Chapitre 3 : Raven
Le lundi arriva bien trop vite pour Raven. Il avait retrouvé son uniforme, tout froissé. Le pantalon chiné noir avait été relégué dans un coin au profit d'un jean serré qui moulait ses jambes et ses fesses. Pareil pour les chaussures cirées qu'il avait remplacée par ses baskets préférées, usées jusqu'à la corde. Il avait gardé la chemise et le blazer que ne rendaient pas si mal sur lui. Ses épaules et ses bras étaient mis en valeur et ce n'était pas pour lui déplaire. Il ne chercha même pas à nouer correctement sa cravate, la laissant pendre lâchement autour de son cou. S'ils n'étaient pas contents, ils devraient s'y faire.
Il attrapa son sac, sûrement trop léger. Il ne se souvenait même pas de ce qu'il y avait dedans. Sûrement des papiers froissés et quelques stylos. Il n'avait rien à amener au lycée puisqu'il n'avait aucun livre et assurément aucun cahier. Pas qu'il les prenne lorsqu'il en avait. S'il allait au lycée, c'était juste pour échapper au silence de la maison, à l'absence, à l'omniprésence.
Il pleuvait légèrement lorsqu'il sortit. La maison était vide, l'allée aussi. Ses parents étaient déjà partis. Autre État, même routine.
Il enfonça ses mains dans les poches de son jean et baissa la tête pour éviter que la pluie ne lui rentre dans les yeux. Il avait passé ses journées libres à errer dans les environs aussi n'eut-il aucun mal à retrouver la route du lycée. Il avait déjà une heure de retard. Il n'avait pas pris la peine de mettre de réveil. Il se moquait bien pas mal d'arriver à l'heure. Il y allait, c'était déjà bien, non ?
Il passa les grilles et regarda autour de lui. Les pelouses étaient tondues à la perfection, pas un brin d'herbe plus haut que les autres. Des bancs de bois étaient installés un peu partout. Un préau couvrait une partie de la cour. Devant lui, la double porte d'entrée en vitre le laissait voir les élèves qui changeaient de cours dans les couloirs.
Il savait que tout le monde allait l'observer, le jauger. Il était habitué à ce qu'on le fixe. Cette fois, cependant, ça serait différent. C'était l'occasion pour lui de faire sa première impression, d'annoncer la couleur à tout le lycée. Mieux valait qu'ils sachent dès le premier jour qu'il était préférable de ne pas lui chercher des noises.
Il poussa les portes avec forces, attirant tous les regards, et traversa le couloir. Autour de lui, tout le monde portait l'uniforme réglementaire. Il apprécia particulièrement de voir les courtes jupes noires et plissées des filles sous le petit pull gris et le blazer quelques teintes plus foncées. La cravate soulignait agréablement la forme de leurs poitrines – ou de leur absence pour certaines.
Il n'avait pas la moindre idée d'où il devait aller. Il trouva les casiers. Comme dans son ancien lycée, tout le monde se pressait comme autant de petites abeilles bourdonnant passant par la ruche pour changer leurs livres et récupérer de quoi grignoter ou simplement discuter.
Et puis, l'atmosphère changea. Une vague de tension survint et la foule se scinda en deux pour laisser passer un quatuor masculin. Tout le monde saluait l'un des garçons, pendant que deux autres discutaient avec animation et que le quatrième suivait en silence, le visage inexpressif et froid.
Raven croisa le regard de celui qui semblait être le chef de meute, un regard sombre comme la nuit, souligné de longs cils, encadré par une peau d'albâtre d'une telle perfection que n'importe quelle fille devait en être jalouse. Il portait l'uniforme complet et, étrangement, ça lui allait bien. Ça lui donnait à la fois l'air d'un jeune premier mais la façon dont la chemise et le blazer flattaient ses formes lui conférait un charme que même Raven ne pouvait lui nier.
Le quatuor s'arrêta et Raven ne put ignorer les murmures qui courraient, les regards qui s'échangeaient. Le chef de meute s'avança jusqu'à s'arrêter devant lui. Il lui offrit un sourire accueillant et léger.
- Raven Herron, je suppose, dit-il.
La voix de l'autre était douce, mélodieuse, profonde. Vraiment agréable à écouter.
- En effet, répondit Raven, sur ses gardes, mesurant son adversaire du regard.
- Suis-moi, je vais te donner tes livres et ton emploi du temps.
Raven n'eut pas le temps de réagir que l'autre avait déjà tourné les talons, s'attendant visiblement à ce qu'il obéisse. Raven haussa un sourcil, observant le dos de l'autre s'éloigner. Il ne put que remarquer l'agréable chute de reins soulignée par le pantalon chiné.
- Tu devrais y aller, lui lança l'un des amis du brun. Mon frère ne t'attendra pas.
Raven ne lui accorda pas le moindre regard mais obtempéra malgré tout. Il remonta son sac sur son épaule et emboîta le pas du brun, intrigué malgré lui par cette attitude si nonchalante qu'il avait.
