Chapitre 4 - Le marché.
Makis émergea lentement. Il cligna plusieurs fois des yeux avant que sa vision se clarifiât puis se redressa à demi, malgré le furieux mal de crâne qui l'assaillait et ses muscles raides comme du bois sec. Il était étendu sur un sol de pierre irrégulier, parsemé de flaques d'eau, dans ce qui ressemblait à une grotte. Son père gisait non-loin, toujours inconscient. Des barreaux d'acier les maintenaient enfermés dans cet espace restreint et sordide. Un cachot.
Leur geôle s'alignait parmi une dizaine d'autres, et des ronflements bruyants qui semblaient tout proches attirèrent l'attention du Néophyte. Dans la cellule voisine, deux humains étaient allongés sur des couvertures et semblaient dormir profondément. Étaient-ils espions ou criminels pour avoir été emprisonnés ainsi ? Et pour quelle raison les deux Aazu avaient également été enlevés et enfermés ? Les questions se bousculaient dans la tête de l'adolescent, mais il lui semblait que cette dernière s'était remplie de toute l'eau qu'il avait avalée lorsqu'on l'avait fait passer par-dessus le bord.
Il se leva difficilement, étira ses membres endoloris et pencha sa tête d'un côté puis de l'autre, persuadé que s'il réussissait à se déboucher les oreilles, ses pensées reprendraient peut-être un cours normal. Homaï mit plus de temps à émerger, se laissant secouer en grognant pendant plusieurs minutes avant de finalement ouvrir les yeux. Il observa un instant leur environnement et articula d'un air ahuri :
— Ce n'est définitivement pas une de tes mauvaises blagues...
Makis eut une moue boudeuse :
— Je ne suis pas idiot à ce point, marmonna-t-il.
— Qu'est-ce... qu'est-ce qu'il s'est passé, au juste ? demanda le Confrère en s'asseyant mollement. Et où sommes-nous ?
— Je l'ignore ! répondit le garçon d'un ton à la fois anxieux et exaspéré. Je me souviens simplement que quelque chose m'a fait tomber du bateau, puis plus rien. On peut très bien avoir été transportés à l'autre bout du Royaume.
Un des occupants de la cellule voisine toussa dans son sommeil, et c'est seulement alors qu'Homaï prit conscience de leur présence.
— Au moins, ceux-là sont encore vivants, grinça-t-il. Peut-être que nos ravisseurs n'ont pas l'intention de se débarrasser de nous trop vite, c'est déjà ça...
— S'ils avaient vraiment voulu nous faire disparaître, ils auraient juste eu besoin de nous laisser au fond du lac, rétorqua Makis.
— Détrompe-toi, je commence à me dire que nous nous y trouvons peut-être déjà... Quelqu'un vient !
Effectivement, des échos de pas se faisaient entendre. Le mage fut sur ses pieds en un éclair, ses yeux jaunis braqués sur le tunnel qui débouchait devant les cachots. Le cœur battant à tout rompre, le Néophyte se décala légèrement afin de garder son père entre lui et la grille. Un instant plus tard, un homme et une femme entrèrent. Après quelques secondes, Makis se rendit compte qu'il ne s'agissait pas tout à fait d'une femme.
— Une naïade, chuchota Homaï.
L'adolescent avait déjà étudié ce peuple lors de ses leçons. Ces créatures, bien qu'anatomiquement proches des humains, vivaient principalement dans les eaux douces, comme les rivières ou les lacs, et n'évoluaient que très rarement sur terre. Elles cohabitaient généralement avec les sirènes, même si ces dernières étaient tout autant capables de s'installer dans des milieux salés.
Celle qui venait d'arriver avait une peau diaphane, de longs cheveux roux qui flottaient dans l'air comme portés par un courant invisible et des yeux incroyablement bleus. Elle inséra une clé dorée dans la porte de la cellule voisine, poussa l'homme qui l'accompagnait à l'intérieur et claqua bruyamment le battant, réveillant en sursaut les deux autres. L'écho métallique résonna douloureusement dans la boîte crânienne de Makis.
