La soirée se passa dans la bonne humeur et il ne se souvenait pas de la dernière fois où s'était arrivé. Il avait passé nombre de dîners chez ses amis sans pour autant avoir à faire face à leurs parents. C'était arrivé mais, souvent, quand les parents étaient présents, les garçons mangeaient dans la chambre.

Chez les Goodwind, tout le monde était réuni autour de la table et discutait ensemble de tout et de rien. Amanda était gentille et accueillante envers Delilah et semblait l'adorer. Cette femme semblait incapable de ne pas aimer quelqu'un. Pour elle, c'était tout simplement impossible.

Raven avait tenté de lui épargner la préparation du repas mais elle avait refusé. Elle avait envoyé tout le monde dans le salon où Delilah avait posé la question que tout le monde dans la maison semblait se poser.

- Vous sortez ensemble, alors ?

- Pourquoi semblent-ils tous croire que je sors avec toi ? l'apostropha Dylan.

- Parce qu'ils savent que tu ne peux pas me résister, chéri.

- Répéter cent fois une idiotie ne la transformera pas en réalité.

- À table, les enfants !

Raven se leva et rejoignit la table de la cuisine, suivi par les autres qui s'installèrent pendant qu'Amanda amenait un énorme plat de pâtes à la béchamel. Pour une fois, ce n'était pas de la sauce tomate, ne put s'empêcher de noter Raven.

- Vous ne mangez que des pâtes ?

- C'est à peu près la seule chose qu'on sait cuisiner, avoua Darren, sans honte. Alors c'est la seule chose qu'on achète.

- Oh, Seigneur... Dites-moi que c'est une blague...

- Tout le monde est pas aussi doué que toi en cuisine, mec. Je suis un désastre, maman et Dylan sont à peine mieux et on veut pas trop voir la cuisine partir en flammes, si tu vois ce que je veux dire.

- Tu sais cuisiner, Raven ? lui demanda Delilah.

Raven aimait bien Delilah. Elle était jolie avec ses cheveux bruns, ses grands yeux bleus et son visage rond et poupin. Elle était délicate et avait la voix douce et timide. Comment Darren avait réussi à mettre la main sur une fille aussi adorable était un mystère mais elle l'avait bien accroché et, rien que pour ça, il l'appréciait un peu plus.

- Je préfère la pâtisserie mais je me débrouille en cuisine.

- La modestie ne te va pas, arrête, railla Dylan tout en servant l'assiette de sa mère.

- Savoure cet instant, Rave ! se récria Darren. Mon frère fait jamais de compliments !

- Tais-toi et mange, ingrat.

Dylan se rassit, ayant servi toutes les assiettes. L'atmosphère avait été bonne tout le temps qu'ils passèrent ensemble et, si ce n'était pour Dylan qui se montrait à peine plus détendu que d'habitude, tout le monde s'amusa, rit ensemble et discuta de mille et uns sujets.

Lorsque l'heure vint pour Delilah de rentrer chez elle, Raven eut un moment d'anxiété. Amanda allait-elle accepter qu'il reste dormir ? Dylan en avait paru certain mais maintenant que le moment de vérité arrivait, Raven ne pouvait s'empêcher de se demander s'il avait raison.

Amanda le rejoignit dans la cuisine alors qu'il finissait de débarrasser la table. Elle posa une main sur son épaule avec un sourire.

- Mets tout ça dans l'évier et ne t'en occupes plus. On la fera demain matin. Retourne avec les garçons.

- Vous êtes sûre ?

- Sors de cette cuisine !

- Si tu réussis à le décoller de tes casseroles, tu auras bien de la chance, se moqua Dylan depuis le canapé. Raven et les cuisines, c'est une véritable histoire d'amour.

- Un peu comme la vôtre, non ? répliqua Amanda, semblant prendre la défense de Raven.

- J'entends déjà le « maman... » rouler au fond de son crâne, se récria Darren, un grand sourire moqueur sur les lèvres.

Les deux frères commencèrent à se chamailler sur le canapé. Amanda caressa les cheveux de Raven.

- Ne t'en fais pas, Raven, il finira par l'admettre.

