses cheveux, mais avant qu'il ne puisse rétorquer quoique ce soit à Joséphine, Maya avait pris la parole :
-Jo ... Je suis désolée.
Les yeux noisette de Joséphine se posèrent enfin sur elle. Maya avait toujours fasciné par sa ressemblance avec Bérénice : même chevelure cuivrée, même nez retroussé, mêmes iris oscillantes entre le brun et le vert d'une couleur claire et translucide. Et en même temps, dès qu'on s'accordait sur les détails, elles différaient totalement. Le visage de Bérénice était plus doux, plus en courbe, égayée par quelques tâches de rousseurs et d'adorable fossettes. Joséphine avait les traits plus durs, le visage plus carré mais elle compensait avec une énergie folle et un sourire qui animait son visage. Mais cette fois, le sourire était évanoui sur ses lèvres pour ne laisser qu'un pli dur au coin de sa bouche. A l'aveugle, elle arracha un autre morceau de clémentine dans lequel elle planta ses ongles et Maya se sentit obligée d'ajouter :
-Vraiment ... Je sais que j'ai été blessante. Et je sais que tu ne voulais pas me faire du mal, juste ... que je sache.
-Et qu'elle sache aussi, intervint Farhan dans un murmure qui lui valut le regard acéré de Joséphine.
-Aussi, concéda Maya avec l'ombre d'un sourire. Toujours est-il que ... je voulais vraiment te dire que je suis désolée.
Joséphine la lorgna quelques secondes pendant lesquelles elle mastiqua son quartier de clémentine. Quelque part, Maya sentit qu'elle appréciait le temps qui s'étirait, qui ajoutait du suspens et du poids à son jugement, qui lui donnait le simulacre d'un pouvoir.
-Ce n'était pas gentil, lança-t-elle finalement d'un ton volontairement neutre. Mais j'ai été brutale. Alors je suppose que ça nous met à égalité.
Maya ne pouvait pas espérer mieux de Joséphine : elle était trop fière pour lui part d'un complet pardon devant Farhan qui la lorgnait, les yeux plissés. La Serdaigle embraya par ailleurs très vite et ajouta d'un ton plus malicieux :
-Du coup vous choisissez quoi ? La discrétion ou le public ?
-La discrétion, répondirent précipitamment Farhan et Maya.
Ils échangèrent un sourire timide, mais soulagé. Les yeux de Joséphine étincelèrent.
-Un choix qui se comprend. Je tiendrais ma langue. Mais du coup, c'est quoi la prochaine étape ?
Les doigts de Farhan pianotèrent sur la table. Maya lui jeta un bref regard, incapable s'il était agacé ou gêné par la présence de Joséphine. En tout cas, elle l'avait indéniablement tendu et il évitait soigneusement son regard. Maya devait admettre que l'insistance de Joséphine l'embarrassait et corroborait ce que Farhan avait laissé échapper : elle voulait savoir. Elle avait découvert un mystère et voulait en découvrir les ramifications. Ça ressemblait tellement à Joséphine que Maya fut tentée de laisser échapper un sourire attendri.
-Parce que tu veux faire parti de l'équipe d'enquêteur ?
-Je dirais même qu'étant la première à avoir discerner votre ressemblance – et une vraie, ajouta-t-elle férocement en pointant un index sur Farhan. Une vraie, pas simplement un vague air parce que vous êtes tous les deux arabes ! Bref, je pense que ça fait de moi l'enquêtrice en cheffe, même.
Elle avait dit cela d'un ton très sérieux, accompagné d'un délicieux sourire qui montrait toute son impatience. Farhan sembla même s'attendrir, vaguement amusé par son enthousiasme.
-Est-ce qu'on peut vraiment t'en empêcher ... ? Mais tu sais que tu vas devoir côtoyer Charlie, tu as conscience de ça ? Maintenant qu'il sait, lui aussi va s'impliquer.
Le sourire de Joséphine s'affaissa – mais à peine. Très vite, il se teinta même d'un sarcasme et d'un ravissement qui éclaira son visage.
-Et me donner ainsi l'occasion d'à chaque fois lui rappeler que sur ce dossier j'avais raison et lui tort ? Merci du cadeau, O'Neil ! Alors, je suis conservée dans mon rôle d'enquêtrice-en-cheffe ?
-Je pense que tu vas devoir nous le céder, évalua Farhan, un faible sourire aux lèvres. Mais je ne pense pas qu'on puisse t'empêcher de mettre ton nez dedans et de toute manière je n'ai pas d'énergie à perdre avec ça ...
-Et Bérénice sera au courant de tout, certainement, renchérit Maya, étrangement rassurée. Et je sais qu'elle aura besoin de toi pour réfléchir ...