Après avoir farfouillé dans son trousseau, la geôlière vint se camper face aux deux Aazu. Elle les considéra de haut en bas avant de leur jeter d'une voix hargneuse :
— Suivez-moi, notre Sireine veut vous voir. Au moindre faux pas, nous n'aurons aucun scrupule à vous remettre à l'eau... Et je doute que vous puissiez vous en tirer aussi aisément que nous, ajouta-t-elle avec un sourire cruel.
La créature déverrouilla la grille et s'éloigna dans le tunnel d'une démarche fière, sans un mot de plus à l'intention de ses prisonniers. Le Néophyte laissa son père passer devant, désireux de ne pas laisser sa maladresse leur attirer davantage d'ennuis.
Ils suivirent ainsi la naïade pendant près de cinq minutes à travers le dédale de galeries rocheuses. Les cachots se succédèrent, la plupart remplis de prisonniers humains qui arboraient un air hagard, jusqu'à l'extrémité du corridor. À peine sorti, le garçon ne put s'empêcher de lever la tête : ils se trouvaient à l'intérieur d'une titanesque bulle d'air, belle et bien ancrée au fond du lac. La surface n'était pas visible, mais les eaux étaient limpides et baignées par la lumière du soleil.
Le boyau qui les avait menés ici débouchait tout droit d'un impressionnant tombant, situé à l'extérieur de la bulle et recouvert d'algues verdâtres, tandis que devant eux s'étendait une rue dallée qui serpentait entre des fontaines et des dômes en calcaire. Quitter une cellule obscure pour un espace aussi clair avait de quoi laisser pantois.
— C'est incroyable, souffla Makis dont l'inquiétude s'était muée en excitation.
— Nous sommes dans la partie anhydre de la cité, celle réservée à mes semblables... maugréa leur geôlière sans se retourner, visiblement peu disposée à servir de guide touristique.
Les effets de lumière conféraient aux roches des teintes bleutées et rendaient l'atmosphère presque apaisante, mais le jeune Aazu eut tôt fait de remettre les pieds sur terre. La plupart des créatures aquatiques qu'ils croisaient leur adressaient des regards haineux, et au-dessus de leur tête, un petit attroupement de sirènes et de tritons s'était formé.
— Pourquoi notre présence a-t-elle l'air si indésirable ? s'enquit le Néophyte.
— La plupart d'entre nous s'accordent à dire que ce qui tombe à l'eau doit y rester, grinça la naïade. Malheureusement, notre Sireine n'est pas toujours de cet avis...
— Nous ne sommes pas tombés, objecta Homaï. C'était plutôt de votre fait, il me semble.
— Circonstances actuelles obligent, rétorqua-t-elle en haussant les épaules. Mais ce n'est sûrement pas de ma bouche que vous en saurez davantage. Maintenant, faites-moi plaisir et taisez-vous.
À mesure de leur progression à travers la cité sous-marine, ils s'approchaient d'un autre tombant, également haut de plusieurs dizaines de mètres. Après avoir gravi un long escalier de pierre, ils débouchèrent dans une vaste grotte dont le plafond alvéolé était en contact avec la bulle d'air. Plusieurs cascades jaillissaient des murs et se déversaient dans un large bassin, tout au fond de la salle.
Si d'extérieur la structure paraissait brute, l'intérieur avait été soigneusement travaillé, du sol marbré aux poutres élancées. L'ample vasque semblait même taillée dans du cristal, et dans ces eaux se mouvait gracieusement une sirène à la queue turquoise.
— Voici notre Sireine, lâcha leur geôlière en s'arrêtant sur le seuil. Je vous laisse avec elle, tâchez d'être convaincants si vous voulez revoir la surface...
