··· 14 ···
— Je vais tout t'expliquer, promit Cléo tremblant de tout son corps.
Bastien la toisait de ses quelques centimètres en plus, fermé, un air terrible sur le visage. Cléo voyait clairement, sous la colère, au fond de ses prunelles voilées, sa douleur immense, un gouffre dévorant. Elle chercha sa main pour la prendre dans la sienne, il la repoussa aussi sec et croisa les bras sur son torse, bien droit, la peau entre ses sourcils de plus en plus plissée.
— Dis-moi juste avant... Ce que tu crois savoir.
Le nez de Bastien se fronça aussitôt, comme pour retrousser les lèvres et montrer les crocs, un réflexe animal.
— Pour que tu ne me dévoiles pas toute la vérité, c'est ça ? Pour que tu t'en tires et continues à me tromper comme ça dans mon dos ?
— S'il te plaît, Bastien...
— J'ai croisé le chanteur, là, Leon, sur le chemin pour aller à ton magasin. Je voulais te faire une surprise, te redonner le sourire pendant ton taff... Visiblement tu n'avais pas besoin de ça, ou de moi. Je lui ai demandé ce qu'il faisait là et il m'a parlé de sa girlfriend aux cheveux rouges, « tu sais, celle du concert, Clayoh ».
— Qu'est-ce que tu as répondu ? balbutia Cléo.
— J'ai dit d'accord et j'ai poursuivi mon chemin, je ne voulais pas passer une seconde de plus avec ce type. Putain, Cléo, tu te prends pour qui ? Tu crois que tu peux juste m'utiliser ? J'ai été vulnérable avec toi, j'ai pris le risque d'engager quelque chose, un bout de relation, avec toi qui ne m'aimais pas et promettais pourtant d'essayer et d'être correcte. Tu m'as pris pour un con, c'est ça ? C'est tout ? Le jour où tu m'as dit « je t'aime », c'était pour que je parte pas ? C'était pour tester ce qu'il y aurait après ?
— Bastien, attends, laisse-moi t'expliquer s'il te plaît.
— Mais pourquoi je devrais t'écouter ?
Il pleurait à présent, les bras déliés et ballants le long de son corps voûté qui paraissait soudain trop grand, trop encombrant, et pourtant incapable de contenir sa peine.
— Tu te rends à peine compte de ce que je ressens, je crois... Tu ne sais même pas ce que ça fait, de se prendre ça dans l'estomac.
— Je te jure que tout ce qui s'est passé entre nous, tout ce que je t'ai dit, c'était sincère, Bastien, je te le promets sur la tombe de... sur... sur la vie de... je te le jure ! Tout était honnête et vrai et spontané et j'ai pensé chaque mot que je t'ai dit.
— C'est peut-être bien ça le problème, que tu aies trop réfléchi notre relation pour que tu puisses bien en profiter !
— Bastien ! Écoute-moi, je t'en prie ! Je ne veux pas te perdre.
— Alors dis-moi ce que voulait dire Leon, bordel ! Arrête de tourner en rond !
— Leon, on s'est embrassés le soir du concert, et c'est tout. Il n'y a... il n'y a rien eu de plus.
Des flashs de leur nuit ensemble parasitaient sa vision, son esprit, sa parole. Elle avait viré au cramoisi, elle le savait, elle le sentait. Son regard avait chuté au sol, il inspectait les lacets des Converse défoncées de Bastien.
— Il est revenu là, et il me harcèle pour que je sorte avec lui, il dit qu'on est faits l'un pour l'autre et qu'il me veut et je ne sais quoi d'autre, mais je le repousse à chaque fois, je ne veux pas de lui, il me fait peur, il ne me plaît pas, et je suis avec toi, je t'aime, je veux être avec toi, je...
Quelque chose s'éteignit dans les yeux de Bastien. Une terreur innommable s'empara alors de Cléo alors qu'elle pressentit qu'elle n'aurait pas dû partir dans cette direction.
— Je ne pensais pas que tu serais capable de me mentir de cette manière, Cléo. Je ne sais même plus ce qui est pire : que tu m'aies trompé avec lui, ou que tu tentes de me récupérer en me servant des bobards pareils.
Elle comprit alors. Il ne s'était pas contenté de partir après avoir appris sa liaison avec Leon, bien sûr que non, qui aurait fait une telle chose ? Pas Bastien en tous les cas. Elle se couvrit la bouche d'une main horrifiée.
— Il a menti ! chuchota-t-elle entre ses doigts.
— Tu veux dire que tu ne lui as pas servi des pâtes pour la soupe sans soupe, que tu ne lui as pas promis de me quitter, que tu ne l'as pas rejoint dans sa chambre d'hôtel et que vous n'êtes pas allés joyeusement, main dans la main, à ton magasin cet après-midi ? Tu veux que je demande à Siloë qui était avec toi ?
Cléo sentit du sel sur ses lèvres et essuya brièvement ses larmes. Elle était dévastée par la vision de Bastien effondré, Bastien meurtri, Bastien trahi, qui ne paraissait plus capable de croire en quoi que ce soit à présent.
— Je suis désolée, finit-elle par articuler tout bas.
Alors il ferma les yeux, rejeta légèrement la tête en arrière, sa bouche se déforma sous les pleurs. Il la regarda enfin, une dernière fois, avant de faire un pas en arrière et fermer la porte entre eux.
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