L'allusion fit rayonner Joséphine. La jeune fille s'en frotta les mains et la pâle lumière d'hiver brilla sur les bagues d'or blanc et d'argent qui ornaient ses doigts.
-Mais j'accepte ! Alors, le reste du plan, de ce fait ?
-Ecoute Jo, entonna Maya, indécise. On vient à peine d'accepter ce qui se passait alors ... Tu peux nous laisser le temps de digérer ?
-Et de toute manière, qu'est-ce que tu veux qu'on fasse ? ajouta Farhan avec une certaine amertume. Qu'est-ce que tu veux qu'on retrouve, douze ans plus tard ?
Maya partageait le défaitisme de Farhan : elle doutait trouver la moindre réponse à leurs questions. Qu'allaient-ils faire ? Interroger le personnel de Ste-Eustache où elle avait été placée avant d'être adoptée ? Le dossier d'adoption spécifiait bien qu'elle avait été trouvée. Tenter de trouver la réceptionniste de l'hôtel ? Nolan O'Neil l'avait déjà interrogée et Maya doutait que sa mémoire soit meilleure douze ans plus tard ... Mais leurs mines dubitatives ne parut pas décontenancée Joséphine qui avança précipitamment :
-Déjà, jette un œil à ton dossier d'adoption, O'Neil. Il est peut-être maigre, mais il y a peut-être un détail dessus qui ne t'a jamais interpellé mais qui cette fois va signifier quelque chose.
-Le temps renverse les perspectives, concéda Maya. Ça ne coûte rien ...
Leur attention se tourna vers Farhan, qui avait pincé des lèvres. Devant son air rebuté, Maya écarquilla les yeux et ne put s'empêcher d'attaquer avec une pointe d'acidité :
-J'ai été cherché mon dossier. A ton tour.
-Je le ferais ... C'est juste qu'il est chez moi et c'est le seul exemplaire. Je n'ai pas très envie de le confier à un hibou.
-Demande à ton père de le ramener, proposa Joséphine.
Mais Farhan continua d'hésiter. La tête basse, les yeux rivés sur le quartier de clémentine qui lui restait, il ajouta dans un filet de voix :
-Avec sa maladie, il supporte de moins en moins le transplanage. Il est allé chercher ma tante Fiona la semaine dernière ... elle a failli l'emmener à Ste-Mangouste dans la foulée.
L'information jeta un froid sur la table et même Joséphine dut humblement détourner le regard. Maya, elle, le garda droit sur Farhan, épouvantée. Elle se sentit brusquement égocentrique d'avoir songé être la cause de tous ses troubles, la raison pour laquelle il semblait l'éviter. Si la vie de son père avait été mise en danger, immédiatement après son retour de Poudlard ... Farhan dut percevoir leur malaise car il s'empressa d'ajouter avec un sourire forcé :
-Mais ça va ! Il a des potions, des techniques respiratoires : il réussit à se gérer ... C'est inquiétant, mais pas encore grave.
Il récupéra le pendentif toujours mis en évidence sur la table et le passa de nouveau autour de son cou. Joséphine dressa un sourcil mais s'abstint de tout commentaire – mais Maya la connaissait assez pour lire toutes les interrogations dans ses yeux. Il replaça correctement la chaine sous sa chemise et posa sa main sur sa poitrine, certainement là où se tenait à présent le Khamsa.
-C'est juste que ... ça fait beaucoup, en ce moment, avoua-t-il, épuisé. Vraiment beaucoup et en plus on les examens de fin de trimestre qui vont arriver ... J'avoue que si ça pouvait attendre quelques semaines, ça m'arrangerait. Le temps que je digère tout ça ...
Le temps renverse les perspectives, venait de déclarer Maya – et elle s'en félicita. Car de temps, c'était également de cela qu'elle avait besoin. D'apprendre à connaître Farhan, à appréhender sa nouvelle identité, de déconstruire cette impression qu'elle avait toujours eu que ses parents l'avaient abandonné. Et elle était reconnaissante à Farhan de lui laisser ce délai. Les questions étaient nombreuses – mais elles attendraient qu'ils y voient plus clair.
Joséphine parut frustrée par la demande, mais elle accepta à contrecœur :
-Je suppose que vous avez le droit au dernier mot ...
-Mais encore heureux, ricana Farhan, incrédule.
-Farhan, je pense sincèrement que c'est une fleur que Joséphine nous fait, intervint Maya avec fermeté. Alors acceptons la humblement – et en silence.
Joséphine lui adressa un sourire radieux avant de jeter à Farhan un coup d'œil victorieux qui sonnait comme de la vantardise. Pour toute réponse, il se contenta de lentement secouer la tête, entre consternation et condescendance. Mais comme il l'avait lui-même dit, ils n'avaient d'énergie à perdre à repousser une Joséphine qui avait déjà planté ses griffes dans leur affaire – en plus d'être un atout indéniable de par son intelligence et sa façon bien à elle de percevoir les choses. Maya dénombra intérieurement le nombre de personne qui risquait de s'impliquer dans leurs questionnements. Joséphine, l'instigatrice. Bérénice, sa sœur à la froide organisation. Charlie, le pilier de Farhan. Une vague de soulagement l'envahit lorsqu'elle réalisa que, quoiqu'il arriverait, elle serait soutenue et entourée. Le chemin semblait obscur, effrayant et débouchait peut-être sur du vide, mais elle ne s'y aventurait pas seule.
-Parfait, savoura Joséphine. Maintenant ...
Elle fouilla les poches de sa cape pour en sortir un étui argenté duquel elle extirpa une cigarette. Elle la coinça ostensiblement au coin de sa bouche, sous les yeux horrifiés de Maya.
-Mais tu ne vas pas fumer ici ?
-Ici, non, je respecte les autres, marmonna-t-elle, la cigarette gigotant entre ses lèvres.
-Alors tu ne peux pas attendre d'être dehors pour sortir ta cigarette ?
-Non, parce que je veux tenter Farhan, je sens qu'il a besoin. Et je règle mes dettes, moi.
Joséphine secoua son étui d'un air suggestif et une nouvelle fois, Farhan la contempla longuement en secouant la tête, mais de manière moins convaincante. Maya remarqua vite qu'il lorgnait effectivement la cigarette coincée entre les lèvres de Joséphine, tenté. Il céda en saisissant l'étui qu'elle lui tendait, avec un soupir qui sembla arraché aux tréfonds de lui-même.
-Joséphine Abbot ... tu es le petit démon sur mon épaule.
-C'est un honneur, railla la jeune fille en se levant. Allez viens, tant qu'il fait encore clair ... Maya on se voit ce soir ?
-Attends ! la retint-t-elle, mue d'une inspiration soudaine. Je peux t'emprunter Athéna ?
-Ma chouette ? s'étonna Joséphine en clignant des yeux. Pourquoi ?
-Je ne suis pas sûr mais je pense qu'elle veut envoyer une lettre, fit mine de réfléchir Farhan d'un ton mutin.
Joséphine le gratifia d'une pichenette lointaine pour le faire taire et le geste arracha un sourire au jeune homme. Maya abonda en hochant la tête, le cœur lourd.
-Oui. A mes parents ... Ils m'ont demandé de les tenir au courant.
Elle s'en voulut d'avoir fait la précision, car aussitôt, Farhan perdit le petit sourire qui avait ourlé ses lèvres. Il baissa les yeux et ses doigts ouvrirent compulsivement l'étui de Joséphine pour en tirer une cigarette. Oh la la, faites que Pince ne les voit pas, songea nerveusement Maya.
-Tu peux piquer dans mes parchemins, si tu veux écrire ta lettre ici, proposa-t-il néanmoins, sans la regarder.
-Et Athéna est à la volière, ajouta Joséphine, d'un ton presque gentil. C'est parfait, ça lui dégourdira les ailes : j'envoie peu de lettre depuis la rentrée. A toute !
Elle lui adressa un signe de main et s'en fut, sa cigarette toujours ouvertement coincée dans sa bouche qu'elle s'amusait à agiter, sa cape sous le bras et son balai dans l'autre. Farhan la suivit avec un dernier sourire, gêné, timide mais plein de promesse en direction Maya. Quand ils passèrent la porte de la bibliothèque, ils étaient côtes à côte et Farhan avait même arraché la cigarette aux lèvres de Joséphine, provoquant une exclamation indignée qui s'évanouit vite dans l'écho des couloirs.
Maya se retrouva seule au milieu des affaires abandonnées de Farhan. Lentement, elle tira à elle un parchemin et une plume. Le cœur qu'elle semblait avoir depuis des heures au bord des lèvres glissa au bout de ses doigts et elle se mit à se libérer de son poids en inscrivant d'une écriture brillante : « Papa, maman ... j'ai un frère ».
***
Je suis particulièrement contente de ce chapitre donc j'attends avec impatience vos réactions. FEU !
Ma seule inquiétude demeure sur la gestion de la culture arabe et religion musulmane, je me renseigne un maximum mais si je fais une imprécision, n'hésitez pas à me le faire gentiment remarquer !
Sur ceux, je vais aller me noyer sous la douche pour oublier que je reprends le boulot demain. BISOUS et bon courage à tout le monde !
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