Chapitre 16.
Pour tout dire, « plan d'évasion » était un bien grand mot. Il savait à peu près comme il allait s'y prendre pour sortir de la cellule, en revanche il n'avait pas la moindre idée de ce qui l'attendait de l'autre côté de la porte. Mais Homaï était conscient de ne pas avoir le choix. S'il n'agissait pas vite, Jodeïshi risquait de revenir et le Confrère doutait d'être encore en état de s'enfuir après sa visite. Il se leva donc silencieusement et défit l'ourlet de sa manche. À l'intérieur, cachés là depuis des lustres, une épingle à cheveux, une aiguille et du fil de fer. C'était précisément dans le but de forcer une porte un jour qu'il les avait placés là, et depuis tout ce temps personne ne les avait découverts.
Il inséra le plus discrètement possible le fil de fer dans la serrure et tenta de la déverrouiller. Il savait, pour l'avoir déjà fait auparavant, que c'était une tâche longue et fastidieuse. Son cœur tambourinait dans sa poitrine et Homaï avait l'impression qu'il résonnait dans la totalité de la cellule. Le mage gardait l'oreille tendue tandis qu'il se démenait comme un beau diable pour crocheter le verrou.
Alors qu'il sentait qu'il y était presque, des bruits de pas résonnant dans le couloir le firent sursauter. Il retira précipitamment le maigre outil et retourna s'asseoir sur le lit en retenant son souffle. Cependant, l'individu ne fit que passer devant sa geôle, et bientôt l'écho de ses foulées se tut. Le Confrère dut tout recommencer depuis le début.
Il eut l'impression de s'acharner des heures sur la serrure avant que celle-ci n'émît enfin un léger déclic. Homaï se redressa et essuya de ses mains moites son front en sueur. Il rangea l'accessoire métallique à sa place habituelle et, après s'être assuré que personne n'arrivait, fit pivoter la porte en prenant garde à ne pas la faire grincer. Il risqua ensuite un coup d'œil dans le couloir : il était sombre et désert, et seule la lumière vacillante des torches placées à intervalles réguliers semblait donner un peu de vie à l'endroit.
Le passage de pierre se poursuivait des deux côtés : lequel devait-il suivre ? Il songea que Kitana aurait pris à gauche sans hésiter, alors que Makis aurait préféré s'engager à droite. Sans réfléchir, Homaï se lança alors sur les traces de sa compagne. Le couloir était monotone et paraissait ne jamais avoir de fin, prenant simplement des virages à angle droit de temps à autre. Des portes de fer semblables à celle de sa cellule s'alignaient sur le mur de gauche mais aucun bruit ni aucune lumière n'émanaient de l'intérieur. Une lucarne finit par apprendre au mage qu'il faisait nuit noire, ce qui était plutôt propice à son évasion.
Alors qu'il se faufilait toujours tel une ombre à travers ce corridor glacial, un chuchotement dans son dos le fit bondir de surprise :
— Eh, toi !
Il revint prestement sur ses pas et s'arrêta à la hauteur du battant d'un cachot. À travers la petite ouverture qui laissait voir l'intérieur, le sommet d'un crâne chauve dépassait, ainsi que deux yeux noirs et des sourcils broussailleux.
— Tu t'évades ? reprit le prisonnier.
— Comment le sais-tu ? demanda Homaï, surpris par le ton franc, bourru et amical de son interlocuteur.
— T'es mort de trouille, avoua le chauve. Et puis, t'as ni la même dégaine que les Fils ni leur marque, alors j'en déduis que t'es pas du coin. Et vu comment t'es amoché, mon gars, ça m'étonnerait qu'ils te portent dans leur cœur !
Les Fils de Nagir avaient tous l'épaule ornée du symbole de leur communauté, ce qui permettait de les distinguer facilement - du moins lorsqu'ils ne portaient pas de manches longues.
— C'est une longue histoire, soupira le Confrère en secouant la tête. Malheureusement, le temps m'est compté et je ne dois surtout pas m'attarder ici. C'est une question de vie ou de mort.
