1000
Déborah entra sur le stade. Elle sautillait un peu partout, le stress de la compétition venait de la frapper en pleine face. Elle toucha ses doigts de pieds avec ses doigts de mains pour s'étirer. Puis, elle profita du temps qui lui restait pour aller voir une amie de son club qui faisait des haies mais elle évita toute amitié avec ses adversaires. Elles se connaissaient toutes très bien, elles s'appréciaient de temps en temps. Déborah ne les aimait que lorsqu'elles étaient derrière elle. Une question de principe. Son entraîneur la trouva et l'envoya faire des tours de terrain. Ce qu'elle fit sans rechigner car elle n'avait pas peur de courir. Avoir peur de courir signifiait renoncer à son rêve. Gagner. Encore une fois, ici.
Un peu plus tard, elle était sur le bord de la piste. Ses lacets défaits, ses écouteurs dans les oreilles, son vieux jogging et son pull préféré sur elle. Déborah avait fini son entrainement. Elle se reposait en attendant le départ de sa course. La course. Son entraîneur lui fit un signe et elle enleva ses vieilles baskets et son jogging laissant découvrir ses jambes musclées par les années d'entraînements et un short relativement court. Elle prit ses pointes dans son sac et les regarda un instant. C'est un fait, il fallait absolument des belles chaussures pour impressionner ses adversaires. Elle les enfila et les serra bien, faisant plusieurs nœuds pour être sûre que les lacets ne se défassent pas. Elle ôta son pull, réajusta le maillot de son club dont elle était si fière. Elle bu un peu d'eau, celle-ci coulant légèrement dans sa gorge et elle se leva. Elle sourit à son entraîneur mais dans sa tête, des pensées se bousculaient.
Et si je loupe le départ en tombant ? Peut-être que ma voisine va faire un faux départ et totalement me perturber. Oh non, je ne veux pas ! Il n'est pas question qu'il y en ait une qui me marche sur le pied avec ses pointes non plus, j'ai déjà fait l'expérience et j'avais un trou dans le pied après. Il y avait du sang partout. Non, aujourd'hui, je vais gagner.
Déborah imaginait toutes les possibilités de catastrophe qui pouvait lui arriver sans penser au pire évidemment. Elle n'arrivait pas à se détendre. En soufflant doucement, elle se concentra et fit une petite accélération vers le départ, comme à chaque fois. Pour faire monter le rythme cardiaque, qu'il s'habitue à l'effort. Elle chercha des yeux sa mère et son frère qui devrait être parmi les spectateurs. Anna aussi était venue. C'est dire combien cette course importait.
Mais elle finit par observer ses adversaires, toutes plus dangereuses les unes que les autres. Toutes différentes et pourtant elles allaient toutes courir ensemble, pour le même but, dans quelques minutes. Elles étaient toutes envahies par le même stress et pourtant aucune n'hésiterait à passer devant les autres. Déborah étaient comme elles même si elle se sentait différente car elle savait qu'elle allait gagner. Elle le devait. Elle s'en voudrait trop de ne pas le faire.
Elle remarqua que sa mère était juste à côté d'elle mais ne la regarda pas. Il ne fallait pas qu'elle se laisse déconcentrer. Déborah n'entendait à peine chuchoter à son oreille, sa mère qui sanglotait, reniflait. Déborah ne paniqua pas, elle était trop concentrée. Cette course, c'est celle qu'elle attendait depuis trop longtemps pour faire attention à ce qu'il se passait autour d'elle.
" Déborah ... Regarde moi. Je pourrais pas surmonter ça toute seule. Il faut que j'aille à l'hôpital, ton frère a besoin de moi. Reste là, gagne ta course, tu dormiras chez Anna ce soir, ses parents te ramèneront. Oh, Déborah ... Pourquoi la vie est si dure avec nous ? "
Déborah se tourna vers sa mère. Elle sentit une boule se former dans son ventre. Elle ne comprenait rien mais avait le sentiment que ce que lui disait sa mère était important. Plus important que tout ce qu'elle pouvait bien lui dire les autres fois avant le départ. Mais Déborah devait être concentrée. Rien n'était plus important que cette course.
" Je ... Bonne chance ma puce. Je t'aime. "
Déborah regarda sa mère s'éloigner puis sa meilleure amie, Anna, surgir en larmes devant elle. Anna la serra fort dans ses bras et lui murmura :
"Je suis sûre que Ben va bien, il ne faut pas que tu y penses, tu sais, tu dois être forte.
- Mais ... Anna ? Qu'est-ce qu'il se passe ? "
Les yeux de Déborah regardaient la piste avec un sentiment d'affolement qui commençait à monter en elle. Elle n'arrivait pas à le faire redescendre pour se concentrer sur la course. Anna se détacha d'elle et surprise, elle annonça :
" Ta mère ne t'as rien dit ? Ben a eu un grave accident pour venir jusqu'ici. Il est dans l'ambulance entre la vie et la mort. "
Ambulance. Accident. Ben. Mort. Tout ça ne rimait à rien. Ben conduisait très bien, il était doué au volant et avait eu son permis haut la main. Il ne pouvait pas être gravement blessé. Il ne devait pas l'être. Ce serait trop dur pour Déborah et pour sa mère. Après la descente aux enfers de leur père alcoolique, ils avaient eu trop de mal à relever la tête. Maintenant qu'elle était levée, la vie les poignardait encore une fois dans le dos. Anna toucha le visage de Déborah doucement, puis la reprit dans ses bras. Elle s'en alla, s'essuyant les larmes qui dévalaient ses joues. Celles de Déborah étaient trempées maintenant qu'elle réalisait ce qu'il s'était passé. Il fallait qu'elle se reprenne et qu'elle gagne. Une de ses adversaires s'approcha et lui tapota l'épaule :
" Tu viens de réaliser que tu vas perdre ? T'inquiètes pas, tu t'y habitueras !"
Déborah dévisagea la coureuse blonde avec un regard dégoûté. Elle l'aurait même frappée si le juge n'avait pas crié de sa voix qui portait si haut qu'il allait appeler les athlètes pour qu'elles se mettent dans leur couloirs. Déborah fut appelée en troisième, juste à côté d'une petite brune qui la regarda étonnée sans faire pour autant de commentaire. Déborah faisait partie des favorites, elle ne devait pas décevoir sa mère, Ben et Anna. Les trois personnes qui lui importaient réellement. Le starter hurla :
" A vos marques !" En insistant bien sur le "a" comme à chaque fois.
Déborah se pencha sur la ligne, poussant légèrement du coude la petite coureuse et de l'autre côté, la blonde qui lui décocha un sourire moqueur. Déborah ne pleurait plus, elle sentait juste le stress monter, monter pour atteindre un niveau très élevé. Elle avait 1000 mètres à parcourir pour gagner. 1000 mètres à parcourir pour faire honneur à son frère et pour qu'il ne soit pas déçu dans les derniers moments, peut-être, de sa vie. Le juge avait le pistolet en l'air, Déborah regardait droit devant elle. S'il attendait quelques secondes de plus, elle allait perdre ses moyens, elle le savait et ça ne devait pas arriver.
Le bruit de la balle qui surgit du pistolet résonna dans les oreilles de Déborah, si fort, trop fort. Elle s'élança, ses pieds foulant le sol et ses bras se balançant à la même vitesse, la coordination était parfaite. La blonde la poussa vers l'extérieur. Elle voulait la corde cependant elle savait qu'elle aurait du mal à l'atteindre. Accélérant légèrement sa foulée, Déborah se colla le plus près possible d'une athlète de grande taille. Elle aurait tant aimé lui passer devant mais elle ne voulait pas se griller trop vite. Elles passèrent pour la première fois sur la ligne d'arrivée. Encore deux tours, deux petits tours. Déborah, bien droite, le souffle presque régulier, les yeux rivés devant elle, accéléra un tout petit peu pour venir se placer devant la grande athlète alors qu'elles venaient d'attaquer le virage. Elle sentait en elle une puissance nouvelle, une sorte de rage qu'avait débloqué le drame d'avant la course. Elle se sentait mieux que lors des dernières courses. Elle se sentait prête à gagner. Pourtant trois filles, devant elle, s'éloignaient peu à peu.
