Le casque de ma combinaison était stocké dans un compartiment sous mon caisson de cryostase. Privée de la connexion à Delta, l'extérieur de la visière n'affichait plus qu'un noir mat. Les constellations mouvantes qui brillaient à sa surface s'étaient éteintes, comme celles d'Andromeda.

En récupérant l'objet, un sentiment étrange m'envahit. J'avais pris l'habitude d'avoir l'IA constamment à mes côtés, de lui parler et de construire mes plans avec lui. Son absence créait un vide étonnamment désagréable.

À moins que cette sensation ne vienne plutôt de mon incapacité à comprendre ce qui se passait ici.

J'enfilai le casque et récupérai une bouteille d'oxygène, au cas où des sections de la station seraient privées d'air. Il était temps d'aller chercher des réponses.

En me mettant en route, je jetai un dernier regard vers Jalen et Bellis. Sans Delta je n'avais aucun moyen de les réveiller. L'ingénierie n'était pas mon fort, pas question d'essayer de trafiquer les commandes des cryopods.

Mieux valait les laisser ainsi.

Mes pas étouffés par les semelles souples de la combinaison ne produisaient aucun bruit alors que j'avançais entre les caissons vides, alignés comme les pierres tombales.

Les portes de la chambre de stase s'ouvrirent à mon approche. Un bruit de métal écrasé se fit entendre, et le mécanisme s'arrêta à mi-course.  Il y avait tout juste assez d'espace pour me faufiler entre les lourds vantaux blindés.

Une lumière pâle s'alluma plus loin dans la coursive. Oxygène, gravité... Les systèmes de la station fonctionnaient toujours, mais ma combinaison ne détectait aucun réseau. Contradictoire...

La plupart des lumières avaient cessé de fonctionner et les couloirs de la station étaient plongés dans la pénombre; les cloisons, les câblages, tout semblait ancien. Usé.

Rien d'étonnant après cinq siècles de fonctionnement continu.

Les simulations prévoyaient qu'une intervention humaine serait tôt ou tard nécessaire pour compenser une défaillance de l'IA. C'était d'ailleurs la raison pour laquelle j'étais resté à bord; mais mon réveil ne suivait aucun des protocoles établis.

Je devais atteindre le centre de contrôle, en espérant y trouver des réponses. Plusieurs sections me séparaient encore de mon objectif. Peut-être que les...

Au détour d'un couloir, une grande silhouette humanoïde se dressa soudain devant moi. Je reculais précipitamment derrière l'angle de la cloison avant de risquer un coup d'œil prudent.

C'était une Interface, un des milliers de robots autonomes construits par Delta. Leur design venait du monde mort de Polème, une planète où des armées de machines autorépliquantes s'étaient livrées à des décennies d'une guerre absurde, décimant leurs créateurs respectifs et poursuivant un conflit dont les protagonistes étaient morts depuis longtemps. Les IA avaient fait évoluer leur architecture physique et logicielle dans des directions intéressantes, que Delta avait adapté aux besoins de la Fondation.

Ouvriers et soldats, les Interfaces avaient bâti en quelques mois les installations de Genesis. Ils en avaient ensuite vraisemblablement assuré la maintenance et la garde depuis des siècles.

Je m'approchais, éclairant la tête sans visage de la machine, rappelant mon propre casque. Elle était parfaitement immobile, inactive. Impossible de savoir depuis combien de temps... Ce n'était pas normal. Elle aurait dû être réparée, ou recyclée. À moins qu'elle ne soit simplement en veille... Encore un mystère à ajouter à une liste qui ne cessait de s'allonger.

Sa main de métal serrait une torche à plasma; avec quelques efforts, je parvins à faire glisser l'outil entre ses doigts.

C'était un simple tube de métal percé à son sommet, relié à une batterie par un long fil flexible; je l'activais, faisant jaillir une courte flamme bleutée dans un ronflement régulier. Avec ça je pourrais découper une porte récalcitrante... Ou disposer d'une arme. Au cas où.

Je repris mon avancée, plongeant plus profondément dans les entrailles de la station. Je croisai plusieurs autres Interfaces immobiles.

Après quelques minutes, je débouchais dans une salle des serveurs. Un large couloir haut de plafond, encadré d'immenses armoires remplies de processeurs. Ils fonctionnaient dans un cliquetis d'insectes, couvrant presque le souffle continu des systèmes de refroidissement.

J'effleurais la vitre de protection. La station comptait des dizaines de salles comme celle-ci. La mémoire d'Andromeda reposait dans ces serveurs... Ainsi que Delta et son réseau. Malheureusement je n'avais aucun moyen de vérifier l'intégrité de leur contenu. Des lumières clignotaient dans un ordre mystérieux.

Pour le moment, je devrais me contenter du fait que les serveurs fonctionnent encore après cinq cents ans.

Au bout de la salle, la silhouette d'une autre interface se dressait sur ma route, immobile.

Mais alors que je m'approchai, la forme se détourna soudain et disparut derrière une rangée de serveurs.