CHAPITRE 12
Le plus dur lorsque l'on revient en cours après un week-end comme le mien, c'est d'ignorer les regards.
Jusqu'ici je n'avais jamais eu besoin d'ignorer qui que ce soit difficilement, je suis même un pro en la matière parce que je m'intéresse rarement aux gens. J'ai beau être observateur et garder en mémoire des dizaines de petits détails, je ne m'intéresse nullement à la vie d'autrui, ni aux avis d'ailleurs.
Et on ne m'a jamais fait chier, j'ignore ce que les gens disent de moi et à dire vrai je m'en contrefous.
Contrairement à Thalia qui elle n'a jamais supporté le regard des gens et la moindre petite critique sur son comportement ou son physique. Bien que ces critiques là soient rares il me semble.
La photo de Thalia étant apparue dans les journaux puisque cela fait désormais plus de vingt-quatre heures qu'elle a disparue, tout le monde est au courant.
Et on ne se prive pas de nous regarder mes amis et moi d'un air de pitié absolument détestable.
Mais le pire c'est peut-être les yeux des profs lorsqu'ils se posent sur nous.
A la fois compatissant et pitoyables. Je déteste ça.
En cours de maths cette fois, je ne suis pas concentré.
JP fait des blagues, mais l'entrain n'est plus le même. Même s'il continue de rire avec Valentin et que je tente de ne pas paraître trop déprimé, la disparition de Thalia flotte au-dessus de nous comme un nuage noir.
Martel est revenu, et immédiatement mes pensées se tournent vers Thalia. Elle adorait ce professeur, je l'ai surprise de nombreuses fois à parler avec lui après un cours alors que j'allais la chercher à sa classe. Je sais qu'il l'aidait toujours particulièrement, et qu'il la soutenait.
Bien que ses résultats en maths progressaient difficilement, elle s'accrochait et visiblement Martel ne perdait pas espoir.
Je n'ai jamais vraiment parlé personnellement à ce prof, je ne suis pas très relations élèves/profs, je laisse ça aux ados plus sociables que moi.
Mais lorsque la sonnerie retentit, et que Martel m'interpelle alors que j'allais sortir de la classe, je me retourne un peu curieux.
Il vérifie que la totalité des élèves soient sortis pour me demander :
- Tu as cours de quoi après ?
- Euh français, pourquoi ?
- Je vais te faire un billet.
Il sort un petit papier, griffonne quelques mots dessus, et surpris je l'observe faire sans vraiment comprendre.
Ses cheveux d'un noir de jais tombent devant ses yeux bleus gris, il a une petite moustache ainsi qu'une barbe qu'il rase, la trentaine, il dégage une certaine assurance et autorité pour un professeur de mathématiques.
Il me tend son billet, s'appuie contre son bureau, et me demande :
- Je voulais te communiquer mon soutient pour Thalia.
C'est à vomir. Je déteste l'hypocrisie des profs.
- Ouais, je lâche froidement.
Martel ignore mon ton, et continue :
- Il faut garder espoir, même si Thalia m'a toujours affirmé que tu étais très pessimiste.
- C'est ça.
Mon ton est sans appel. Je ne veux pas discuter avec lui et je veux qu'il le sente, même si j'ai toujours aimé sa manière d'enseigner. Je ne veux pas que l'image que j'ai de lui se ternisse à cause de sa soudaine hypocrisie envers moi.
Il sourit légèrement alors, et plante ses yeux dans les miens.
Il dit alors plus calmement :
- Bon, il ne sert à rien de tourner autour du pot et de laisser des paroles floues flotter au-dessus de nous. Je sais que tu déteste ce genre de phrases lâchées par des profs qui veulent bien faire, et que tu commences à me voir comme l'un d'entre eux. Alors si ça peut te rassurer, je le fais simplement parce que je veux que tu saches que si jamais Thalia ne revient pas, elle m'a confié combien elle t'aime.
Il laisse passer un silence alors que cette fois ses paroles retiennent mon attention, et puis il ajoute :
- Et combien elle voulait que tu sois fière d'elle.
Cette fois les détails qui étaient sous mes yeux se mettent à clignoter comme des appels de phare, et je lève le regard sur Martel.
Son expression est calme et pourtant profonde, je sens une sincérité étonnante dans son regard. Je comprends alors qu'il sait que je déteste l'hypocrisie, et que tout ce qu'il cherche à faire, c'est me préparer à une dure réalité si jamais elle devait s'imposer à moi.
Mais je demande :
- Pourquoi Thalia vous confiait-elle de tels sentiments ?
Martel sourit en coin, baisse la tête en réfléchissant, puis répond :
- Je me doutais que tu allais poser cette question.
Il relève la tête vers moi, et puis s'explique :
- Je ne t'apprends rien en disant que Thalia est sensible. Et surtout qu'elle manque cruellement de confiance en elle.
- Vous êtes professeur ou psychologue ? Je demande sèchement.
Martel sourit, retire les mains de ses poches et s'approche du tableau.
Il commence à l'effacer, et m'explique :
- Le rôle d'un professeur n'est pas seulement de connaître tous les secrets de sa matière. Il doit aussi être pédagogue, et donc comprendre comment enseigner tel chose à tel élève. Si j'avais des années devant moi, je m'attarderais sur chacun des élèves que j'ai pour comprendre ses failles, ses atouts, et adapter chaque contrôle pour lui et lui-seul. Je ne respecterais pas le programme ni l'état, je ferais mes contrôles en fonction de l'élève qui les fait.
C'est effectivement ce que j'avais remarqué en l'ayant cette année. Martel n'est pas seulement professeur, il l'est par passion, il veut pousser les élèves plus loin.
Il continue en reposant la brosse :
- Si un élève a des difficultés dans une matière, ça n'a pas forcément un rapport direct avec la matière. Mais avec son histoire, ses problèmes, sa vie.
Je l'observe, me faisant la réflexion que Martel est bien plus intelligent que je ne l'aurais pensé.
- J'ai longtemps proposé à Thalia de changer d'option et de faire anglais approfondi. Mais cela a toujours été un refus catégorique. Alors qu'elle récoltait des cartons dans ma matière. Je n'ai jamais compris ce choix contradictoire alors que je savais Thalia plus réfléchie que ça. Alors j'ai essayé de comprendre d'où venait le problème, et j'ai rapidement vu que le rapport était directement lié avec ses parents. Vos parents.
Il prend une petite inspiration, certainement pour remettre ses souvenirs en forme, et puis il continue en orientant son regard bleu gris sur moi cette fois.
- Elle a fini par me parler lors de l'un de nos cours de ses amis, de ses parents, de toi. Lorsque j'ai demandé ce qu'elle elle voulait, et ce que ses amis en disaient, elle m'a appris que tu étais le seul à approuver la décision de vos parents sur le choix de son option.
Son ton ne me reproche rien, son regard non plus. Martel reste neutre, il ne m'assassine pas de reproches.
Mais moi, c'est comme ça que je le prends à ce moment-là, car je devine la suite.
- Je crois que Thalia le vivait bien plus mal que ce qu'elle s'adonnait à te faire croire, finit Martel.
- Je vois, je réponds.
Je suis surpris par ma voix tremblotant légèrement. Je toussote, et puis détourne le regard.
Martel soupire, et puis lâche :
- Je ne suis pas là pour te faire culpabiliser Théo, au contraire. J'ai bossé sur toi pour trouver tes failles, mais je n'en ai pas trouvé beaucoup. Tu es travailleur, motivé, ambitieux. Intelligent, tu as des facilités que tu exploites très bien. Seulement, tu as des œillères qui te cachent du reste. Lorsque tu es focalisé sur ton objectif tu ne vois pas forcément les conséquences qu'elles peuvent avoir sur les autres. J'ai aussi le sentiment que tu ne laisses pas assez la place aux émotions. Tu sembles extérieur à tout, comme si rien ne t'atteignait. C'est un atout comme un défaut. Et je pense que Thalia a toujours voulu te ressembler en un certain sens.
Bluffé par son analyse, je suis incapable de répliquer. Je sais parfaitement qu'il a raison, seulement c'est dur à admettre au fond de moi.
- Bref, tout ça pour te dire que je pense que Thalia t'a toujours pris pour un modèle, et qu'elle t'admirait autant qu'elle t'aimait. Tu es sans doute la personne la plus importante pour elle dans sa vie.
Et c'est réciproque.
Le téléphone de Martel se met soudain à sonner, il s'excuse, et regarde le destinataire.
- J'en ai pour une seconde excuse-moi.
Il décroche, un silence passe, et puis son regard se voile brusquement.
Il dit alors doucement, m'apparaissant soudain vraiment triste :
- Oh... Oui... Je viendrais demain d'accord... Oui... Hum... Elle aurait aimé je crois...Oui... Je vois... Très bien, je vous rappelle plus tard Marie... Merci... Courage à vous aussi.
Il raccroche, observe une seconde son téléphone d'un air absent.
Puis il se reprend, se tourne face à moi comme s'il avait momentanément oublié ma présence, et puis il me lance un sourire réconfortant.
Il jette soudain un œil à sa montre, et lâche :
- Oula moi aussi je suis en retard, je vais te laisser Théo.
Je me dirige vers la porte tandis que Martel récupère sa sacoche, il éteint les lumières, referme la porte à clé, et juste avant de se diriger dans la direction opposée à la mienne, il me sourit et me dit :
- Ah, et tu avais raison. J'ai bien fait des études de psychologie.
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