- Parce que vous croyez... ? hoqueta-t-il, pris au dépourvu. Non, o-on est juste a-amis, c'est tout.

- En es-tu absolument sûr, Raven ?

Elle lui offrit un doux sourire en continuant de lui caresser les cheveux.

- Sois patient avec Dylan, d'accord ? Mon fils est un peu... lent à la détente depuis qu'il n'a plus son père pour le guider. Donne-lui un peu de temps, il viendra vers toi.

Elle le prit par les épaules et le poussa vers le salon, le forçant à rejoindre les deux frères. Il s'assit à côté de Dylan et posa sa tête sur son épaule. Il ignora le regard surpris de l'autre.

- Ta mère me retourne la tête à chaque fois que je me retrouve seul avec elle.

Dylan se mit à rire.

- Tu prendras l'habitude, répondit simplement Darren, les yeux rivés sur son téléphone.

- Parce que tu penses qu'il aura encore souvent l'occasion de subir maman ? riposta Dylan.

- Vous êtes toujours collés l'un à l'autre donc oui. Et moi, je monte. Bonne nuit.

Darren alla voir sa mère pour déposer un baiser sur sa joue avant de disparaître à l'étage. Le silence tomba dans le salon, à peine brisé par la télévision. Amanda vint prendre la place de son fils cadet et passa ses doigts dans les cheveux de Dylan qui ne dit rien. Raven sentait l'amour qu'Amanda avait pour ses fils. Il débordait, les enveloppait. Elle n'avait pas besoin de le leur dire pour qu'ils le sachent.

Il soupira, sentant sa gorge se serrer, son cœur s'alourdir et geler dans sa poitrine. Il se redressa, se sentant de trop, regrettant d'avoir demandé à Dylan de l'héberger pour la nuit. Cependant, c'était trop tard. Il était piégé. Il ramena ses jambes contre sa poitrine et appuya son menton dessus, regardant le film sans le voir. Il se tortura l'esprit pour tenter de trouver une excuse pour partir. Il savait que c'était près d'impossible puisqu'il avait été assez idiot pour avouer à Dylan pourquoi il fallait qu'il passe la nuit ailleurs que chez lui. Il était évident que Dylan ne le laisserait pas partir en sachant ce qui l'attendait.

- Vous devriez monter, les garçons. On dirait que Raven va s'endormir.

Le concerné redressa la tête et força un sourire.

- Non, non, ça va.

Il sentit le regard de Dylan sur lui et se détourna vers l'écran. Il ne tenait pas à ce que Dylan ou Amanda réussisse à lire en lui. Les pensées qui le tourmentaient devaient rester secrètes. Ils n'avaient pas besoin de s'inquiéter pour lui.

Le silence retomba entre eux trois et ils regardèrent le film. Au final, ce fut Amanda qui monta se coucher en premier, déposant un baiser sur chacun de leurs fronts. Raven l'entendit frapper à la porte de Darren pour qu'il éteigne sa musique et la laisse dormir. Et puis, ce ne fut plus qu'eux deux sur le canapé devant un film que Raven n'avait pas suivi.

- Comment tu fais ?

Dylan tourna la tête vers lui, sûrement surpris par la question.

- Comment fais-je quoi ?

Raven ouvrit la bouche, cherchant comment formuler sa question. Maintenant qu'il avait commencé, autant aller jusqu'au bout. Il fallait juste qu'il trouve le courage. Il serra ses mains entre ses genoux et garda les yeux fixés sur l'écran.

- Comment tu fais pour qu'elle t'aime ?

- Qui ? Ma mère ?

Raven hocha la tête, sentant ses yeux commencer à le brûler. Il continua à fixer la télévision, refusant de cligner des yeux, de laisser la moindre larme couler.

- Ma mère est l'une des meilleures personnes au monde, c'est pour ça qu'elle m'aime. Et mon père était l'homme le plus gentil et le plus patient qui existe, c'est pour ça qu'il m'aimait. Darren et moi, on ne les mérite pas. Tout comme tes parents ne te méritent pas.

Il sentit une larme rouler et il appuya son menton sur ses genoux pour la dissimuler comme il put.