Les deux membres de la Confrérie se retrouvèrent donc seuls en compagnie de la créature aquatique. La sirène se mit à les observer en posant nonchalamment sa queue écaillée sur le bord de la piscine, puis émit une série de bruits semblables à des sifflements aigus.
— C'est le langage de son peuple, soupira Homaï. Malheureusement, je ne parle que celui des harpies...
La Sireine dut l'entendre car elle reprit, cette fois normalement :
— Qui êtes-vous, humains ?
Malgré l'agressivité de son ton, les mots coulaient hors de sa bouche avec la fraîcheur de l'eau jaillissant d'une source.
— De simples voyageurs, répondit le Confrère sans se laisser impressionner. Nous traversions les eaux de ce lac et comptions faire étape à Tanken pour la nuit, avant de continuer notre périple vers le Nord.
Les traits de la sirène se durcirent soudain et ses cheveux auburn, ornés d'un élégant diadème doré, se mirent à onduler avec plus d'ardeur.
— L'eau de tes veines est agitée, deux-pieds, siffla-t-elle. Tu as peur. Tu es comme tes semblables, égoïste, violent et irrespectueux. Tu fais semblant de t'intéresser au poisson pour mieux t'en prendre à nous !
— Je suis un mage, intervint prudemment Homaï. Si j'avais voulu me servir de mes pouvoirs contre vous, j'en aurais déjà eu l'occasion. Croyez-moi, je ne suis pas votre ennemi.
Elle considéra son interlocuteur avec méfiance, mais de l'intérêt était perceptible dans sa voix lorsqu'elle releva :
— Un mage ? Quel est donc ton pouvoir ?
Le Confrère porta son regard sur le plafond de la grotte. Ses iris virèrent au jaune pendant quelques instants, puis reprirent leur couleur marron habituelle.
— Amnésie totale, mentit-il fermement. Je ne préfère pas me livrer à une démonstration directe.
— Montrez-moi vos épaules, ordonna soudainement la Sireine. Tous les deux.
Surpris, le Néophyte échangea un regard avec son père, qui lui fit signe de s'exécuter. Il retira donc sa cape de voyage, baissa le col de son haut en lin et tourna sur lui-même, non sans un léger sentiment de ridicule.
— C'est bon, lâcha la créature aquatique.
Elle se mit à faire des ronds dans son bassin, comme en proie à une profonde réflexion, tandis que les deux prisonniers se rhabillaient. Lorsqu'elle revint finalement s'accouder au rebord, ses yeux d'un bleu perçant braqués sur eux, Makis avait l'impression qu'un couperet allait s'abattre sur lui d'un instant à l'autre.
— Très bien, je vous crois. Vous n'avez pas l'air de mèche avec les assassins... annonça-t-elle finalement.
— Des assassins ? s'enquit doucement Homaï.
— Depuis quelques jours, d'étranges hommes retournent ciel et terre sur les berges et s'en prennent à ceux de notre peuple qui croisent leur chemin. Un triton et trois naïades sont déjà morts par leur faute ; nous avons retrouvé leurs corps mutilés et abandonnés dans les roseaux. Heureusement, ils n'ont pas encore trouvé le moyen d'atteindre la cité...
— Quel rapport avec nos épaules ? ne put s'empêcher de demander le jeune Aazu.
— La sirène qui a pu réchapper à l'une de leurs agressions nous a rapporté quelques détails. Ces hommes portent tous un tatouage noir sur l'épaule, et assènent qu'ils sont là sur la volonté de leur père.
Le Néophyte remarqua alors que son propre paternel paraissait contrarié.
— Leur père ? murmura ce dernier en fronçant les sourcils, plongé dans ses pensées.
La Sireine poursuivit gravement ses explications :
— Après ces attaques, j'ai pris la décision de faire capturer tous les deux-pieds s'aventurant sur le lac. Nous n'avons pas eu à déplorer d'autres pertes pour le moment, et c'est tant mieux.
