Chapitre 11.
Derrière la barrière de nuages, un comité d'accueil semblait attendre l'arrivée des voyageurs. Cinq harpies, qui avaient l'air de fort bonne humeur, se ruèrent sur eux peu après leur traversée et les encerclèrent en agitant des lances acérées. L'une d'elles se mit à parler dans leur langue étrange tout en les menaçant de son arme.
— Elle dit que des sentinelles nous ont vu approcher et elle souhaite savoir ce que nous venons faire ici, traduisit Homaï. Que dois-je lui répondre, selon vous ?
— Que nous sommes perdus, suggéra Makis.
— La raison de notre présence, renchérit Shamë.
La harpie qui les avait interrogés émit un claquement de langue agacé puis dit avec un accent prononcé :
— La vérité, voyageurs. N'essayez pas de nous mentir. Il me semble fort peu probable que vous soyez perdus, étant donné la multitude de panneaux indiquant notre domaine et le risque que vous prenez en vous y aventurant.
Le Néophyte retint de justesse un cri de surprise. Ainsi, cette créature ailée comprenait leur langue ? Jusqu'ici, il avait toujours pensé le contraire.
— Vous parlez le langage des humains ? s'exclama la mage-guerrière, elle aussi étonnée apparemment.
— Moi, oui. Mais pas tout le monde ici. Je ne le fais qu'en cas d'extrême nécessité, je ne veux pas me rabaisser à votre race en l'employant, rétorqua-t-elle avec un regard sévère. Maintenant, répondez-moi : qu'êtes-vous venus faire ici ? Et ne m'obligez pas à me répéter une fois de plus, ou les conséquences qui s'en suivraient pourraient franchement vous déplaire...
— Nous cherchons quelque chose d'ancien qui aurait un lien avec le temps, rien de plus, répondit le Confrère avec méfiance. Nous sommes venus en paix et ne souhaitons pas vous importuner durant nos recherches. Nous avons seulement besoin de quelques jours sur ce pic afin de mener notre enquête, puis nous repartirons et vous n'entendrez plus jamais parler de nous.
La harpie ricana :
— En paix ? Personne ne vient jamais fouler nos terres dans un dessein pacifique. Les humains se croient supérieurs car ils sont plus nombreux à peupler le Royaume... Alors ils pensent que tout leur est permis, y compris venir piller nos biens sans retenue. Concernant votre requête, ce n'est pas à moi d'y accéder. Nous allons vous conduire auprès de notre Reine, et elle avisera ce qu'il va advenir de vous.
Makis ignorait que ce peuple possédait sa propre Reine, ayant toujours cru que les créatures non-humaines devaient se soumettre aux lois de la Cour. Il avait l'impression que le pire était à venir : la confrontation avec la dirigeante suprême risquait d'être plus délicate qu'avec les sentinelles. La harpie qui parlait leur langue secoua ses ailes couvertes de plumes mauves et s'envola. Elle gagna en altitude et disparut bientôt de leur champ de vision. Les quatre restantes les poussèrent à avancer en agitant leurs lances et en criant ce qui ressemblait à des ordres dans le dialecte qui leur était propre.
— Celles-là n'ont pas l'air de nous comprendre, chuchota Homaï. Bien, essayez de retenir le chemin pour revenir ici, au cas où nous aurions à quitter les lieux en urgence. Et, devant leur Reine, essayez de ne rien dire de compromettant. Surtout, pas un mot à propos de Käyen ou de la prophétie !
Les deux adolescents acquiescèrent en silence et, peu de temps après, ils atteignirent ce qui ressemblait à une ville. L'architecture était assez particulière : toutes les maisons étaient situées à une dizaine de mètres du sol, sur des colonnes rocheuses. Il n'y avait pratiquement rien de construit en rez-de-chaussée. Des décorations végétales splendides et très ouvragées ornaient les murs.
Quelques minutes plus tard, alors qu'ils cheminaient dans le centre-ville au milieu des structures de pierre, une immense bâtisse se dressa devant eux. Elle brillait de mille feux, presque entièrement constituée de cristal, du dôme au sol en passant par les fines poutres et rambardes. Cela formait un ensemble pur et resplendissant, et Makis pensait que s'il n'avait pas s'agit de cristal, cela aurait tout aussi bien pu être de la glace étant donné que la température n'avait pas grimpé.
Ils furent conduits à l'intérieur, sous les regards hostiles des autres harpies qui se trouvaient là. La salle disproportionnée était elle aussi magnifique et il y régnait un silence royal. Étrangement,l'atmosphère était sombre : les parois intérieures n'étaient plustapissées de silice mais de marbre noir.
Leurs pas résonnaient sur le sol lisse, qui était si étincelant de propreté qu'on aurait pu manger par terre. Sur un imposant trône de verre, à l'opposé de l'entrée, siégeait la Reine. Entourée d'un halo de lumière grâce à une ouverture dans le plafond, elle scrutait les trois humains qu'on lui amenait d'un regard perçant. La harpie qui les avait arrêtés et qui semblait être la chef de la garde était déjà en présence.
— Inclinez-vous devant notre Reine, voyageurs ! cracha-t-elle dès qu'ils se furent immobilisés à quelques mètres de l'estrade.
Makis imita son père et se pencha timidement en avant. Shamë, pour sa part, se redressa de toute sa hauteur et défia la grande harpie du regard, lui signifiant clairement qu'elle n'avait aucunement l'intention de se rabaisser devant elle. Aussitôt, l'une des sentinelles lui assena un violent coup dans le dos à l'aide de la hampe de sa lance.
La mage-guerrière poussa un cri de douleur et s'écroula au sol. Ignorant les élancements qui parcouraient son corps, elle se redressa vivement et poussa un grondement de colère, ses yeux semblant s'embraser. Elle se rua sur la garde qui lui avait porté le coup et tenta de la frapper à son tour. Mais aussi rapide et surentraînée fut elle, elle n'avait pas l'avantage du nombre. Les trois autres harpies l'empoignèrent fermement puis la clouèrent au sol et la maintinrent dans cette position.
— Certains d'entre vous ne semblent pas tenir à la vie, dit la Reine d'un ton détaché. Bien, maintenant que tout le monde est disposé à s'écouter dans le calme, dites-moi qui vous êtes et ce que vous venez faire sur nos terres.
— Nous sommes de simples voyageurs et nous venons en paix. Nous sommes à la recherche de quelque chose ayant un important rapport avec le temps et se situant dans les montagnes d'Anunosh. Nous avons donc pensé que ce quelque chose pourrait se trouver sur votre pic. Nos recherches ne devraient pas nous prendre trop de temps, nous vous demandons seulement de tolérer notre présence pour quelques jours...
Homaï parlait d'une voix mesurée, appréhendant sans doute la réaction de la dirigeante des harpies.
— Qui vous envoie ? questionna cette dernière.
— Un ami.
— Comment se nomme-t-il ?
— Oske.
— Je n'en ai jamais entendu parler... souffla la Reine en plissant les yeux. Et à vous, voyageurs, quels sont vos noms ?
— Je suis Virken Bant, et voici mon fils Zato.
Makis nota qu'il employait les mêmes faux-noms qu'avec le gobelin à la porte de Valdenish.
— Et la charmante dernière ? demanda-t-elle avec un sourire moqueur.
La mage-guerrière ne daigna pas répondre, mais une sentinelle appuya la lame de sa lance contre sa gorge et une goutte de sang perla. La jeune fille finit par grogner :
— Shamë Ktar, du clan Wazkaëf.
— Une dernière question... Ce quelque chose possédant un lien avec le temps, dans quel but le recherchez-vous ?
Le Néophyte vit son père réfléchir à toute vitesse pendant une seconde, avant d'expliquer posément :
— La femme de mon ami est décédée il y a deux ans, et il est depuis en quête d'un quelconque moyen de la ramener à la vie. Après de nombreuses recherches, il a enfin mis la main sur un objet permettant de ressusciter les morts et qui serait caché à Anunosh.
La Reine ne répondit pas tout de suite et un silence pesant s'installa. Elle semblait pensive et le petit sourire qu'elle arborait donnait des sueurs froides à Makis.
— Pourquoi tant de mensonges, humain... murmura-t-elle doucement en dodelinant de la tête.
À l'entente de ces mots, la peur vint tordre les entrailles du garçon.
— Me croyez-vous stupide ? Pensez-vous pouvoir me berner aussi facilement qu'un enfant ? reprit-elle d'un ton doucereux.