- Pourquoi ils me détestent autant, Dylan ? Qu'est-ce que j'ai fait de mal ?

- Tu n'as rien fait de mal. Tu es simplement trop bien pour eux. Tes parents... J'ai beau ne jamais les avoir rencontré, je sais que ce ne sont pas de bonnes personnes. Ils sont égoïstes et ils sont incapables de voir la chance qu'ils ont de t'avoir pour fils.

- J'ai essayé... J'ai vraiment essayé d'être quelqu'un de bien mais... mais ils me détestent toujours autant...

Il tressaillit lorsque les mains de Dylan atterrirent sur ses joues, le forçant à se tourner vers lui et le regarder. Des pouces, il essuya les larmes qui continuaient de couler.

- Raven, tu es quelqu'un de bien. Tu es l'une des meilleures personnes que j'aie jamais rencontré. N'en doute jamais. Tu es quelqu'un de bien.

- Mais...

- Pas de mais. Tu l'es. Si tu ne l'étais pas, tu n'aurais aidé Steven, tu n'aurais pas réparé la cuisine de l'association, tu n'aurais pas passé quatre heures à cuire des pizzas ce midi... Tu n'aurais rien fait de tout ça si tu étais quelqu'un de mauvais. Et si tu étais aussi détestable que tu le penses, tu ne serais pas ici. Je ne t'aurais pas laissé approcher de mes amis et de ma famille.

Il ouvrit la bouche pour protester mais rien ne sortit. Les larmes commencèrent à dévaler ses joues sans s'arrêter. Il se laissa faire lorsque Dylan l'attira contre lui. Il enfouit son visage dans le cou de l'autre, laissant ses larmes couler, retenant ses sanglots dans le fond de sa poitrine.

Il se calma quelques minutes plus tard, apaisé par la main de Dylan montant et descendant dans son dos, par son souffle calme, par son odeur de savon. Il ne se redressa pas aussitôt, profitant au maximum de cette étreinte. Pour la première fois depuis longtemps, quelqu'un le tenait dans ses bras, le rassurait, lui disait ce qu'il mourait d'entendre depuis longtemps.

Il finit par se redresser, étouffant un petit reniflement. Dylan lui offrit un léger sourire et Raven fit un effort pour le lui rendre.

- Tu avais raison : tu sens encore la pizza malgré la douche.

Raven se mit à rire malgré lui, s'étouffant à moitié, de nouvelles larmes se mettant à couler mais plus pour la même raison. Dylan se leva et ne tarda pas à revenir avec une boîte de mouchoirs. Raven se moucha et s'essuya le visage, le remerciant du bout des lèvres.

- Allez, viens, on va coucher. Tu es épuisé.

Dylan lui tendit la main et Raven s'en saisit. Ils montèrent à l'étage et se couchèrent, côte à côte. Raven observa les étoiles briller au plafond.

- Elles commencent à mourir, tes étoiles.

- Je sais. Mais je ne veux pas les enlever. C'est un souvenir.

- Elles sont placées au hasard ou... ?

- Non. Il y a plusieurs constellations. Celles qui apparaissent dans le carnet.

- Celle du Dragon parce que les dragons, c'est trop cool ? cita Raven avec un léger sourire.

- Exactement, rit Dylan.

- J'ai du mal à t'imaginer en petit garçon disant ce genre de choses. Tu es toujours tellement sérieux, tellement distant. Tu as cette muraille en toi qui ne coïncide pas avec le petit garçon du carnet.

Il se tourna sur le flanc pour regarder Dylan.

- J'étais naïf et je pensais que le monde était beau et gentil. J'ai eu une enfance magique et magnifique mais il n'empêche qu'il y a des rencontres que l'on préférerait éviter.

- Qu'est-ce qu'il s'est passé ?

Dylan se tourna vers lui, glissant ses mains entre sa joue et son oreiller pour être à sa hauteur. Raven ne put que remarquer cette mèche qui venait tomber sur ses yeux, briser les traits parfaits de Dylan en les obscurcissant.