— Vous faites fausse route sur vos enlèvements, intervint le mage. Capturer tous les humains circulant sur les eaux ne pourra pas résoudre votre problème. Je crois connaître ces assassins et leur violence n'est plus à prouver. Vous faites des cibles plus intéressantes à leurs yeux car vous attirez moins l'attention que les humains. Croyez-moi, ce n'est qu'une question de temps avant que les attaques ne reprennent.
— Vous les connaissez donc... siffla la femme-poisson en plissant les yeux. Me serais-je trompée à votre sujet ?
— Je vous jure que non, s'empressa de la rassurer Homaï. Je ne les porte pas plus dans mon cœur que vous, étant donné qu'ils s'en sont également pris aux miens par le passé.
Makis ne comprenait rien à cet échange. La mention de ces hommes n'avait pas laissé son père indifférent, et voilà à présent qu'il insinuait avoir déjà eu affaire à eux. Perplexe, l'adolescent se mura dans le silence et jugea préférable de laisser le Confrère argumenter sans s'en mêler. Après quelques minutes de palabres supplémentaires, le mage lança :
— Je vous propose un marché... Laissez-nous partir et libérez également les trois pêcheurs de Welzo que vous retenez dans vos geôles. Je vous assure qu'ils n'ont rien à voir là-dedans, et nous avons promis à leurs femmes de les faire rentrer à bon port. De mon côté, je m'engage à enquêter sur ces hommes et à faire cesser leurs attaques. Les voir disparaître serait également dans mon intérêt, considérez cela comme une vengeance personnelle. Je viendrai vous faire mon rapport dans quelque temps.
Agitant sa queue écaillée de droite à gauche, la Sireine s'accorda un moment de réflexion avant de finalement concéder :
— C'est d'accord. Mais je te préviens, deux-pieds... Si tu tardes trop à remplir ta part du contrat, ou si j'apprends que tu me fais faux bond, n'envisage même pas de remettre le moindre orteil à la surface de ce lac où c'est la dernière chose que tu feras.
Makis s'autorisa un faible sourire. Son père avait toujours été bon parleur et plutôt doué pour ranger les gens de son côté, mais cet arrangement avait de quoi l'étonner, après s'être si souvent fait rabattre les oreilles sur la priorité absolue de leur mission pour la Confrérie.
— Je vous remercie de votre confiance, répondit poliment Homaï sans se montrer troublé par ces menaces.
— Vizava va vous emmener jusqu'aux cachots afin de récupérer les autres, puis vous conduira jusqu'à la surface. Nous relâcherons le reste des deux-pieds au fur et à mesure. Quant à votre bateau et vos chevaux qui sont toujours à son bord, deux d'entre nous vont se charger de les conduire à Tanken. Que les courants vous soient favorables, conclut la sirène.
La même naïade qui les avait auparavant accompagnés fit son entrée d'un air maussade, visiblement peu enchantée de les voir s'en tirer à si bon compte. D'un vague geste de la main, elle les invita à la suivre. Ils parcoururent le chemin en sens inverse dans le plus grand silence, toujours dévisagés par les êtres de l'eau.
Lorsqu'ils atteignirent les cachots, les trois pêcheurs se levèrent d'un bond. Vizava ouvrit leur grille sans un mot et se recula de plusieurs pas, les laissant figés de stupeur. Le Confrère prit donc l'initiative de leur résumer la situation :
— Nous sommes venus vous sortir de là. Vous pouvez nous faire confiance, c'est la femme de l'un d'entre vous qui nous envoie.
— Ça doit être la mienne ! sourit le plus grand des trois, un colosse d'au moins deux mètres qui arborait une impressionnante musculature.