— Attends ! souffla le prisonnier alors qu'Homaï commençait à s'éloigner. T'as bien réussi à sortir de ce trou, non ? Alors, pourquoi tu m'aiderais pas ? À deux, on aura plus de chances !
— Je n'ai pas le temps, répéta Homaï sans cesser de tendre l'oreille, de crainte que leur conversation n'eût ameuté d'autres Fils.
— Fais-moi confiance, je te serai utile !
Le mage réfléchit un quart de seconde puis finit par s'agenouiller devant la porte, fil de fer en main. Il eut moins de mal à ouvrir cette serrure, à croire qu'il commençait à prendre le coup de main. Mais alors qu'il s'apprêtait à laisser sortir son allié providentiel, des bruits de pas résonnèrent.
— Entre, vite ! lui chuchota précipitamment le prisonnier.
Le Confrère ne se fit pas prier, poussa la porte et la referma le plus silencieusement possible. Il se plaqua ensuite contre le mur de pierre et retint son souffle. Les pas se rapprochèrent de plus en plus et il ferma les yeux lorsque le Fils passa à la hauteur de leur cellule. Heureusement pour lui, il ne s'arrêta pas et disparut à l'angle du corridor.
Homaï relâcha sa respiration et essuya son front d'un revers de la main, tout en essayant de maîtriser les tremblements de ses jambes. Il se tourna alors vers son allié providentiel et... écarquilla les yeux de surprise en le voyant.
— Tu... tu es un nain ? bafouilla-t-il.
— Oui ! Je m'appelle Ignör et je viens de l'autre côté de ces montagnes !
Ignör arrivait tout juste au nombril du Confrère. Il arborait fièrement une imposante barbe noire et tressée.
— Mais alors... Comment dépassais-tu de la porte ?
— En m'accrochant aux barreaux, répondit le nain comme s'il s'agissait d'une évidence. Bien, allons-y...
Il sortit le premier et attendit Homaï dans le couloir.
— Sais-tu dans quelle direction est la sortie ? questionna ce dernier. J'étais inconscient lorsqu'ils m'ont porté ici.
— Par-là, affirma Ignör empruntant le couloir dans le même sens que celui que le Confrère avait choisi.
Environ une minute plus tard, ils arrivèrent devant une porte en bois.
— La base des Fils est une petite forteresse construite sur un contrefort. Si mes souvenirs sont bons, cette porte mène au chemin de ronde, affirma le nain.
Il entrebâilla le battant et un courant d'air glacial pénétra dans le corridor, les frigorifiant aussitôt. À une vingtaine de mètres de là, un garde leur tournait le dos, guettant une quelconque activité en contrebas de la muraille. Il semblait seul et concentré à fixer les ténèbres.
Ignör fit signe à son allié de ne pas faire de bruit et il s'avança vers l'homme sur la pointe des pieds. Bien que de petite taille, le nain était très massif et Homaï craignait qu'il fît du bruit et alertât la sentinelle. Mais à sa grande surprise, il y parvint sans se faire repérer. Il s'immobilisa derrière le factionnaire, qui n'avait toujours rien vu venir, et lui assena un violent coup du tranchant de la main sur la nuque.
L'homme s'écroula sans avoir eu le temps d'émettre le moindre son. Homaï rejoignit son allié providentiel à pas de loup.
— Il est pas près de se réveiller, celui-là ! s'amusa doucement Ignör. C'est qu'on a les os en pierre, nous autres, les nains !
Puis il dégaina l'épée du garde et, sans aucun scrupule, lui trancha la gorge.
— Un de moins pour donner l'alerte ! lança-t-il, satisfait, en essuyant le sang qui maculait la lame sur l'uniforme du Fils.
À la fois surpris et dégoûté de sa manœuvre, le Confrère ne pouvait détacher les yeux de la mare de sang qui se formait peu à peu sur le sol de pierre. Le liquide pourpre s'insinuait dans les rigoles qui séparaient les dalles et progressait de plus en plus loin. Pendant ce temps-là, le nain avait également trouvé une dague sur la dépouille de la sentinelle.