Elle se leva gracieusement et déploya ses magnifiques ailes argentées.
— Mes yeux ne se contentent pas de voir le monde qui m'entoure, dit-elle d'une voix soudain plus incisive. Rien ne peut leur échapper, même la vérité, si bien manipulée soit-elle.
Elle s'avança d'un air menaçant et s'arrêta à deux pas d'Homaï.
— Voilà qu'aujourd'hui les Dieux envoient sonner à ma porte deux membres de la Confrérie de Käyen et leur alliée... susurra la Reine. Je ne pouvais pas rêver mieux ! Moi qui m'apprêtait à envoyer une patrouille capturer trois humains pour le sacrifice des trois lunes... Soyez fiers, Confrères, car c'est en offrande à votre Déesse que vous allez périr !
Elle agita ses ailes et une dizaine de gardes sortit brusquement de l'ombre puis vint encercler les deux membres de la Confrérie. On les débarrassa de leurs armes et autres effets et, alors qu'ils se faisaient entraîner vers la sortie, ils entendirent la Reine s'exclamer :
— Quant à ce Sceau du temps que vous cherchez, il n'est pas sur notre pic ou nous l'aurions trouvé depuis bien longtemps. Gardes, envoyez une équipe relâcher leurs chevaux de l'autre côté de la barrière de nuages !
— Non ! hurla désespérément Shamë. Ne touchez pas à Nikayla ! Je la connais depuis si longtemps !
— N'espère pas avoir de traitement de faveur, rétorqua la chef de la garde en la poussant sans ménagement.
On les mena dans une cellule sombre et glaciale où ils furent enfermés à double-tour. Deux sentinelles furent postées de part et d'autre de la porte et on leur indiqua que le sacrifice aurait lieu au crépuscule. Makis jeta un œil à travers la fine ouverture qui laissait entrer un peu d'air frais et estima qu'il leur restait environ deux heures avant le coucher du soleil.
— Je voudrais vérifier quelque chose, chuchota Homaï.
Il se dirigea vers la porte du cachot et lança à l'intention des deux harpies qui les surveillaient :
— Vous connaissez la blague du gobelin, du nain et de la harpie qui se rencontrent à la taverne de Sarsaron ?
Elles lui répondirent sèchement dans leur langue étrange et le Confrère retourna auprès de ses compagnons d'un air satisfait.
— C'est bien ce que je pensais, elles ne comprennent pas notre langage. Nous pouvons donc parler en toute liberté. Si ce que tu avances est juste, Makis, nous avons moins de deux heures pour sortir de ce trou à rats. Quels moyens avons-nous à disposition ?
Un silence gêné s'installa. A vrai dire, ils n'avaient pas grand-chose pouvant les aider à s'échapper à part leurs cerveaux, ayant été dépouillés de toutes leurs armes.
— De quoi une harpie a le plus peur ? demanda soudain le Néophyte.
— Du feu, répondit instantanément son père. Mais nous n'avons pas les moyens d'en faire un ici.
— Non, pas un vrai, effectivement. Mais un faux pourrait très bien faire l'affaire...
Il laissa le Confrère méditer un instant sur ses paroles. Après quelques secondes, il sembla comprendre et son regard d'éclaira.
— Tu penses à la magie des mirages de Shamë ? s'exclama-t-il. Oui, c'est une très bonne idée !
Cela fit chaud au cœur du garçon de voir que son père avait encore un minimum d'estime pour lui. Quant à la mage-guerrière, elle n'avait pas l'air enchantée qu'un plan fût ainsi élaboré sans même qu'elle ait donné son consentement.
— Voyons-voir, comment pourrions-nous procéder, marmonna-t-il, plongé dans ses pensées. Je pense que nos hôtes ne voudraient pas se risquer à perdre leurs offrandes...
Quelques minutes plus tard, d'immenses flammes matérialisées par Shamë vinrent envahir la cellule et lécher les barreaux de la porte. Les deux sentinelles poussèrent des cris effrayés et s'empressèrent de déverrouiller l'entrée puis de se précipiter à l'intérieur, quitte à se roussir les plumes. Croyant leurs prisonniers asphyxiés par la fumée ou brûlés par le feu, elles n'étaient pas assez sur leurs gardes. À l'intérieur, cependant, les trois voyageurs les attendaient de pied ferme.
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