- Des recherches sur la demeure Eastwood ? Intéressant...

Les yeux bleus semblaient me transpercer de part en part, mettant à nues chacune de mes pensées. Me contentant de hocher la tête, quelque peu troublée que quelqu'un d'autre puisse s'intéresser à ce sujet, je me replongeais dans la lecture des articles durant plusieurs minutes. Lorsque je relevais le nez, mes yeux fatigués par la lumière artificielle, je constatais avec stupéfaction que l'homme s'était installé en face de moi, lisant un magazine de sciences. Profitant du fait qu'il ne me regardait pas, je me surpris à le détailler. Une petite trentaine d'années, un nez aquilin, des fossettes légèrement creusées, une bouche fine, une barbe de trois jours parfaitement entretenue et des cheveux blonds vénitiens coupés un peu plus haut que les épaules. Un bel homme, à n'en point douter. Il se redressa alors que je l'observais encore et, bien que gênée de dévisager ainsi quelqu'un, je décidais de ne pas me laisser troubler par lui. Après tout, c'était lui qui m'avait abordée avant de s'installer. Une idée saugrenue effleura mon esprit, et je décidais de lui poser la question qui me tourmentait depuis qu'il était arrivé.

- Seriez-vous chercheur dans ce domaine ?

Il eut un rire franc, laissant voir sa dentition blanche, avant de se reprendre, probablement à cause des regards que nous posèrent d'autres utilisateurs.

- Nullement, miss. J'étais juste surpris de constater que quelqu'un s'intéressait encore à ces vieilleries.

Piquée dans ma fierté, après lui avoir signifié ma façon de penser, je quittais la bibliothèque et rentrais chez moi.

Un son sourd me réveilla en plein milieu de la nuit. Enfilant un peignoir au-dessus de ma nuisette et plaçant mes pieds gelés dans mes chaussons, je me dirigeai vers ma fenêtre et tirai les rideaux. Quelle ne fut pas ma surprise lorsque je constatai qu'une lumière de la demeure victorienne était allumée au premier étage. Aussitôt, je me précipitai vers mon secrétaire, attrapai mon cahier de recherches et commençai à gribouiller quelques mots : « 3h43 am, lumière allumée dans chambre ( ?) ». Les notes prises, je retournai à mon poste d'observation et constatai avec amertume qu'il n'y avait plus le moindre signe d'activité dans la maison en face. Soupirant, je retournai dans mon lit. La fatigue avait dû me jouer un tour.

Le lendemain, et tous les jours qui suivirent durant près d'une semaine, à chaque fois que je m'asseyais à la bibliothèque, le mystérieux inconnu était présent. Au bout de deux jours, j'avais décidé de changer de place en arrivant mais, chaque fois, il se mettait en face de moi, un magazine entre les mains. Le cinquième jour, je retournais donc à ma place habituelle.

Dans chaque page que je tournais, chaque note que je prenais, chacun des articles que je lisais, il me semblait que les yeux bleus me pénétraient, attendant juste le bon moment pour s'emparer de mon âme. Le soir, lorsque je rentrais chez moi, j'observais la demeure victorienne, espérant un signe de présence ou n'importe quelle activité anormale. En vain. Mais, en plus de cette maison si étrange, une autre lubie était venue à moi. Ce fut le jour où cet homme qui m'était étrangé m'avait abordée que les lumières s'étaient allumées dans la demeure. La première fois qu'il m'avait adressé la parole était pour me parler de mes recherches. Ses yeux d'un bleu si profond, si envoûtant, ne semblaient plus vouloir me quitter et me proposer une quelconque quiétude. Cet inconnu devenait peu à peu mon obsession, et je demeurais persuadée qu'il devait avoir un lien avec la maison victorienne.

Le 17 février, après un cours déroulé sans encombre, je pénétrai dans la bibliothèque, espérant bien qu'il serait présent. Je devais lui parler et comprendre ce qu'il se passait, pourquoi s'intéressait-il à moi, ou tout du moins à mes recherches, et quel était son lien avec la demeure. Je le découvris assis, comme s'il m'attendait déjà.

- Mister. Excusez-moi de vous déranger mais pourquoi vous intéresser à moi ?

Un sourire s'étira sur ses lèvres lorsqu'il me répondit simplement :

- Vous êtes une personne intrigante, miss. Et vous, pourquoi vous intéressez-vous à la demeure Eastwood ?

Misant cartes sur table, je décidai de lui dévoiler mes six mois de recherches, mon envie d'écrire un livre sur ce sujet qui me passionnait, tout en omettant volontairement de lui dire que j'avais loué la maison juste en face. Au bout de plusieurs heures de conversation, quelle ne fut pas ma surprise lorsque je l'entendis prononcer :

- Et souhaiteriez-vous que je vous fasse visiter la demeure Eastwood, ce soir ?