J'accélérai jusqu'au bout de la salle des serveurs, courant presque pour rattraper l'ombre qui y avait disparu. Je surgis à l'angle et me retrouvai face à une porte blindée. Elle s'ouvrit en me détectant, produisant un laborieux grincement mécanique.

Impossible de passer par là en silence, et aucune autre issue ni cachette n'était visible... Pourtant j'avais bien vu quelqu'un.

 Un long couloir se trouvait de l'autre côté de la porte. Tout au bout, une vitre panoramique laissait filtrer la lumière bleutée de l'étoile de Genesis. Une silhouette sombre passa devant la fenêtre avant de disparaitre à l'angle du couloir.

Serrant ma torche à plasma, j'avançais vers la lumière, suivant la forme qui se dérobait. La porte de la salle du serveur se referma dans le même vacarme qu'à l'ouverture.

Quelque chose rodait à bord, réagissant à ma présence et m'attirant à sa suite. À moins que ce ne soit mon esprit qui ne me joue des tours? Après cinq siècles de stase, c'était une hypothèse à envisager. Un dysfonctionnement quelconque, un effet secondaire du stimulant...

-Montrez-vous! exigeais-je.

Un long couloir s'étendait des deux côtés d'une intersection en T. Les cloisons étaient percées de fenêtres d'observation.

Debout devant une de ces fenêtres, un homme en uniforme s'appuyant sur une canne regardait l'étoile de Genesis. Il se tourna vers moi sans hâte; sa jambe de fer claqua sur le sol.

C'était impossible, et pourtant je reconnaissais l'homme qui se tenait devant moi.

-Amiral Kress...

C'était le plus expérimenté de mes amiraux, le plus inflexible aussi. Couvert de cicatrices et exhibant fièrement ses prothèses comme autant des médailles témoignant de ses faits d'armes.

Mais il ne pouvait pas être ici. Le véritable amiral Kress était mort durant la bataille de Terranie.

-Mon seigneur, me salua-t-il, m'identifiant sans hésiter en dépit du masque qui cachait mon visage.

Il se détourna, marchant en s'aidant de sa canne. Je décidai de le suivre.

Ses pas résonnaient sur le métal, sa silhouette  projetait une ombre sur le sol... Même sa démarche copiait parfaitement celle de l'amiral. Ça ne ressemblait pas à un hologramme. Une hallucination? Ou autre chose?

-Vous êtes mort, indiquais-je après quelques mètres.

-C'est exact, répondit tranquillement le fantôme. Je ne suis qu'un simulacre numérique de l'amiral Kress, créé à partir des données conservées à bord de cette station.

Cette réponse soulevait de nouvelles questions.

-Créé par qui? Delta?

-Delta a cessé de fonctionner il y a des siècles, m'informa la projection. Son réseau central était devenu défaillant; il s'est divisé en entités plus simples, plus durables, chargées de gérer des taches précises. Des processus.

Une porte s'ouvrit à notre approche, donnant sur un couloir plus étroit et aux murs aveugles.

-Pourquoi êtes vous ici? demandais-je. Et pourquoi imiter l'apparence de Kress?

-Le processus qui m'a créé espérait sans doute qu'un visage familier allait faciliter les choses, répondit-il. J'en suis réduit aux hypothèses; je sais seulement que ma mission est de vous guider jusqu'au creuset.

Encore une réponse qui soulevait plus de questions.

-Le creuset?

-J'ignore ce que c'est, avoua le simulacre. Nous allons le découvrir ensemble.

Je m'arrêtai. L'amiral se tourna vers moi, mais il changea d'apparence en un battement de cœur, et c'est un autre fantôme qui me fit face.

-Pourquoi cette nouvelle forme? demandais-je.

-Un processus supérieur a dû estimer que l'amiral n'était pas le guide approprié, répondit le simulacre de Varig Atorias.

Ses yeux avaient la teinte sanglante résultant de son premier contact avec le Nihilithe. Il portait son uniforme blanc de chevalier impérial, le rang que je lui avais accordé. C'était mon soldat et celui que je destinais à devenir mon successeur, même si je ne lui avais jamais dit.

C'était avant qu'il ne bascule sous l'influence de l'inquisiteur Appollyon et ne devienne le héraut de l'apocalypse.

-Cesse cette mascarade, ordonnais-je avec colère. Rapport de situation!

Varig secoua la tête.

-J'ai peur que les choses ne soient pas si simples, indiqua-t-il en reprenant sa marche. Les processus ont perdu depuis longtemps la capacité à interagir avec un humain. Je suis ce qu'ils ont de mieux à offrir... Et je n'ai pas les réponses que vous cherchez. Je dois seulement vous aider à parvenir au creuset.

Je le suivis avec un temps de regard, pris d'une colère sourde. Mes craintes s'étaient réalisées; Delta avait mutilé son propre code pour poursuivre ses fonctions, changeant bien au delà de ce qui était prévisible. Je n'avais aucun moyen de connaitre ses intentions, ni même ses capacités ou ce qu'il restait de sa logique.

-Vous avez trouvé la torche, ajouta le simulacre. C'est bien.

-Pourquoi? demandais-je, craignant déjà de ne pas recevoir de réponse.

Varig s'arrêta soudainement et me désigna une porte dans un couloir sur notre droite, dont les lourds vantaux de métal étaient entrouverts.

-Vous devez découper un accès, expliqua-t-il.

Je n'avais pas confiance en ces simulacres, mais d'un autre côté je n'avais pas vraiment de meilleure option que de suivre leurs directives jusqu'à ce "creuset". Je m'approchai donc de la porte et j'allumai la torche à plasma, entreprenant de faire fondre l'alliage. Des étincelles tombèrent en pluie, ricochant sur mon casque.

-J'ai essayé de sauver l'Empire, déclara Varig. C'était épuisant, ça m'a presque broyé. Comment avez-vous pu tenir toutes ces années? Décider de la vie et la mort d'autant de gens?

-Tu n'es qu'un programme, répondis-je. Tu n'as rien fait, rien vécu.

Le chevalier secoua la tête.

-Je le sais. Mais ce n'est pas ce que je ressens; je suis programmé pour agir et penser comme celui que j'incarne. Il voudrait vous poser la question.

Je remontai lentement la torche, laissant une cicatrice rougeoyante dans le métal.

-Que sais-tu de la station et de son état? demandai-je. L'alimentation, les...

Mais quand je tournai la tête vers lui, le simulacre avait disparu. J'étais de nouveau seul. Le processus avait-il estimé que sa mascarade n'était plus nécessaire puisque je refusais d'entrer dans son jeu?

Après une minute d'efforts, le rectangle que j'avais découpé tomba dans un fracas de métal. Peu d'espace, mais ça suffirait.

Je reculai pour prendre un peu d'élan, plongeant à travers la brèche en me réceptionnant d'une roulade.

Alors que je me redressais, je me trouvais face à face avec un autre fantôme surgit de mon passé.

-Nina...