Dad is a jerk
"Je vais et viens, j'avance et je recule ; un instinct singulier me pousse et m'attire ; je ne sais si c'est de peur ou de plaisir que je frissonne - je vais aimer."
Musset à Sand, le 4 juin 1834
Namjoon reçut un appel de sa grand-mère. Ce qui était rare ; dans sa famille, c'était aux jeunes gens d'appeler les aïeux. Il décrocha donc plein d'appréhensions pensant qu'il était peut-être arrivé quelque chose de grave.
Après avoir écouté longuement ce qu'elle avait à dire, il resta un temps interdit, l'oeil hagard. Il fit claquer le clapet de son téléphone pour le remettre dans la poche de son jean.
Hoseok, qui n'avait pas bougé de la console de mixage, le regarda silencieusement, l'air interrogateur et vaguement inquiet. Les bribes de conversation qui lui étaient parvenues lui indiquaient qu'il s'agissait de la fameuse jeune fille.
Depuis le canapé où il était avachi, Namjoon lui lança un sourire timide qui ressemblait à un appel au secours. Alors, l'aîné vint s'asseoir près de lui et enroula son bras autour de son épaule.
— Mauvaise nouvelle ? tenta-t-il.
— Oui... Namjoon soupira bruyamment.
— Tu veux m'en parler ? Mais tu n'es pas obligé ! paniqua Hoseok qui avait le sentiment de marcher sur des œufs.
Namjoon lui fut reconnaissant de sa sollicitude. Il était l'écoute dont il avait besoin à ce moment précis. Et, il savait d'avance que lui, contrairement à Jin, ne le pousserait pas à faire appel à un avocat.
— C'était ma grand-mère. Elle me disait que sa soeur est de retour à Séoul... avec Céleste... elle est là... fit-il alors que sa voix se brisait.
— C'est une bonne nouvelle, non ? Tu vas pouvoir mettre un terme aux malentendus...
— Elle veut me voir, oui. Mais... poursuivit-il en se levant et en commençant à faire les cent pas dans son studio.
— Mais quoi ? demanda Hoseok maintenant franchement mal à l'aise, tant il avait peur d'influencer négativement son ami sur un sujet aussi délicat.
— Je pense à elle et à nous, tout le temps...
— Et ?
— Elle me manque... je ne sais pas ce que je dois faire... et puis, il y a... pourquoi c'est si compliqué ?
— Nam ?
Namjoon s'était levé et, à présent, tournait le dos à Hoseok. Il regardait une des œuvres suspendues au mur. La contemplation ne lui était d'aucun secours : sa gorge se serrait douloureusement. Il avait la sensation que l'air pénétrait difficilement jusqu'à ses poumons. Était-ce de la panique ou le chagrin le plus intense qu'il n'ait jamais ressenti ?
— Elle envisage de donner le bébé à l'adoption.
Le jeune homme s'écroula tout à fait. Le scénario qu'il s'était imaginé chez ses parents semblait s'évanouir. Accroupi, replié sur lui-même, il n'avait jamais paru aussi fragile à son acolyte ! Les spasmes des sanglots qu'il ne retenait plus secouaient son dos par vagues brusques.
Hoseok le laissa pleurer et exprimer son désespoir. C'était un crève-cœur ! Puis, après quelques minutes qui lui parurent une heure, s'avançant prudemment vers lui, il lui dit :
— Je crois que tu sais ce que tu veux faire. Écoute-toi, tout simplement.
Il tendit la main à son ami afin qu'il se relève. Puis, il essuya des deux mains le visage ravagé par les larmes.
*
— Halmeoni ? Où va-t-on ? On ne peut pas rester à l'hôtel aujourd'hui ? Je me sens fatiguée... dit Céleste en attrapant affectueusement la main de la grand-mère.
Le taxi prenait des routes de plus en plus étroites dont la chaussée aurait eu besoin d'être entretenue. Elle était secouée, mal à l'aise et préoccupée. Elle tardait à appeler Namjoon alors que le temps pressait.
Elle tâta délicatement son ventre qui pointait sous le petit pull de laine angora rose. Parfois, elle se demandait s'il y avait vraiment quelqu'un là-dedans. Tout était calme. Elle n'avait ressenti ni mouvement ni "petits papillons" comme l'avait évoqué l'obstétricien.
— Nous allons rendre visite à ma sœur, il est temps de vous parler, annonça la vieille dame de but en blanc.
