CHAPITRE 17
Seul, je suffoque.
Le choc est violent, ma gorge est brutalement nouée, et je vois devant mes yeux le visage d'Avril se décomposer.
Le sol se dérobe sous mes pieds, je sens que tout s'effondre et je dois faire tous les efforts du monde pour rester debout.
Après la disparition de Thalia, je ne pensais pas connaître de nouveau une désillusion aussi violente.
Je suis obligé de faire pause sur l'enregistrement vidéo pour essayer de m'en remettre.
Avril est malade. Elle a la mucoviscidose.
Je ne sais même pas ce que c'est exactement.
Lorsque je saisis ma souris d'ordinateur pour faire des recherches sur internet, je réalise que ma main droite tremble.
Ce constat me perturbe plus qu'autre chose, parce qu'il signifie que non seulement je suis bien plus sensible que je ne le voudrais l'être à la maladie d'Avril, mais qu'en plus je n'en ai même pas conscience.
En deux trois clics j'accède à des informations sur cette maladie, et ce que je lis me glace le sang.
Maladie génétique, due à un gène défectueux. Sauf qu'une personne atteinte de cette maladie porte deux gènes défectueux, un seul n'est pas dangereux, et comme les parents d'Avril ne peuvent pas avoir la mucoviscidose puisque sinon ils seraient morts cela signifie qu'ils étaient porteurs d'un gène défectueux sans en avoir conscience.
Mais elle, n'a pas eu de chance, et a récupéré le gène défectueux de chacun de ses parents.
En France il y a quand même environ 200 nouveaux nés atteint de cette maladie chaque année, sur des milliers de naissance, et le dépistage est pratiqué sur tous les bébés le troisième jour de la naissance.
Ce qui signifie qu'Avril est malade depuis sa naissance, et qu'elle le sait parfaitement. Et qu'elle n'en a jamais parlé.
Tout à coup, je comprends absolument tout.
Son esprit pessimiste plus que réaliste, l'espoir qu'elle n'a jamais, ses paroles toujours sèches et peu attentives au mal qu'elle pourrait faire. Son inconscience par rapport au danger, le fait qu'elle s'en fiche toujours de tout. De ses notes, d'être irrespectueuse, du regard des gens, de blesser les autres.
Elle sait parfaitement qu'elle n'a pas le temps de réfléchir, de faire le bien, des concessions pour rendre heureux les gens. Elle veut faire ce qu'elle veut tant qu'elle le peut car elle sait parfaitement qu'elle peut mourir à tout moment. N'importe qui évidemment, mais elle plus que n'importe qui.
J'apprends que c'est une maladie qui touche les voies respiratoires notamment les poumons et le pancréas.
Complètement sonné, et incapable de réfléchir maintenant, je retourne sur la page de vidéo et appuie sur le bouton « lecture ».
Voir le beau visage d'Avril en image me perturbe alors, et honteux de n'avoir jamais rien remarqué après toutes ces années, je détourne le regard.
Le commandant Rocher reste imperturbable, d'où est la caméra je ne peux pas voir son visage mais je ne le sens pas tendu.
- Je ne suis pas là pour te faire du mal Avril.
- Mais bien sûr. Vous êtes là pour me soutirer le maximum d'informations pour votre enquête, que je le veuille ou non et vous êtes prêts à me faire dire ce que je ne veux pas dire. Vous appelez ça comment vous ?
- Être commandant, policier, enquêteur, flic comme tu dis. Je ne fais que mon boulot.
- Ah oui ? C'est votre boulot de fouiller dans la vie privée des gens ?
- Je n'ai qu'évoqué ta maladie Avril, je ne suis pas allé en parler à Théo ou qui que ce soit d'autre.
- Cessez de me parler de Théo, et de toute façon tout ici dans cette salle est enregistré. Il suffit que quelqu'un tombe sur cet enregistrement pour qu'il sache et je n'en ai aucune envie.
- Personne d'autre que mon équipe ne visionnera cet enregistrement Avril, tu peux me croire.
A ce moment-là, la jolie rousse secoue la tête et éclate d'un rire mauvais. Elle lâche :
- C'est ça.
Elle ne croit pas le commandant, et lève soudain la tête vers la caméra.
Vers moi.
J'ai le sentiment soudain qu'elle me regarde, moi.
Et puis je comprends.
Avril avait anticipé ma réaction. Elle savait ce que j'aurais en tête. Elle savait que j'irais fouiller chez les flics, et que je voudrais récupérer les enregistrements vidéo. Elle ne voulait surtout pas que je sache, et elle se doutait que je finirais par savoir. Mais de la mauvaise manière.
Je réalise soudain que si je l'avais emmenée avec moi à la place de JP, elle aurait compris immédiatement mon stratagème et l'aurait détrôné sans même que je ne m'en aperçoive. Elle se serait débrouillée pour que jamais je ne tombe sur cet enregistrement, parce qu'elle est mille fois plus astucieuse que moi.
Je comprends soudain que je joue un jeu d'ombre avec Avril sans en avoir conscience, nous jouons sur deux tableaux inconnus dont l'autre n'a pas forcément conscience, nous tentons de prendre des coups d'avance et de nous piéger mutuellement. S'efforçant de camoufler nos secrets du mieux que nous pouvons de l'autre.