- À mon entrée au collège, j'avais toujours ce rêve d'être astronaute et d'un jour partir en fusée voir les étoiles. Je voyais mon futur comme ça. Je n'ai jamais été social, à avoir des dizaines d'amis, à discuter avec tout le monde comme toi. J'ai toujours été centré sur mes études, j'ai toujours adoré lire.

- Un vrai petit intello !

- C'est vrai. J'adorais l'école et, du moment qu'on me laissait tranquille, tout se passait bien. Mais il y avait Esther Dessem. Elle était la plus belle fille du collège, populaire, bien née, en apparence inoffensive.

- Tu étais amoureux d'elle ? ne put-il s'empêcher de demander, sentant la jalousie lui ronger les entrailles.

- À ce temps-là, je le croyais. En vérité, j'étais juste fasciné par sa beauté, comme tous les autres. Elle était vraiment belle et elle rayonnait comme une étoile.

- Elle devait vraiment être à tomber.

- Elle avait tous les garçons à ses pieds. Le problème d'Esther est que c'était une connasse pure et dure.

Raven plaqua une main sur sa bouche pour étouffer son rire.

- Tu viens réellement de jurer, Altesse ? Tu dois vraiment la détester !

- Elle a fait de ma vie un enfer pendant deux ans jusqu'à ce qu'elle change de collège, j'ai le droit de l'injurier si ça me chante.

- Qu'est-ce qu'elle a fait ?

- Elle a fait de moi un paria. Du jour où elle s'est rendu compte qu'elle me plaisait, elle m'a pris pour cible. Et, évidemment, tout le monde la voyait comme un ange et nos camarades la suivaient aveuglément... J'ai été obligé de m'endurcir et de grandir pour tenir le coup. Ils ne me laissaient aucun répit et tout ce qu'il me restait, c'était mes études.

Dylan ferma les yeux, une expression amère sur le visage. Raven détestait ce qu'il entendait. Savoir que Dylan avait été harcelé au collège le mettait en colère. Le pire était qu'il ne pouvait rien faire. Les dégâts étaient là, dans la mémoire, dans le cœur de Dylan. Tout ce qu'il pouvait faire, c'était l'aider à effacer les cicatrices.

- Ce dont j'ai le plus honte à propos de cette période, c'est que c'est Darren qui m'a défendu. Quand mon petit frère a débarqué au collège et qu'il a vu que j'étais harcelé, il a remonté ses manches et cassé quelques nez, ce que j'avais toujours été incapable de faire. Ce petit con a même réussi je ne sais comment à couper les couettes d'Esther à la cantine.

- Ton petit frère t'adorait déjà à ce temps-là.

- Mon petit frère est un petit con mais oui, je pense que tu as raison. Et il sait que je ferais le même pour lui.

- S'il y a une relation que tu dois protéger, c'est celle-là. Celle que tu as avec ton frère. Ne laisse jamais rien vous séparer.

- Rien ni personne ne pourra me séparer de mon frère. Que je le veuille ou non, ce séducteur en couche culotte est ma chair et mon sang et je l'aime. C'est mon petit frère.

- Tu ne me trouves pas horrible pour haïr mon petit frère ?

- Non. Ce n'est pas de ta faute. Tes parents ont créé cette haine en toi. En plus, je ne pense pas que tu l'aies réellement haï autant que tu le dis.

Raven se redressa sur un coude, abasourdi. Il avait raconté toute son histoire à Dylan et pourtant, il lui disait ça !

- Pardon ?

- Si tu l'avais vraiment haï, Raven, tu n'aurais pas pris soin de lui lorsque vos parents vous ont abandonné au profit de leur entreprise. Quand tu hais quelqu'un, tu le laisses se débrouiller. Toi, tu as veillé sur lui en dépit de tout. Ce qui prouve encore que tu es quelqu'un de bien et qu'ils ne te méritent pas.

- Tu me laisses sans voix, admit-il.

- Je vais en profiter pour dormir alors. Couche-toi.

Raven obtempéra, se replaçant face à Dylan, le regardant s'endormir dans la minute qui suivit, épuisé. Il sourit et osa enfin repousser la mèche qui l'agaçait hors du visage de l'endormi. Il soupira et ferma les yeux à son tour, se laissant happer par le sommeil.

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