— Tu préfères quoi ? demanda-t-il à Homaï, le couteau dans une main et l'épée dans l'autre.
— Peu m'importe, prends celle qui te convient et donne-moi celle dont tu n'as pas besoin.
Ignör acquiesça et opta pour le glaive, donnant la dague au mage. L'arme était au moins aussi grande que lui mais il ne semblait rencontrer aucun problème pour la manier. Il devait être doté d'une force colossale malgré sa verticalité contrariée. Le mage, quant à lui, se sentait mal séparé de son habituel bâton, mais il savait qu'il n'avait pas le choix et que sa survie en dépendait. Le nain jeta un regard circulaire et désigna des escaliers qui paraissaient mener aux étages inférieurs.
— Essayons de ce côté, marmonna-t-il.
Ils filèrent tels deux ombres et dévalèrent les escaliers sans faire de bruit. À deux reprises, ils passèrent devant des portes qui laissaient filtrer une grande quantité de lumière et au travers desquelles des échos de voix se faisaient entendre. Sans s'y attarder davantage, ils descendirent le plus bas possible et finirent par déboucher devant une ultime porte, plus imposante.
— Ça doit mener dehors, murmura Ignör.
Il poussa le battant et tous deux s'engouffrèrent de l'autre côté. Ils se trouvaient effectivement à l'extérieur, devant le pont-levis permettant de traverser les douves. Seul problème : ils venaient de tomber nez-à-nez avec un Fils, sans doute posté là pour faire le guet ou prodiguer un accueil chaleureux à des voyageurs égarés.
— Que... Qui êtes-vous ? Que faites-vous là ? s'exclama-t-il, étonné de leur présence.
— Calme-toi, l'ami, dit le nain d'une voix rassurante en s'avançant vers le garde. On est juste de passage. T'entendras plus jamais parler de nous, t'inquiète pas.
Et avant que le sbire eût pu réagir, il lui planta sa lame dans le ventre. L'homme tomba à genoux, suivi de sa tête qui heurta le sol, détachée de son corps. Elle roula sur le pont-levis et dégringola dans l'eau des douves de façon sonore.
— Ça t'arrive souvent de tuer des gens de sang-froid ? s'enquit Homaï, que tout ce sang versé répugnait.
— T'as déjà entendu parler de la lutte interne chez les nains en ce moment, je suppose ? Eh bien, mon gars, dis-toi que je me cache dans les montagnes depuis pas mal de temps, et si je ne tue pas, c'est moi qu'on tue. Tirons-nous avant qu'ils remarquent notre absence, maintenant...
Ils franchirent d'un pas vif le pont-levis, sans cesser de se retourner pour vérifier que leur escapade n'avait pas éveillé les soupçons. Sitôt la forteresse à distance respectable, ils se mirent à courir. Les deux fugitifs ne s'arrêtèrent que de longues minutes plus tard, essoufflés par cette course sur le sol inégal. L'aube commençait à poindre.
Plié en deux, Ignör tentait de retrouver une respiration normale.
— Au fait, haleta-t-il, c'est quoi ton nom ?
— Virken Bant, je viens du Sud.
— Du Sud ! s'exclama le nain d'un air rêveur.
— Dis-moi, reprit le mage, sais-tu quelle direction je dois emprunter pour rejoindre Arkeona ?
— Arkeona ? Mais... Je croyais que tu venais du Sud...
Le Confrère le pria de ne pas insister, et c'est ce qu'il fit. C'est ainsi que leurs chemins se séparèrent : tandis qu'Homaï se tournait vers le Sud-Ouest, Ignör devait se diriger vers le Nord-Est afin de reprendre part à la lutte qui scindait son peuple.
— J'espère que nous nous reverrons, Virken ! lança-t-il joyeusement par-dessus son épaule. C'était un plaisir d'avoir fait ta connaissance, et encore merci de m'avoir sorti de là ! Bon courage pour rentrer chez toi !
Le mage lui adressa un signe de la main puis tourna le dos au soleil levant et commença sa longue route vers Arkeona.
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