En quelques enjambées, il eut rattrapé l'autre. Leurs bras s'effleurèrent alors qu'ils marchaient côte à côte. Le brun s'arrêta et poussa une porte qui ouvrait sur le secrétariat. Les secrétaires et les professeurs présents sourirent et saluèrent le brun – qui s'appelait Dylan, apparemment.
- Oh, tu dois être Raven ! s'exclama la jeune secrétaire à l'entrée. Voyons voir...
Elle fouilla dans ses papiers et en tira une feuille couverte d'un tableau coloré.
- Voici ton emploi du temps. Et tes livres sont juste ici...
Elle alla chercher une pile d'une dizaine de livres qu'elle posa sur le comptoir devant lui.
- Ton casier est le 206. Tu pourras mettre ton code tout à l'heure.
- Merci, marmonna-t-il en regardant son emploi du temps.
- Allons-y, dit Dylan.
Raven leva les yeux et soupira. Il prit la pile de livres dans ses bras et suivit l'autre hors du secrétariat.
- Quelques règles du lycée que tu dois savoir, commença Dylan. Ici, le retard n'est pas toléré. Les bagarres non plus. Les mauvais résultats, encore moins. Pour aujourd'hui, je vais passer sur ton retard. C'est ton premier jour, après tout. Mais la prochaine fois, il n'y aura pas d'excuses. Il en va de même pour ton uniforme. Je doute que ça soit ce que l'on t'a remis.
Il s'arrêta et se tourna pour faire face à Raven, détaillant sa tenue du regard.
- Voici ton casier.
Il tendit la main pour ouvrir la porte du casier, ses doigts longs et fins. Raven jeta presque la pile de livres dans l'étroit espace de métal avant d'y jeter son sac. Il claqua la porte et le verrouilla, mettant le même code que celui qu'il avait eu dans son ancien lycée. Il vit bien que Dylan n'était pas ravi de ce qu'il venait de voir.
- Je sais que dans ton ancien lycée, tu faisais ce que tu veux. Mais ici, ce n'est pas ton lycée. Alors, si tu veux que les deux prochaines années se passent bien, suis les règles.
Dylan lui rendit son emploi du temps – Raven ne se souvenait même pas du moment où il le lui avait pris.
- Suis-moi. Je t'amène à ton cours.
Comme plus tôt, Dylan tourna les talons sans attendre que Raven le suive. Ce dernier ne savait pas s'il en était plus agacé ou curieux. L'attitude de Dylan ne ressemblait à rien de ce qu'il connaissait. Il avait l'habitude des caïds, des intellos, des timides... Mais Dylan semblait totalement détaché de ce qu'il se passait, n'agissant que par automatisme, par ennui ou par habitude. Il débitait ses règles avec un ton suintant d'une menace sous-jacente, légère, à peine perceptible sans pour autant dire ce que Raven risquait à ne pas les suivre. Il se doutait qu'il devrait demander des explications ailleurs.
- Te voilà arrivé. Essaie de ne pas être en retard aux autres.
Raven eut à peine le temps de tourner la tête que le brun était déjà parti. Il haussa les épaules, prêt à faire demi-tour lorsqu'un jeune qu'il reconnut vaguement comme l'un des amis de Dylan survint derrière lui.
- Tu ferais mieux d'entrer, lui dit-il. Tu ne veux pas que ton premier jour se passe mal.
Sans gêne, il passa son bras autour des épaules de Raven en l'attirant dans la salle de classe. D'un coup de coude dans les côtes, Raven se dégagea. L'autre grommela une injure. Il ne fut pas découragé et lui fit signe de le suivre jusqu'au dernier rang. Avec un soupir agacé, Raven s'assit. Il ne pouvait plus faire autrement puisque la professeur venait d'entrer et que son regard bleu ciel s'était fixé sur lui directement.
- Bienvenue à North East High, Monsieur Herron, lui dit-elle, enjouée et accueillante, profondément agaçante. J'attends le meilleur de vous dans cette classe.
- Je serais vous, j'éviterai, répliqua-t-il, un sourire en coin narquois sur les lèvres. Je doute que vous me voyiez souvent.
La femme perdit quelque peu de son entrain, son sourire faiblissant, devenant forcé.
- Nous verrons cela, monsieur Herron. Nous verrons cela.
Elle commença son cours sans plus s'occuper de lui. Son voisin se pencha sur lui et murmura :
- Je ne te donne pas jusqu'à la fin de la journée pour changer d'avis.
- Et pourquoi cela ?
- Dylan, évidemment. Personne ne résiste à son système. Depuis qu'il est devenu président des élèves l'année dernière, ce lycée est entré dans le top 10 des meilleures écoles de l'Oregon. Même Marvin le terrible est rentré dans le rang. Ce gamin, je te jure, depuis le jardin d'enfants, il prenait tout le monde pour des punching-balls. Il a fallu trois semaines à Dylan pour le briser.
Raven haussa un sourcil.
