Le Cercle.
Je m'assois en tailleur parmi eux, dans le cercle, de manière à ce que tous me voient et m'entendent.
— Vous savez pourquoi la communauté s'appelle le Cercle ?
Ce n'est pas ce qu'ils attendaient mais la question les intrigue. Je vois des hochements de tête négatifs. Même chez ceux qui le savent et à qui je l'ai déjà dit. Je le sais aussi parce que je suis leur confidente. Aucun d'entre eux n'est mon enfant et pourtant, je crois qu'il me font plus confiance qu'à leurs parents.
Je n'ai pas voulu faire d'enfants après. Je ne voulais pas qu'ils vivent dans ce monde pourri. Pourtant, j'aurais tant aimé être mère ! Alors j'utilise un peu ces gosses, ils m'aident à tenir debout sans même le savoir. Ces enfants abandonnés par un système qui n'a plus besoin d'eux puisqu'il va s'effondrer. Quelle misère ! Mais je continue :
— C'est moi qui ai choisi ce nom parce qu'autour d'un feu, on est en cercle ; parce que pour se réchauffer, pour se défendre, on se met en cercle. Un cercle, c'est uni pour montrer qu'on l'est tous. Dans un cercle, tous les points sont liés, toutes les personnes sont liées. Si un nouveau point se rajoute, on agrandit le cercle. Sans le cercle, nous serions tous des petits points égarés, vaquant chacun à nos affaires. C'était comme ça dans l'ancien monde.
« Avant, il y avait plusieurs modes de vie. Certains avaient des palais pour eux tous seuls, d'autres vivaient dans une maison de la taille de notre Grande Salle. Ils avaient cette maison pour eux seuls et ne la partageaient qu'avec leur famille proche. Leurs grands-parents vivaient ailleurs, leurs cousins encore ailleurs. Ces gens qui vivaient bien, ils en laissaient d'autres survivre dans les rues, sans toit.
Des mines étonnées, perplexes, effrayées me font face. Je doute. Est-ce que j'ai le droit de leur montrer à quel point le monde était laid ? Ai-je le droit de briser si tôt leur foi en l'humanité ? Je me ravise.
— Il y avait des villes, des amas d'habitations collées les unes aux autres. Et des immeubles, des grattes-ciel : ces grands bâtiments où les gens vivaient entassés les uns sur les autres. Ils étaient si élevés que le haut se perdait parfois dans les nuages. Dans les villes, il y avait aussi beaucoup de monuments. Dans la ville de mon enfance, on entrait par une zone industrielle. Cette zone rassemblait des magasins d'habits, de voitures, de chaussures, de sport... C'était le théâtre de la société de consommation. Plus loin, il y avait quelques fast-foods, des endroits où l'on pouvait manger rapidement, entre une virée à la piscine et une séance de cinéma. Plus loin, après avoir traversé la voie ferrée, on s'approchait du centre-ville. Le chemin de fer, c'était comme le métro mais en surface.
Une petite main se lève. C'est Louisa, à peine sept ans et déjà, une vive intelligence dans le regard. Je l'interroge.
— Est-ce que le métro allait vite ?
— Oui, mais moins vite que le train. Comme moyens de transports, il y avait la voiture aussi. C'est comme un de nos bacs sauf qu'elles roulaient en surface. Mon préféré c'était le bateau. Imaginez, une grande étendue d'eau toute bleue à perte de vue... Vous êtes sur un plancher de bois, l'air marin vous fouette le visage. Le mouvement de balancier du bateau vous berce. Vous entendez au loin les cris des mouettes, les vagues qui se fracassent sur la coque et forment un sillage blanc sur l'eau. À l'horizon, le ciel rencontre la Terre et au loin, quelques sombres nuages teintent la mer de gris. Mais vous voguez vers le soleil couchant. Dès que l'astre touche la surface de l'Océan, son étendue se colore d'or liquide.
Je continue à parler de la mer, de l'océan, mais je ne sais plus vraiment ce que je dis. Dans ce souterrain, ma voix résonne. Elle berce ces enfants dans des illusions éphémères. Si passagères puisque dans une heure, ils ne seront plus. Et moi non plus.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro