Chapitre 17.
Makis et Shamë étaient déjà rentrés à la Confrérie depuis une semaine et attendaient anxieusement un quelconque signe de vie d'Homaï. Le Sommet avait autorisé la mage-guerrière à séjourner parmi eux afin de la remercier pour son aide dans la quête du Sceau du temps. Elle avait par conséquent reçu la toge jaune accordée aux invités.
Le Néophyte avait, quant à lui, retrouvé leur maison de bois avec soulagement. Il s'était empressé, dès leur arrivée, de s'agenouiller au pied de l'arbre et de murmurer quelques mots à l'intention de sa mère. Simplement pour la rassurer, pour lui dire qu'il ne l'avait pas oubliée et qu'il était rentré comme promis. Il lui raconta ensuite leur long périple, lui présenta Shamë et lui jura que son père reviendrait bientôt. Il se moquait éperdument d'avoir l'air stupide à parler à un arbre, mais il savait qu'au fond Kitana l'entendrait d'une manière ou d'une autre.
La clé n'avait pas bougé, toujours cachée derrière le pot de fleurs sur le rebord de la fenêtre. Homaï avait pris une sage décision en choisissant de ne pas l'emmener : s'il avait agi autrement, les deux jeunes gens se seraient vus incapables d'entrer à l'intérieur à leur retour, à moins de forcer la porte. Ils s'y étaient depuis installés et la Wazkaëf occupait la chambre d'amis. La vie leur semblait lente et étrangement calme dans la forêt de Dauthas, bien différente de celle chaotique qu'ils avaient connue durant les semaines de périple. Trois jours après eux, le Confrère Arzaben et son binôme étaient rentrés bredouilles.
— L'Épreuve de vie avait déjà été validée lorsque nous y sommes enfin arrivés, expliqua-t-il à Makis, penaud. Le Sceau avait été dérobé.
Cela n'avait fait que contrarier davantage le Doyen, qui cherchait désespérément la source de cette fuite.
— Si les Fils sont au courant de la prophétie, ils l'ont forcément appris de la bouche d'un des nôtres... Seul un membre de la Confrérie pouvait être présent lors de la cérémonie, ne cessait-t-il de répéter. Il y a donc un traître dans nos rangs... Mais comment est-ce possible ?
Le Néophyte était du même avis que lui : trois Sceaux leur avaient déjà été volés, les Fils devaient donc être bien renseignés sur l'emplacement des Épreuves. À la base de la Confrérie, le temps passait à la vitesse d'un escargot et Makis commençait à craindre le pire pour son père. Cependant, huit jours après leur retour, un pigeon vint chasser ses doutes. Celui-ci se posa sur sa tête et lui donna quelques coups de bec pour marquer son empressement. Le garçon récupéra donc le message enroulé autour de sa patte griffue et l'oiseau s'en fut aussi vite qu'il était arrivé.
Il héla Shamë puis lui lut le contenu du papier :
— Makis, Shamë, j'espère que vous allez bien tous les deux. Vous n'avez pas à vous inquiéter pour moi, je ne suis pas en trop mauvaise forme. J'espère aussi que vous avez mené votre mission à bien. Maintenant, venez me rejoindre à Arkeona, la ville portuaire de l'Ouest. Je serai à la terrasse de la taverne du port tous les jours entre seize et dix-huit heures. À très vite.
Sous le texte, Makis reconnut la signature inimitable de son père. Complexe enchevêtrement de traits et de courbes, il était impossible de la reproduire sans en connaître le point de départ et elle attestait ainsi de la véracité du destinateur.
— Que fait-on ? demanda la mage-guerrière.
— On part pour Arkeona, affirma-t-il. Aujourd'hui. Il faut juste prévenir le Sommet.
Elle hocha subrepticement la tête, approuvant ainsi son idée. Ils se mirent alors à rassembler leurs affaires à la hâte, les fourrant dans leurs paquetages, armes comprises. Ils emportèrent également un peu d'argent afin de trouver des chevaux et des vivres à Triëm. Avant de quitter une nouvelle fois sa maison, Makis effectua le même rituel que bien des semaines auparavant en allant saluer sa mère.
Ils firent irruption quelques minutes plus tard dans la salle de réunion du Sommet, essoufflés. Le Néophyte leur exposa succinctement la situation et ce fut la Sage Neclisa, qui substituait le Doyen à ce moment-là, qui lui répondit :
— Vous avez notre accord, jeunes gens ! Arkeona, tu as dit ? Je pense savoir pourquoi ton père s'est rendu là-bas, Makis... Mais comme je ne suis sûre de rien, je préfère ne pas m'avancer. Prenez soin de vous et bon voyage. Puisse Käyen vous protéger !
Ils ne se firent pas prier et, dès qu'ils eurent poliment pris congé des dirigeants, ils se ruèrent vers la sortie de la forêt. Une bonne heure plus tard, ils abordaient les écuries du village. Shamë mit du temps à choisir sa monture : elle voulait absolument une jument à la robe sombre et au tempérament docile. Étant de relative petite taille, il ne fallait pas que l'animal fût trop fougueux si elle voulait parvenir à le manier convenablement. Elle souhaitait toutefois posséder un cheval rapide. Elle finit par se décider sur l'un d'entre eux et ils purent quitter Triëm au galop.
Ils mirent cap sur l'Ouest et chevauchèrent jusqu'au coucher du soleil. L'Ouest du Royaume était bien plus peuplé et attractif que l'Est, si bien qu'ils croisaient de plus en plus de monde sur les routes. Quand vint le soir, la verdoyante région d'Ysana avait cédé la place aux gorges tout aussi végétalisées de Voiwen, et ils s'arrêtèrent pour la nuit le long de la rivière.
Shamë déroula la carte et marmonna :
— Pour gagner Arkeona, nous devons encore traverser ces gorges puis la contrée des lacs d'Ethoveth. Nous n'aurons ensuite plus qu'à longer la mer jusqu'à la ville.
— Cela n'aurait pas été plus simple de passer par l'intérieur des terres ? s'enquit Makis.
La géographie n'étant pas l'un de ses points forts, le Néophyte avait préféré laisser sa camarade se charger de l'itinéraire.
— Non, répliqua-t-elle assez fermement. Les routes sont moins directes et il nous aurait presque fallu remonter jusqu'à la capitale. En empruntant la périphérie, je pense que nous gagnons au moins une journée de voyage.
Il acquiesça puis s'éloigna de quelques dizaines de mètres de leur campement de fortune. Il s'assit sur un rocher, pensif et contemplatif devant la beauté des gorges de Voiwen. La lumière du crépuscule se reflétait sur l'eau et la légère brise apportait le parfum des fleurs sauvages. Makis inspira profondément, ferma les yeux et se laissa aller au calme. Lorsqu'il se releva enfin, les trois lunes brillaient dans le ciel. Il regagna lentement le campement et passa devant Shamë qui, assise en tailleur, fixait le sol avec insistance. Au moment où il s'avança à sa hauteur, une interjection agacée fusa. Le Néophyte sursauta instantanément et fit un bond de côté.
— Regarde où tu mets les pieds ! rouspéta la Wazkaëf, les sourcils froncés.
Makis remarqua alors que ce qu'il avait pris pour un pan de sol quelconque dans l'obscurité était en fait un carré de cuir. Dessus reposait un certain nombre de pierres de toutes tailles et aux couleurs variées. En marchant, il avait malencontreusement chamboulé la disposition des cailloux et cela ne semblait pas plaire à la mage-guerrière, en pleine séance de divination.
— Crétin, siffla-t-elle en remettant les minéraux à leur place initiale.
Il s'éloigna sans un mot, désireux de ne pas s'attirer les foudres de Shamë. Après un long moment de silence et n'y tenant plus, il finit par la questionner :
— Que vois-tu ?
Elle ne répondit pas dans l'immédiat, se contentant d'envoyer la pierre bleue percuter la violette d'un mouvement vif du poignet.
— Pas grand-chose, avoua-t-elle, les pierres ne sont pas aussi précises que les étoiles.
— Dans ce cas, pourquoi ne regardes-tu pas les étoiles ?
— Parce qu'elles ne parlent pas tous les soirs, dit-elle d'une voix qui trahissait son agacement grandissant. Les pierres, d'un autre côté, sont consultables à tout moment mais ne permettent que d'évaluer l'agitation sur une échelle de temps. Par exemple, dans un futur proche, je peux te dire que ça va être assez calme. Sans doute la fin de notre voyage. Ensuite, le danger monte crescendo et atteint son point culminant dans un futur bien plus éloigné. En d'autres termes, les mois à venir ne vont pas être de tout repos...
Sur ces paroles très engageantes, ils partirent se coucher en silence. Makis ne parvint pas tout de suite à fermer l'œil. Le regard fixé sur la lune orange, il ressassait les préméditions de la Wazkaëf.
Quatre jours plus tard, les deux cavaliers arrivèrent en vue de la ville portuaire d'Arkeona. Makis et Shamë, qui n'avaient tous deux jamais vu la mer, étaient émerveillés par l'immensité de cette étendue bleue, parcourue par de nombreuses embarcations. Les routes étaient plus larges et plus fréquentées que toutes celles qu'ils avaient pu emprunter auparavant. Les voyageurs en transit se mêlaient aux convois marchands, présentant un chatoyant tableau de couleurs et de vie. De nombreux peuples foulaient les pavés sans distinction, rentrant vers leurs terres d'origine ou s'en éloignant davantage.
L'intérieur de la ville n'était pas moins animé : ils eurent un mal fou à se frayer un chemin à travers la cohue puis à dénicher les écuries. La cité était immense et les rues rivalisaient en étalages croulant de poissons et autres produits venus d'ailleurs. Cela ne faisait aucun doute : Arkeona était bien l'un des principaux pôles commerciaux du Royaume.
Les deux jeunes gens durent ensuite jouer des coudes et des épaules dans la foule afin d'atteindre le port. Shamë, du haut de son mètre quarante, rencontrait quelques difficultés à se faire une place parmi les grands elfes des forêts de Cyswen. Le port était démesuré : un grand nombre de quais et d'entrepôts se succédaient, autour desquels les marins criaient des ordres pour charger ou décharger les cargaisons. Des marchands aguerris allaient et venaient, évaluant d'un coup d'œil la qualité des marchandises entassées dans des caisses. Beaucoup de voiliers arrivaient ou partaient et une impressionnante file d'attente serpentait depuis le bureau du port.
Ils finirent par dénicher la taverne, coincée entre un poissonnier et un forgeron. Une horloge murale indiquait dix-huit heures moins cinq.
— Dépêchons-nous ! souffla Makis. Il va bientôt partir...
Ils s'immobilisèrent à une quinzaine de mètres du bâtiment et explorèrent la terrasse du regard. Ils repérèrent soudain Homaï, assis seul à une table devant une chope de bois.
— Allons le voir ! s'enthousiasma le Néophyte.
Mais avant qu'il eût pu faire le moindre pas, la mage-guerrière le stoppa.
— Je ne pense pas que ce soit une bonne idée, expliqua-t-elle. Il est peut-être surveillé...
— D'accord, concéda tristement le garçon.
Ils attendirent donc patiemment qu'il les remarque, mais il n'en fut rien. À dix-huit heures tapantes, il jeta une pièce sur la table, se leva et partit. Lorsqu'il passa devant eux, Makis émit un raclement de gorge significatif. Le mage tourna alors la tête. Un éclair de surprise passa dans ses yeux mais il ne dit rien et poursuivit son chemin. Estomaqué du si peu de considération que son père avait pour eux, le garçon mit un temps avant de s'apercevoir que l'homme faisait de discrets signes de la main, dans une invitation évidente à le suivre.
Les deux adolescents lui emboîtèrent le pas, tout en restant à une distance raisonnable de lui. Ils s'éloignèrent du port et s'enfoncèrent dans les quartiers nord de la ville. Ils déambulaient dans les ruelles étroites, bifurquant sans cesse aux intersections de ce véritable labyrinthe. Makis se fit même la réflexion qu'ils étaient déjà passés plusieurs fois au même endroit mais, pour une fois, il ne chercha pas à en savoir plus. Ils s'engouffrèrent finalement dans un passage en proie à un violent courant d'air.
Homaï avait accéléré le pas, distançant peu à peu son fils et Shamë. Le Néophyte commença à marmonner des propos contre l'état psychologique de son paternel, mais fut vite interrompu par une main qui se posa sur son épaule. Il sursauta et s'apprêta à s'énerver contre la Wazkaëf pour lui faire regretter cette mauvaise blague, mais au même moment cette dernière lui plaqua une main sur la bouche pour l'empêcher de parler.
Le Néophyte se retourna vivement et écarquilla les yeux de stupeur. La main posée sur son épaule n'appartenait pas à sa camarade, comme il l'avait cru au début, mais à un homme dont les traits lui étaient vaguement familiers.
— Entrez, vite ! Je suis membre de la Confrérie, faites-moi confiance. Homaï nous rejoindra dans très peu de temps, il fait juste le tour par derrière...
Makis et Shamë échangèrent un regard puis se décidèrent à entrer. Leur mystérieux hôte jeta un coup d'œil de chaque côté de la ruelle puis ferma précipitamment la porte derrière eux.
— Allons à l'étage, nous y serons plus tranquilles, murmura-t-il.
Ils gravirent donc hâtivement la volée de marche. Dans la salle supérieure, une femme semblait attendre leur arrivée. Le Néophyte avait l'impression de l'avoir déjà vue quelque part...
— Bien, maintenant que nous sommes au calme, permettez-moi de me présenter, lança l'homme. Je suis le Confrère Chamno, et voici mon binôme, Sauwia.
La femme hocha doucement la tête et sourit aux adolescents.
— Nous sommes ici en quête du Sceau de lumière, tout comme vous l'étiez pour le Sceau du temps, reprit-il.
Makis sut ainsi d'où il les connaissait. Une porte grinça au rez-de-chaussée et, quelques instants plus tard, Homaï fit irruption dans la pièce.
— Bonjour ! s'exclama-t-il.
Il s'avança vers son fils et l'étreignit avec soulagement, puis posa une main sur l'épaule de Shamë et murmura avec reconnaissance :
— Merci de me l'avoir gardé en vie...
Ils se lancèrent ensuite dans de longs récits, les deux adolescents se chargeant de conter leur retour à la forêt de Dauthas et le verrouillage du Sceau par le Doyen. Ils informèrent au passage Chamno et Sauwia qu'ils étaient le dernier binôme encore en lice. Homaï leur expliqua en retour son emprisonnement chez les Fils de Nagir, puis comment il avait réussi à s'enfuir et à rejoindre Arkeona, s'étant souvenu que c'était là la destination de l'un des groupes de Confrères.
— Vous n'avez pas encore mis la main sur le Sceau ? s'enquit Makis.
— Hélas, non, répondit tragiquement Chamno. Deux facteurs nous empêchent toujours d'accéder à l'Épreuve : d'un côté, un certain nombre de Fils de Nagir rôde à Arkeona dans le même but que nous. Ils savent que nous sommes là et nous espionnent, c'est pour cela que nous ne vous avons pas fait rentrer en même temps qu'Homaï. Nous pensons qu'ils souhaitent attendre que nous obtenions le Sceau pour nous le prendre de force. En effet, le second facteur les empêche d'atteindre l'Épreuve, tout comme nous... L'entrée est accessible n'importe quand, mais elle est sous la mer et férocement gardée par un Drac, autrement dit un démon des eaux. Nous n'avons toujours pas trouvé le moyen de passer devant lui.
Les cinq personnes demeurèrent silencieuses un moment.
— Père, intervint finalement Makis d'une voix hésitante. Shamë n'était pas encore avec nous lorsque nous nous y sommes rendus, mais... te souviens-tu des sirènes du lac de Basaän ?
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