D'abord, Céleste ne comprit pas pourquoi il aurait été temps qu'elle ait une conversation avec cette personne. Puis elle saisit de qui il s'agissait vraiment. Elle cessa de respirer, pâlit et paniqua.
Elle avait été conduite malgré elle vers ce qu'elle fuyait.
La grand-mère de Namjoon vivait dans le quartier Bukchon. La jeune femme, dans d'autres circonstances, aurait cavalé de ruelles en ruelles et se serait extasiée devant le charme de ce quartier traditionnel aux maisons pluricentenaires.
Céleste eut le sentiment d'être menée dans un cabinet d'avocats où les grands-mères joueraient le rôle de médiatrices. La nausée la prit : une foule de souvenirs refoulés refit surface, et elle se revit fillette, avec ses crayons de couleur, face à un homme trop impressionnant qui lui demandait si elle souhaitait vivre avec papa ou maman. Il lui avait semblé qu'on avait fait que semblant de l'écouter et que tout avait déjà été décidé pour elle. Avec la nausée, donc, une colère sourde monta en elle.
Elle marmonna, alors que le taxi les faisait descendre devant un magnifique portail de bois patiné par les ans :
— Vous allez faire venir un avocat aussi ? ou bien un notaire ?
— Gamine ! On est là pour vous aider, répondit la vieille dame sur un ton à la fois affectueux et sans appel.
— Ou bien un commissaire priseur ? poursuivit malgré tout la jeune femme, à présent hors d'elle, qui fit demi-tour pour ouvrir la porte du taxi avant qu'il ne reparte.
Elle avait déjà la main sur la portière quand un autre véhicule s'arrêta et laissa descendre Namjoon. Son coeur fit une embardée. Entre l'homme dont elle se souvenait, celui qui était peut-être déjà père, celui qui se tenait là et la personne qu'elle s'attendait à voir, il y avait de quoi être perdue !
"Et puis, merde !", s'était-elle dit. Céleste était Céleste. Elle s'élança pour se jeter dans ses bras.
C'était totalement inattendu. L'estomac de Namjoon fit un bond et il tendit les mains vers elle juste à temps pour la réceptionner tout contre son cœur. Il souhaita que tout s'arrête là.
Mais il la sentit se tendre brutalement quand l'autre portière passager claqua pour laisser sortir Jin. Elle recula de quelques pas et afficha un air sauvage qu'il ne lui connaissait pas.
Une bouffée de regrets et de culpabilité l'envahit alors. Il n'aurait jamais dû accepter que leur rencontre se fasse ainsi. Ils auraient dû se revoir, seul à seul, dans un café où une musique jazz emplirait l'air chaleureusement, ou bien, chez lui, bien à l'abri des regards. Ils auraient pu rire et pleurer, peut-être même s'emporter.
Jin avait tout appris par Hoseok et s'était imposé. Il y a quelques minutes encore, Namjoon avait tenté de le dissuader sans succès.
— Je t'assure que je vais bien. Tout ira bien.
Jin l'avait fait taire d'un doigt sur la bouche qui ne supportait aucune contradiction.
— Il est hors de question que je te ramasse à la petite cuillère sans n'avoir rien fait pour empêcher ça ! Et, avec tout le respect que je dois à nos aînés, il est tout aussi impensable pour moi que tu te retrouves marié avant d'avoir dit "ouf", parce que c'est comme ça qu'elles vont régler le problème ; je peux te l'assurer !
Namjoon n'avait pas eu la force de rétorquer. Il se refusa à lui confier que ce serait l'issue la moins terrible, pour lui. Il allait prendre la main de Céleste pour l'entraîner à la suite de sa grand-tante qui poussait déjà le grand vantail de bois de la maison, quand une nouvelle voiture s'arrêta.
Un homme en costume, l'air stressé, en sortit précipitamment pour serrer la main de Jin.
— Désolé pour le retard. Le juge a fait durer l'audience plus que d'ordinaire.
Céleste entra dans la cour de la maison sans se retourner, furieuse, les larmes aux yeux. Effaré, Namjoon tournait la tête de droite et de gauche, ne sachant s'il devait la rattraper ou arrêter Jin.
— Jin ? Qu'est-ce que t'as fait ?
— Entrons. Tu discuteras à l'intérieur, fit-il autoritaire.
Namjoon ne connaissait que très peu cette facette de lui. Jin usait rarement de sa position d'aîné. Son instinct de protection avait pris le pas sur l'affection qu'il portait à Namjoon et ses désirs.