- Oh, au fait, je suis Harmon. Passe-moi ton emploi du temps, j'espère qu'on a d'autres cours ensemble !
Il saisit la feuille sur la table de Raven avant que celui ne puisse répondre. Il observa son camarade, légèrement perturbé. Il agissait comme s'ils étaient déjà amis. Personne avant lui n'avait osé.
Nonobstant, il était plus intrigué par les informations que Harmon avait lâchées sur Dylan. Il lui paraissait peu probable qu'à lui seul Dylan ait inventé un système qui ait amélioré le classement du lycée. Et si ce Marvin était si terrible, que pouvait-il bien lui avoir fait pour qu'il devienne soudain docile et malléable, le parfait petit mouton ?
- Et si tu m'en disais plus sur Dylan ? Il semble être votre chef de meute.
- C'est à peu près ça. C'est le président. Tout le monde le respecte et essaie d'éviter de se retrouver face à lui. Enfin, à part tous ceux qui voudraient bien se retrouver seuls avec lui, si tu vois ce que je veux dire...
L'air équivoque sur le visage enfantin de Harmon suffit à annoncer la couleur. Visiblement, à North East High, Dylan possédait la place qui avait été celle de Raven au Texas, à l'inverse que Raven s'était toujours fait un devoir de briser les règles et de repousser les limites.
- Et qu'est-ce qu'il fait à ceux qui ne suivent pas ses règles ?
Le sourire de Harmon n'annonçait rien de bon.
- Je te laisse la surprise. Ça ne serait pas drôle, sinon. J'ai trop hâte de voir ta tête.
Il rendit à Raven son emploi du temps.
- On a que deux cours ensemble, c'est nul, reprit-il comme si de rien n'était. Mais tu en as quatre avec Dylan. Un conseil de bienvenue : sois à l'heure. Il ne t'a rien dit aujourd'hui mais ça ne serait pas pareil si tu recommences.
- C'est ce qu'il m'a dit.
- Alors écoute-le. Il ne déconne pas.
Une ombre tomba sur eux et, en levant les yeux, Raven croisa le regard de la professeur, les poings sur les hanches, l'air mécontent.
- Ne commencez pas, monsieur Herron. Je peux savoir où sont vos affaires ?
- Je n'ai rien commencé, c'est lui qui m'a parlé et comme je suis poli, je réponds. Et oui, vous pouvez savoir où elles sont mais je ne sais pas si je vous le dirai.
Il arbora son air le plus innocent en s'enfonçant dans son siège, un petit sourire insolent sur les lèvres.
- Monsieur Herron ! Je ne veux plus vous entendre pour le reste du cours. Vous ne voudriez pas terminer votre première journée en retenue, n'est-ce pas ? Et la prochaine fois, ayez vos affaires.
Elle tourna les talons avec un regard d'avertissement pour Raven et Harmon. Elle frappa dans ses mains et reprit son cours. Harmon se tint tranquille, gribouillant de rapides notes sur un cahier froissé et abîmé.
Lorsqu'ils purent enfin sortir du cours, Harmon passa son bras autour des épaules de Raven pour un résultat similaire à celui d'une heure plus tôt. Il grogna en se massant les côtes.
- C'était obligé ?
- Tu n'as pas compris la première fois, ce n'est pas de ma faute.
Sa froideur ne l'empêcha pas de le suivre jusqu'à son second cours avant de l'y abandonner avec un signe de la main. Raven roula des yeux en allant prendre une place au fond de la pièce, croisant les bras et fermant les yeux. Un raclement de gorge le força à les rouvrir à peine trente secondes plus tard.
Devant lui se tenait un adolescent massif aux bras aussi gros que des troncs, bedonnant et couvert de cicatrices d'acné. Un éclat méchant brillait dans ses yeux verts, comme s'il n'attendait qu'un signal pour donner le premier coup et se défouler.
- C'est ma place, le nouveau. Dégage.
Raven bâilla sans chercher à répondre, refermant les yeux. Une main saisit l'épaule de son blazer pour tenter de le faire se lever. D'un coup rapide et aveugle, un roulement d'épaule violent, le bras levé Raven força l'autre à le lâcher. Il s'épousseta l'épaule et reprit sa position initiale.
- Trouve-toi un autre siège, dit-il simplement.
- C'est plutôt toi qui va te trouver un autre siège, le nouveau ! grogna le caïd.
- Marvin.
La voix de Dylan résonna dans la salle. Le silence fut soudain total. Raven rouvrit les yeux et se tourna vers l'entrée, observant le fin profil de Dylan qui fixait sur Marvin un regard froid et menaçant.
La seconde suivante, Marvin s'était trouvé un nouveau siège et Dylan avait disparu dans le couloir. La fille assise devant lui se retourna, repoussant ses longs cheveux blonds par-dessus son épaule.
- T'es mort, le nouveau, dit-elle, la bouche plissée, l'air faussement désolé.
Raven se contenta d'un soupir en refermant les yeux.
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