" Accroche toi Déborah, vas-y ! Tu peux le faire ! "
La voix d'Anna surpassait celle des autres, distincte dans ce brouhaha de cris et de respirations haletantes. La ligne droite opposée à l'arrivée était la plus difficile. Le vent la gênait un peu. Mais pas assez pour qu'elle n'essaye pas de coller la coureuse juste à quelques foulées d'elle. Dans le second virage, elle s'était déjà bien rapprochée de celle-ci. Déborah sentait son cœur qui battait un peu plus fort dans sa poitrine. Anna s'égosillait toujours. Elle hurlait pour elle et Déborah n'avait pas l'intention de la décevoir. A la sortie du virage, elle accéléra pour lui passer devant mais la coureuse lui jeta un coup d'œil et fit de même. Il ne restait plus qu'un tour, la cloche sonna, Déborah recommença son accélération pour cette fois réussir à la doubler. Elle devait gagner. Il le fallait.
Elle regarda Anna qui avait cesser de crier et parlait avec quelqu'un au téléphone. Le regard qu'elle avait, trop plein de larmes pour toutes les contenir, affichait un désespoir sans nom. Les deux amies se regardèrent moins d'une seconde et pourtant, Déborah avait compris. Ben était mort. Dans l'ambulance sans doute. Il n'avait pas survécu à l'accident.
Déborah essaya de revenir sur l'athlète devant elle mais elle n'arrivait pas à se concentrer sur sa course. Sa vue se brouillait avec les larmes et son souffle devenait de plus en plus fort. Elle allait tout arrêter alors qu'elle venait de passer le premier virage du second tour. Elle avait fait de son mieux mais pouvait-elle réellement courir alors que Ben était mort ? Sa vie avait-elle un sens à présent ?
" Ne te laisse pas abattre Déborah ! Gagne pour Ben ! Il aurait voulu que tu gagnes ! Allez ma belle, tu leur passes devant ! Allez ! "
Anna recommençait ses encouragements plus fort que jamais, Déborah l'écouta et se remobilisa. Ben avait envie qu'elle gagne, elle gagnerait. Elle se battrait pour cette première place. Elle se battrait pour son frère. Juste avant le dernier virage avant l'arrivée elle commença à sprinter, fixant le cou de son adversaire, ne lâchant plus ce point, cet objectif, cette cible à abattre. Et alors que tout le monde n'y croyait plus, presque sans effort, elle devança l'athlète qui aurait pu finir sur la deuxième marche du podium. Dernière ligne droite avant l'arrivée. Dernier effort, dernière personne à doubler. La blonde, méchante et égoïste. La blonde qui l'avait insulté avant le départ. La blonde. Elle devait lui passer devant. Les jambes de Déborah faisaient de grandes foulées. Les spectateurs applaudissaient en rythme et juste devant la ligne alors qu'elle s'était déjà bien approchée, Déborah bondit, propulsée par une force inouïe comme si des ailes lui avait poussé sur le dos et elle doubla l'athlète blonde.
Elle avait gagner. Et tout s'écroula autour d'elle. Déborah tomba à terre, hurlant au désespoir. Ses mains moites touchaient la piste sans savoir pourquoi avant de prendre son visage entre ses doigts. Les juges arbitres la relevèrent, inquiets pour elle, se demandant ce qu'il se passait. Des éclats de voix lui arrivèrent dans l'oreille. Anna était passée par dessus la barrière et se précipitait vers elle. Les juges étaient scandalisés et essayaient de la rattraper pour la faire sortir mais Anna ne les regarda même pas, elle courait vers Déborah pour la prendre dans ses bras. Elle lui murmura :
" T'es la meilleure, Déborah, t'as gagné. Ben serait si fier de toi.
- Il .. il ...
- Oui, il est parti, mais il est toujours dans nos cœurs.
- Je ...
- Chut, ça ira, Déborah, profite de ta médaille, ça ira. "
Un juge, sans état d'âme, prit Anna par le bras pour la remettre derrière les barrières. Elle lui cria dessus avec toute la colère et la tristesse qu'elle avait en elle :
" Mais elle vient de perdre son frère ! Espèce de sombre crétin ! Vous voyez bien qu'elle ne va pas bien, laissez moi ! "
Déborah ne sentait plus aucun muscle de son corps. Elle n'entendait plus rien qu'un bourdonnement incessant. Elle ne voyait plus tant ses yeux étaient emplis de larmes. Elle ne pouvait plus bouger, elle était immobile, seule au milieu des coureuses qui se serraient la main pour se féliciter, seule au milieu des juges qui voulait absolument savoir son nom. Elle était seule parce que Ben n'était plus là.
Elle avait beau avoir gagner la course, elle avait l'impression d'avoir tout perdu.
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