Comme leur ancienne geôlière avait tourné les talons sans plus attendre, les cinq humains se hâtèrent de la rattraper. Ils marchèrent pendant près d'une heure à la seule lumière des torches qui ponctuaient les murs, empruntant d'humides galeries taillées à même la roche, qui montaient peu à peu. Le colosse avait parfois du mal à s'y faufiler, contraint de progresser en crabe pour permettre à ses larges épaules de passer, et le Néophyte manqua de glisser à plusieurs reprises.
Soudain, le tunnel émergea sous une unique bulle qui ne devait pas excéder les cinq mètres de diamètre, étrangement ancrée sur la roche d'un plateau. Devant eux, le fond remontait en pente douce, et la surface était visible non loin au-dessus de leurs têtes.
Leur guide appuya sur la bulle, révélant une fine membrane de chair entre ses doigts, et lâcha nonchalamment :
— Nous sommes à sept mètres de profondeur, et la surface n'est qu'à quelques brasses. Même pour des humains comme vous, ça ne devrait pas être impossible. Du moins, je l'espère...
Les cinq autres la contemplèrent, incrédules.
— Vous ne vous imaginiez quand même pas que j'allais vous remonter moi-même ! Bonne baignade, ricana-t-elle avant de s'engouffrer de nouveau dans le boyau, regagnant les profondeurs.
— Charmante ! murmura un pêcheur, un sourire dans la voix.
Sans plus s'attarder, il prit une grande inspiration, traversa la couche d'air et nagea vers le haut, bien vite suivi par ses deux camarades.
— Après toi, lâcha Homaï en tapotant l'épaule de son fils.
Ce dernier, priant de toutes ses forces pour que le plomb qui lui pesait au creux de l'estomac ne le fasse pas couler comme une ancre, avala le plus d'air possible et s'appuya contre la bulle. C'était la même sensation que de traverser l'enchantement protecteur de la forêt de Dauthas, sauf qu'il n'y avait rien à envier à l'autre côté. Immédiatement comprimé par l'eau froide, la vue brouillée et alourdi par sa cape de voyage, Makis sentit son cœur s'emballer. D'un coup de pied sur le fond rocheux, il se propulsa vers la lumière et battit frénétiquement des bras.
Après seulement quelques secondes, sa tête perça la surface et il inspira de grandes goulées d'air frais. Apercevant les pêcheurs, qui étaient déjà presque à mi-chemin, il se mit à brasser dans leur direction. Le jeune Aazu savait nager, il avait appris étant plus petit, mais le froid et ses vêtements imprégnés d'eau l'empêchaient d'avancer. Sentant sa panique redoubler, il s'agrippa à son père en haletant.
— Je ne suis pas tellement mieux embarqué que toi, Makis ! grommela le Confrère, lui aussi gêné par sa pèlerine.
Il s'écria à l'intention des trois hommes :
— Un petit coup de main ne serait pas de trop !
Les pêcheurs, bien plus à l'aise en milieu aquatique, eurent tôt fait de revenir à leur niveau et de les épauler jusqu'à la rive. Éreinté et grelotant, le garçon se hissa sur la berge et commença à essorer sa cape. Le colosse lui assena une grande claque dans le dos, manquant de le faire repiquer la tête la première.
— Je... Merci de m'avoir aidé, balbutia le Néophyte.
— Pas de quoi ! Mais quelle idée de prendre un bain avec cette tenue... s'esclaffa-t-il.
— Où sommes-nous ? questionna Homaï, qui ne semblait pas avoir perdu le sens des priorités.
— Près de Tanken, répondit l'un des trois hommes en désignant le clocher qui dépassait des arbres non-loin de là.
— Parfait, c'est justement là que devrait se trouver le bateau que nous avons emprunté à votre campement. Vous n'aurez qu'à le récupérer et vous en servir pour rentrer. Enfin... si les sirènes l'ont bien ramené !
