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Elle avait de nouveau huit ans, elle pédalait à en faire éclater ses poumons et claquer les muscles de ses cuisses, derrière son père. Ils riaient aux éclats tous les deux et son cœur était léger comme jamais... Ou plutôt comme chaque dimanche. Il faisait chaud, sans lourdeur, et l'air qu'elle fendait dans les descentes rafraîchissait ses jambes nues. Puis un virage, le vrombissement d'un moteur, le bruit sourd d'un choc sans même le temps de pousser un cri...
Cléo se réveilla en sursaut, aussitôt redressée en position assise. Son dos était trempé de sueur froide et des mèches de cheveux collaient à son front ; ses draps étaient froissés et à moitié poussés en boule au bout du lit, son oreiller par terre. Elle chuta vers l'avant tête la première dans le matelas avec un grognement mi-soulagé, mi-mécontent.
— Encore un beau rêve qui va me bousiller ma nuit, marmonna-t-elle en se passant une main sur le visage pour en décoller les cheveux moites.
Elle récupéra son coussin, borda de nouveau sa couverture, avant de se laissa tomber sur le flanc. Ses yeux restaient écarquillés, encore à demi ouverts sur le souvenir. Elle sentit ses pensées partir en spirale et décida de couper court à sa nuit pour ne pas être emportée. Il était quatre heures dans tous les cas, elle ne raterait qu'une heure de sommeil.
Elle enfila un pull épais et confortable, que Siloë lui avait tricoté quelques années plus tôt et qui était beaucoup trop grand pour elle à l'époque ; elle tendit le bras pour récupérer son ordinateur posé plus loin par terre, et mit un peu de musique – pas trop fort pour ne pas réveiller les voisins. Elle passa en revue les événements récents de sa vie pour choisir ce qui occuperait son cerveau pour remplacer le rêve-souvenir. Elle pianota sur le clavier pour accéder au site internet d'Another Winter. Leon ne lui avait pas dit exactement quelle était la dernière date prévue pour leur tournée. Elle accéda à la liste des dates, accompagnées du nom des groupes de première partie. Elle fronça aussitôt les sourcils : quelque chose clochait.
Elle saisit alors son téléphone :
Hey Leon, quick question: why isn't your band mentionned on Another Winter's website? It doesn't indicate that you're currently on tour with them, but it did for the concert i went to. I'm quite confused, are you in another band that I don't know about? Sorry about the late text xx
Pas de réponse. Pourtant, il ne dormait jamais à vingt-deux heures et il n'avait pas de concert ce soir-là. Son instinct poussa Cléo à la méfiance. Ça sentait le mensonge, cette histoire, et elle n'aimait pas ça du tout. Elle se résolut à appeler Leon. Une sonnerie, deux, trois...
— Why the fuck are you calling me this late?
— Parle-moi correctement. Tu me mens sur la tournée avec Another Winter, tu n'es plus avec eux depuis deux semaines. Si tu ne veux pas me voir, dis-le simplement.
— What is wrong with you? Can we talk tomorrow? Wait, how early is it for you?
— Stop lying to me! Depuis quand tu es à Londres ?!
— Quoi ? Je ne suis pas...
— Il est vingt-deux heures sur la côte Est, et tu ne dors jamais à cette heure-là. Mon appel t'a clairement réveillé, alors tu n'es pas aux Etats-Unis... Tu es de retour à Londres et tu m'as menti.
— On en parlera demain, je suis épuisé et toi hystérique. Je te raconterai la vérité, promis. En attendant, laisse-moi dormir et évite d'imaginer n'importe quoi.
Cléo raccrocha, fulminante, frustrée de ne pas avoir de réponse et de se prendre une telle claque. C'était la première fois que Leon lui parlait de cette manière, et elle n'y restait pas insensible. Elle ne savait pas qu'en penser : devait-elle se tenir sur ses gardes à présent ? Après tout, elle ne savait rien de lui. Était-ce juste une exception, puisqu'elle l'avait bel et bien réveillé en pleine nuit ? Peut-être qu'il était d'humeur massacrante au réveil, voilà tout.
Elle s'habilla pour de bon et sortit faire un tour. Le soleil n'était pas encore levé, pourtant l'horizon se teintait de rose orangé. Pas un nuage dans le ciel : une matinée magnifique se préparait. Dommage qu'elle doive la passer enfermée au magasin puis au lycée...
Cléo s'assit en tailleur dans l'herbe du parc le plus proche de chez elle, la tête dodelinant légèrement de fatigue. Elle avait du mal à gérer les anomalies dans ses habitudes de sommeil : elle était épuisée dès qu'elle dormait un quart d'heure de moins ou de plus qu'à son habitude.
Elle regarda les oiseaux voleter de branche en branche, babillant de plus en plus fort à mesure que le ciel s'éclaircissait. Son esprit erra du côté de Bastien, qui l'appréciait si désespérément tandis qu'elle passait ses journées à penser à un autre. Pauvre Bastien, il méritait tellement mieux que ce qu'elle lui offrait. Elle mettait des heures à répondre à ses messages, esquivait ses demandes de rendez-vous, était distraite et distante quand ils se voyaient...
Puisque Leon lui prenait la tête, elle n'avait qu'à prendre soin de sa relation avec Bastien.
Forte de cette nouvelle résolution, elle se mit en route, direction la coloc de Bastien. Elle aurait le temps de le voir un petit moment avant de devoir aller travailler.
Elle parvint au bas de l'immeuble et envoya un message à Bastien pour lui dire qu'elle était là ; l'instant d'après, il était face à elle, cheveux en bataille et en pyjama, mal réveillé, non sans avoir l'air illuminé de l'intérieur. Elle lui faisait cet effet-là et quand elle prenait le temps de le remarquer, cela lui réchauffait agréablement le cœur. Elle enveloppa son visage dans ses mains en coupe et l'embrassa tendrement.
— Pardon, je ne me suis pas lavé les dents, je viens de me lever, bredouilla Bastien. Qu'est-ce qui se passe ?
— Je t'aime, affirma-t-elle d'une voix vibrante de confiance.
Il vira au cramoisi et esquissa un sourire radieux.
— Je t'emmène manger un petit déjeuner avec moi, ajouta-t-elle sans lui laisser le temps d'en placer une. Tu t'habilles ?
— Tu ne travailles pas ce matin ?
— Je vais appeler Siloë pour lui dire que je ne viendrai pas. Je rattraperai mes heures un autre jour... J'ai envie de passer du temps avec toi.
Les yeux de Bastien étaient ronds comme des soucoupes. Quelle mouche avait piqué Cléo dans la nuit ? Ils montèrent ensemble à l'appartement, et le jeune homme laissa sa dulcinée seule dans le salon pendant qu'il se changeait, après avoir promis qu'il ferait vite.
Tandis que Cléo s'asseyait sur le canapé, apaisée par la confiance nouvelle qu'elle avait en sa relation avec Bastien, la frimousse de Clarisse se montra dans l'encadrement de sa porte de chambre.
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