L'espoir ténu de ce dernier que les deux vieilles dames refusent la présence de Jin et de l'avocat s'envola rapidement. Elles les accueillirent avec une pointe d'indifférence, à moins que ce ne soit du mépris.
Céleste était déjà assise devant une tasse de thé vert fumant. Elle avait retiré son manteau et son bonnet. Elle triturait le couvre-chef et lançait des regards tour à tour inquiets et revêches. Le jeune homme ne sut plus ce qu'il le bouleversait le plus : son regard plein de défiance, ses cheveux coupés courts comme dans son rêve, ou bien ce petit ventre rond qu'elle ne pouvait plus cacher.
Le hanok respirait la propreté et l'ordre. Le salon sentait l'encaustique et la lavande. Et Namjoon et Céleste se disaient que cette maison aurait pu leur sembler agréable dans d'autres circonstances.
Si Namjoon se sentait dépassé et vivait l'instant comme s'il était à l'extérieur de son propre corps, planant au-dessus de la pièce, tournant en rond au-dessus de cette table basse qui réunissait des mains nouées, nerveuses ou décidées, Céleste, elle, était tendue, comme prête au combat, galvanisée par son sentiment de trahison.
L'avocat voulut entrer dans le vif du sujet et mener la conversation. Il avait ouvert sa serviette en cuir pour sortir une pile de feuillets. Il fut coupé rapidement dans son élan par la jeune femme hors d'elle.
Elle se leva subitement et planta son regard dans celui de Namjoon.
— You also do this for your other child!
Un brouhaha terrible agita le salon.
— Un autre enfant ? s'agita l'avocat en fouillant sa pile de papier. Vous ne m'en avez pas parlé, M. Kim, ajouta-t-il en se tournant vers Jin.
— De quoi parle la petite ? s'emporta la grand-mère de Namjoon. Tu ne m'as pas parlé de ça ! reprocha-t-elle à sa sœur.
— Du calme, tout le monde ! voulut temporiser l'autre petite dame.
Personne ne s'écoutait. Namjoon se leva à son tour et finit par dire tout bas, ne regardant que Céleste qui ne le quittait pas des yeux :
— Il n'y a pas d'autre enfant... juste une mascotte que je voulais adopter...
Le silence retomba brutalement. L'avocat voulut reprendre les rênes.
— Parfait ! Maintenant, discutons de...
— Une mascotte ? Tu parlais d'une mascotte ? Et moi, moi je croyais, j'imaginais...
Céleste fut incapable de finir sa phrase.
— C'est idiot ! T'es qu'un idiot !
La révélation fut aussi brutale que salvatrice.
C'en était assez ! Namjoon ne pouvait en supporter plus. Ni cet avocat sorti de nulle part, ni son ami, ni mêmes ses aïeules n'avaient leur mot à dire dans cette affaire. Aussi empreintes d'affection qu'étaient toutes ces formes d'autorité, il les rejetait en bloc.
Il contourna la table, attrapa le bras de Céleste et l'embarqua en saisissant au vol leurs effets personnels.
Personne ne chercha à les retenir.
— Let's be mad with happiness, once again! souffla Namjoon à l'oreille de Céleste alors qu'il poussait le portail qui donnait sur la rue. Do you want?
— You won't let go of my hand? demanda-t-elle encore méfiante.
— Never again! dit-il en déposant un baiser sur ses cheveux coupés courts.
Ils s'élancèrent dans la rue en courant. Ils riaient et pleuraient, de joie, de soulagement... Au détour d'une rue, une fois la maison bien loin, ils s'arrêtèrent pour reprendre leur souffle. Céleste tenait son ventre, l'air inquiet. Puis soudainement, elle s'écria :
— He wiggles! He's running too! This is the first time I feel him really moving!
Dans cet angle de rue désert, Namjoon eut le sentiment de retrouver son chemin et qu'il n'y avait plus à hésiter sur quoi que ce soit. Il se pencha sur Céleste, posa son front contre le sien, pressa une main tremblante sur le ventre qui faisait de petites vagues.
— Hello, you... Dad's a dummy, but he's here now.
C'est là que Céleste décida.
Elle ne se terrerait pas. Elle n'enroulerait pas son corps de serpent jaune bouclé d'or autour de ses sentiments pour les étouffer.
Elle ne laisserait pas cet enfant grandir loin d'eux.
*
— Voilà. Tout a fonctionné comme sur des roulettes, fit la grand-mère de Na-kyung et Céleste, tout heureuse.
— Comme tu l'avais prédit, lui répondit sa sœur incrédule.
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