Ils prirent la direction de la ville, profitant du soleil couchant qui, à défaut de les sécher, eut au moins l'avantage de les réchauffer un peu. À la tombée de la nuit, ils atteignirent la place du port, encore relativement animée. Tandis que les trois pêcheurs faisaient une halte à la taverne, les deux membres de la Confrérie se dirigèrent vers leur bateau d'emprunt, amarré sur un ponton. Alors qu'ils arrivaient à proximité des quais, un gobelin trotta à leur rencontre, une liasse de papiers sous le bras.
Il était petit et trapu, avec une peau bleue électrique et des yeux noirs brillants. Une minuscule paire de lunettes reposait sur son long nez crochu. C'était la première fois que Makis en voyait un hors de ses livres d'histoire, bien que ces créatures fussent nombreuses à peupler le Royaume d'Adraendar.
— Est-ce votre embarcation, celle avec les deux chevaux ? demanda le gobelin.
— En effet, lui assura le Confrère.
— Comment se fait-il que vous n'étiez pas à son bord lorsqu'elle est arrivée, et qui plus est qu'elle ait été amenée par deux tritons ?
— Nous sommes tombés dans le lac pendant notre traversée, répondit Homaï d'un ton neutre.
— Et vous avez réussi à ne pas vous noyer et à rejoindre la ville de Tanken ? fit remarquer la petite créature avec un coup d'œil désapprobateur pour leurs lourdes capes, encore gorgées d'eau.
Le Confrère soutint le regard suspicieux du gobelin, qui finit par céder.
— Très bien, libre à vous de ne pas en parler, soupira-t-il. Quoiqu'il en soit, vous devez vous acquitter de la taxe du port. Je vous laisse remplir le formulaire et payer le montant dû...
— En réalité, ce bateau n'est pas à nous, l'interrompit le mage. Il appartient à trois pêcheurs de Welzo qui sont actuellement à la taverne. Nous n'avons fait que le leur emprunter, et d'un commun accord il revient en leur possession dès ce soir. Je vous laisse donc régler le tarif avec eux...
— Nous allons vérifier ça, lâcha la créature d'un ton sans appel. Ils sont à la taverne, avez-vous dit ? Eh bien, allons-y.
Après une petite hésitation, Homaï et Makis lui emboîtèrent le pas. Il semblait régner à l'intérieur de la brasserie un raffut sans nom. Des ombres s'agitaient de l'autre côté de la fenêtre et des cris s'élevaient en tous sens.
— Que se passe-t-il... marmonna le gobelin en ajustant ses petites lunettes et en s'approchant de la porte.
Mais avant même qu'il eut pu l'atteindre, le battant s'ouvrit dans un grand fracas et le colosse des pêcheurs lui tomba dessus de tout son poids, complètement sonné. Dans l'encadrement, un homme se massa le poing en affichant un sourire sanguinolent, puis tourna les talons et se joignit de nouveau à la bagarre générale. Cet homme arborait à l'épaule un étrange tatouage noir.
À sa vue, le Confrère devint livide.
— Nous devons partir. Vite ! souffla-t-il en reculant de quelques pas.
— Que se passe-t-il ? s'enquit l'adolescent, inquiet. C'est l'un des assassins du lac ?
— Sûrement, je t'expliquerai... Mieux vaut ne pas nous attarder dans les parages !
Homaï détala en direction des quais sans plus se préoccuper de la taxe du port. Makis se pencha alors vers le gobelin, qui commençait à reprendre ses esprits et essayait de se dégager du pêcheur.
— Voici votre client, lui chuchota-t-il avec un sourire. Je vous laisse régler les formalités administratives. Bonne nuit !
Il partit à la suite de son père et le rattrapa sur le ponton. Le garçon fit ensuite descendre les chevaux tandis que le mage récupérait leurs paquetages. Pour une fois, le Confrère se mit en selle sans faire d'histoires et, bientôt, le bruit des sabots des deux bêtes lancées au galop résonnait sur les pavés de Tanken.
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