Le cercle s'est resserré autour de ceux qui dorment. On se communique la chaleur qu'on peut. La lueur du feu à baissé mais il brûle encore.

- J'étais partie un week-end faire du ski. Vous savez, c'est un sport qui se pratiquait sur la neige. La neige, c'était comme du sucre en apparence. Mais c'était beaucoup plus froid et ça recouvrait des montagnes entières quand ça tombait vraiment. C'était comme de la pluie, mais blanc. C'était si beau ! Il n'avait pas beaucoup neigé cette année-là. C'est la dernière fois que j'ai vu de la neige. Après, il n'a plus neigé. Ou alors dans des lieux que l'on ne pouvait plus voir et encore moins atteindre. J'étais avec ma famille et...

Je ne poursuis pas, le manque est encore trop présent, trop puissant. Il me manque, lui. Et les autres aussi me manquent. À l'époque, nous n'étions rien. Mais tout avait changé si vite entre nous. Et puis ça avait été la Semaine Nucléaire. Il était à Verdun pour un voyage scolaire.

Ironie du sort !

La guerre l'a décimé comme elle l'avait fait cent ans plus tôt pour des centaines de soldats. Et alors je n'avais pas réalisé. Tout allait si vite, tout était si flou ! Et puis, le manque s'était fait ressentir. Un manque comme un trou béant dans la poitrine. Ça m'avait frappé si brusquement que j'en étais tombée malade. Tous morts et lui... Éteint. Absent. Éclipsé.

- On voyait de la neige sur les pistes de ski mais plus tellement en dehors. Et puis elle était tellement mauvaise ! À moitié fondue. J'ai fait trois chutes en deux jours. Pour ma défense, j'étais fatiguée de la randonnée d'équitation que j'avais fait la veille à la mer. J'avais beaucoup de chance, même pour l'époque d'avoir pu faire tout ce que je faisais. Mais je reviens à la montagne. Vous voyez les dunes d'au dehors ? Et bien les montagnes ressemblaient à ça. Sauf qu'elles étaient plus grandes, leurs flancs étaient recouverts d'arbres. Les arbres c'étaient des grandes plantes avec une tige dure faite de bois. Autour, il y avait les branches aussi en bois et au bout des branches, les feuilles, vertes, jaunes. On pouvait même les voir rouges, orange ou marron en automne. Mais ces arbres-là, c'était des conifères et leurs épines restaient toujours vertes. Je me souviens des années où ils étaient couverts de neige et, quand un violent souffle de vent les secouait, ils déversaient leur charge trop lourde à leur pied. On voyait des sommets perdus dans les nuages moutonneux, des lacs gelés par le froid hivernal, des chalets enfouis sous la neige... Et tout ce blanc avait quelque chose de majestueux. Ce qui est sûr c'est que c'était éblouissant. Majestueux, immense et éblouissant. Faire du ski en montagne c'était une chance encore, même de mon temps. Parce que c'était cher. Mais honnêtement, ça valait le coup. La sensation de glisse, de vitesse intense, sauter haut au-dessus des bosses et puis, même si on tombe, on ne se fait pas trop mal. C'est juste froid.

Les enfants frissonnent. Ici aussi il commence à faire froid. La nuit va tomber. Il ne reste que quelques minutes. Alors je continue, je parle des montagnes en été, des balades à vélo le long des lacs, des longues randonnées pour un simple point de vue, de l'accrobranche et cette sensation de flotter, être tout petit face à ce monde vallonné. Je parle sans m'arrêter. Parce qu'ils ne doivent pas voir, ils ne doivent pas savoir.