Avril retourne la tête face au commandant, et interroge :
- C'est quoi votre question suivante ?
Rocher n'est même pas surprit de son audace ni de sa vivacité, il enchaîne en ayant parfaitement compris qu'Avril ne souhaitait pas discuter de sa maladie avec lui :
- Est-ce que Thalia avait beaucoup bu ?
- Honnêtement je n'en sais trop rien. J'étais défoncée, mais je sais qu'elle a bu trois quatre shots avec moi.
- Tu ne te souviens que de ça ?
- Vous croyez sincèrement que j'irais vous cacher des informations commandant ?
- Tu as caché ta maladie mortelle pendant presque sept ans à tes meilleurs amis, alors tu peux m'autoriser à douter je crois.
Cette fois, Avril ne réplique rien. Elle détourne le regard et n'a pas l'insolence de rétorquer quelque chose parce qu'elle se sait en tort. Et elle se doute sûrement qu'elle est moins en position de mentir qu'auparavant.
Ma première question revient alors, qu'est-ce qu'Avril a caché aux flics ?
- Plus tard dans la soirée tu ne te souviens de rien ? Vraiment ?
Avril lâche un soupir et cède :
- Vraiment commandant, je ne me souviens que de peu de choses. Je me souviens être arrivée, avoir posé mon manteau sur le canapé, et avoir discuté avec Simon et JP en attendant les autres. Je me souviens avoir dansé sur de la vieille musique, je crois que c'est Simon qui l'avait mise, je me souviens ensuite mais bien plus tard avoir fait des jeux d'alcool avec les autres.
- Tous les autres ? Il y avait Thalia ?
- Oui elle était là, du moins je crois. Théo non par contre, il dormait.
- Donc Théo dormait pendant que JP, Simon, Amy, Val, Thalia et toi jouiez ?
- Oui.
- C'était loin de l'endroit où Théo était ?
- Assez oui, on jouait dehors et lui dormait à l'intérieur.
- Et ensuite ? Tu te souviens d'autre chose ?
- Non, désolée.
- Vraiment ?
- Oui commandant.
Comme un silence passe durant lequel le commandant semble fixer Avril, celle-ci lâche doucement et d'un air résigné :
- Je vous ai caché ma maladie alors que je n'en avais pas le droit. J'aurais dû le déclarer plus tôt d'après la loi. Mais je dis la vérité, je ne me souviens que ce que je vous ai cité.
Le commandant hoche la tête, sans répondre.
Il enchaîne :
- Penses-tu que quelqu'un aurait eu des raisons de lui en vouloir ?
- A Thalia ? Franchement non. Je vous l'ai dit, tout le monde l'aimait et elle aimait tout le monde. Ça me paraît surréaliste qu'on ait pu vouloir la trucider à la tronçonneuse, logiquement ç'aurait plutôt dû être moi.
Elle sourit en disant ces mots et je dois une seconde détourner le regard face à l'image d'une Avril souriante condamnée évoquant le massacre de ma jumelle.
- Tu es plutôt crue dans tes propos, remarque Rocher.
- Je vais crever d'une crise d'asthme commandant, je crois que je suis en droit d'être crue.
- Tu me fais penser à mon fils.
Avril semble surprise, et je le suis aussi.
Elle s'étonne :
- Où est le rapport ?
Je souris face à l'indélicatesse dont elle fait preuve en en parlant de cette manière.
Le commandant se redresse, et puis avoue :
- Ne t'en fais pas, Jules était comme toi donc j'ai l'habitude.
Avril demande immédiatement sans hésiter :
- « Était » ? Il est mot ?
Le commandant répond :
- Non, il a survécu. Une leucémie. Mais la maladie l'a suivi pendant toute son adolescence. Aujourd'hui il a dix-neuf ans, mais tu as raison je ne devrais pas utiliser le passé parce qu'il est toujours aussi pessimiste et insolent. Tu lui ressemble beaucoup je trouve.
Avril garde le silence, et je sens presque tout son mélange d'émotion brouiller sa tête.
Soudain émue, elle chuchote :
- Vous avez de la chance commandant.
- La maladie peut revenir tu sais, conteste Rocher doucement.
- Comme elle peut repartir. Votre fils a une chance de survivre. Même si elle est petite.
- Je ne vais pas te contredire. Mais même s'il survit, il doit tout de même passer beaucoup d'examens et toute son adolescence a été gâchée. Même si c'est mieux que ton cas à toi. Dans tous les cas, il peut comprendre ce que tu traverses, crois-moi. Tu devrais le rencontrer.
- Pour faire un genre d'organisation du style « les malades anonymes ? », se moque Avril.
Mon cœur s'arrête de battre face à son irrespect.
Le commandant ne s'énerve pas, et si Avril se rend compte des horreurs qu'elle vient de sortir elle n'en montre rien.
Je retiens mon souffle.
Le commandant se redresse, et répond :
- Non Avril. Pour que tu comprennes enfin que tu n'es pas seule.
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